LES SECTES ET L'ARGENT- RAPPORT N° 1687 du 10 juin 1999
TROISIEME PARTIE
I.-
LES INFRACTIONS À LA LÉGISLATION SOCIALE
A.-
les infractions au code du travail
B.- les infractions
au code de la sécurité sociale
1.- Des infractions apparemment peu contrôléesII.- LES INFRACTIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES
2.- Le litige avec la Scientologie
3.- Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah
A.- des infractions pénales multiples et fréquentes
1.- Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière
2.- Les condamnations prononcées
3.- Les procédures en cours
B.- des infractions souvent impunies
1.- La faiblesse du nombre de plaintesC.- un arsenal juridique adapté mais difficile à utiliser
2.- Le taux élevé de désistements
3.- La difficulté de l'instruction
1.- Un arsenal accru et perfectionnéIII.- LA FRAUDE FISCALEa) L'application des dispositions du nouveau code pénal a fait l'objet d'un début de jurisprudence2.- Un arsenal toutefois difficile à utiliser
b) Les infractions nouvellesa) La question d'une incrimination spécifique
b) Les obstacles psychologiques et matériels
A.- une fraude importante par son montant et la diversité des malversations
1.- Les activités associatives non déclaréesB.- une fraude généralement impuniea) L'absence de déclaration d'activités lucratives2.- L'utilisation des sociétés filiales à des fins frauduleuses
b) L'absence de déclaration des dons manuels
c) L'absence de déclaration des revenus du patrimoinea) La fraude à la TVA3.- La distribution occulte de revenus
b) La minoration de l'assiette de l'impôt sur les sociétés
1.- Une dette très importanteIV.- LES DIMENSIONS INTERNATIONALES DE LA FRAUDE SECTAIRE
2.- Une dette généralement impayée
3.- L'absence de poursuites pénales
A.- des circuits internationaux de financement occulte
1.- L'importance des transferts de fonds depuis ou vers l'étrangerB.- les exemples de financement international de sectes
2.- Des circuits peu contrôlables
1.- Les transferts sous couvert d'une marque déposéeV.- LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA MOBILISATION DE L'ADMINISTRATION
2.- La fuite de capitaux par l'intermédiaire d'une société civile immobilière
3.- L'exemple de la collecte des fonds scientologues
A.- Des efforts importants mais inégaux
1.- Les moyensB.- Les améliorations indispensables
2.- La coordination entre les administrations
3.- La collaboration entre États
4.- Le rôle confié à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes
1.- MobilisationCONCLUSION
2.- Coordination
3.- Spécialisation
4.- Coopération internationale
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
LES
PRATIQUES SECTAIRES : UNE FRAUDE TRÈS RÉPANDUE
L'acquisition d'un poids économique et financier important, dont on a vu qu'il était devenu une préoccupation centrale des dirigeants des mouvements sectaires, implique souvent le recours à la fraude.
L'opacité organisée des structures, des réseaux et des flux financiers fournit les conditions favorables aux infractions à la législation sociale, aux délits économiques et financiers, à la fraude fiscale, y compris dans leur dimension internationale. Elle justifie, de la part des pouvoirs publics, une réponse aussi rapide qu'efficace.
I.- LES INFRACTIONS À LA LÉGISLATION SOCIALE
La première nécessité d'une organisation sectaire est de recruter le plus grand nombre possible d'adeptes, puis d'utiliser ses membres à la réalisation d'un chiffre d'affaires.
Pour cela, la secte va rechercher les moyens de réduire au maximum, voire d'éviter complètement, les charges sociales pesant normalement sur un employeur. Elle aura donc recours à l'abus du bénévolat, au travail dissimulé et à la minoration de ses activités, si toutefois elle les déclare.
L'exercice de la fraude sociale est généralement rendu difficile par un droit social très perfectionné, assorti d'importants moyens de contrôle. Les mouvements sectaires éprouveraient beaucoup de difficultés dans ce domaine s'ils ne s'appuyaient sur des adeptes renonçant à exercer leurs droits normaux de citoyen.
En effet, il ne suffit pas de recruter des membres. Il faut ensuite les garder et les rentabiliser. C'est pourquoi, dans nombre de mouvements sectaires, les recrues subissent des tests d'évaluation, qui permettent de déterminer la meilleure façon de les utiliser. Sous l'apparence de faciliter la vie des adeptes, l'organisation vise à les intégrer dans le groupe et à les séparer de tout autre environnement. L'esprit indépendant ne peut y trouver sa place. Une sélection est donc opérée au détriment de ceux qui ne semblent pas correspondre au profil pré-établi et être facilement manipulables. C'est pourquoi le nombre de plaintes et de témoignages est si faible malgré le poids de l'économie souterraine sectaire.
C'est souvent à l'occasion d'incidents épars - accidents du travail par exemple - que les pouvoirs publics ont pu découvrir et prendre la mesure des infractions à la législation sociale que génèrent les activités économiques des sectes.
A.- LES INFRACTIONS AU CODE DU TRAVAIL
Il n'est pas possible de mesurer la part de l'économie souterraine revenant aux mouvements sectaires. En l'absence de définition juridique de la notion de secte, les organismes de contrôle, notamment la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal, n'appréhendent pas le domaine des sectes en tant que tel, mais l'ont rencontré, à un nombre suffisant de reprises au cours de leurs enquêtes, pour pouvoir considérer que les infractions à la législation du travail tiennent une place importante dans les agissements sectaires.
Le point de départ réside généralement dans l'emploi de bénévoles, pratique très courante dans le domaine associatif, comme nous l'avons vu plus haut. Il y a recours abusif au bénévolat et dissimulation d'emploi salarié lorsque l'on trouve dans l'activité des bénévoles tous les éléments constitutifs du contrat de travail, à savoir : un travail, un lien de subordination entre celui qui le donne et celui qui l'exécute, enfin une rémunération.
Ainsi, l'inspection du travail a démontré que l'utilisation des adeptes à la réalisation des travaux d'imprimerie des publications des Témoins de Jéhovah relevait de la notion de travail et dépassait celle de bénévolat. La mission d'inspection effectuée en juin 1996 a en effet permis d'établir que toutes les caractéristiques d'un travail salarié étaient réunies, notamment l'indication d'horaires, l'organisation des tâches et un lien de subordination hiérarchique pour celles-ci.
Avant la promulgation de la loi du 11 mars 1997, le code du travail liait la dissimulation de salariés à l'existence d'un but lucratif. L'inspection de 1996 n'a donc pas pu déboucher sur des poursuites pour travail clandestin, le caractère lucratif de l'association chargée de l'exploitation de l'imprimerie n'ayant pas pu être démontré, notamment à l'occasion du contrôle fiscal dont elle a fait l'objet et sur lequel on reviendra.
En revanche, le procès-verbal dressé
le 22 juillet 1996 par l'inspection du travail a retenu les infractions suivantes
: défaut de déclaration préalable d'occupation de personnel
salarié (article L. 620-1 du code du travail), absence d'affichage des
horaires de travail (article L. 620-2), défaut de tenue d'un registre unique
du personnel (article L. 620-3), d'affichage de l'identité et de l'adresse
de l'inspection du travail (article L. 620-5), de tenue d'un livre de paie (art.
L.143-5), de visite médicale du travail, enfin non-respect des règles
de sécurité à l'occasion d'un accident du travail
.
Sur
le fondement des dispositions votées en 1997 qui pourraient désormais
justifier des poursuites pour travail illégal, le parquet d'Evreux a demandé
à l'inspection du travail de constater à nouveau les infractions
dont la communauté de Louviers est responsable. Une nouvelle inspection
a eu lieu en juin 1998.
La Commission a également eu connaissance des agissements d'associations dépendant du mouvement Dianova, employant des chauffeurs-routiers, prétendument bénévoles, et effectuant des transports de marchandises en violation de la réglementation des conditions de travail dans ce secteur. Comme l'a montré la Cour des Comptes, les caisses de plusieurs centres de la secte étaient utilisées pour octroyer des avantages en nature, voire verser des salaires qui n'étaient pas déclarés.
Il est en revanche surprenant qu'aucune inspection n'ait été diligentée pour examiner les conditions de travail en vigueur au sein des associations scientologues. Il est clair que ces dernières fonctionnent dans une proportion importante grâce au bénévolat dont il serait intéressant de vérifier qu'il respecte le droit du travail.
B.- LES INFRACTIONS AU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
D'une façon générale, le secteur associatif ne soulève guère de problème au regard du recouvrement des cotisations sociales. Pour les associations, les résultats sont même légèrement supérieurs à ceux de l'ensemble des secteurs, organismes privés et publics inclus, aussi bien au titre du montant de la dette vis-à-vis des URSSAF qu'au titre du nombre de comptes débiteurs. Les taux sont respectivement de 3 % et de 4 % en Ile-de-France, soit au-dessous de la moyenne de l'ensemble des secteurs.
Il n'empêche que, dans tous les cas, le non-paiement de cotisations sociales ou la minoration de celles-ci vont naturellement de pair avec la dissimulation d'activité ou celle d'emploi salarié. La faiblesse du nombre de salariés déclarés par les organisations sectaires laisse craindre de telles dissimulations, alors qu'il ne semble exister que deux exemples de vérification.
1.- Des infractions apparemment peu contrôlées
En matière de sécurité sociale, au moins autant que dans le domaine du droit du travail - où d'une part le récent renforcement des textes, d'autre part la mobilisation de l'administration permettent d'espérer une amélioration notable des contrôles et de leurs effets - le respect par les mouvements sectaires de la légalité paraît difficile à assurer.
S'il est vrai qu'il n'est ni dans la vocation ni dans les moyens des URSSAF de prendre en compte le fait sectaire en tant que tel, la Commission craint toutefois que cette situation ne permette, dans certains cas, de couvrir des dérives sectaires.
On sait par exemple que l'Ile-de-France compte sur son territoire plus de 140 mouvements sectaires. La Commission a pu examiner la situation de 21 de ces mouvements au regard de leurs obligations vis-à-vis de l'URSSAF d'Ile-de-France pour le dernier trimestre 1998.
Un seul, l'Eglise du Christ de Paris, déclare plus de 10 salariés (17 précisément). Cinq organisations déclarent entre 5 et 10 salariés : Tradition famille propriété (9), L'Eglise universelle du Royaume de Dieu (7), Soka Gakkaï internationale France (7), Invitation à la vie (IVI) (6), Landmark Education International (5). Les 15 autres déclarent entre 0 et 4 salariés.
Dix-neuf organisations sont à jour de leurs cotisations. Les restes à recouvrer et les majorations de retard des deux autres ne représentent que des montants financiers modestes.
Ces chiffres laissent craindre, quand on les met en rapport avec ce que l'on sait du nombre d'adeptes et des activités économiques exercées par les mouvements sectaires en Ile-de-France, des pratiques de dissimulation d'emploi salarié et de fraude au droit de la sécurité sociale.
2.- Le litige avec la Scientologie
En 1985, l'Eglise de Scientologie de Paris, qui avait spontanément ouvert un compte à l'URSSAF en 1978, suspendit le versement de ses cotisations au motif que la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) avait refusé d'inscrire un de ses membres, employé par l'association Celebrity Center, ce qui paraissait remettre en cause le principe de l'assujettissement des membres actifs de la Scientologie au régime général de la sécurité sociale.
Deux contentieux parallèles ont été ouverts :
_ un recours de l'intéressé contre la décision
de la CPAM, suivi d'un désistement ;
_ un recours de l'Eglise de Scientologie
à l'encontre des actions en recouvrement engagées par l'URSSAF.
Le Tribunal des affaires sociales a confirmé, le 4 décembre 1995, la dette chiffrée par l'URSSAF et, le 18 mars 1996, validé toutes ses mises en recouvrement.
Le 30 novembre 1995, le Tribunal de commerce avait prononcé la liquidation judiciaire de l'association Eglise de Scientologie de Paris, au titre de laquelle la créance de l'URSSAF a été admise au passif pour 13,3 millions de francs.
Cette créance a été intégralement soldée par l'administrateur judiciaire. Mais la Commission n'a pu connaître la nature et l'origine des fonds ayant permis ce règlement.
Il est frappant de constater, à travers cet exemple, que la Scientologie continue depuis lors d'exercer ses activités, à Paris comme partout en France, et, selon les renseignements dont a pu disposer la Commission, ne figure plus en tant qu'association dans la liste des cotisants à l'URSSAF de Paris. La secte a déclaré avoir concentré ses activités commerciales au sein d'une SARL, dûment immatriculée. On peut pourtant considérer que l'accumulation par la Scientologie d'une dette à l'égard de l'URSSAF de plus de 13 millions de francs, traduisait l'existence d'activités à caractère économique dont on peut se demander si elles continuent à être exercées par les structures associatives de l'organisation. Une intervention de l'inspection du travail pourrait éclairer ce dossier.
3.- Le redressement opéré sur les Témoins de Jéhovah
Au cours des mois de mai et juin 1996, l'URSSAF de l'Eure a diligenté un contrôle sur l'association « Communauté chrétienne des Béthélites », en la considérant comme un employeur potentiel puisque des activités économiques à Louviers, notamment d'imprimerie, étaient notoires et que l'association ne versait aucune cotisation.
Le contrôle a établi que les membres de la communauté exerçaient une véritable activité professionnelle, recevant une rémunération, composée d'une allocation mensuelle de 475 francs et d'avantages en nature tels qu'hébergement et nourriture, qui devaient servir d'assiette de cotisation. L'URSSAF a, sur ces bases, notifié un redressement de 10,3 millions de francs, que l'association a réglé.
Depuis lors, l'Association cultuelle des Témoins de Jéhovah et la Communauté chrétienne des Béthélites cotisent régulièrement à l'URSSAF de l'Eure, la première déclarant une masse salariale de 4,8 millions de francs pour 306 salariés et la seconde de 6,6 millions de francs pour 284 salariés (au 31 décembre 1998).
Antérieurement à 1996, les membres permanents des associations des Témoins de Jéhovah n'étaient pas couverts par l'assurance-maladie et bénéficiaient d'un système de protection interne par auto-assurance. Ils ont, depuis, la possibilité d'être assujettis au régime général de la sécurité sociale.
Cette solution n'est cependant qu'apparemment équilibrée. En effet, l'URSSAF ne peut, sans investigation de l'inspection du travail, connaître le volume réel du travail effectué qui, s'il était établi comme un travail salarié à temps plein, pourrait se voir appliquer le mécanisme de l'assiette forfaitaire minimale, à savoir le nombre d'heures de travail effectuées multiplié par la valeur du SMIC. Dans cette hypothèse, le redressement de l'URSSAF aurait été de 22 millions de francs, soit plus du double de ce qu'il fut.
La Commission estime donc indispensable, au vu de ces éléments, qu'un contrôle approfondi de l'inspection du travail établisse la réalité quantitative de l'activité salariée dans les deux associations concernées. Elle s'étonne que ce contrôle n'ait toujours pas été réalisé et que l'URSSAF de l'Eure se contente de percevoir un montant de cotisations calculé sur la base d'une assiette forfaitaire dont on peut se demander quel rapport elle a avec l'activité salariée réelle.
II.- LES INFRACTIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES
Les infractions économiques et financières relevées à l'encontre de mouvements sectaires présentent comme caractéristiques d'être multiples, fréquentes et souvent impunies. Car si l'arsenal juridique disponible permettant de les réprimer paraît assez bien adapté, il est en revanche difficile à utiliser.
A.-
DES INFRACTIONS PÉNALES MULTIPLES ET FRÉQUENTES
L'examen
des infractions pénales retenues dans des affaires liées au phénomène
sectaire fournit un indice incontestable du caractère frauduleux des man_uvres
qui se déploient en son sein.
1.- Un développement inquiétant de la délinquance économique et financière
L'évolution du nombre des procédures engagées et de la nature des infractions relevées traduit un développement inquiétant des délits économiques et financiers dont sont responsables les mouvements sectaires.
Au 1er février 1999, la Chancellerie recensait 182 procédures pénales engagées à l'encontre de personnes liées à une organisation sectaire, hors procédures pour diffamation ou dénonciation calomnieuse. Des recensements similaires relevaient, en novembre 1995, 60 plaintes, 27 enquêtes préliminaires, 26 informations judiciaires et 27 procédures clôturées en cours d'année, puis, en novembre 1997, 134 procédures pénales. Entre le 1er mai 1998 et le 1er février 1999, 30 nouvelles procédures pénales ont été répertoriées, dont certaines ont pu être initiées antérieurement à ces dates.
Les 182 procédures pénales liées au phénomène sectaire actuellement répertoriées se décomposent en 82 enquêtes préliminaires et 100 informations judiciaires. Sur les enquêtes préliminaires, 45 ont été classées sans suite, 28 sont en cours, 4 font l'objet d'un jugement de relaxe et 5 d'une décision de condamnation. Quant aux informations judiciaires, 66 sont en cours, 9 ont fait l'objet d'un non-lieu (dont un n'est pas définitif) et une d'une ordonnance d'incompétence, tandis que, par ailleurs, une affaire a été close pour extinction de l'action publique, deux ont bénéficié d'une relaxe et 21 ont entraîné une condamnation dont quatre ne sont pas définitives.
Ces procédures concernent en majorité des infractions de nature économique et financière, traduisant ainsi le rôle grandissant que joue l'argent dans la délinquance sectaire. La Chancellerie recense en effet 104 affaires mettant en cause un délit rentrant dans l'objet de la Commission. La répartition des chefs d'infraction prononcés ou envisagés reflète les pratiques utilisées. L'escroquerie et l'abus de confiance constituent, de loin, les infractions les plus fréquemment relevées. Vient ensuite l'exercice illégal de la médecine, révélateur de la place grandissante que les sectes occupent sur le marché de la santé. On note également un nombre important d'abus de faiblesse, d'infractions au code du travail, d'extorsions de fonds, de publicités mensongères, de corruptions et de prises illégales d'intérêts. Ces incriminations sont caractéristiques de l'influence économique désormais jouée par les réseaux sectaires.
2.- Les condamnations prononcées
Un nombre important de procédures ont d'ores et déjà fait l'objet de condamnations pénales pour des infractions économiques ou financières. Les dossiers concernés sont trop nombreux pour être examinés de façon exhaustive. La Commission a en revanche recensé les décisions de justice relatives aux mouvements sectaires les plus représentatifs. Ces décisions sont présentées dans le tableau ci-dessous. Il s'agit de jugements et d'arrêts définitifs ou provisoires, certains d'entre eux pouvant être frappés d'appel ou de cassation pour le moment non encore jugés. Seules les infractions pénales présentant un caractère économique ou financier ont été retenues.
Condamnations pénales (1) relatives aux principaux mouvements sectaires
Nom de la secte Nom de l'organisme
concerné Chefs d'infraction (2) Jugements, arrêts et peines prononcées
(3)
Krishna Fédération française pour la conscience de
Krishna ù Fraude fiscale ù TGI de Châteauroux, 25/01/89
CA
de Bourges, 24/10/89 : amende de 20.000 F. + 6 mois avec sursis ; amende de 15.000
F. + 3 mois avec sursis.
Krishna Association franço-suisse pour la
conscience de Krishna ù Règles d'urbanisme ù TC de Dôle,
13/05/97 : amende de 50.000 F. + démolition édifice sous astreinte
de 500 F. / jour.
CA de Besançon, 28/04/98 : confirmation
La Maison
de Jean La Maison de Jean Abus de confiance Faux
Escroquerie
TGI de Paris, 12/12/96 : relaxe.
CA de Paris, 7/01/98 : 12 mois avec sursis
+ amende de 150.000 F.
Le Mandarom Association du Vajra Triomphant ù
Infractions au code de l'urbanisme ù TGI de Digne-les-Bains, 30/07/98 :
amende de 30.000 F. - ordonne la remise en état des lieux dans un délai
de 3 mois à compter de la signification sous astreinte de 500 F. / jour
de retard.
Loisirs et santé - Le corps miroir World institute of technologies
for healing (WITH) Publicité mensongère Escroquerie Non-assistance
à personne en danger ù TGI de Grenoble, 29/03/96 : non-lieu.
CA
de Grenoble, 7/11/96 : confirmation non-lieu pour escroquerie + non-assistance
à personne en danger - renvoi TGI Grenoble pour publicité mensongère.
TC de Grenoble, 05/96 : 30.000 F. d'amende pour publicité mensongère.
CA de Grenoble, 29/07/98 : requalification complicité, publicité
mensongère + amende de 30.000 F.
Méthernita Méthernita
Subornation de témoins
Participation à une association de malfaiteurs
ù TGI de Grenoble, 15/12/98 : 2 mois avec sursis + amende de 20.000 F.
Moon Association pour l'unification du Christianisme mondial Fraude
fiscale ù CA d'appel de Paris, 26/01/88.
Nouvelle Acropole Association
Nouvelle Acropole France Vol Recel de vol Complicité de vol Menaces
de délit faites sous condition ù TGI de Colmar, 27/03/98 : 1 an
avec sursis et non inscription B2, 18 mois avec sursis.
CA de Colmar, 18/12/98
: confirmation de jugement.
ORKOS Fédération internationale
pour le développement de l'alimentation instinctive Exercice illégal
de la médecine Escroqueries
Publicité irrégulière
pour des méthodes thérapeutiques (non-lieu partiel) TGI de
Melun, 25/03/96 : interdiction d'exercer toute activité liée à
l'instinctothérapie pendant 3 ans.
CA de Paris, 21/01/97 : 3 mois avec
sursis + amende de 50.000 F.
Cassation, 30/04/98 : rejet.
Scientologie
Eglise de Scientologie de Lyon ù Escroquerie Complicité d'escroqueries
Extorsion ù TGI de Lyon, 22/11/96 : emprisonnements allant de 8 mois
avec sursis à 3 ans dont 18 mois avec sursis + amendes allant de 10.000
F. à 500.000 F. + interdictions de droits civiques + interdictions de gérer
+ exclusion des marchés publics.
CA de Lyon, 28/07/97 : emprisonnements
allant de 8 mois avec sursis à 3 ans avec sursis + amendes allant de 10.000
F. à 500.000 F. + interdictions de droits civiques.
Scientologie Eglise
de Scientologie d'Aix-en-Provence Tentative de corruption Vol TGI
de Toulon, 11/10/96 : 6 mois avec sursis (pour 2 personnes différentes).
CA d'Aix-en-Provence, 12/01/98 : 4 mois avec sursis.
Scientologie Eglise
de Scientologie de Besançon ù Escroquerie ù TC de Besançon,
07/05/97 : 6 mois avec sursis + amende de 15.000 F.
Arrêt CA de Besançon,
30/10/97 : 2 ans avec sursis + amende de 150.000 F. + interdiction de droits civiques.
Scientologie École de l'éveil Publicité mensongère
Publicité en faveur d'établissement privé sans dépôt
préalable TGI de Paris, 12/11/97 : amendes de 10.000 F. et de 30.000 F.
Scientologie SARL Action Academy ù Traitement automatisé de
données sans déclaration préalable (art. 226-16 et 226-31
du CP) et recueil irrégulier de données sensibles (art. 226-19 CP)
ù TGI de Paris, 04/09/98 : non lieu partiel + amende de 15.000 F.
Scientologie
Centre Hubbard Dianétique Lille ù Infraction à la loi relative
à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (Loi du 06/01/78)
ù TGI de Lille, 18/12/96 : amende de 100.000 F. (art. 16 de la loi de 1978)
+ relaxe (art. 31 al. 1 Loi 1978).
Scientologie École du rythme ù
Fraude fiscale ù TGI de Paris, 05/10/98.
On constate que parmi les sectes sur lesquelles la Commission a centré son enquête, neuf ont déjà été condamnées. La Scientologie cumule à elle seule sept procédures ayant débouché sur une condamnation. Une telle concentration traduit à la fois l'importance de son réseau, le poids de son influence et le caractère frauduleux de ses pratiques.Les peines prononcées comportent plusieurs emprisonnements avec sursis (2 ans pour le docteur Hélou condamné pour escroquerie dans la perception de commissions sur les chèques encaissés par l'Eglise de Scientologie de Besançon, et 3 ans pour M. J.J. Mazier pour le même chef d'infraction dans l'affaire de l'Eglise de Lyon). Elles comprennent également des amendes variant de 10.000 à 500.000 francs.
Les infractions à l'origine de ces condamnations reproduisent la répartition présentée plus haut. A côté des cas de fraude fiscale et d'exercice illégal de la médecine, l'escroquerie est le chef le plus souvent retenu.
L'arrêt du 28 juillet 1997 de la Cour d'appel de Lyon sur l'Eglise de Scientologie a notamment démontré la vaste entreprise d'escroquerie mise en place par la secte. On a déjà vu comment ce procès a permis de mettre en lumière les circuits de financement de la Scientologie. D'un strict point de vue pénal, plusieurs attendus de la Cour sont édifiants. La Cour a démontré les méthodes en vigueur dans le centre de dianétique dirigé par M. J.J. Mazier et notamment, à travers l'attendu suivant, les techniques de recrutement de la secte :
« (...) le fait de publier de façon réitérée des annonces, ne mentionnant en aucun cas qu'elles émanaient de l'Eglise de Scientologie, rédigées en termes équivoques et parfois indiscutablement mensongers, pour faire croire ou laisser croire au lecteur qu'il s'agissait d'offres d'emplois, subordonnées à l'achat de livres, à l'assistance à des cours et à la participation à des stages payables immédiatement, alors qu'en réalité leur but véritable était la recherche d'une adhésion à la Scientologie, s'analyse en man_uvres frauduleuses pour faire naître l'espérance d'un événement chimérique, en l'espèce l'accès à un emploi, lesdites man_uvres frauduleuses ayant déterminé la remise des fonds ; que le délit d'escroquerie est d'ores et déjà caractérisé, dès lors que l'agent a agi sciemment ; » (4)
Les qualifications pénales que la Cour a retenues sont de nature à convaincre ceux qui pourraient encore douter des intentions de la Scientologie. Un attendu résume particulièrement bien les conclusions de la juridiction :
« (...) en définitive ont ainsi été mises en évidence des manoeuvres frauduleuses caractérisées par une publicité massive, ne faisant initialement aucune référence à l'Eglise de Scientologie, proposant des tests de personnalité gratuits analysés immédiatement et gratuitement sur ordinateur par des personnes dépourvues de toute compétence en la matière et révélant quasi systématiquement de graves difficultés d'ordre personnel, lesquelles man_uvres frauduleuses avaient pour objet de persuader l'existence de fausses entreprises, en l'espèce le Centre de dianétique de Lyon ou l'Eglise de Scientologie de Lyon, présentés comme des institutions en mesure de résoudre par l'application de la doctrine de Ron Hubbard les prétendues difficultés révélées par les tests et de favoriser l'épanouissement et la réussite personnels de l'adepte, alors qu'en réalité ces associations dispensant, moyennant des paiements croissants, des cours, des séances d'audition, des cures de purification, pouvant aboutir, au moins dans certains cas, à une véritable manipulation mentale, constituaient des entreprises ayant pour seul objet ou pour objet essentiel, la captation de la fortune des adeptes grâce à l'emploi des man_uvres frauduleuses ci-dessus décrites : que le délit d'escroquerie est ainsi caractérisé ; »
On a beaucoup commenté, et parfois mal interprété, l'attendu que la Cour d'appel de Lyon s'est cru autorisée à insérer dans son arrêt et selon lequel :
« (...) dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l'existence d'une communauté même réduite et un élément subjectif, une foi commune, l'Eglise de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités y compris ses activités missionnaires, voire de prosélytisme ; »
La Commission voit dans cet attendu une initiative qui manifestement outrepassait les pouvoirs de la Cour. La question qui était posée aux juges lyonnais n'était en aucune manière d'apprécier si la Scientologie forme une religion, mais simplement de statuer sur le caractère frauduleux des pratiques qu'elle exerce. A quel titre une juridiction pourrait-elle décider de ce qui relève de la religion et ce qui n'en relève pas ? La Commission considère que cette prise de position pour le moins malheureuse peut s'expliquer par les pressions que la secte a exercées pour que son procès n'ait pas lieu et que la justice ne soit pas rendue. Quoi qu'il en soit, il est inacceptable que cet attendu ait été habilement mis en exergue par la Scientologie alors qu'il n'a, aux yeux de la Commission, aucun effet juridique. Il a ainsi été utilisé pour passer sous silence la qualification d'escroquerie établie par l'arrêt de la Cour, et la gravité des condamnations qui ont été prononcées en conséquence.
Compte tenu du degré de complexité des affaires liées aux sectes et du caractère relativement récent de certaines plaintes, l'essentiel des procédures pénales n'a pas encore été jugé. Sauf à ne donner qu'une vision parcellaire de la fraude sectaire, la Commission pouvait difficilement se limiter aux seules condamnations prononcées. Elle a donc décidé de rendre publics, pour les dossiers les plus représentatifs, les chefs d'infraction à caractère économique et financier retenus dans des procédures judiciaires en cours. Afin de respecter le secret de l'instruction, comme elle y est tenue par l'article 6 de l'ordonnance n°58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, elle a cependant pris soin de ne mentionner ni l'identité des sectes concernées, ni le service chargé de la procédure, ni les faits sur lesquels portent les enquêtes.
Plusieurs dizaines de mouvements sectaires sont actuellement sous le coup de poursuites judiciaires. La Commission présente, dans le tableau ci-dessous, les poursuites concernant dix-neuf organisations parmi les plus importantes. Ce tableau indique, par ordre décroissant, le nombre de procédures en cours à l'encontre de chacune de ces dix-neuf organisations, ainsi que les chefs d'infraction envisagés.
Afin d'éviter toute
ambiguïté, la Commission tient à rappeler que ce tableau ne
préjuge en aucune manière de la qualification pénale des
affaires en cause. Il ne s'agit que de donner des indications sur les nombreux
chefs d'infraction actuellement envisagés contre des pratiques sectaires.
Les procédures en cours pourraient en effet n'avoir aucune suite judiciaire,
ni déboucher sur aucune condamnation.procédures pénales en
cours(5)
portant sur 19 mouvements sectaires(enquêtes préliminaires
ou informations judiciaires)
nombre de procédures en cours par secte
Chefs d'infraction (6) envisagés
10 Diffusion de tracts sur la voie
publique
Exercice illégal de la médecine
Escroquerie
Publicité mensongère
Extorsion de fonds
Recel
aggravé
Vol
Importation de médicaments sans
autorisation sur le marché
Importation de produits interdits
à la consommation
Abus de biens sociaux
Travail dissimulé
Abus de confiance
Fonctionnement d'une association
4
Dons argent
Trafic d'influence
Corruption
Infraction
à la loi du 19/01/95 sur le financement des partis politiques
Abus
de faiblesse
Abus de confiance
Vol
3 Infractions à
l'article 1 de la loi du 5/11/53
Emploi de travailleurs clandestins
Abus de biens sociaux
Faux et usage
Complicité
et recel
3 Infraction aux règles de l'urbanisme - Complicité
Ingérence
Délit d'octroi d'avantages injustifiés
Corruption
Recel
Escroquerie
Abus de confiance
Abus de faiblesse
2 Exercice illégal de la médecine
Abus de faiblesse
2 Exercice illégal de la médecine
Escroquerie
Complicité
1 Exercice illégal
de la médecine
1 Exercice illégal de la pharmacie
Publicité
mensongère pour les produits
1 Blanchiment
Travail
illégal, gérance de fait et perception frauduleuse d'indemnités
1 Trafic de médicaments
1 Organisation et fonctionnement
d'une SARL
1 Exercice illégal de la pharmacie
1 Publicité
mensongère
1 Exercice illégal de la médecine
Abus
de confiance au préjudice d'OKC
Article 225-13 CP (obtention,
en abusant de la dépendance de personnes, de services non rétribués
ou en échange d'une rétribution sans rapport avec l'importance du
travail accompli)
1 Recel commis de façon habituelle ou en bande
organisée
Associations de malfaiteurs
1 Blanchiment
Organisation et fonctionnement d'une SARL
1Escroquerie
1 Infractions
au code du travail
1 Fonctionnement d'une association
La Commission a ainsi recensé, s'agissant d'infractions économiques et financières, 37 procédures judiciaires en cours portant sur des dirigeants de secte ou des personnes directement liées aux 19 organisations sectaires les plus importantes. Ces procédures sont actuellement menées sous la responsabilité d'un service régional de la police judiciaire, de la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, de la Section centrale pour la répression des atteintes aux personnes et des trafics de la Direction centrale de la police judiciaire, ou de différentes légions de la Gendarmerie nationale.
On observe, au sein des 19 sectes figurant dans le tableau ci-dessus, une relative concentration des procédures. Si la plupart des mouvements sectaires ne font l'objet que d'une seule enquête ou information, certains sont mis en cause dans plusieurs affaires. Une secte cumule même, à elle seule, dix procédures.
Les chefs d'infraction envisagés reflètent l'inquiétant développement de la fraude sectaire. Outre les infractions traditionnelles comme l'escroquerie (4 procédures ont retenu ce chef d'infraction) ou l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie (7), on trouve des présomptions plus spécifiques qui correspondent aux nouveaux centres d'intérêt des sectes. La Commission relève notamment des procédures qui mettent en cause des trafics ou des importations illégales de médicaments (2), du travail dissimulé, illégal ou clandestin (3), des abus de confiance ou de biens sociaux (6), un cas de trafic d'influence et même une infraction à la législation sur le financement des partis politiques.
La Commission note par ailleurs que plusieurs procédures judiciaires ont retenu comme chef d'infraction le blanchiment d'argent. A plusieurs égards, certaines pratiques sectaires pourraient effectivement être utilisées pour blanchir des fonds (revente de biens immobiliers acquis avec de « l'argent sale », déclaration de cotisations associatives plus élevées que les montants réellement versés ... ).
B.- DES INFRACTIONS SOUVENT IMPUNIES
Le phénomène sectaire ne justifierait pas, par lui-même, une nouvelle commission d'enquête parlementaire si la fraude qu'il génère était, sans difficulté particulière, réprimée selon les règles du droit commun et si, spécialement dans le domaine économique et financier, une certaine impunité ne lui permettait pas de s'étendre.
Or, il n'en est rien et la Commission a été particulièrement frappée, au cours des nombreuses auditions auxquelles elle a procédé, de s'entendre régulièrement répéter, aussi bien par les victimes des sectes que par les associations qui leur viennent en aide, les administrations publiques et les magistrats, que les dérives du phénomène sectaire étaient si difficiles à pourchasser qu'une faible partie d'entre elles seulement se trouvait un jour devant un tribunal et qu'une plus faible partie encore se trouvait un jour condamnée pénalement.
La Commission a donc essayé d'identifier les causes de cette relative impunité.
Les raisons pour lesquelles les dérives sectaires parviennent à poursuivre leur chemin à travers les mailles - pourtant serrées on le verra - de l'appareil répressif tiennent à plusieurs facteurs qui eux-mêmes se croisent fréquemment : la faiblesse du nombre de plaintes des victimes, le taux élevé de désistements et la longueur des procédures d'instruction.
1.- La faiblesse du nombre de plaintes
Ni la victime des agissements d'une secte, qu'il s'agisse d'un individu ou d'une entreprise, ni son entourage, qu'il s'agisse de la famille ou des partenaires économiques et sociaux, ne sont enclins à déposer plainte contre les dommages qu'ils ont eu à subir du fait de pratiques sectaires à leur encontre.
L'individu victime d'une secte n'est pas, en effet, une victime comme les autres, puisqu'elle a été, à un moment donné, consentante à l'activité qui lui a porté préjudice. En outre, ce préjudice est le plus souvent extrêmement difficile à établir. La personne qui parvient à s'extraire, ou à être extraite, d'un mouvement sectaire est, pour l'immense majorité des cas, en état de très grande faiblesse morale et psychologique. Elle ne dispose généralement pas du ressort nécessaire pour engager une action et souhaite, quoi qu'il en soit, effacer au plus vite la mémoire de ce qu'elle a vécu ou, à tout le moins, en éviter toutes les conséquences. Ce n'est faire injure ni à notre police judiciaire ni à nos juges de rappeler que le fonctionnement des institutions qu'ils servent ne se prête guère à ce souci, bien compréhensible, d'oubli qui anime les victimes.
Même dans l'hypothèse où la victime d'une secte ne l'a été que de façon brève ou incidente - personnes grugées par l'achat de médications miraculeuses ou la participation momentanée à un stage de formation à la vente pyramidale - il est toujours difficile pour celle-ci d'avouer publiquement qu'elle s'est laissée abuser. Le problème se pose d'ailleurs d'une façon plus générale pour toutes les arnaques à la consommation, qu'elles proviennent ou non d'agissements sectaires.
Quant aux entreprises, l'aveu, soit d'une tentative d'infiltration sectaire, soit d'un marché, par exemple dans le domaine de la formation professionnelle, est difficilement acceptable. Il en va, en effet, de la notoriété et de la crédibilité de l'entreprise, surtout si celle-ci est confrontée, dans son domaine d'activité, à une concurrence aiguë, ou dans sa gestion interne, à une vigilance des syndicats particulièrement aiguisée.
La Commission doit, à ce titre, féliciter les entreprises qui lui ont apporté leur témoignage pour leur réaction pertinente aux tentatives d'infiltration qu'elles ont subies et pour leur volonté d'exploiter leur expérience malheureuse au profit de l'intérêt général, qu'il s'agisse de très grandes entreprises ou de PME que ne l'on ne peut évidemment citer, mais qui se reconnaîtront à travers ces lignes.
Toutefois, aucune de ces affaires n'a fait l'objet d'une plainte auprès de la Justice.
2.- Le taux élevé de désistements
Pour les affaires faisant l'objet de procédures judiciaires en cours, la Commission ne peut, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui régit ses travaux, faire état d'aucun exemple en ce domaine.
Il faut cependant savoir que, lors de plusieurs affaires récentes, mettant en cause des mouvements sectaires particulièrement importants sur le plan économique, les juges ont constaté un taux anormalement élevé de désistements parmi les plaignants dont les motifs sont généralement d'ordre financier - propositions d'indemnisation par la secte - ou consistent en menaces, morales et physiques, sur les victimes.
Ces informations sont confirmées par le procès de l'Eglise de Scientologie de Lyon. Au cours de cette procédure aujourd'hui close, plus d'une vingtaine de désistements ont été enregistrés au cours de l'instruction. Il s'agit, dans la plupart des cas, de parties civiles qui ont accepté de renoncer à leurs plaintes moyennant une indemnisation par la secte qui, au total, a atteint plusieurs centaines de milliers de francs. Le cours de la justice s'en est trouvé entravé.
3.- La difficulté de l'instruction
L'instruction judiciaire en matière d'agissements sectaires est confrontée à des écueils spécifiques qui rendent particulièrement malaisé son déroulement.
Le ministère de la Justice impute principalement ces difficultés au caractère souvent imprécis des plaintes. Ce dernier, déploré par la plupart des juridictions, est généralement le résultat direct de l'état de vulnérabilité et de perte des repères sociaux dans lequel les victimes des sectes ont été placées. Or, l'efficacité de l'action pénale repose sur l'établissement de faits concrets, précis et indiscutables, assortis d'une qualification juridique préétablie et adaptée à la réalité de ces faits. Faute de quoi, la preuve d'une atteinte à la personne ou aux biens, surtout si elle s'accompagne d'un début de consentement, est extrêmement difficile à déterminer et rend, par voie de conséquence, insuffisamment fondé l'exercice de l'action publique.
Un tel travail
exige du temps et une concentration importante de moyens d'enquête, dont
les juges d'instruction ne sont qu'assez rarement pourvus.
La Commission juge
qu'il serait intéressant d'établir, à partir de statistiques
que la Chancellerie tient, le ratio entre le nombre de plaintes déposées
impliquant des agissements sectaires et le nombre d'actions publiques déclenchées.
Il serait instructif de comparer les résultats de cette enquête au
ratio de droit commun.
L'encombrement que connaît aujourd'hui la plupart de nos tribunaux constitue un obstacle supplémentaire, d'autant plus qu'une des tendances fortes de la vie judiciaire au cours des dernières années tend à ce que les dossiers se plaident de plus en plus sur des arguments de procédure au détriment du fond de l'affaire. Cette évolution joue bien évidemment en faveur d'organisations fortement outillées pour faire face au débat judiciaire et en la défaveur des victimes, le plus souvent isolées, fragilisées et sans aucune préparation aux ressorts de la justice.
On notera que, dans l'affaire de la Scientologie de Lyon, l'ordonnance du juge d'instruction a mis trois ans à parvenir à l'audience, soit à la limite du délai de prescription. Il semble que cette lenteur n'ait été due qu'en partie à l'encombrement du tribunal et qu'on doive y voir également la marque d'un certain scepticisme, les magistrats considérant souvent ce type de dossiers comme relevant plus des services sociaux que d'une juridiction répressive.
Toujours concernant la Scientologie, à Paris, une partie du dossier d'instruction a été perdue ; une enquête de l'inspection judiciaire a été ouverte. À Marseille, enfin, on a pu constater une lenteur surprenante dans la procédure, où semble-t-il, la même mésaventure se serait produite.
C.- UN ARSENAL JURIDIQUE ADAPTÉ MAIS DIFFICILE À UTILISER
Le rapport de la précédente commission d'enquête faisait observer, à juste titre, qu'un arsenal juridique important, dont il dressait l'état, permettait de sanctionner les dérives sectaires et en concluait qu'une réforme radicale ne paraissait pas souhaitable. La Commission reste fidèle à cette analyse. En outre, depuis 1996, le Parlement a su compléter et perfectionner la législation. L'obstacle principal à une lutte plus efficace contre les dérives sectaires réside donc plutôt dans les difficultés d'utilisation des textes.
1.- Un arsenal accru et perfectionné
On ne rappellera pas ici l'ensemble des moyens juridiques à la disposition des victimes et des pouvoirs publics, qui a été clairement exposé dans le rapport du 22 décembre 1995.
Depuis lors, un certain perfectionnement des dispositifs juridiques est intervenu à plusieurs égards : l'application des dispositions du nouveau code pénal a fait l'objet d'un début de jurisprudence et des infractions nouvelles ont été créées en matière économique et financière. Sans avoir été spécialement conçu à l'encontre des dérives sectaires, l'ensemble de ces dispositifs offre toutefois à l'administration des outils utiles à la lutte contre la fraude sectaire.
a) L'application des dispositions du nouveau code pénal a fait l'objet d'un début de jurisprudence
Le nouveau code pénal, promulgué le 1er mars 1994, a introduit deux dispositions particulièrement adaptées à la répression des activités sectaires délictueuses : d'une part l'incrimination d'abus de faiblesse (art. 313-4), d'autre part la possibilité d'engager la responsabilité des personnes morales (art. 121-2).
L'abus de faiblesse permet de réprimer des agissements proches de l'escroquerie, commis au préjudice de victimes incapables de se défendre en raison, le plus souvent, de leur âge ou de leur état physique ou psychique.
Ce délit est plus large que celui de l'escroquerie dans la mesure où il permet de prendre en considération l'abstention et le comportement passif de la victime. Ainsi les possibilités offertes au ministère public dans le cadre d'agissements sectaires sont plus étendues et mieux adaptées à la réalité des faits.
À ce jour, une quinzaine de procédures d'abus de faiblesse ont été répertoriées sur le territoire national, certaines d'entre elles pouvant parallèlement donner lieu à une incrimination d'escroquerie. L'abus de faiblesse se situe ainsi au quatrième rang, après l'escroquerie et l'abus de confiance, puis l'exercice illégal de la médecine, des chefs d'infraction les plus souvent retenus dans les procédures mettant en cause des sectes pour des activités économiques et financières.
? La possibilité d'engager la responsabilité des personnes morales présente en matière sectaire une utilité particulière car les responsables des sectes usent très couramment de prête-noms et de changements fréquents de dirigeants, souvent afin de camoufler un gourou qui a déjà fait l'objet de condamnations pénales. Plutôt que de condamner des individus, ce qui n'empêche pas le mouvement de poursuivre ses activités illicites sous d'autres formes et avec d'autres responsables, on peut donc, grâce aux nouvelles dispositions, désigner la secte elle-même.
Pour les atteintes aux personnes, cette responsabilité peut être engagée sur un éventail assez large d'infractions : pour des faits d'homicides et de violences involontaires (art. 221-7 et 222-21), de trafic de stupéfiants et de blanchiment (art. 222-42), de risque de mort causé à autrui (art. 223-2), de proxénétisme (art. 225-12), des conditions de travail ou d'hébergement contraires à la dignité de la personne (art. 226-7 et 226-9), de dénonciation calomnieuse (art. 226-12), des atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques (art. 226-24), des atteintes à la filiation (art. 227-14). On peut toutefois regretter que ne figurent pas les infractions d'atteintes à l'autorité parentale (art. 227-5 et suivants) ce qui aurait facilité la poursuite des associations sectaires hébergeant des enfants.
Pour les atteintes aux biens, la responsabilité des personnes morales est admise plus largement encore puisque sont visées la quasi-totalité des infractions prévues par le livre III du nouveau code pénal : le vol (art. 311-16), l'extorsion et le chantage (art. 312-15), l'escroquerie et l'abus de faiblesse (art. 313-4), l'abus de confiance (art. 314-1), le détournement de gages ou d'objets saisis (art. 314-12), les atteintes aux systèmes informatiques (art. 323-6).
Ces dispositions ont déjà démontré leur efficacité, les juges ayant été à plusieurs reprises, depuis leur entrée en vigueur, confrontés à des personnes morales qui s'organisent spécialement pour contourner la loi.
La possibilité consécutivement ouverte au juge de dissoudre la personne morale et d'interdire sa reconstitution en la forme ou de faire saisir ses biens constitue un progrès indéniable dans la poursuite judiciaire des sectes, particulièrement sur le terrain de leurs activités économiques.
Un début de jurisprudence est en train de se mettre en place et la Chancellerie a pu établir dans une circulaire quelques repères méthodologiques sur les cent premières condamnations définitives prononcées contre des personnes morales, mais dont aucune encore n'était une secte. En revanche, une procédure vient très récemment d'être ouverte mettant en cause la responsabilité de l'Eglise de Scientologie de Paris en tant qu'association. L'aboutissement de l'affaire devrait être de nature à susciter, auprès des parquets, un élargissement sensible des moyens de procédure.
Depuis 1995, le législateur a créé
deux infractions nouvelles qui, sans viser spécifiquement les agissements
sectaires, sont de nature à faciliter la répression de leurs dérives,
particulièrement en matière économique et financière
: l'infraction de travail dissimulé et l'infraction de blanchiment.
·
L'infraction de travail dissimulé
Elle a été créée, on l'a vu, par la loi du 11 mars 1997 et, remplaçant la notion de travail clandestin, elle permet une meilleure prise en compte par le juge des pratiques illicites.
En outre, le législateur a considérablement alourdi les peines sanctionnant le travail dissimulé, qui est passé du domaine contraventionnel au domaine délictuel : pour les personnes physiques, les peines peuvent aller jusqu'à 200.000 francs d'amende et deux ans de prison ; pour les personnes morales, elles peuvent être portées à 1 million de francs et être assorties de peines complémentaires telles que la dissolution de l'association ou de la société, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture temporaire ou définitive des établissements, la confiscation des biens qui ont servi à l'infraction (art. L. 362-6 du code du travail).
La panoplie ainsi considérablement renforcée doit permettre dorénavant au juge de sanctionner efficacement le travail illégal. La tendance des mouvements sectaires, que nous avons analysée, à abuser du bénévolat, rencontre donc, sur la base des nouvelles dispositions, un obstacle sérieux à son exercice.
· L'infraction de blanchiment
Elle a été créée par la loi du 13 mai 1996. Ce texte a généralisé une infraction qui, définie par la loi du 12 juillet 1990, était auparavant limitée au blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants.
Cette extension permet de couvrir toutes les hypothèses de blanchiment, dont celles pouvant être en relation avec les agissements internationaux de certaines sectes. Comme on le verra plus loin, avec le travail effectué par TRACFIN, ce nouveau dispositif constitue un progrès notable dans l'appréhension des activités économiques et financières sectaires.
2.- Un arsenal toutefois difficile à utiliser
Les difficultés qu'éprouvent les juges à appliquer aux sectes l'arsenal juridique pourtant étoffé et adapté à la nature des infractions sectaires tiennent, d'une part, à l'absence d'incrimination de base - la notion de secte n'est pas définie légalement - d'autre part, à une série d'obstacles psychologiques et matériels.
a) La question d'une incrimination spécifique
Le rapport de 1995 avait conclu à l'inopportunité d'un régime juridique spécifique aux sectes.
La Commission ne méconnaît pas les arguments de ceux qui estiment que ce vide juridique rend plus difficile le travail des juges, gendarmes et policiers, et que tout fait de société devrait pouvoir trouver sa définition dès lors que l'on commence à en avoir une connaissance concrète suffisante.
Il est vrai que tout magistrat fonde son raisonnement sur un syllogisme juridique, dont la première proposition est un texte fournissant, en droit pénal, la définition d'une infraction, la deuxième la détermination d'un comportement factuel et la troisième la qualification des faits par rapport à l'infraction. En l'absence d'incrimination spécifique, la démarche juridique devient plus complexe : le juge ne peut l'appréhender qu'indirectement, par les infractions connexes.
Faut-il, à tout le moins, créer une infraction nouvelle telle que le délit de manipulation mentale ? Celui-ci présenterait le double avantage de franchir une étape intermédiaire vers la définition légale de la secte et de faciliter dans bien des cas le travail des magistrats.
Les avis recueillis par la Commission à ce sujet sont divergents et deux thèses s'affrontent :
- la première, favorable à la création d'un tel délit, estime que l'on peut progresser sur la piste de l'incrimination de man_uvres frauduleuses destinées à obtenir le consentement de personnes afin d'en tirer des avantages financiers ou matériels ;
- la deuxième, faisant valoir l'extrême difficulté à obtenir des preuves de la manipulation, redoute qu'une telle incrimination soit ou bien inapplicable ou bien de nature à rendre plus difficile, plus long et plus fragile le travail des magistrats.
La Commission n'a pas souhaité, compte tenu de la spécialisation de son objet et des conclusions, qu'elle fait siennes, de la précédente commission d'enquête parlementaire, rouvrir une discussion sur l'opportunité de proposer la création d'un délit de manipulation mentale. Elle considère toutefois qu'une réflexion se nourrissant du travail du Parlement et de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes devrait être poursuivie.
Mais les difficultés d'application du droit positif en matière d'agissements sectaires proviennent aussi et surtout, au-delà des débats théoriques, d'une série d'obstacles psychologiques et matériels auxquels sont confrontés les juges.
b) Les obstacles psychologiques et matériels
On doit, en premier lieu, mentionner les limites internationales aux investigations judiciaires. Ces aspects internationaux de la fraude sectaire seront examinés dans une partie spécifique du rapport. Les sectes les plus importantes sur le plan des activités économiques et financières ont en effet tissé des réseaux internationaux qui rendent indispensable l'exercice d'un droit de suite à l'étranger. Or, la sensibilisation au problème sectaire est très différente selon les pays. Aussi bien, ceux qui adoptent un profil très libéral sont aussi, de ce fait, ceux où les sectes choisissent d'abriter leurs centres nerveux et ceux où les services de police judiciaire sont les moins coopératifs.
Il faut, en second lieu, évoquer la limitation des moyens dont disposent, sur le territoire national, les juges d'instruction. D'une part, ceux-ci travaillent encore souvent, on le sait, avec des instruments artisanaux, d'autre part, ils éprouvent de grandes difficultés à obtenir la collaboration simultanée de plusieurs administrations à la fois, lorsque la complexité de l'affaire l'exige. Quelle que soit la bonne volonté des agents publics, les services ont leurs propres objectifs et leurs propres programmes et calendriers de travail. L'interférence d'une procédure judiciaire portant sur des faits parfois mystérieux et échappant à la rationalité à laquelle est accoutumée la fonction publique, ne trouve donc pas nécessairement tout l'appui et toute la rapidité dont elle aurait besoin. Dans des affaires longues et complexes, souvent sans aboutissement spectaculaire, la lassitude et le manque de moyens humains et matériels forment des obstacles non négligeables à l'application du droit. À cet égard, la Commission s'étonne que le juge actuellement chargé de l'instruction de l'affaire de l'Ordre du temple solaire, pourtant particulièrement complexe, ne dispose que d'un seul officier de police judiciaire.
En outre, la séparation territoriale des instructions, même pour des faits similaires émanant d'une même organisation sectaire, complique sérieusement le travail des magistrats instructeurs. Les deux enquêtes menées séparément à Paris et à Lyon sur la Scientologie auraient certainement gagné à être réunies. Une telle jonction aurait évité de procéder, dans deux endroits différents, à deux instructions qui comportaient une partie commune. En outre, elle aurait peut-être permis de lever le voile sur les liens entre les deux implantations de la secte.
On ne peut, en troisième lieu, passer sous silence les menaces et les intimidations auxquelles plusieurs magistrats ont été confrontés. Certes, de tels agissements ne sont guère de nature à fléchir la détermination d'un juge d'instruction mais procurent à sa mission un environnement désagréable, qui vient s'ajouter aux autres difficultés et peut avoir une certaine influence, même si elle est bien sûr impossible à déterminer. La Commission a ainsi eu à connaître d'une instruction où le zèle du magistrat s'est trouvé singulièrement réduit sans qu'aucune explication objective n'ait pu être fournie.
Un juge d'instruction
a déclaré devant la Commission avoir, comme la plupart des enquêteurs
concernés, subi des pressions. Dans ce dossier, la secte a utilisé
les médias de manière redoutable pour tenter de transformer le procès
en sa faveur. Il y a eu des manifestations devant le palais de justice, des tracts
ont été distribués jusque dans les cases des magistrats.
Des personnalités du spectacle, étrangères notamment, sont
venues sur la place pour dénoncer de prétendues atteintes aux libertés.
Ce même juge a précisé être certain d'avoir fait l'objet
de surveillances personnelles.
Des cas d'appartenance de magistrats à
certaines sectes, comme par exemple à l'Office culturel de Cluny, ont été
signalés à la Commission. Dans l'affaire de Lyon, le président
du tribunal a rencontré, d'après les informations recueillies par
la Commission, d'importantes difficultés à constituer l'instance
de jugement. Logiquement, le procès aurait dû être confié
à la formation spécialisée en matière financière,
mais plusieurs désistements l'auraient empêché.
Il faut également reconnaître que, dans les affaires sectaires, les magistrats ne peuvent pas non plus s'appuyer sur la pugnacité des plaignants, pour des raisons que l'on a déjà évoquées.
C'est pourquoi
la Commission, qui n'ignore pas l'appui que les associations de défense
peuvent apporter aux victimes, se félicite notamment de l'adoption en première
lecture par l'Assemblée nationale, dans le projet de loi renforçant
la protection et la présomption d'innocence et les droits des victimes,
d'un amendement permettant aux associations de lutte contre les sectes de se porter
partie civile en ce qui concerne un certain nombre d'infractions pénales
lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère
public ou par la partie lésée.
Enfin, la Commission tient à
souligner la difficulté d'établir les preuves de certaines infractions,
comme celle de blanchiment. Certains ont donc suggéré un renversement
de la charge de la preuve. Une telle mesure soulèverait probablement des
difficultés au regard des principes fondamentaux de notre droit, et notamment
de la présomption d'innocence, et courrait le risque d'être plus
efficace pour lutter contre les petites illégalités que contre les
transferts frauduleux les plus importants. Une étude approfondie mériterait
toutefois d'être réalisée.
La reconstitution des infractions fiscales dont les sectes sont responsables relève de la course d'obstacles. Ce type de fraude est pourtant très répandu : parmi les sectes sur lesquelles la Commission s'est particulièrement penchée, rares sont les exemples de mouvements pour lesquels aucun redressement fiscal n'a été relevé. Mais, l'éparpillement des structures, leur difficile identification et la grande diversité de leurs activités ont indéniablement compliqué la tâche de la Commission, et il est clair que la Direction générale des impôts n'a pas facilité le travail du rapporteur autant qu'il l'espérait. L'administration fiscale considère que les sectes ne constituent pas en soi un « sujet » fiscal et que, par conséquent, on ne peut les appréhender que par le biais d'infractions relevant de catégories juridiques beaucoup plus larges, comme le secteur associatif dans son ensemble. La Commission ne conteste pas cette interprétation. Elle juge même qu'elle illustre toute l'ambiguïté du sectarisme qui détourne des statuts juridiques créés à d'autres fins. Elle regrette simplement que la Direction générale des impôts ait utilisé cet argument pour refuser de communiquer d'elle-même les informations dont elle dispose sur les personnes morales ou physiques liées à des organisations sectaires.
Faute d'une véritable collaboration avec les services fiscaux, le rapporteur a dû établir par lui-même l'identité des principaux organismes sectaires qui ont fait l'objet de redressements. Il s'est appuyé sur les informations qu'il a pu recueillir, d'une part, auprès d'administrations extérieures à la Direction générale des impôts, notamment auprès de la Direction de la comptabilité publique qui a transmis un état des dettes détenues par le réseau du Trésor, et d'autre part, auprès des mouvements sectaires qui ont parfois déclaré d'eux-mêmes avoir été redressés. A partir de ces informations, il a pu interroger l'administration fiscale sur les résultats de telle ou telle vérification et enquête. Par tâtonnements et à l'aide des multiples questionnaires, il a ainsi été possible de reconstituer une partie de la fraude.
La Commission ne cache pas son insatisfaction devant les résultats de son enquête. La fraude fiscale sectaire atteint un degré d'importance qui dépasse certainement la description qui va suivre. Pour autant, la Commission a préféré se limiter aux données précises et incontestables auxquelles elle a pu accéder. En conséquence, subsistent encore d'importantes zones d'ombre. La secte Moon est, par exemple, toujours redevable auprès des comptables du Trésor d'une dette importante (28,3 millions de francs), sans que la Commission ait pu obtenir des explications sur son origine exacte. D'une manière générale, l'administration fiscale a montré beaucoup de difficultés à préciser le niveau de recouvrement des créances qu'elle détient sur les sectes et ce point, pourtant essentiel, reste la partie sur laquelle la Commission a eu les informations les moins complètes.
Ces remarques préalables sont destinées à rappeler que les mécanismes de fraude qui vont être décrits se limitent aux faits portés à la connaissance de la Commission, et ne doivent pas être analysés comme un tableau exhaustif des pratiques déployées par les sectes dans ce domaine. Elles n'ôtent cependant rien à la pertinence des constatations que la Commission souhaite rendre publiques : par l'ampleur et la diversité des malversations relevées, la fraude fiscale constitue une des principales dérives des organisations sectaires, mais aussi une des meilleures illustrations de leur impunité, la plupart des dettes fiscales restant impayées.
En la matière, la Commission s'est trouvée confrontée à un choix méthodologique particulièrement difficile : soucieuse tout à la fois de respecter ce qu'il est de tradition d'appeler le secret fiscal et d'accomplir la tâche qui lui avait été confiée, tâche qui comportait expressément l'examen de la situation fiscale des sectes, elle a finalement décidé de privilégier le deuxième terme de ce dilemme. Toutefois, les informations fiscales qu'elle a décidé de dévoiler ne portent, à de rares exceptions près, que sur des personnes morales. Surtout, elles concernent toujours des infractions au code général des impôts relevées par l'administration. La Commission a en effet pris le soin de ne lever le secret fiscal que sur les redressements prononcés à la suite de contrôles qui ont établi une pratique frauduleuse caractérisée.
A.- UNE FRAUDE IMPORTANTE PAR SON MONTANT ET LA DIVERSITÉ DES MALVERSATIONS
Les résultats des contrôles fiscaux prononcés à l'encontre de personnes physiques ou morales liées à une organisation sectaire sont récapitulés dans le tableau ci-dessous. Ce tableau agrège, par nature d'impôt, les rappels, majorations et intérêts de retard notifiés, tous organismes confondus et quelle que soit la période contrôlée.
Récapitulation des redressements fiscaux prononcés
à l'encontre d'organismes liés aux principaux mouvements sectaires
(toutes structures confondues ; montants incluant les rappels, les majorations
et les intérêts de retard ; la période contrôlée
est mentionnée entre parenthèses)
(en millions de francs)
Nom
de la secte Impôts directs
(y compris pénalité pour distribution
occulte de revenus) TVA Taxe professionnelle Droits d'enregistrement Autres TOTAL
AMORC 88,6
(1989 - 1990) 29,2
(1989-1990 puis 1992-1994) - - 0,2
(1989-1990
puis 1992-1994) 118 (7)
Au coeur de la communication (ACC) 1,3
(mi 1993
- mi 1996) - - - - 1,3 (8)
Dianova - Le Patriarche 1,7
(1994-1996) - -
- - 1,7
Energo Chromo Kinèse (9) 0,8
(1995 - 1997) 2,2
(id)
0,09
(id) - - 3,1
Fédération d'Agrément des Réseaux
310,2
(périodes différentes selon l'organisme comprises entre
1985 et 1995) 27,9
(id) 0,05
(id) 0,4
(id) 20,6
(id) 359,2
Human
Universal Energy 0,2
(1991 - 1993) 0,02
(id) - - - 0,2 (10)
Krishna
57,7
(1982 - 1983) 2,3
(id) - - - 60,1
Le Mandarom 2,1
(1994 -
1995) 1
(id) - 9,8
(id) - 12,9
Mahikari (11) 0,5
(1995) 0,5
(id)
- - - 1
Mouvement raélien 1,2
(1987-1989) 0,3
(id) - - - 1,5
ORKOS 1,4
(1994 - 1996) 0,1
(id) - - - 1,5
Prima Verba 2,8
(période
non communiquée) 0,4
(id) - 0,04
(id) - 3,2
Scientologie 69,8
(périodes différentes selon l'organisme, comprises entre 1981
et 1989) 59,7
(id) 0,1
(id) - 10,9
(id) 140,5 (12)
Soka Gakkaï
17,8
(1987 - 1991) 1
(id) 2,3
(id) 0,02
(id) 0,07
(id) 19,5
Témoins de Jéhovah 7,3
(1992 - 1996) - - 297,4
(1993
- 1996) 2,5
(1993 - 1995) 307,2
Tradition Famille Propriété
12,4
(1986 - 1992) - - 1,6
(id) 14
Les principales infractions fiscales relevées concernent la taxation d'activités associatives non déclarées qui constituent l'aspect le plus connu de la fraude fiscale sectaire. On relève par ailleurs des infractions dans les déclarations des résultats des sociétés filiales, ainsi qu'un recours fréquent à la distribution occulte de revenus.
1.- Les activités associatives non déclarées
Les redressements fiscaux notifiés aux associations sectaires portent sur trois motifs principaux.
a) L'absence de déclaration d'activités lucratives
Le caractère lucratif des activités des associations sectaires est déterminé, on l'a vu, selon les critères généraux appliqués à l'ensemble du secteur associatif. La fréquence des redressements prononcés sur ce motif montre l'importance des possibilités d'évasion fiscale offerte aux sectes par le recours au statut associatif. Plusieurs exemples ont été évoqués dans d'autres parties du rapport. Pour mémoire, on précisera que peu de mouvements sectaires ont pu démontrer le caractère désintéressé de leur gestion, et, parmi les vérifications fiscales relatives aux sectes les plus importantes, seul le contrôle des Témoins de Jéhovah n'a pas pu établir le caractère lucratif des activités déployées.
L'absence de déclaration entraîne un redressement qui peut porter, selon le cas de figure, sur un ou plusieurs des principaux impôts commerciaux, à savoir l'impôt sur les sociétés, la TVA et la taxe professionnelle. Le total des rappels et des majorations ou intérêts de retard qui en découlent peut atteindre des montants conséquents. L'ensemble des taxations des revenus tirés de cours, d'entretiens et de la vente de matériel ou de publications réalisées par les associations scientologues contrôlées entre 1981 et 1989 s'établit à 66,4 millions de francs, tous impôts confondus. Intervenu en 1983, le redressement de l'Association internationale pour la conscience de Krishna atteignait 28 millions de francs. Les activités d'hébergement, de stages, de cours et de vente d'objets exercées entre 1987 et 1991 par la Soka Gakkaï ont fait l'objet d'une taxation, à hauteur de 19,4 millions de francs. Le même sort a été réservé aux prestations d'enseignement ésotérique et à distance réalisées, de 1989 à 1991 puis de 1992 à 1994, par l'AMORC, redressé à hauteur de 117,8 millions de francs, avant de bénéficier, on l'a vu, d'une remise de 32,1 millions de francs. Les pratiques commerciales des associations appartenant au mouvement Tradition Famille Propriété (édition de livres, location de fichiers, activités de démarchage) ont été taxées à hauteur de 9,1 millions de francs pour les revenus qui en ont résulté entre 1990 et 1992. Un redressement a également été prononcé, pour le même motif mais pour des montants moindres, à l'encontre des sectes suivantes : le Mouvement raëlien, l'Association des chevaliers du lotus d'or (ancienne dénomination du Mandarom), Au c_ur de la communication, Horus et Spiritual Human Yoga (nouvelle dénomination de Human Universal Energy). Un contrôle est actuellement en cours pour l'association Mahikari.
b) L'absence de déclaration des dons manuels
L'article 757 du code général des impôts assujettit aux droits de donation « les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel », et précise que « la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale ».
Il découle de cet article que les dons manuels sont soumis aux droits de donation lorsqu'ils sont révélés par le donataire à l'administration fiscale, soit spontanément, soit, et c'est le cas le plus fréquent, à la demande de celle-ci.
Les services fiscaux ont utilisé la possibilité de demander l'origine de dons manuels reçus par des associations sectaires dans deux cas : les Témoins de Jéhovah et le Mandarom.
Le contrôle de l'Association Les Témoins de Jéhovah a révélé l'existence d'une recette de 250.579.860 francs reçue sous la forme de dons entre le 1er janvier 1993 et le 31 août 1996. Conformément au code général des impôts, ces dons ont été assujettis aux droits de donation calculés au taux applicable aux mutations à titre gratuit entre personnes non parentes, soit 60 %. Il en est résulté un rappel de 150, 3 millions de francs. L'association n'ayant pas payé ces droits dans les délais, s'y sont ajoutés les intérêts de retard, soit 26,8 millions de francs, calculés en application de l'article 1727 au taux de 0,75 % par mois. En outre, la même association n'a pas déposé, dans un délai de 30 jours suivant une deuxième mise en demeure, une déclaration comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de ces droits. En conséquence la majoration de 80 % (soit en l'espèce 120,3 millions de francs) prévue à l'article 1728.3 du même code a été appliquée. Le total des droits et pénalités émis à l'encontre de l'Association Les Témoins de Jéhovah a donc atteint 297,4 millions de francs, somme mise en recouvrement le 18 janvier 1999.
L'Association des
Chevaliers du lotus d'or, à l'époque instance nationale du Mandarom,
a fait l'objet d'un redressement similaire qui a atteint 9,8 millions de francs
au titre des dons manuels perçus en 1995 et 1996. Cette somme a été
mise en recouvrement le 23 décembre 1998.
La Commission s'étonne
que la taxation des dons manuels ne concerne que deux mouvements. Elle tient à
rappeler que ces dons constituent la principale source de revenus des sectes,
et qu'il n'existe aucune raison de les exonérer des droits de donation
prévus par la loi. Le code général des impôts trouverait
amplement matière à s'appliquer, et par conséquent le Trésor
public matière à récupérer des droits qui lui sont
dûs, auprès des multiples associations sectaires qui reçoivent
des dons manuels dans des proportions souvent importantes. Est-il notamment normal
que les différentes instances des Témoins de Jéhovah, autres
que l'association précitée, n'aient pas été contrôlées
et redressées pour les millions de francs qu'elles ont perçus sous
cette forme ?
c) L'absence de déclaration des revenus du patrimoine
Les associations sectaires sont souvent détentrices, on l'a vu, de valeurs financières qui leur procurent des revenus. En application de l'article 206-5 du code général des impôts, les associations non soumises à l'impôt sur les sociétés « sont assujetti(e)s audit impôt en raison (...) des revenus de capitaux mobiliers » dont elles disposent. Indépendamment du caractère lucratif de leurs activités, toutes les associations sont donc imposables au titre de leurs produits financiers.
Malgré l'importance des revenus tirés de ses actifs financiers, l'Association Les Témoins de Jéhovah ne se conformait pas, avant son contrôle, à cette disposition. Elle a par conséquent subi un rappel d'impôt de 7,3 millions de francs pour les produits perçus entre septembre 1992 et août 1996.
Là encore, la Commission s'interroge sur l'absence de redressement similaire concernant les nombreuses associations sectaires propriétaires d'un portefeuille. Les services fiscaux n'ont communiqué, outre l'exemple de l'organisation jéhoviste, que le cas de l'Association du Temple de la Pyramide, autre instance du Mandarom, dont les produits financiers ont fait l'objet d'un rappel de 217.000 francs auxquels se sont ajoutés 73.000 francs d'intérêts de retard. Les résultats des contrôles réalisés sur d'autres associations ne mentionnent aucun rappel d'impôts à ce titre. Certaines d'entre elles ont pourtant déclaré à la Commission disposer de revenus financiers. On peut craindre que ces structures, qui affirment le caractère non lucratif de leurs activités, ne paient pas régulièrement l'impôt sur leurs revenus financiers.
2.- L'utilisation des sociétés filiales à des fins frauduleuses
Les sociétés crées ou contrôlées par les organisations sectaires peuvent constituer un instrument d'évasion fiscale, notamment par différents mécanismes de majoration de charges. Le cas de figure le plus couramment utilisé consiste à comptabiliser une charge maximale dans les résultats des sociétés du réseau, afin de diminuer leurs impôts par la production de factures fictives ou correspondant, en fait, à des prestations bénéficiant aux structures associatives de l'organisation qui, elles, ne sont pas toujours imposables. On observe de tels transferts de frais pour la rémunération du personnel, mis à la charge des structures commerciales, mais travaillant de fait pour les structures associatives. Le recours à des fausses factures peut être un moyen de faire financer par les entreprises du réseau le train de vie des dirigeants de la secte, et notamment leurs frais de déplacement. La formation d'un ensemble soudé de sociétés commerciales adossées à des associations permet ainsi de constituer une véritable économie souterraine sectaire.
De fait, la Commission a pris connaissance de nombreux exemples de fraude fiscale pratiquée par des sociétés dont le lien direct avec une organisation sectaire est établi.
Le contrôle des déclarations de TVA a permis de relever une minoration à la fois d'assiette et de taux. Les pratiques les plus couramment utilisées consistent en des déductions fictives ou injustifiées, l'omission d'assujettissement ou l'application de taux inférieurs au taux légal.
Sur la base de la constatation de ces pratiques, l'administration fiscale a notifié les rappels de TVA suivants, majorations incluses : 27,9 millions de francs pour les activités exercées de 1985 à 1995 par les trois sociétés (13) qui ont préfiguré l'actuelle Fédération d'agrément des réseaux (FAR) ; 2,2 millions de francs pour la société NEOM créée par M. Patrick Véret, fondateur du mouvement Energo chromo kinèse (de 1995 à 1997) ; 506.000 francs, au titre de la seule année 1995, pour LH France, SARL contrôlée par Mahikari ; et 355.000 francs pour les diverses structures constituées par M. Serge Marjollet, dirigeant de Prima Verba (14).
b) La minoration de l'assiette de l'impôt sur les sociétés
Les trois contrôles qui viennent d'être cités ont également révélé des omissions de recettes et la déduction de charges non déductibles ou de royalties fictives. Les redressements correspondants ont représenté, pour les mêmes périodes d'activités que celles mentionnées ci-dessus, 198,5 millions de francs pour la FAR, 629.000 francs pour NEOM, 450.000 francs pour LH France et 1,1 million de francs pour les structures liées à Prima Verba.
La vérification d'une société évoquée lors de l'examen des méthodes commerciales sectaires a permis d'établir un transfert frauduleux, par majoration des prix d'achat, de bénéfices au profit de la société mère. Il s'agit de la société de vente de produits pharmaceutiques, Herbalife, pour laquelle, d'après les déclarations faites au rapporteur, l'administration fiscale a fait application de l'article 57 du code général des impôts qui permet de rapporter aux bénéfices imposables des sommes transférées à l'étranger entre entreprises dépendantes, par majoration de prix d'achat, minoration de prix de vente, versement de redevances excessives , octroi de prêts à taux réduit ou abandon de créance. Le rappel d'impôts prononcé à l'encontre d'Herbalife s'est établi à 5,8 millions de francs au titre de l'impôt sur les sociétés pour son activité exercée entre la mi-1990 et la fin de 1993. Le contrôle a également confirmé l'existence d'une vente pyramidale. Les revendeurs domiciliés à l'étranger étaient rémunérés sous la forme d'une remise de 50 %, de manière à soustraire cette rémunération à la TVA. Le rappel de TVA correspondant a atteint 29 millions de francs pour la même période.
Un autre exemple de société dirigée par un scientologue et utilisée pour le compte de la secte a été porté à la connaissance de la Commission. Il s'agit d'une société qui aurait pris en charge les cours de dianétique de son dirigeant, et même ses frais de déplacement à destination des implantations américaines de l'organisation où il suivait une partie de sa « formation ». La Commission n'a cependant pas disposé des résultats du contrôle fiscal dont cette société aurait fait l'objet.
3.- La distribution occulte de revenus
Plusieurs sectes utilisent les procédés de fraude traditionnels pour faire entrer ou sortir des fonds occultes. Certaines acquisitions d'immeubles ou de parts sociales de sociétés peuvent se faire à partir d'un organisme domicilié dans un pays à fiscalité privilégiée. Ces cas relèvent des aspects internationaux de la fraude sectaire qui seront examinés plus loin. D'autres techniques, comme la surfacturation et la revente de biens immobiliers acquis sur des fonds occultes, peuvent servir à blanchir de l'argent.
Du strict point de vue du contrôle fiscal, la Commission a noté plusieurs infractions relevant de la pénalité prévue à l'article 1763 A du code général des impôts. Cet article stipule en effet que les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent des revenus à des personnes dont elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une pénalité égale à 100 % des sommes versées ou distribuées.
La distribution occulte de revenus est une des pratiques frauduleuses les plus couramment utilisées par les sectes. D'après les informations transmises au rapporteur, les contrôles fiscaux ont établi le versement clandestin des sommes suivantes : 111,8 millions de francs pour les trois sociétés liées à la FAR mentionnées plus haut (période allant de 1985 à 1995) ; 32,1 millions de francs pour l'Association internationale pour la conscience de Krishna (en 1982 et 1983) ; 25,3 millions de francs pour le Celebrity center, l'Eglise de scientologie de Paris et celle de Lyon (15) (de 1981 à 1989) ; 3,3 millions de francs pour les deux associations constituant le mouvement Tradition famille propriété (période allant de 1988 à 1990 puis de 1992 à 1994) ; 1,2 million de francs pour les structures gravitant autour de M. Serge Marjollet ; 748.000 francs dans le cas du Mouvement raëlien ; et 186.000 francs pour la société NEOM.
Lorsqu'elles sont versées à l'étranger, les sommes distribuées sont également assujetties à la retenue à la source. C'est à ce titre que l'Eglise de scientologie de Paris a fait l'objet d'un rappel de 847.000 francs, hors pénalités.
B.- UNE FRAUDE GÉNÉRALEMENT IMPUNIE
Malgré leur importance, les dettes fiscales des sectes restent la plupart du temps non honorées et font très rarement l'objet de poursuites pénales.
La Direction générale des impôts a déclaré à la Commission ne pas procéder à un suivi spécifique des dettes des personnes liées à des sectes et n'a donc pas été en mesure d'estimer de manière globale leur taux de recouvrement. En outre, pour plusieurs dossiers mentionnés plus haut, elle n'a pas pu indiquer avec exactitude le solde de la créance non recouvré. Ces lacunes inquiètent la Commission qui déplore que l'administration fiscale n'établisse pas un suivi précis des créances qu'elle détient sur des organismes qui pratiquent souvent la fraude à grande échelle.
L'organisation du ministère des finances n'est pas propice à un tel suivi. Le cloisonnement des services de la Direction générale des impôts ne facilite pas la circulation de l'information. A de nombreuses reprises, la Commission a constaté que la Direction nationale des enquêtes fiscales n'était pas au courant des suites réservées à ses propositions de contrôle, la remontée de l'information des services déconcentrés vers l'administration centrale ou au sein de cette dernière se faisant de manière partielle. S'agissant du problème particulier du recouvrement, la séparation en deux réseaux, celui des impôts et celui du Trésor, est manifestement contreproductif. La Direction générale des impôts n'a pas en effet d'informations sur le paiement des créances recouvrées par les comptables du Trésor.
En tout état de cause, la Commission n'est pas en mesure d'évaluer le montant global des créances fiscales détenues par l'Etat sur les principales sectes. La seule information dont elle dispose à l'échelle nationale provient de la Direction de la comptabilité publique, et ne concerne par conséquent que les créances recouvrées par le circuit du Trésor. Comme le montre le tableau ci-dessous, bien qu'elles ne portent que sur une partie de la fraude et excluent notamment des redressements récents comme la taxation pour près de 300 millions de francs des dons des Témoins de Jéhovah, ces dettes sont supérieures à 500 millions de francs.
État des
créances détenues par la Comptabilité publique sur les principaux
mouvements sectaires
(en francs)
Nom de la secte Montant
Amorc
94.016.263,00
Eglise du Christ 5.368,00
Eglise néo-apostolique
de France 72.064,00
Energo Kromo Kinèse 103.032,00
Fédération
d'agrément des réseaux - Groupement européen des professionnels
du marketing 209.007.245,00
HUE ou SHY (Spiritual Human Yoga) 114.218,00
Invitation
à la Vie 165.106,00
Krishna 164.993.938,00 (16)
La Mission / Eglise
évangélique de la Pentecôte de Besançon 5.392,00
Le
Patriarche / Association Lucien Engelmajer 2.198.151,00 (17)
Mandarom 1.473.556,00
Méthode Silva / association Mieux Etre Alpha 126.626,00
Moon 28.283.204,00
Mouvement Raëlien 1.857.445,00
Nouvelle Acropole 56.969,00
Orkos
198.562,00
Prima Verba 671.740,00
Rose Croix d'Or / association cultuelle
Lectorium Rosicrucianum 116.039,00
Scientologie 23.926.094,00 (18)
Soka
Gakkaï 15.795.513,00
Témoins de Jéhovah 116.653,00
Tradition Famille Propriété 2.024.898,00
TOTAL 545.341.465,00
2.- Une dette généralement impayée
La Commission tient à dénoncer l'impunité qui, de fait, bénéficie aux sectes : il est très rare qu'elles soient contraintes d'honorer leurs dettes fiscales et l'administration fiscale peut être amenée à prononcer des admissions en non-valeur. Cette dernière a par exemple renoncé, pour insuffisance d'actif, à une créance représentant la bagatelle de 165 millions de francs, détenue sur les structures représentant Krishna en France qui pourtant disposent, par ailleurs, de biens immobiliers importants. Sur ce point, le caractère parcellaire des informations transmises à la Commission ne lui permet d'avoir qu'une vue limitée d'un phénomène qui recouvre probablement une dimension encore plus inquiétante.
Plusieurs exemples de dettes importantes et anciennes restées à ce jour impayées peuvent être avancés. Les redressements prononcés à l'encontre de l'AMORC (118 millions de francs), la Scientologie (140,5 millions de francs), la Soka Gakkaï (19,5 millions de francs) n'ont toujours pas été recouvrés ou l'ont été très partiellement, bien qu'ils portent sur des activités remontant aux années 1980.
Le recouvrement des dettes des sectes s'avère très difficile. Ces dernières organisent, on l'a vu, systématiquement leur insolvabilité. Pour certaines, leurs biens en France sont limités. Les autres transfèrent, dès l'engagement du contrôle, toutes leurs activités et les biens dont elles disposent vers une nouvelle structure juridique créée à cet effet. Dans de telles conditions, les poursuites traditionnelles (avis à tiers détenteur ou saisie immobilière) s'avèrent inutiles, et les comptables ont été conduits à prendre, avec autorisation du juge de l'exécution, des mesures conservatoires dès qu'une procédure est engagée. On notera que les procédures de redressement et de liquidation judiciaire constituent un moyen d'échapper à une partie de sa dette : l'article 1740 octies du code général des impôts prévoit, en cas de jugement prononçant l'application de ces procédures, une remise des frais de poursuite et des pénalités fiscales.
Plusieurs exemples particulièrement révélateurs méritent un développement particulier.
La créance de la Direction générale des impôts sur l'Association du Temple de la Pyramide, estimée au total à 16,7 millions de francs pénalités incluses, a été mise en recouvrement le 23 décembre 1998 par voie d'huissier. Cependant, après les visites domiciliaires et peu de temps avant l'engagement des opérations de contrôle fiscal, cette association avait décidé sa dissolution, tout en prenant soin de transférer son patrimoine à une autre personne morale, le Vajra Triomphant. Le transfert des actifs disponibles du Temple de la Pyramide alors que ses dettes fiscales étaient loin d'être éteintes, démontre clairement une volonté d'organiser l'insolvabilité. Une gestion « normale » aurait consisté à régler les dettes de l'association avant de distribuer le boni de liquidation ou de décider d'en faire apport à une autre personne morale. En raison de la liquidation de l'association, le comptable n'a pas pu demander de mesures conservatoires, et dorénavant seules des mesures contentieuses sont possibles.
S'agissant des Témoins de Jéhovah, l'administration semble avoir pu éviter que l'association redressée organise son insolvabilité avant la mise en recouvrement des droits. A la fin de la procédure de vérification, le comptable a en effet obtenu du juge de l'exécution l'autorisation de prendre des mesures conservatoires sur les biens appartenant à la secte, et notamment sur ses installations d'impression. La mise en recouvrement d'une créance de 297,4 millions de francs a été, on l'a vu, notifiée le 18 janvier 1999. Cependant, dans le cadre de la procédure de constitution de garanties résultant de la demande de bénéfice de sursis de paiement, les hypothèques conservatoires ont été converties en mesures définitives pour 297 millions de francs (biens situés à Louviers), 2,5 millions de francs (biens situés à Verneuil) et 1,5 million de francs (biens situés à Boulogne-Billancourt). Par ailleurs, le nantissement d'un portefeuille-titres a été accepté pour 20 millions de francs. Cet accord prévoit en contrepartie la mainlevée de la saisie conservatoire du matériel d'impression de Louviers. En conséquence, la secte va pouvoir, comme elle a déclaré en avoir l'intention, organiser le déménagement de ces installations à Londres.
L'exemple de l'Eglise de Scientologie de Paris mêle une recherche systématique de l'insolvabilité et l'intervention de sources de financement étrangères. Le non recouvrement des dettes de cette association s'explique par la faiblesse de ses actifs. Les capitaux provenant de ses recettes sont, pour une part prépondérante, sortis du territoire. L'Eglise n'a procédé à aucun investissement en France, sous réserve de quelques aménagements réalisés dans des locaux loués, de matériels achetés en leasing et de stock de publications sans véritable valeur marchande. Après plusieurs tentatives restées vaines de recouvrement forcé, les comptables des impôts et du Trésor ont assigné l'association en liquidation judiciaire. Toutefois, en application de la loi du 25 janvier 1985, en vigueur à l'époque, le redressement judiciaire a été prononcé avant d'être converti en liquidation. En effet, afin d'éviter cette dernière et pour tenter de garder le bénéfice de la première procédure, l'association a offert, à deux reprises, d'acquitter une partie de sa dette avec des capitaux provenant de l'étranger. En mars 1995, la branche américaine de la secte a, en application de la réglementation des investissements étrangers en France, présenté à la Direction du Trésor une déclaration préalable relative à la reprise des actifs de l'Eglise de Scientologie de Paris. À la demande du ministère de l'Intérieur, le ministre de l'Economie a, le 27 avril 1995, exercé son droit d'ajournement pour des raisons d'ordre public. En novembre 1995, l'association a, à nouveau, saisi les services du Trésor d'un projet de substitution proposant qu'un trust anglais, agissant pour le compte de l'organisation scientologue américaine, apporte la somme nécessaire à l'apurement des dettes fiscales en cause. Cette seconde tentative a été repoussée le 29 novembre 1995 pour les mêmes motifs d'ordre public. Bien que cette décision ait pour effet d'empêcher le recouvrement d'une créance de l'Etat, le ministre de l'Economie a considéré qu'un choix contraire aurait permis, avec l'accord officiel des pouvoirs publics, la reprise de l'activité commerciale de l'implantation parisienne de la secte.
3.- L'absence de poursuites pénales
Les articles 1741 et suivants du code général des impôts prévoient des poursuites pénales pour fraude fiscale et fixent les sanctions correspondantes. En application de l'article L.229 du livre des procédures fiscales, les poursuites pénales sont diligentées par le service chargé de l'établissement de l'assiette et du recouvrement de l'impôt.
Les exemples d'application de ces dispositions aux dirigeants des sectes sont, d'après les informations transmises à la Commission, rarissimes. Il n'existe en effet que trois cas. Le premier concerne l'Association pour l'unification du christianisme mondial dont les dirigeants ont été poursuivis pour absence de dépôt de déclaration et de comptabilisation de certaines de leurs activités de 1979 à 1981, puis condamnés pour fraude fiscale le 26 janvier 1988 par la Cour d'appel de Paris. Les dirigeants de l'Association internationale pour la conscience de Krishna ont été reconnus coupables de fraude fiscale pour tenue d'écritures incomplètes, inexactes ou fictives par un jugement du Tribunal correctionnel de Châteauroux en date du 23 janvier 1989, confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Bourges du 19 octobre 1989. Par ailleurs, deux scientologues, dirigeants de la SARL L'école du rythme, ont fait l'objet, le 5 octobre 1998, de la même condamnation par le Tribunal de grande instance de Paris, pour dissimulation de sommes passibles de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1992 et 1993.
En revanche, les poursuites envisagées contre le dirigeant de l'Association cultuelle du Temple de la Pyramide, pour organisation d'insolvabilité, n'ont pas été engagées, la Commission des infractions fiscales ne les ayant, à ce jour, pas autorisées. De même, la proposition, déposée le 2 octobre 1992 , de poursuivre pénalement M. Jean-Jacques Mazier, responsable de l'Eglise de scientologie de Lyon, a été abandonnée le 6 octobre 1993.
La Commission déplore la réticence de l'administration fiscale à déférer devant le juge les pratiques frauduleuses qu'elle met à jour lors de ses contrôles. Elle y voit une garantie d'impunité pour les dirigeants des sectes. Comment en effet ne pas faire un parallèle entre le refus de l'administration fiscale de transmettre au parquet les activités frauduleuses de M. Jean-Jacques Mazier, et les décisions du Tribunal de grande instance puis de la Cour d'appel de Lyon qui, quelques mois plus tard, ont établi la part de responsabilité de ces mêmes activités dans le suicide de Patrice Vic ?
IV.- LES DIMENSIONS INTERNATIONALES DE LA FRAUDE SECTAIRE
Le phénomène sectaire a acquis, on l'a vu, une dimension internationale qui se manifeste par l'existence d'une structure mère située à l'étranger, et par des activités qui dépassent largement les frontières. Cette dimension se retrouve dans les pratiques frauduleuses sectaires. A travers des circuits de financement plus ou moins sophistiqués, les revenus dégagés par la fraude peuvent trouver à l'étranger leur lieu de destination finale.
Dernier maillon de la fraude sectaire, les transferts de fonds à l'étranger constituent l'aspect du phénomène le plus inaccessible, parce que le mieux occulté.
A.- DES CIRCUITS INTERNATIONAUX DE FINANCEMENT OCCULTE
Des informations attestant l'existence de transferts occultes de fonds vers ou depuis l'étranger ont été portées à la connaissance de la Commission. Malgré leur importance, ces sommes sont difficilement contrôlables et, de fait, peu vérifiées.
1.- L'importance des transferts de fonds depuis ou vers l'étranger
S'agissant de la Scientologie dont l'organisation financière internationale va faire l'objet d'un développement spécifique, d'importants mouvements bancaires avec l'étranger ont pu être établis. Le compte chèque postal de l'Eglise de scientologie de Lyon a par exemple été crédité de 955.000 francs entre janvier et avril 1996, par des virements de sommes en provenance du compte de la société SIRT SOR Services Ldt ouvert à la Kredit Bank de Luxembourg. Cette société domiciliée à East Grinstead en Grande-Bretagne constitue une des principales instances internationales de la secte. Elle est notamment le principal associé de la SARL Scientologie Espace Librairie domiciliée rue Jules César à Paris, vers laquelle elle a transféré depuis le Luxembourg 690.000 francs de juillet à novembre 1995.
Le vice-président de l'association L.J. Engelmajer a été, à deux reprises, arrêté par les services des douanes en provenance d'Espagne, alors qu'il était en possession de 1,5 million de francs en espèces. Il n'a pas été en mesure de justifier l'origine de ces sommes.
Un haut responsable de l'association Sukyo Mahikari - Lumière de vérité, résident luxembourgeois, a précisé devant la Commission que des offrandes versées en espèces étaient transférées au Luxembourg jusqu'en 1995, date à laquelle il a demandé que ces pratiques cessent.
La SARL Orkos Diffusion, créée par M. Jean-Claude Burger, a mis en place un circuit de transfert de capitaux vers l'Indonésie. Les fonds provenaient d'un compte de la Bank Ekspor Impor Indonésia ouvert auprès de la Chase Manhattan Bank aux Etats-Unis. Ils transitaient ensuite sur un compte en dollars ouvert, en janvier 1996, auprès de la Bank Ekspor Import Indonésia à Paris, pour être finalement virés sur un compte ouvert à Bali auprès de la même banque. Le total des 70 virements ainsi effectués de janvier 1996 à juillet 1997 a dépassé 750.000 dollars.
Le Mandarom a récemment fait l'objet d'une escroquerie. Ce cas, apparemment unique, de secte escroquée prêterait à sourire s'il n'était pas indirectement lié à des pratiques sectaires qui ont fait l'objet de plaintes pour viol. En 1996, l'Association du Vajra Triomphant disposait d'une importante somme, dont 14,7 millions de francs en liquidités. Ces fonds avaient probablement pour origine les dons versés à la secte. Il a été notamment établi qu'une partie provenait d'Afrique. L'impossibilité de prouver que le donateur demeurait en France plus de six mois et un jour a cependant empêché d'envisager des suites fiscales. Les disponibilités détenues par l'association ont été transférées en Italie où elles ont été placées sur trois comptes différents, moyennant des rémunérations importantes (notamment, 7 % pour une somme de 2,5 millions de dollars, et 10 % pour un montant de 2 millions de francs). Au total, ce sont 17 millions de francs qui ont été investis dans la péninsule italienne. Pour réaliser cette opération, les dirigeants de l'association ont fait appel à un intermédiaire, connu sur la place de Marseille, qui s'est révélé être un escroc. Prétextant la nécessité de procéder au paiement de taxes, il aurait en effet fait signer divers documents en blanc qu'il aurait utilisés pour vider certains comptes. La secte aurait ainsi subi un préjudice estimé à 3 millions de francs.
Par ailleurs, il est établi que la même association a, en 1997 c'est-à-dire quelques mois après l'affaire italienne, décidé de transférer 3,8 millions de francs en Suisse. Cette opération a failli tourner aussi mal que la précédente, et la secte a manqué perdre ces fonds qui ont finalement été placés au Luxembourg.
2.- Des circuits peu contrôlables
Le contrôle des transferts de fonds à l'étranger soulève des problèmes de taille, exploités par les spécialistes de la fraude, quel que soit le secteur concerné. S'agissant des circuits de financement sectaires, l'importance des sommes versées en espèces grâce à la générosité des adeptes sert de fondement à la fraude. Interviennent également les difficultés rencontrées lors de tout contrôle fiscal ou douanier, à savoir l'insuffisante coopération internationale et surtout l'existence de paradis fiscaux qui garantissent l'opacité et l'impunité des techniques utilisées.
L'administration peut recourir à plusieurs dispositions légales pour contrôler les aspects internationaux de la fraude. L'article 1649 A du code général des impôts prévoit l'obligation, pour les personnes physiques, les associations ou les sociétés non commerciales, de déclarer les références des comptes qu'elles ouvrent ou qu'elles clôturent à l'étranger. Le livre des procédures fiscales donne à l'administration, en son article L.96A, le pouvoir de se faire communiquer par les établissements financiers les renseignements qu'elle demande. Par ailleurs, en application de l'article 1649 quater A du code précité, les personnes physiques sont tenues de déclarer à l'administration certains transferts de fonds à l'étranger.
Les services fiscaux ont en outre la possibilité de prononcer des redressements par application des dispositifs de contrôle suivants : imposition de transferts indirects de bénéfices à l'étranger entre entreprises dépendantes (article 57 du code général des impôts) ; remise en cause de la déductibilité de paiements à des non-résidents soumis à un régime fiscal privilégié (article 238 A) ; imposition de bénéfices provenant de pays à fiscalité privilégiée (article 209 B) ; imposition de sommes versées à l'étranger au titre de services rendus en France (article 155 A) ; et imposition des transferts d'actif hors de France (article 238 bis OI).
Il est révélateur que la Direction générale des impôts ait déclaré qu'aucune de ces dispositions n'a été mise en _uvre à l'encontre des structures sectaires qu'elle a contrôlées (19). Malgré l'importance des sommes en cause, il semble que le transfert de leurs fonds à l'étranger reste pratiquement incontrôlable.
La position de l'administration fiscale peut aussi s'expliquer par l'absence d'exploitation des résultats de ses contrôles. Les déclarations d'ouverture ou de clôture de compte à l'étranger ne font par exemple l'objet d'aucune centralisation, et ne relèvent que du centre des impôts territorialement compétent. S'agissant de l'application des dispositions relatives au contrôle de l'évasion fiscale internationale, les résultats des vérifications sont centralisés de manière manuelle, et ne permettent pas de connaître avec précision les pratiques déployées. Il est clair que les services perdent ainsi des informations précieuses sur l'ampleur des techniques d'évasion de capitaux utilisées par les sectes.
B.- LES EXEMPLES DE FINANCEMENT INTERNATIONAL DE SECTES
Le financement international de certaines sectes passe par les techniques traditionnelles de la fraude internationale. Les maisons mères des organisations sectaires ou leurs filiales commerciales peuvent être domiciliées dans des pays à fiscalité privilégiée, et différents montages peuvent être conçus pour concentrer les bénéfices dans les zones où la rentabilité est maximale. On peut notamment citer le recours aux honoraires sans contrepartie réelle, aux prêts bancaires fictifs ou à la surfacturation de prestations, le surcoût étant déposé à l'étranger. Toutes ces techniques ont été parfaitement décrites dans le rapport annuel 1997 du Service central de prévention de la corruption dont un des chapitres était consacré aux sectes.
La Commission souhaite décrire trois mécanismes particuliers qui lui semblent constituer les exemples les plus représentatifs.
1.- Les transferts sous couvert d'une marque déposée
Le recours au dépôt de marque est une manière de transférer à l'étranger une partie des fonds drainés par un réseau d'établissements franchisés. On a vu que c'est une technique de plus en plus utilisée par les sectes. Le vocabulaire utilisé par la dianétique a fait l'objet d'une telle procédure, et entraîne le paiement de « copy rights ». L'affiliation à l'organisation Wise regroupant des entreprises dirigées par des scientologues à travers le monde reproduit le même schéma.
Les sectes spécialisées dans le développement personnel sont organisées selon le même dispositif. Dans le cas d'Avatar, la société mère, Star's Edge International, implantée en Floride, a créé une marque déposée pour l'utilisation de la méthode de formation qu'elle a mise en place. Les cours dispensés en France par le réseau de personnes morales ou physiques titulaires d'un droit d'utilisation entraînent des droits d'auteur qui sont transférés aux Etats-Unis. Un transfert similaire est observé dans le cas des stages Landmark qui génèrent le versement de redevances outre-Atlantique.
L'ampleur des transferts réalisés par Avatar a été jugée suffisamment inquiétante pour que la Direction générale des impôts diligente une enquête qui devra établir la légalité fiscale des pratiques utilisées.
2.- La fuite de capitaux par l'intermédiaire d'une société civile immobilière
La secte Krishna a réalisé dans le Jura deux opérations immobilières dans des conditions pour le moins floues.
L'Association franco-suisse pour la conscience de Krishna a acquis en 1994, on l'a vu, le château de Bellevue à Chatenois. Cette acquisition s'est faite par l'intermédiaire d'une société civile immobilière détenue par la Fondation suisse pour la conscience de Krishna. En 1997, le château a été revendu à une autre SCI contrôlée par la secte, grâce à un prêt d'une société, Business Investment Establishment, domiciliée à Vaduz (Liechtenstein). Selon les informations fournies à la Commission, le prix de vente aurait été minoré de 5,3 millions de francs, et le produit de la plus-value ainsi minorée aurait été en grande partie transféré au Luxembourg.
Parallèlement, la secte procédait dans le même département à l'achat d'une deuxième propriété, le château de Romange. Le domaine en question a été acquis en 1994 par un adepte par l'intermédiaire d'une société civile immobilière, bénéficiaire d'un prêt de 2,6 millions de francs octroyé par la banque Harwanne. Il a été revendu en 1997 à une personne physique. Il a été établi que le compte de cette dernière a bénéficié, afin de réaliser l'opération de revente, des virements suivants : 1,9 million de francs, 722.000 deutsche Mark et 200.000 dollars depuis la Liechtenstein Landesbank de Vaduz, ainsi que près de 427.000 francs depuis la Swiss Bank Corporate à Zurich et Bâle.
La reconstitution de cette opération ne semble pas, pour le moment, avoir permis d'établir l'origine des fonds utilisés pour l'acquisition comme pour la revente. Reste également inexpliqué le fait que les transactions financières aient eu lieu dans le Var, alors que la secte était déjà implantée dans le Jura. En tout état de cause, les techniques utilisées sont caractéristiques d'une volonté manifeste de transférer des fonds à l'étranger, voire des méthodes généralement observées dans le blanchiment de capitaux.
3.- L'exemple de la collecte des fonds scientologues
L'instruction relative à l'Eglise de scientologie de Lyon a permis de reconstituer les circuits internationaux de financement de la secte. L'organisation internationale de la Scientologie est financée soit par des versements directs représentant le paiement des cours de dianétique et des autres prestations de la secte, soit par un prélèvement sur les revenus perçus par ses implantations locales.
S'agissant de l'Europe, les fonds sont destinés à deux instances internationales : l'Eglise de Copenhague, centre européen de la secte, et l'organisation mère implantée aux Etats-Unis. Les sommes peuvent être versées à ces deux entités soit directement par l'adepte, notamment lorsqu'il est envoyé dans les deux pays concernés pour suivre une formation, soit par le responsable d'une association locale auquel le prix des séances est versé en mains propres (20), soit enfin par chaque mission qui reverse une partie de son chiffre d'affaires aux Etats-Unis et paie à l'Eglise de Copenhague des sommes censées représenter le coût de l'achat du matériel « pédagogique » qu'elle utilise.
L'ensemble de ces transferts s'effectue soit par virement bancaire, soit par mandats lettres, soit par remise d'espèces. L'Eglise de Copenhague disposait d'un compte (intitulé compte 041) ouvert au Crédit lyonnais à Paris sur lequel étaient crédités les chèques ou les virements bancaires émis par les adeptes ou les missions. De leur côté, les sommes destinées à l'organisation mère étaient virées sur le compte « Lucas » ouvert à la Kredit Bank à Luxembourg, pour être aussitôt transférées aux Etats-Unis. Afin de faire disparaître la trace des mouvements de fonds, les adeptes sont également invités à régler leur contribution par mandats lettres, envoyés notamment au Danemark. Enfin, la secte pratique, quel que soit le niveau de l'organisation auquel on se trouve, le maniement d'espèces à grande échelle.
Il n'est pas inutile de rappeler que les fonds ainsi transférés d'Europe vers les Etats-Unis atteignent des montants considérables. L'instruction a en effet établi que 943.545.652 francs ont transité sur le compte « Lucas » de janvier 1988 à mai 1991.
Ces circuits de financement peuvent être utilisés à rebours. Les instances internationales peuvent notamment décider de renflouer les églises locales. L'apurement de la dette fiscale de l'Eglise de scientologie de Paris a été l'occasion de tractations au cours desquelles les instances internationales ont proposé d'apporter plusieurs dizaines de millions de francs.
V.- LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA MOBILISATION DE L'ADMINISTRATION
Tout en étant sensible aux progrès déjà faits, la Commission présente un certain nombre de propositions destinées à améliorer les performances de l'appareil public dans le combat contre la fraude sectaire.
A.- DES EFFORTS IMPORTANTS MAIS INÉGAUX
Les moyens de contrôle et d'appréhension du phénomène sectaire ont été renforcés et une collaboration entre les administrations s'est instaurée, même s'ils restent encore très insuffisants. En outre, la coopération internationale se heurte à de nombreux obstacles. Les limites des dispositifs de lutte contre les sectes montrent l'importance du travail que la Mission nouvellement créée doit encore réaliser.
Plusieurs ministères, parmi les plus concernés par le phénomène, ont mis en place des mécanismes destinés à intégrer les déviances sectaires dans leur mission de protection de la société.
? Le ministère de la Justice s'est mobilisé de façon indiscutable. Une première circulaire a été publiée le 29 février 1996 par la Chancellerie afin d'appeler l'attention sur les dangers des sectes. Elle reprenait, en annexe, la liste des mouvements établie par la commission d'enquête parlementaire de 1995.
Le processus de sensibilisation du système judiciaire au phénomène sectaire s'est traduit récemment par la création d'un poste de chargé de mission au niveau de l'administration centrale, à la direction des Affaires criminelles et des grâces, en vue, d'une part, de centraliser les informations sur les activités sectaires, d'autre part, d'assister en tant que de besoin les magistrats dans un domaine très spécifique sur lesquels ils disposaient jusqu'ici de très peu d'éclairages.
Sur le plan fonctionnel, une nouvelle circulaire publiée le 1er mars 1998 invite les magistrats des parquets à être beaucoup plus attentifs à tous les signalements qui leur parviendraient et feraient état de risques sectaires.
Elle met en place trois séries de mesures pour donner une impulsion nouvelle à l'autorité judiciaire :
- « un échange d'informations entre l'autorité judiciaire et les associations de lutte contre le phénomène sectaire ».
Les procureurs de la République sont incités à établir des relations avec les associations fédérées au sein de l'Union nationale des associations pour la défense de la famille et des individus (UNADFI) et du Centre Roger Ikor (CCMM), afin d'étudier ensemble les agissements des mouvements sectaires opérant dans leur ressort.
- la désignation d'un « correspondant sectes » auprès de chaque Parquet général.
Le ministère de la Justice devrait, par les 35 correspondants qui ont ainsi été nommés, disposer dans chaque cour d'appel d'un relais d'information pour la Chancellerie et d'un facteur de sensibilisation locale à la lutte contre les sectes. Ce magistrat doit notamment veiller à la coordination de l'activité judiciaire avec celles des autres services de l'Etat.
- « l'institutionnalisation de réunions de coordination ».
La circulaire confie à chaque correspondant du Parquet général le soin de réunir régulièrement les services publics concernés (police, gendarmerie, services du travail et de l'emploi, inspections de l'éducation nationale et de la jeunesse et des sports, douanes, services fiscaux, directions départementales des affaires sanitaires et sociales, directions départementales de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) et les procureurs de la République du ressort, en sollicitant aussi la participation des conseils généraux lorsque la protection de l'enfance est en cause.
Ces réunions doivent servir à déterminer des critères de signalement aux parquets, à évaluer les moyens à mettre en _uvre pour lutter contre les dérives sectaires et à choisir les procédures les plus efficaces pour y parvenir.
Avant la publication de cette circulaire, le ministère de la Justice avait organisé, en mars 1998, une session de formation à l'Ecole nationale de la Magistrature, à destination des magistrats, des agents de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire. Une deuxième s'est tenue en janvier 1999. Ces sessions sont appelées à se renouveler régulièrement.
? Le ministère de l'Intérieur, par la nature même de ses missions fondamentales, particulièrement la répression des atteintes aux personnes et aux biens, exerce depuis longtemps une surveillance étroite des phénomènes sectaires.
Une nouvelle impulsion a été donnée par la circulaire du 7 novembre 1997, adressée aux préfets et au préfet de police, et préconisant la mise en place au niveau départemental d'une sensibilisation du public et d'une mobilisation des services administratifs.
Dans le domaine de l'information, les services des Renseignements généraux ont depuis lors encore perfectionné leurs outils de connaissance. Dans celui de la poursuite des infractions, la police judiciaire a également accompli de considérables progrès, aussi bien dans la compréhension du phénomène que dans les techniques d'enquête.
-Le ministère de la Défense
joue un rôle essentiel au travers des missions confiées à
la Gendarmerie nationale
.
Celle-ci travaille aujourd'hui, dans le domaine
judiciaire comme dans celui du renseignement, sur l'ensemble des secteurs d'activités
des mouvements sectaires, en utilisant au mieux le maillage territorial très
dense dont elle dispose.
- Le ministère de l'Education a, à la suite du rapport de la précédente commission d'enquête parlementaire, créé en septembre 1996, une cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires, dirigée par un inspecteur général de l'Education nationale.
Celle-ci a déjà effectué un important travail d'information sur les agissements sectaires dans le milieu éducatif et a recueilli des éléments précis pour la connaissance du phénomène.
Elle a pu également, à plusieurs reprises, diligenter des enquêtes qui ont permis d'arrêter rapidement des tentatives d'infiltration sectaire dans l'enseignement public, au moyen par exemple de « mallettes éducatives », dont nous avons eu l'illustration plus haut.
Elle s'efforce également de mettre en place un programme rigoureux de contrôle de certains établissements privés hors contrats, désormais soumis par le décret du 23 mars 1999 à des obligations scolaires précises et susceptibles de parer au risque de prosélytisme à destination des élèves.
Enfin, la cellule de l'Education nationale vient de décider de mobiliser les inspecteurs généraux sur le contrôle des établissements privés d'enseignement à distance qui n'ont, jusqu'à maintenant, fait l'objet d'aucune surveillance précise.
-Le ministère chargé des Affaires sociales a engagé de manière inégale une politique de sensibilisation au phénomène sectaire et de prévention à son égard.
La direction de l'Action sociale, et plus particulièrement la sous-direction du développement social, de la famille et de l'enfance, joue un rôle pilote au sein du ministère. On rappellera que celle-ci a fait réaliser, dans le cadre d'une convention passée avec l'Association pour une recherche interdisciplinaire sur l'existence et la santé (ARIES) un important rapport remis en 1997, sur « Le droit face aux sectes », qui constitue une somme de réflexions théoriques dans ce domaine. Cette direction a également fait produire un film de sensibilisation sur le thème de « l'adepte face aux sectes ».
Pour 1999, la direction de l'Action sociale a décidé de privilégier comme premier axe de travail les questions de protection de l'enfance et a adressé, à cet effet, une lettre circulaire aux présidents de conseils généraux. Ayant constaté une insuffisance d'informations sur le terrain, elle a organisé des journées de formation technique à destination des personnels des services extérieurs du ministère : le 15 janvier a eu lieu une première journée sur l'enfance, une seconde journée sera programmée avant la fin de l'année sur les enfants dans les sectes.
Toutefois, sur un plan plus général, le ministère ne s'est mobilisé que plus tardivement. Depuis juin 1998, un groupe de travail composé de représentants des renseignements généraux, de la justice et des différents services du ministère se réunit tous les deux mois environ. C'est l'occasion d'échanger des informations et de trouver des angles juridiques d'approche du phénomène sectaire.
Dans
le domaine de la santé, le dispositif prévu n'est encore qu'à
l'état de projet. Il comprend :
- la création d'une délégation
ou d'un correspondant secte dans chacune des directions ;
-l'établissement
d'un document d'alerte destiné aux services déconcentrés
;
-la tenue de réunions régulières avec les directeurs
d'hôpitaux ;
-l'organisation de nouvelles sessions de formation dans
le cadre de l'Ecole nationale de la Santé publique ;
-l'incitation
des corps professionnels, tels que les psychiatres, à créer des
outils d'analyse des agissements sectaires ;
-l'aide à la prise en
charge psychologique des anciens adeptes et de leurs familles en passant des conventions
avec les associations concernées ;
- la réalisation d'une campagne
d'information des malades sur les dangers de certaines thérapies de développement
personnel et de traitements pseudo-médicaux non éprouvés
scientifiquement.
De même, l'administration de la formation professionnelle
ne fait que commencer à prendre la mesure de l'ampleur de l'infiltration
des sectes. Il faut reconnaître que la faiblesse de ses moyens ne lui permettait
guère de jouer un rôle précurseur dans ce domaine.
? Aux
côtés des ministères qui ont adopté, plus ou moins
vite, une attitude de pointe dans la lutte contre les déviances sectaires,
il faut faire une place à part au ministère de l'Economie et des
Finances.
Si ce ministère est apparu à la Commission souvent timoré et ses services parfois mal coordonnés dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale commise par les sectes, il faut en revanche souligner avec satisfaction, d'une part, l'activité de TRACFIN, d'autre part la mobilisation de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
· TRACFIN, service placé sous l'autorité du ministre de l'Economie et des Finances, a été créé par la loi du 12 juillet 1990 avec la mission de recenser, de traiter et de dénoncer aux autorités judiciaires chargées des poursuites, les faits présumés de blanchiment d'argent provenant de trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.
Pour ce faire, la loi a imposé l'obligation
à un certain nombre d'organismes, publics ou privés, ayant à
connaître de mouvements de fonds importants, tels que les établissements
financiers, les compagnies et les courtiers d'assurances, les sociétés
de bourse, les commerçants et changeurs manuels, de déclarer à
TRACFIN ceux qui pouvaient leur paraître suspects à ce titre
.
Ces dispositions ont été considérablement renforcées
par les lois du 13 mai 1996 et du 2 juillet 1998 qui ont créé le
délit de blanchiment et étendu la compétence de TRACFIN.
Cet organisme a connu depuis sa mise en place opérationnelle, en février 1991, une montée en puissance considérable de son activité et a rencontré, à plusieurs reprises, des cas où des mouvements sectaires étaient impliqués. Au cours des trois dernières années, le service a reçu une dizaine de déclarations de soupçons concernant des associations de type sectaire. Dans chacun des cas, TRACFIN avait été alerté par des établissements bancaires en raison du comportement atypique du détenteur (personne morale ou personne physique) de certains comptes : ressources d'une association visiblement utilisées pour les besoins personnels de ses dirigeants, prêts sans intérêt et sans échéance de remboursements, transferts de fonds excédant manifestement les moyens des personnes émettrices, règlements d'achats de produits à l'étranger sans importations en contrepartie... Six dossiers ont été transmis aux parquets compétents et une information judiciaire a chaque fois été ouverte.
Ainsi
l'action de TRACFIN peut-elle servir à révéler des affaires
qui ne seraient pas apparues, mais également à intervenir pour enrichir
des enquêtes en cours.
· La DGCCRF a intensifié, depuis
deux ans, la lutte contre l'économie souterraine dans laquelle, on l'a
vu, les mouvements sectaires tiennent une place non négligeable.
Un important programme de formation à l'intention des 2 200 enquêteurs a été mis en place.
L'arsenal juridique disponible a fait l'objet d'un vade-mecum permettant de repérer et de couvrir le plus grand nombre des infractions pratiquées, avec l'indication correspondante de la procédure à suivre et de l'incrimination à déterminer.
La lutte opérationnelle contre l'économie souterraine comporte un système de programmation trimestrielle des enquêtes avec un échéancier contrôlé pour la remise des résultats. La direction procède, pour chaque catégorie d'enquêtes, à une sorte d'appel d'offres à ses directions départementales afin de mobiliser celles qui ont déjà acquis une certaine expérience dans les thèmes faisant l'objet de l'enquête. Ce mécanisme présente notamment l'avantage de décloisonner territorialement l'action administrative, ce qui comporte un grand intérêt dans la lutte contre les pratiques sectaires.
La direction a également institué une coopération active avec les associations de consommateurs et, par extension, avec les associations ayant à connaître des activités sectaires.
Certaines organisations professionnelles, comme le syndicat de la vente directe, ont été invitées, dans le même esprit, à apporter leur collaboration à la DGCCRF. Celle-ci a permis de repérer quelques pratiques commerciales frauduleuses émanant de mouvements sectaires.
A également été mis en place, en mai 1997, une coopération permanente entre la DGCCRF, la Direction générale des douanes et droits indirects et la Direction générale des impôts afin d'élaborer, au niveau central, puis de mettre en _uvre, au niveau local, un plan d'action commun contre l'économie souterraine.
2.- La coordination entre les administrations
Le Gouvernement avait donné, en 1996, des suites rapides, concrètes et positives aux conclusions du rapport de la précédente commission d'enquête, en créant, par un décret du 9 mai 1996 un observatoire interministériel sur les sectes, chargé d'analyser le phénomène et de proposer les moyens les mieux adaptés pour lutter contre ses dérives.
Après deux ans d'exercice, l'Observatoire a présenté un bilan mitigé.
La Commission a constaté que cet organisme, bien que doté de moyens financiers, humains et matériels restreints, avait pu initier avec les administrations concernées quelques actions efficaces dans la lutte contre les sectes concernant notamment le suivi des mineurs ainsi que la mise en place, à titre expérimental, d'un dispositif d'accueil médico-social pour les sortants de sectes et les familles des adeptes.
Parallèlement, l'Observatoire a pu piloter une politique de formation des fonctionnaires et agents publics à la connaissance du phénomène sectaire.
L'Observatoire n'a cependant pas réussi à instaurer la concertation et la coordination des administrations publiques. À bien des égards, le problème transversal que pose la lutte contre la fraude commise par les sectes continue à révéler les limites d'une administration édifiée traditionnellement sur un modèle vertical et qui éprouve de grosses difficultés à travailler sur un mode horizontal lorsque l'efficacité l'impose.
Bien trop souvent, la main droite du service public ignore ce que fait sa main gauche. Il en résulte la formation d'espaces ouverts à la fraude et ce, malgré la sophistication constante, depuis cinquante ans, de notre système administratif. Autrement dit, le perfectionnement continu de la cuirasse, comme celui des armures qui se firent si facilement percer à Azincourt, a multiplié les interstices par lesquels s'insinuent les plus habiles à pratiquer la fraude, l'escroquerie et la corruption.
La Commission a parfois eu l'impression que les très nombreux et savants mécanismes de contrôle que les pouvoirs publics n'ont cessé de mettre en place fonctionnaient à l'inverse d'un filet de pêcheur : imbattables dans l'arrêt des petits poissons, ils laissaient souvent la voie libre aux plus gros...
3.- La collaboration entre États
Plusieurs instructions judiciaires ont mis en lumière les obstacles auxquels se heurte la coopération entre Etats.
Les autorités luxembourgeoises ont refusé d'accorder la commission rogatoire internationale demandée par le juge d'instruction chargé du dossier de l'Eglise de scientologie de Lyon. Elles ont accepté d'exécuter elles-mêmes l'enquête et ont transmis les relevés du compte Lucas sur lequel, on l'a vu, transitaient les versements à destination de l'organisation américaine de la secte. Ces relevés ont permis de reconstituer les sommes prélevées sur la branche européenne de la secte. L'impossibilité d'aller sur place a cependant empêché le juge et les officiers de police judiciaire d'établir de manière précise l'utilisation des fonds. Les réticences opposées par le Danemark ont été encore plus importantes. Malgré deux séjours de quinze jours à Copenhague où se trouve l'instance européenne de la secte, le formalisme opposé par les autorités judiciaires et policières a interdit une véritable collaboration. Enfin, le juge a été dissuadé de faire une demande de commission rogatoire internationale aux Etats-Unis, sachant qu'une telle demande était en règle générale refusée par les autorités américaines. En définitive, les difficultés rencontrées à l'étranger ont interdit aux enquêteurs de remonter au bout de la filière internationale de financement de la Scientologie.
Une autre instruction, actuellement en cours, soulève les mêmes difficultés. Si la collaboration avec les autorités canadiennes, belges et suisses a pu s'établir, le juge s'est heurté à une absence de réponse de la part de l'Espagne et à un refus de l'Australie.
Des difficultés sont également relevées dans le sens inverse. La Commission d'enquête du Parlement belge a désigné le doyen des juges d'instruction de Bruxelles pour enquêter sur Luc Jouret, citoyen belge qui dirigeait l'Ordre du temple solaire. Le juge a adressé à la France une commission rogatoire internationale que la Chancellerie a refusé au motif qu'une commission parlementaire n'est pas compétente en matière d'infraction pénale.
4.- Le rôle confié à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes
Les pouvoirs publics ont décidé, en 1998, de donner une nouvelle impulsion interministérielle à la lutte contre les dérives sectaires. Le décret du 7 octobre 1998 supprime l'Observatoire et institue à sa place une Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). La nouvelle structure est chargée de missions plus larges et plus directement opérationnelles :
-elle doit d'abord analyser le phénomène sectaire en profondeur : elle est, pour cela, destinataire de toutes les informations détenues par toutes les administrations. Elle peut leur demander d'effectuer des études et des recherches particulières en ce domaine ;
- elle doit ensuite inciter les services publics à prendre les mesures appropriées pour prévenir et combattre les actions des sectes qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine ou qui menacent l'ordre public. Pour cela, elle signale aux administrations les agissements portés à sa connaissance et paraissant appeler une initiative de leur part, et aux procureurs de la République les faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ;
-elle doit contribuer à l'information et à la formation des agents publics sur les méthodes d'investigation et de poursuite des dérives sectaires ;
-elle doit informer le public sur les dangers que présente le phénomène sectaire ;
- enfin, elle participe aux réflexions et aux travaux concernant les questions de sa compétence dans les enceintes internationales.
Sur le plan fonctionnel, le Président de la mission réunit périodiquement un groupe opérationnel composé de représentants des départements ministériels concernés, afin que ceux-ci échangent les informations qu'ils détiennent et coordonnent leurs interventions.
Ce dispositif constitue un progrès sensible pour la concertation et la collaboration des différentes administrations, que la Commission se plaît à souligner, ayant mesuré combien une lutte efficace contre les dérives sectaires impliquait une coordination interministérielle étroite, non seulement au niveau central et conceptuel, mais plus encore au niveau local et opérationnel.
La Commission attend beaucoup de la MILS. Il est essentiel qu'elle dispose des moyens nécessaires à son action, notamment par un renforcement du personnel mis à sa disposition. Il faut également que l'ensemble de l'administration lui prête son concours et reconnaisse son rôle d'impulsion et de coordination. Celui-ci pourrait être conforté par des mesures concrètes que la Commission propose de mettre en place afin de lui donner une pleine efficacité.
B.- LES AMÉLIORATIONS INDISPENSABLES
Les axes d'amélioration de l'efficacité de la lutte contre les dérives sectaires restent les mêmes. Ils sont au nombre de quatre : mobilisation, coordination, spécialisation et coopération internationale.
Il paraît indispensable à la Commission de généraliser à tous les ministères l'élaboration d'une instruction spécifique sur les dangers des sectes et les moyens de les combattre.
Compte tenu de l'extrême diversification des agissements sectaires, il est clair qu'aucun ministère ne peut se désintéresser du problème en estimant que les affaires dont il traite et les services qu'il gère ne sont pas concernés. Bien sûr, les départements ministériels ne sont pas tous impliqués au même degré, mais aucun ne saurait pour autant s'affranchir de l'examen du problème pour ce qui concerne ses compétences et son champ d'action.
Aussi, la Commission suggère-t-elle au Gouvernement que, sous l'autorité du Premier ministre et avec l'assistance technique de la MILS, un comité interministériel définisse le cadre général de l'action de l'Etat et demande à chaque ministre de préparer une instruction sur les sectes.
Cette procédure permettra à la fois de disposer d'éclairages nouveaux sur la question et de mettre en place des dispositifs mieux coordonnés.
La coordination interministérielle constitue le second point sur lequel un effort supplémentaire doit être réalisé.
Si l'on peut considérer qu'au niveau central, la coordination s'est améliorée, on peut en revanche regretter qu'elle ne descende pas suffisamment au niveau opérationnel, notamment à celui des enquêtes et des poursuites judiciaires.
La Commission a eu à plusieurs reprises le sentiment d'un certain isolement de magistrats instructeurs qui n'ont pu obtenir de services administratifs importants, notamment du contrôle fiscal, l'aide technique qu'ils attendaient.
La Commission estime qu'il revient, ici encore, à la MILS de jouer un rôle moteur. Devrait être rapidement mise à l'étude la création de structures départementales qui lui seraient rattachées et qui auraient pour tâches :
-de
constituer un centre d'information du public, à tout le moins, un bureau
installé dans chaque préfecture ;
- d'orienter et de conseiller
les victimes anciens adeptes et leurs familles ;
-de fournir aux administrations
concernées les informations nécessaires à leur action ;
-de
collecter, en retour, toutes les informations en provenance des administrations
sur l'activité sectaire dans le département.
Cette structure permettrait ainsi d'assurer une coordination opérationnelle qui, sans aller jusqu'à des enquêtes en commun, rassemblerait les expériences et fournirait aux différents services de l'Etat des repères méthodologiques de nature à faciliter leur action.
La Commission a débattu de l'opportunité de créer une magistrature spécialisée dans les affaires sectaires. Dans la mesure où la justice se trouve confrontée dans ce domaine à des mécanismes de filières comparables à ceux qui ont eu cours en matière de terrorisme, on peut légitimement s'interroger sur l'utilité qu'il y aurait à adopter un système comparable. On constate souvent, en effet, de réelles pertes de temps, d'énergie et probablement de substance, lorsque, dans le ressort de plusieurs juridictions, sont engagées des procédures concernant des faits analogues. La justice gagnerait alors, en rapidité et en efficacité, à une certaine verticalisation de l'instruction.
La Commission n'a toutefois pas retenu cette solution, pour deux raisons principales :
-- en premier lieu, il lui est apparu contraire à l'évolution récente de l'organisation judiciaire de créer des tribunaux spécialisés, qui soulèvent toujours des questions délicates du point de vue des libertés publiques ;
- en second lieu, il paraît difficile de créer une juridiction spécialisée alors que les incriminations qui la justifieraient n'ont pas été définies par la loi. En l'absence de définition légale de la notion de secte, il paraît exclu d'avancer davantage sur la piste d'un tribunal spécialisé.
La Commission a privilégié la voie de la spécialisation des magistrats. Des efforts significatifs, on l'a vu, ont été accomplis par la Chancellerie pour assurer une formation continue des juges à la connaissance des méthodes sectaires. Pour excellente que soit cette formule, elle risque toutefois de s'avérer insuffisante. Dans une société qui se complique chaque jour et où le droit devient de plus en plus complexe, les compétences des magistrats ne peuvent étendre à l'infini une connaissance minutieuse de toutes les pratiques délictueuses.
C'est pourquoi, il convient de réfléchir à la possibilité de créer, dans le ressort des cours d'appel des postes de magistrats spécialement formés pour traiter des questions sectaires. Cette fonction constituerait un complément utile à la fonction exercée par l'actuel correspondant sectes auprès du Parquet général.
La Commission souhaite donc que le ministère de la Justice explore avec soin cette piste, au besoin avec le concours de la MILS et des associations d'aide aux victimes des sectes.
4.- Coopération internationale
L'importance de la dimension internationale de la fraude sectaire montre la nécessité de renforcer la coopération entre Etats. La Commission propose qu'une convention traite spécifiquement de la lutte contre les sectes et crée les moyens d'une véritable collaboration entre les autorités judiciaires et policières au sein de l'Union européenne.
On constate en effet que la collaboration au sein de l'Union européenne est loin d'être effective. Plutôt que de lancer une coopération à un niveau plus large qui serait probablement, pour le moment, vouée à l'échec, la Commission propose d'établir une concertation au sein de l'Union, afin d'aboutir à une convention organisant une lutte concertée contre le sectarisme.
Les difficultés de collaboration entre Etats européens reposent encore sur les divergences opposant les systèmes juridiques du sud de l'Europe et la tradition anglo-saxonne. Cette dernière privilégie les procédures orales et accusatoires ; elle fait de la perquisition et de la garde à vue des techniques assez exceptionnelles. On est loin du dispositif français fondé sur des procès-verbaux écrits et une conception inquisitoire, au sens juridique du terme, de l'instruction.
Ces divergences trouveraient matière à s'aplanir dans une convention qui fixerait des procédures précises de collaboration entre les Etats européens. Spécifique à la lutte contre les sectes, une telle convention aurait pour objectif d'organiser la concertation indispensable à cette tâche, et de permettre à la justice de mieux remplir son rôle, notamment dans la reconstitution des circuits internationaux de financement. Ce texte compléterait utilement les accords déjà conclus au sein de l'Union européenne sur le renforcement de la lutte contre la fraude, actuellement en cours de ratification.
Au demeurant, cette proposition, indispensable à la garantie des libertés individuelles, ne fait que reprendre une idée avancée par plusieurs instances européennes, mais restée lettre morte. En 1984 le rapport de M. Richard Cottrell pour le Parlement européen, et en 1991 celui de Sir John Hunt pour le Conseil de l'Europe exploraient la même piste.
Au
terme de ses travaux, la Commission doit reconnaître que le phénomène
sectaire est probablement pour longtemps installé dans nos sociétés.
Il en exprime les dysfonctionnements inévitables et constitue quelquefois
des soupapes par lesquelles un marginalisme incompressible trouve à s'échapper.
Le droit à la différence doit aussi être sauvegardé.
Mais on ne saurait admettre que l'exercice de ce droit puisse menacer certains
principes, et d'abord le droit à la protection des plus faibles.
C'est pourquoi, la lutte contre les dérives sectaires demeure, aux yeux de la Commission, une exigence qui appelle des moyens mieux adaptés, un nouvel effort de sensibilisation de la société et une prise de conscience au niveau international.
La Commission est convaincue que la contradiction traditionnellement évoquée entre liberté de conscience et ordre public, en matière d'agissements sectaires, est tout à fait inopérante. Il ne s'agit pas d'opposer ces deux principes mais, au contraire, de mettre en lumière leur complémentarité. La préservation de la liberté de conscience ne saurait, en effet, s'appuyer sur une méconnaissance des libertés individuelles essentielles : d'aller et venir, de posséder des biens et d'en jouir, d'entretenir son corps et sa santé, d'être protégé contre les abus de pouvoirs, de se défendre contre les atteintes à ses intérêts moraux et matériels...
En travaillant à ce que les attaques portées contre ces libertés par les dérives sectaires soient plus efficacement poursuivies et réprimées, la Commission entend que soient ainsi garanties les libertés de conscience et d'expression, qui sont au c_ur même du respect des Droits de l'Homme.
1.Aménagements
au statut des associations :
· renforcer la démocratie à
l'intérieur des associations : par l'obligation, au-delà d'un certain
budget qui pourrait être fixé à 500.000 francs, de procéder
à au moins une assemblée générale annuelle et d'établir
un rapport moral et financier à l'intention des membres
· soumettre
les structures associatives ayant un certain poids économique - par exemple,
celles dont le budget annuel est supérieur à 500.000 francs - à
des obligations minimales de déclaration (compte de résultat et
bilan) ;
· mettre à profit le report de l'application
de l'instruction du 15 septembre 1998 relative à la fiscalité des
associations, pour prendre en considération les risques d'utilisation des
nouvelles règles dans un sens favorable au développement du phénomène
sectaire .
2. Application de la loi du 9 décembre 1905 concernant
la séparation des églises et de l'Etat :
· rappeler,
par voie de circulaire à l'attention des préfets et de l'ensemble
des services concernés, les principes de la séparation entre les
églises et l'Etat, et les critères de l'association cultuelle définis
par le Conseil d'Etat, ainsi que l'application qu'il en a faite dans le cas des
Témoins de Jéhovah ;
· appeler l'attention des pouvoir
publics sur la nécessité de fixer désormais quelques règles
générales pour l'affiliation au régime de protection sociale
des cultes.
3. Aménagements à la législation relative
au financement de la vie politique :
· soumettre le bénéfice
de la première fraction de l'aide budgétaire annuelle à l'obtention
d'un seuil de voix aux dernières élections législatives
;
· réserver l'accès à la campagne radiotélévisée
aux formations politiques qui ont désigné un représentant
national parrainé par un nombre minimum d'élus locaux .
4.
L'organisation du secteur des affaires sociales et de la santé :
·
diffuser à l'ensemble des services publics et des professionnels de santé
un guide pratique identifiant les points de vulnérabilité aux sectes
dans le monde médico-social ;
· centraliser l'information
sur les sanctions prises par les institutions ordinales des professions de santé
et sur les procédures judiciaires en cours ;
· faire désigner,
par l'Ordre des médecins, un représentant auprès de la Mission
interministérielle de lutte contre les sectes ;
· étudier
une éventuelle procédure d'agrément des dénominations
des professions paramédicales et des auxiliaires médicaux, par une
commission d'experts qui autorise l'utilisation de titres de thérapies
et puisse proposer l'interdiction d'exercice de celles qui ne sont pas agréées
;
· renforcer, dans les études médicales et paramédicales,
l'enseignement sur :
- les méthodes d'accompagnement psychologique des malades ;· développer, dès l'instruction primaire ou secondaire, des cours d'éducation pour la santé, l'hygiène de vie et la compréhension du schéma corporel ;
-la place, le rôle et les limites des professions médicales et paramédicales dans la société ;
EXPLICATIONS
DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AU GROUPE SOCIALISTE (*)
À
l'issue des travaux de la commission d'enquête sur la situation financière,
patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activités économiques
et leurs relations avec les milieux économiques et financiers, il apparaît
clairement que les hypothèses et craintes à l'origine de la création
de la commission d'enquête, ont été confirmées par
les travaux de cette dernière.
Les parlementaires socialistes se félicitent
du sérieux des auditions qui, à huis clos, ont permis de recueillir
des témoignages et informations de première importance. Ils ont
permis d'approfondir les travaux parlementaires précédemment entrepris
en 1995 par la commission d'enquête sur les sectes en France et dans le
groupe parlementaire d'études sur les sectes.
Le travail entrepris
et les propositions émises par la commission d'enquête permettront
sans aucun doute à la mission interministérielle de lutte contre
les sectes d'approfondir son action. Ce renforcement de la lutte contre les sectes
dans ses différents aspects répond pleinement à la volonté
du Premier Ministre et de son Gouvernement.
En raison de la qualité
et du sérieux des informations recueillies et des propositions émises,
les députés du groupe socialiste ont voté ce rapport à
l'unanimité.
EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT AUX GROUPES RPR, UDF ET DL (*)
Le rapport de la commission d'enquête
parlementaire sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des
sectes, ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations
avec les milieux économiques et financiers, recueille l'approbation des
groupes RPR, UDF et DL.
Ce rapport constitue un travail parlementaire collectif
très précis et documenté. Il s'agit là d'un travail
de référence auquel ont activement participé Jacques Myard
et Rudy Salles, vice-présidents de la commission, Bernard Perrut, secrétaire,
ainsi que Roselyne Bachelot-Narquin, Richard Cazenave, Eric Doligé et Jean-Pierre
Foucher.
Ils se félicitent que la lutte contre les sectes, largement
entamée par le gouvernement Juppé, à la suite du premier
rapport parlementaire sur les sectes paru en 1995, se poursuive.
Les groupes
RPR, UDF et DL approuvent également les propositions de lutte contre les
sectes.
Ils rappellent qu'étant fermement attachés à
l'exercice des libertés publiques qui fondent la République, ils
seront extrêmement vigilants sur la mise en _uvre des propositions, nécessaires
pour lutter contre les sectes, qui ne doivent en aucun cas porter atteinte aux
libertés fondamentales, telles que la liberté religieuse, la liberté
d'association, la liberté d'entreprendre et le principe intangible de la
présomption d'innocence.
EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARENTÉ AU GROUPE COMMUNISTE (*)
Le rapport permet de franchir une étape
très importante dans la connaissance d'une dimension essentielle du phénomène
sectaire, à savoir l'argent et notamment l'exploitation financière
des adeptes.
Il y a lieu de se féliciter du consensus qui s'est dégagé
au sein de la Commission, permettant ainsi d'améliorer l'information de
nos concitoyens et mettant en évidence la volonté commune des membres
de la commission d'enquête de protéger les libertés individuelles
et collectives face aux manipulations des sectes.
EXPLICATIONS DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT AU GROUPE RCV (*)
Conformément aux règles en vigueur au sein du Groupe RCV, cette explication de vote n'engage que la députée signataire et ses collègues Radicaux de Gauche.
S'appuyant sur une conception exigeante de la laïcité, la République française « assure l'égalité devant la loi des citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion et respecte toutes les croyances » (article 2 de la Constitution de 1958). La République laïque sépare ainsi très clairement la sphère publique et la sphère privée, développant une conception de la citoyenneté dans laquelle « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public, institué par la loi » (article 10 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen).
C'est dans le cadre de ces principes fondamentaux, garants d'une conception universaliste des droits du citoyen et du respect des libertés, que les pouvoirs publics doivent inscrire une action résolue et ferme contre les sectes, dès lors qu'il est établi que celles-ci ont pour principale finalité le détournement des circuits économiques et des subventions publiques, une surexploitation financière de leurs adeptes, de savantes et complexes constructions juridiques destinées à masquer fraude fiscale et recyclage d'argent sale, des tentatives d'infiltrations au sein des pouvoirs publics ou tout autre comportement ou agissement conduisant à se servir d'un alibi pseudo religieux pour « faire de l'argent », ce que démontre amplement le rapport.
L'affaiblissement des repères traditionnels et des solidarités collectives, la montée de l'individualisme, la quête de sens, la paupérisation d'une part importante de la population au sein d'une société de consommation où règne au pôle opposé la surabondance, constituent quelques-uns des facteurs qui expliquent la prolifération sectaire.
Des individus ou des groupes d'individus fragilisés par tous ces phénomènes deviennent ainsi des proies faciles pour les sectes qui peuvent d'autant plus aisément en tirer des bénéfices exorbitants.
Le devoir de la République est donc de protéger ses citoyens contre de tels agissements. Il est urgent pour y parvenir que l'ensemble de la société s'empare de ce débat autour du danger que constitue le phénomène sectaire, de manière à ce que les pressions exercées par les sectes contre ceux qui se dressent en face d'elles soient mises en échec.
Puisse ce rapport y contribuer alors même qu'il a été élaboré au travers d'une série d'auditions et de réunions qui ont nécessité le secret pour assurer sérénité et sécurité.
Parmi les mesures les plus significatives à prendre, il apparaît qu'une plus grande coordination et qu'une coopération plus confiante entre les différentes administrations relevant des ministères les plus concernés
- intérieur, affaires sociales, justice, finances, éducation nationale - constitueraient un gage d'efficacité pour recouper des informations souvent parcellaires et rendre plus opératoires contrôles et enquêtes.
Le secteur de la formation professionnelle
devrait de manière prioritaire faire l'objet d'une intervention vigoureuse
des pouvoirs publics, trop de sectes utilisant cette couverture pour financer
leurs activités. Dans une société marquée par la persistance
du chômage et de la précarité, les salariés doivent
s'adapter à de nouveaux emplois ou changer d'orientation professionnelle.
Ceci se traduit par la nécessité de suivre des formations ou des
stages. Les sectes ont su s'adapter et investir le secteur de la formation professionnelle
dans le seul but d'exploiter financièrement la misère.
De la
même manière, le secteur pseudo-médical ou paramédical
semble particulièrement propice au développement d'activité
lucrative assurant le financement des sectes ou l'enrichissement personnel de
ces gourous et dirigeants.
Le respect des libertés publiques et des valeurs de la République ne saurait engendrer un manque de lucidité et de détermination face au danger que représente le phénomène sectaire en France. Combattre avec vigueur les agissements délictueux des sectes constitue une nécessité et un devoir.
C'est l'honneur de la représentation nationale que d'y contribuer au travers de ce rapport qui a bien cerné les enjeux et tracé des pistes intéressantes pour faire reculer le phénomène sectaire en France, ce qui conduit les Radicaux de Gauche à en approuver les orientations et conclusions.
() définitives ou non (au 1er février
1999).
() seuls les chefs d'infraction de nature économique ou financière
sont mentionnés ; il s'agit des chefs d'infraction retenus au cours de
la procédure.
() plusieurs personnes peuvent avoir été
condamnées, ce qui explique la mention de plusieurs peines dans certaines
affaires.
En outre, certaines peines peuvent avoir été prononcées
pour des infractions plus larges que les seules infractions de nature économique
ou financière qui sont mentionnées dans le tableau.
() Malgré cette condamnation, il semble que ce type de procédé de recrutement reste employé, la secte prenant toutefois la précaution de se mentionner comme employeur.
() à la date de l'enquête de la Commission.
()
de nature économique et financière ; toutes procédures confondues
; à la date de l'enquête de la Commission.
() créance
ayant fait l'objet d'une remise partielle d'environ 32,1 millions de francs.
()
créance ayant fait l'objet d'une remise totale.
() vérification
de la situation fiscale des dirigeants actuellement en cours.
() créance
ayant fait l'objet d'une remise partielle d'environ 209.000 francs.
() contrôle
sur les exercices postérieurs à 1995 actuellement en cours.
()
dont une remise de 18,4 millions de francs pour liquidation judiciaire.
() Il s'agit des sociétés Godzich marketing international (liquidée le 12 octobre 1995), Groupement européen des professionnels du marketing et CEDIPAC (liquidées le 15 décembre 1995).
() Il s'agit des organismes, pour la plupart aujourd'hui liquidés ou sans activités, Harmonie vibratoire, Deva light, Espace bleu éditions, Prima Verba et Perle de lumière.
() Pour les églises de Paris et de Lyon, le contrôle
a établi que les revenus étaient, en partie, distribués à
l'étranger.
() dont une admission en non-valeur du 27/02/1996 pour
164.918.132 Frs
() dont 1.939.730 Frs pour M. L. Engelmajer personnellement
() dont 1.755.565 Frs pour M. J-J Mazier, ancien dirigeant de la secte à
Lyon et 20.735.142 Frs en en liquidation judiciaire.
() À l'exception d'un seul cas, examiné plus haut, à savoir la société Herbalife qui, d'après les informations fournies par l'administration fiscale, a fait l'objet d'une application de l'article 57 du code général des impôts.
() Rappelons que l'instruction du procès de Lyon a notamment révélé que M. J.J. Mazier a perçu des adeptes 3,2 millions de francs sur lesquels 451.000 francs ont été transférés aux Etats-Unis.
() chaque secte est désignée sous son appellation
la plus courante même si celle-ci ne correspond pas à sa dénomination
officielle.
() Les sigles utilisés pour désigner ce statut sont
les suivants : SA, SARL, SC (société civile), SNC (société
en nom collectif), SCM (société civile de moyens), GEIE (groupement
européen d'intérêt économique), SCOP (société
coopérative ouvrière de production), GFA (groupement foncier agricole),
EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée),
EARL (entreprise agricole à responsabilité limitée).
Documentations diverses
Rapports officiels
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