Dossier du Journal de Montréal - Le monde secret de Rael

1ère partie

(Brigitte McCann et Chantal Poirier, Journal de Montréal, 7 octobre 2003)


Le chef montre des signes de paranoïa

Le mouvement raëlien présente déjà des signes de « dérapage » qui ne sont pas sans rappeler celui qui a entraîné dans la mort 10 membres de l’Ordre du Temple Solaire au Québec.

C’est ce que pense Dianne Casoni, psychologue reconnue et criminologue spécialiste des groupes sectaires, à la lumière des informations colligées durant l’infiltration du Journal de Montréal.

« C’est la santé mentale et le jugement moral du leader qui sont la plus grande protection contre un dérapage », affirme l’experte, professeure à l’Université de Montréal.

Avec ses gardes du corps et ses théories de complot. (Voir Raël se dit victime de nombreux complots) Raël montre déjà des signes inquiétants de paranoïa, selon elle. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est quand les thèses du complot prennent de l’ampleur, explique Mme Casoni.

Elle rappelle que le gourou Jim Jones obligeait constamment ses disciples à déménager avant que sa paranoïa n’aboutisse dans le suicide collectif de 912 membres de sa secte, le Temple du peuple, en Guyanne en 1978.

Emprise resserrée

Autre fait inquiétant qui ressort de l’enquête du Journal : Claude Vorilhon resserre de plus en plus son emprise sur ses disciples. La création de l’Ordre des Anges, des femmes à son service, en est un exemple.

« D’année en année, on voit une croissance de l’affirmation de l’autorité de Raël », affirme Alain Bouchard, sociologue expert du mouvement raëlien.

« Il commence vraiment à se prendre plus au sérieux, ajoute-t-il. Son égo grossit. »

« Ça m’inquiète de voir qu’il y a une augmentation du niveau de contrôle et d’exigences », dit Mike Kropveld, responsable d’Info-Secte.

Claude Vorilhon lui-même admettait le danger potentiel d’un dérapage, après les premiers suicides collectifs de l’OTS, en 1994. « Personne n’est à l’abri d’un dérapage, disait-il au Journal. Jésus a dit : Aimez-vous les uns les autres, et le catholicisme a produit l’Inquisition. Il ne faut donc s’étonner de rien. »

Soixante-quatorze membres de l’OTS ont été tués ou se sont suicidés dans trois pays de 1994 à 1997. Dix sont morts au Québec.

Comme un thrill

Pour l’instant, les effets sur les membres de la « paranoïa » du leader se limitent à leur faire vivre des émotions dignes d’un « film d’horreur », selon Alain Bouchard.

« Les membres ont peur, ça crée un thrill et une cohésion dans le groupe, donc tout le monde est satisfait, dit le spécialiste. Quand ils commenceront à bâtir des bunkers, là, il faudra s’inquiéter. »

Les choses pourraient toutefois se corser le jour où le leader fera face à l’effritement de son mouvement, selon Dianne Casoni.

Cela pourrait déjà être en train de se produire, car malgré les prétentions de Raël, « le membership du mouvement stagne depuis 20 ans », indique Alain Bouchard.

Le leader aura alors deux choix : accepter la dissolution de son groupe ou adopter la ligne dure, ne retenant que le noyau du groupe. « À l’OTS, à la fin, seulement les membres les plus engagés se sont tués », rappelle Casoni.


La mise à l’épreuve...

Talkie-walkie à la main, les responsables de la sécurité à l’entrée de l’auditorium examinent chacun des participants, restés pour la deuxième semaine du « stage » annuel à Maricourt.

Des femmes postées à la porte notent le numéro de nos cartes d’identité. Certains membres sont refoulés à l’entrée.

Sans explication, on nous interdit désormais l’accès à l’auditorium. Chantal et moi avons la même crainte : ça y est, ils nous ont démasquées. Mais nous n’en parlons pas. Richard, un gardien de sécurité qui nous connaît pourtant depuis une semaine, charge maintenant un organisateur de nous surveiller pendant qu’il va chercher un guide.

Je ne comprends pas ce qui se passe. Pourquoi maintenant ? Nous sommes pourtant dûment inscrites au stage de formation et nos frais d’admission ont déjà été encaissés.

Richard revient finalement nous voir, après quinze minutes. Sans explication, il faut que je monte à l’étage. Tout de suite !

Je suis un peu inquiète. Je ne veux pas laisser Chantal seule en bas, alors que je ne sais pas ce qui se passe. Mais Richard me presse de monter. J’y vais.

J’entre dans une petite salle de réunion. Trois guides y sont assis côte à côte, l’air grave. J’en connais deux. Yves Boni, un guide africain, et Joseph, le responsable du Canada. Une chaise vide leur fait face.

– Euh… je m’assois là ?

Pas de réponse.
C’est clair : ils savent qui je suis. Mais est-ce qu’ils savent pour Chantal ? Vont-ils nous laisser partir sans problème ?
Je m’assois sans rien dire. J’attends.
Joseph finit par parler.

– Brigitte, peux-tu nous jurer que ce qu’on va dire restera secret ?
– ??
– C’est top confidentiel.
– Je vous donne ma parole de raëlienne.
– C’est bon. T’étais au stage la semaine dernière. Donc, t’as vu les guides.
– Euh… oui.

Mais où veut-il en venir ?

– Eh bien, ça fait longtemps que, tous ensemble, on fait des recherches et qu’on travaille. On a fait beaucoup de recherches.

Je suis vraiment game over. Ma voiture est à l’autre bout du camping. Merde.

– On s’est réunis ce matin parce que nos recherches sont finalement terminées. Et on a les preuves, toutes les preuves, que… Raël est un menteur.
– ! ! !

Je suis bouche bée… Et toujours raëlienne !

– On sait que tout ce qu’il nous a dit depuis le début, depuis des années, ne sont que des mensonges. Tout ce qu’il veut, c’est notre argent. Et ce soir, c’est le grand soir. On va dénoncer sa supercherie. Tous. À 18 h, les journalistes seront là. Nous serons tous là.

Là, je comprends. Ils testent ma « foi ». Ils vont me demander si moi aussi, je dénonce Raël. Mais pour qui ils me prennent ? Une nouille ?

– Et toi ? Es-tu avec nous ?

Voilà. La grande question. Je dois maintenant être convaincante. Je prends mon air le plus horrifié. Je recule dans ma chaise en serrant les accoudoirs.

– Si je suis avec vous ? NON ! Jamais de la vie !

Un grand sourire apparaît sur le visage de Joseph. Bingo.

– T’as réussi le test, me dit-il.

Non !!! T’es sérieux là !!?

Pour l’effet, je pousse un énorme soupir de soulagement. Et je constate que mes mains tremblent. J’ai eu chaud, quand même. Je m’exclame :

– Oh mon Dieu ! J’ai eu tellement peur !

Les trois guides m’embrassent, me félicitent, touchés par ma fidélité à Raël. Je sors.
Trois guides m’accueillent plus chaleureusement que jamais en bas. Je suis vraiment une des leurs, maintenant.
Chantal monte à son tour. Je ne peux pas lui parler. On me surveille.
Mark Proulx, guide du sud du Québec, l’attend en bas avec moi.
L’air inquiet, je demande :

– Est-ce qu’il y en a qui ont vraiment réussi à vous, euh… à nous infiltrer ?
– Oui.
– Et vous les avez identifiés ?
– Oui. Il y en a eu deux. Un policier de la SQ nous a infiltrés, mais il a dit ‘fuck la police !’ et il est resté parmi nous. Il y a aussi eu une femme envoyée par le gouvernement français. Elle aussi nous a choisis.
– Ah bon. Et les journalistes ?
– Certains essaient encore de nous infiltrer. Ils débarquent ici et essaient de prendre des photos.

Au bout de 15 longues minutes, Chantal redescend. Secouée. Je prends ma collègue dans mes bras et je lui frotte le dos. Les guides autour de nous sont touchés. Ils croient qu’on a eu peur pour Raël. S’ils savaient !

Elle a réussi, elle aussi. On continue.

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L'OPINION DES EXPERTS

Dianne Casoni :
Ce n'est pas de la petite intimidation! Ils ne sont pas en train de chercher des infiltrateurs: ils veulent montrer que les dirigeants ont le contrôle et qu'ils sont prêts à faire passer un mauvais quart d'heure aux deux reporters n'importe quand.

Alain Bouchard :
C'est une cérémonie d'initiation. Ça permet de mesurer l'intégrité de la personne tout en renforçant son sentiment d'appartenance au mouvement.


Des objets sexuels prêts à mourir

« …ce sont des individus qui sont prêts à tout sacrifier pour eux, tant leur vie professionnelle que sentimentale et même leur vie tout court. »
- extrait de Ordre des anges de Raël.

L’enquête du Journal a permis de constater que certains raëliens, surtout des femmes, sont prêts à mourir pour leur prophète.

Les « Cordons dorés », objets sexuels et élite des Anges de Raël, ont l’obliga- tion de faire plus que servir leur « prophète ».

Elles doivent s’engager à « mourir » pour lui, au besoin, selon des documents internes obtenus par le Journal et selon des témoignages recueillis parmi les Raëliens.

Un texte intitulé Dernier message est remis à toutes les raëliennes intéressées à se joindre aux Anges de Raël. Il indique éloquemment qu’elles doivent « être prêtes à être au service des Élohim (extraterrestres) et des prophètes (Raël) sans aucune restriction, incluant la sexualité ».

Le « privilège d’être près d’eux » est toutefois réservé à celles qui veulent tout donner, « incluant leur propre vie si cela était nécessaire pour les protéger ».

En devenant Cordon doré, certaines d’entre elles choisissent de n’avoir des relations sexuelles qu’entre elles ou avec leur « prophète ».

Le document exige même que les anciennes Anges remplissent une « nouvelle formule d’adhésion » pour faire leur choix. « Pour les Anges de Raël, les Élohim et leur Messager passent avant tout. Ce sont des individus (toutes des femmes) qui sont prêts à tout sacrifier pour eux, tant leur vie professionnelle que sentimentale et même leur vie tout court », peut-on lire dans un deuxième document destiné aux Anges.

« Absolument ! »

Ange depuis 5 ans, Sandrine, 40 ans, prend son engagement très au sérieux.

– Es-tu vraiment prête à mourir si la sécurité de ton prophète est mise en danger ?

– Absolument ! répond la brunette élancée, questionnée à Ufoland cet été à la représentante du Journal, incognito.

- Et je le ferais pour toi aussi, s’il y a une injustice, s’empresse-t-elle d’ajouter, convaincante.

« Inquiétant »

En principe, seul Vorilhon peut décider si un tel sacrifice est « nécessaire » ou non, puisqu’aux yeux de ses disciples, il est le seul à être en contact avec les Élohim.

Pourrait-il proclamer un bon matin que les Élohim lui ont fait une demande télépathique de sacrifice ?

« Avant d’en arriver là, il faudrait qu’il y ait d’abord des signes annonciateurs », affirme Alain Bouchard, sociologue des religions à l’Université Laval.

Pour l’instant, tout porte à croire qu’il ne s’agit que d’un engagement symbolique.

La vie de ces femmes pourrait toutefois être mise en danger dans le futur. « S’il y a un dérapage, ce qui était symbolique peut être exigé », avertit Dianne Casoni, psychologue et criminologue spécialiste des groupes sectaires à l’Université de Montréal.

« C’est inquiétant de faire ce type de demande à des gens », admet de son côté le directeur d’Info-Secte, Mike Kropveld.

Curieusement, ce dernier tend à penser qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer.

« C’est un des mouvements les plus transparents que je connaisse », dit-il


Raël se dit victime de nombreux complots


Constamment entouré de gardes du corps, comme a pu le constater le Journal, Claude Vorilhon est convaincu qu’il est la cible de nombreux complots pour l’assassiner.

Et les nombreux raëliens interviewés par le Journal semblent le croire aussi fermement.

Le « prophète » tente d’embarquer ses disciples dans sa paranoïa.

« Il y a de fortes chances que je sois victime prochainement d’une tentative d’assassinat », proclame Vorilhon, dans l’hebdomadaire Contact, magazine destiné à tous les raëliens et que les reporters du Journal pouvaient consulter après être devenues membres en règle.

Les services secrets de la France et des États-Unis « liés à la CIA » chercheraient à l’éliminer parce qu’il « dérange », selon ses prétentions. Nom de leur opération secrète d’extermination : Le Projet Abraham.

Malades mentaux « téléguidés »

Selon sa théorie, des « malades mentaux » seraient « téléguidés » pour l’assassiner et accomplir d’autres crimes. Des schizophrènes obéiraient à des « voix » émises par des systèmes audio installés chez eux en secret.

Voilà qui expliquerait pourquoi un « malade mental » a « saccagé » le terrain de camping de l’église raëlienne en novembre 2002, selon le gourou. Il s’agissait là d’un « test de leurs méthodes ».

L’ancien journaliste va même jusqu’à citer une soi-disant directive de Georges Bush, président des États-Unis : « Il me faut la peau de ce Raël qui prône l’athéisme à tout prix ! »

« Si je suis prochainement assassiné par un malade mental, conclut Raël, il faut que vous clamiez haut et fort ce qui est derrière tout cela et que vous fassiez des enquêtes qui démasqueront les responsables, qui sont extrêmement haut placés » en France et aux États-Unis.

« Ça serait bon »

Les raëliens ne sourcillent pas en entendant parler de tels présumés complots. Il s’en trouve même un pour souhaiter qu’ils se réalisent !

« Ça serait bon qu’un jour Raël se fasse tuer ou qu’il meure », raconte singulièrement Pierre Bolduc, un « ami » de Raël depuis son arrivée au Québec il y a 25 ans.

« Parce que s’il meurt, il n’y aura plus aucune chance qu’un jour, il renie tout ce qu’il enseigne depuis 20 ans : sa rencontre avec les Élohim et tout ça. […] Ce n’est pas pour rien que Jésus a été crucifié ! » conclut-il.


Trois experts analysent le dossier

Trois experts reconnus des groupes religieux donneront chaque jour leur point de vue sur ce qu’ont découvert nos reporters incognito au cours des neuf derniers mois.

Tout au long du reportage, ces experts se prononceront sur les activités, l’attitude et la philosophie du mouvement raëlien, telles que révélées par notre enquête.

Les raëliens utilisent différentes méthodes pour contrôler et intimider leurs disciples. C’est ce que nous expliquera Dianne Casoni, spécialiste des groupes sectaires. Elle est psychologue et professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

Le mouvement a besoin d’affirmations scientifiques, vraies ou fausses, pour établir sa crédibilité aux yeux du public et de ses disciples. Voilà entre autres ce qu’indiquera Alain Bouchard, expert du mouvement raëlien. Il enseigne les sciences religieuses au Cégep de Sainte-Foy et à l’Université Laval, à Québec.

Enfin, le Journal a rencontré Mike Kropveld, responsable d’Info-Secte, un organisme de sensibilisation au phénomène des groupes religieux. Selon lui, Raël cherche à provoquer pour maintenir la cohésion dans son groupe.



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