(Brigitte McCann, Chantal Poirier et Mathieu Turbide, Journal de Montréal, 10 et 12 octobre 2003)
Plantée sur le trottoir bondé du Chinatown à New York, je tends sans succès mes pamphlets annonçant le « livre de la vérité » de mon « prophète ».
Nous sommes six raëliens à « diffuser » au coin de Broadway et Canal Street, le carrefour de la camelote. Des vendeurs à valises déguerpissent devant tout ce qui ressemble à la police de New York.
Les passants les plus patients jettent un bref coup dil à notre panneau promotionnel : Le message des extra-terrestres : laissez-nous créer les hommes à notre image. Ils ne veulent pas savoir que « Dieu nexiste pas ». « Qui êtes-vous ? »
Tout à coup, un grand gaillard aux allures de joueur de football plante sa bouche à quatre pouces de mon nez. « Qui êtes-vous ? », aboie-t-il, en anglais.
Je déglutis et jarticule : « Wrouahilians. » - Dis-moi quelles sont tes croyances ! mordonne-t-il. Au secours ! Je me tourne vers Daniel, un raëlien qui habite le Bronx. Au risque de se faire casser la gueule, il explique que nous sommes le fruit de la science dextra-terrestres savants.
- Est-ce que tu crois tout ça, toi aussi ?, me demande larmoire à glace.
Je pense : « Es-tu malade ? »
Je réponds : « Certainement ! »
Le gaillard séloigne, incrédule.
Ouf !
Le lendemain à 10 heures, jassiste à la réunion mensuelle des raëliens new-yorkais. Il y a déjà quatre ans que le mouvement cherche à sinstaller dans la Grosse Pomme.
Chantal arrive
Moins de dix membres se trouvent dans le vieux local de danse loué au 11e étage dune bâtisse de la 54e Rue, à Manhattan. Cest peu pour une organisation qui prétend compter 55 000 membres dans le monde.
Une méditation, une vidéo, beaucoup de jasette et hop, tous évacuent le local à midi moins dix pile, devant la file de danseurs qui se réapproprient les lieux.
Lexpérience ma permis de gagner la confiance des membres. Jen ai aussi profité pour introduire dans lenquête ma collègue Chantal, photographe au Journal, qui a accepté de jouer le jeu, elle aussi. Présentée comme une recrue, elle a pu photographier toute lopération, en paparazzi.
Se disant « sans salaire », Claude Vorilhon (Raël) profite du « stage déveil » annuel pour vider les poches de ses disciples, à Maricourt.
Le Journal a notamment été témoin dun spectacle amateur présenté devant près de 400 raëliens qui sest transformé en un encan pour « aider Raël » dans sa « mission », le jeudi 17 juillet.
Sur la grande scène, trois photographies prises par le gourou de 57 ans étaient mises aux enchères. Leur sujet : son épouse raëlienne de 28 ans, Sophie Lemieux, seins nus, posant suggestivement.
Les fidèles devaient mettre le paquet pour leur Prophète. « Vous savez quil na pas de salaire », leur répétait lanimateur, G.J.
Après une petite surenchère, un journaliste pour le magazine du mouvement a acheté la première photo pour 900 $!
Loin dêtre content, lanimateur a enjoint les fidèles à une plus grande générosité, rappelant que leur prophète navait pas demandé à être investi dune mission aussi importante.
Son message a porté fruits. Un des gardes du corps bénévoles de Raël a acheté la deuxième photo, où Sophie expose généreusement sa poitrine, pour 3 300 $! Ses grimaces en disaient long sur le trou dans son budget. La troisième photo sest envolée au terme dune âpre bataille entre trois raëliens pour la modique somme de 5 000 $! Elle a été acquise par un guide cancéreux à qui les médecins ne donnaient que six mois à vivre, selon Raël. La demi-heure lui a rapporté 9 200 $.
« Des billets damour »
Une semaine plus tard, une guide, Nicole Bertrand, a carrément demandé aux fidèles de donner « des billets damour » pour « prendre soin » de leur gourou.
« Aimer, cest donner sans attendre en retour, disait Nicole Bertrand, une proche de Raël. En symbole dappréciation pour lui, vous allez avoir loccasion de le gâter sans rien attendre en retour. Largent, cest de lamour si cest ce que vous faites avec. »
Son message sadressait à tous, sans exception. « Vous avez loccasion de démontrer, chacun à sa mesure, combien vous laimez, insistait Mme Bertrand. Ce sont des billets damour, ne loubliez jamais, chaque fois que vous mettez un billet de 100 $. »
Les membres devaient déposer largent dans des chapeaux de paille tendus par des Anges, ces jolies jeunes femmes au service de Raël. Impossible dy échapper : au moins deux dentre elles encadraient chaque porte de sortie, en petite tenue.
« Si vous navez pas de sous en sortant, pensez à en apporter », renchérissait la guide.
À la sortie de nos reporters, les chapeaux regorgeaient déjà de billets de 20 $, 50 $ et 100 $.
Cadeau danniversaire
Toute occasion faisant le larron, le prophète a pu senrichir à son anniversaire, célébré le 27 septembre dernier.
Tous les membres invités ont reçu un courriel officiel disant ceci : « Le plus beau cadeau est certes votre présence, mais si vous voulez personnellement lui faire plaisir, nous vous invitons à mettre dans une enveloppe avec ou sans message, signé ou pas, à votre discrétion, un montant en espèces qui permettra à notre prophète de soffrir lui-même ce qui lui fera le plus plaisir. »
Cependant, pas question de lui remettre largent en main propre. « À la table dinscription, à lentrée, il y aura une boîte sous la supervision dun Ange, vous pourrez y déposer votre cadeau. »
« Quand on est riche, cest là que ça compte » Raël
Claude Vorilhon (Raël) demande à ses disciples de faire le plus dargent possible tout en dépensant peu, question de « tout donner ».
« Plus vous gagnez de largent, mieux cest, parce que vous allez pouvoir nous aider », a affirmé le gourou devant une foule de disciples, cet été, parmi laquelle se trouvaient nos reporters.
Vorilhon enjoint ses fidèles de ne pas se contenter « dun demi-million $» sils ont le talent pour en faire le double. « Il ne faut pas avoir cette culpabilité de largent qui vient des religions judéo-chrétiennes, a expliqué le gourou. La générosité dun pauvre, elle est presque risible ! Mais quand on est riche, cest là que ça compte », raconte-t-il.
Par contre, les membres qui ont de largent devraient limiter leurs dépenses, selon lui. « Les gens qui sont passionnés par la réussite naiment pas dépenser, assure-t-il. Ils mangent des fruits, un bon petit plat de temps en temps »
Il cite « lhumilité » de Bill Gates en exemple. « Cest frugal de vivre dans une maison de 40 millions $ quand on gagne un intérêt de 10 millions $ par jour !, lance-t-il. Cest humble ! »
Claude Vorilhon, le « pauvre », vit aux crochets de ses disciples, qui lui fournissent tout : nourriture, confort personnel, rutilante Jeep Grand Cherokee, jardinage extérieur, sexe
Sur un ton faussement modeste, le gourou répète à qui veut lentendre quil na aucune rémunération.
« Vous voyez dans les journaux : 'Raël et ses millions.' Jai pas de voiture, jai pas de maison », répète-t-il à ses fidèles.
« Je ne veux rien à moi ! Jai rien ! Et vous, vous êtes des pauvres nonos qui se font tondre ! », ironise-t-il. Mais le gourou, qui vit dans un luxueux condo, à Ufoland, a bien des gens à son service. Il a son propre cuisinier, de multiples gardes du corps et sa jardinière personnelle entretient les magnifiques rosiers sur le site dUfoland. Tous travaillent bénévolement.
Vorilhon affirme lui-même que la Jeep Cherokee dun modèle récent dans laquelle il se balade constamment lui est également fournie par un disciple.
Et que dire de lasservissement que lui voue lOrdre des Anges, un groupe de belles jeunes femmes qui voient en tout temps à ses moindres désirs. « Elles me servent à boire quand jai soif et mapportent de petites choses à grignoter quand jai faim », raconte le gourou, dun ton blasé, à la foule à ses pieds.
Et le mandat de lélite des Anges, les « cordons dorés », va beaucoup plus loin. « Être un cordon doré veut dire être prête à être au service des Élohim (les extra-terrestres que Raël dit avoir rencontrés) et des prophètes sans aucune restriction, incluant la sexualité. »
Et comme il ny a quun « prophète » sur la planète raëlienne
Devenir raëlien coûte cher. Plus de 2 000 $ dans mon cas. Et je nai dépensé que le strict minimum.
Chaque activité officielle fait appel au portefeuille des membres.
Frais numéro 1 : la cotisation annuelle au mouvement national, qui sélève à 3 % de son revenu net après impôt. Jai opté pour le tarif étudiant. Jai envoyé un chèque de 100 $ à un casier postal à Montréal.
Une médaille : 124 $
Ce nétait quun début. Comme tout raëlien qui
se respecte, jai dû acquérir une médaille affichant
« le symbole de linfini », létoile stylisée
qui identifie le mouvement. Encore une fois, jai pris la moins dispendieuse
: 88 $. Cher, pour un bijou en argent oxydé fait en série. En
or, les plus dispendieuses coûtaient 900 $.
Jai constaté avec surprise que la chaîne ne venait pas avec. Un autre 36 $.
Jai aussi dû acheter quelques livres « indispensables » ainsi que des vidéocassettes pour étudier les « enseignements » du gourou à la maison. Coût : 105 $.
Sans compter les quêtes pour payer la salle, les frais de vestiaire et de stationnement, et les repas en groupe après les rassemblements.
Mon voyage de recrutement à New York, en mars, ma coûté quelques centaines de dollars en frais de déplacement et en hébergement.
Après avoir payé 40 $ pour un premier « stage » de deux jours en avril, jai découvert que je navais encore rien vu.
« Séveiller » à un prix de fou
Lévénement de lannée, le « stage déveil
» annuel de deux semaines, à Ufoland, coûtait un prix de
fou, au point où certains raëliens ne pouvaient se le payer.
Pour y assister, jai dû obligatoirement devenir membre du mouvement international moyennant 7 % de mon revenu net après impôts. Jai décidé de nenvoyer quun chèque de 200 $, le montant « minimum » réservé aux étudiants et aux sans-emploi, à un casier postal du Vieux-Longueuil.
Jai aussi payé 145 $ pour minscrire au stage et louer un terrain de camping « avec eau et électricité », sans compter mon équipement. Sur place, mon terrain navait finalement ni eau ni électricité.
La bouffe du barbecue, plus de 100 $. Nous pouvions cuisiner nous-mêmes, mais le seul traiteur sur place vendait chaque « repas complet » 12 $ ou 10 repas pour 105 $. Je lai essayé une fois. Cétait froid et ça goûtait le brûlé.
Un vulgaire drap de coton blanc, la djalaba obligatoire durant les cours, ma coûté 20 $.
Après un atelier, un proche de Raël ma incitée à acheter lenregistrement dune « méditation sensuelle » du Prophète pour pratiquer à la maison. Je lai trouvé à la boutique du mouvement dans un coffret de deux CD pour 140 $! Les cassettes mauraient coûté plus cher encore : 200 $.
Écurée, jai finalement boudé la quête destinée à « prendre soin » du gourou.
Les raëliens brassent beaucoup dargent, mais ils ne paient pas un sou dimpôt.
Car toutes les entreprises reliées au mouvement raëlien sont des organismes à but non lucratif (OSBL), reconnus comme tels par les gouvernements du Québec et du Canada.
En gros, cela veut dire que lÉglise raëlienne, les Jardins du Prophète, Ufoland et les autres sociétés rattachées à Raël ne doivent pas verser de profit à leurs administrateurs. Selon la loi, tous les profits doivent être réinvestis dans lorganisme.
Même lentreprise Assistance Révélation 1973 inc., qui soccupe au Québec de la vente darticles de promotion du mouvement raëlien, a obtenu le statut dOSBL et ne paie donc pas un sou en impôt.
Ni Revenu Québec ni lAgence des douanes et du revenu du Canada nont voulu discuter du cas des entreprises raëliennes.
Toutefois, Manon Tremblay, porte-parole de Revenu Québec, a indiqué que les OSBL sont soumis à des règles strictes et le ministère nhésite pas à mener des inspections « serrées ».
« Par exemple, si un OSBL fait du commerce pour promouvoir ses activités, le côté commercial de ses opérations ne doit pas lemporter sur sa mission. Si cétait le cas, lorganisme perdrait son statut dOSBL », souligne-t-elle. Les dirigeants des OSBL qui consacrent de leur temps à leur organisme, comme cest le cas de Raël, peuvent recevoir un salaire, ajoute Mme Tremblay. « Mais il faut que ça soit considéré raisonnable », fait-elle remarquer.
Évidemment, encore faut-il que tous les montants versés, y compris les dons recueillis en argent comptant lors de collectes, soient déclarés.
Trois jours après le début de la publication du reportage du Journal de Montréal sur le monde secret de Raël, lÉglise raëlienne canadienne a réagi pour la première fois, hier, en émettant un communiqué.
Lorganisation y qualifie les articles de nos collègues « dattaques mensongères » et prévient du coup que ses membres comptent bien « être de plus en plus présents » pour déranger les bien-pensants dans leur « conformisme ». Le communiqué avance également que si certains membres sont prêts au sacrifice de leur vie pour « protéger Sa Sainteté Raël » comme le révélait le reportage il ne faut pas pour autant y voir quelque penchant vers un suicide collectif.
« La sensualité et le plaisir de vivre décrits par ailleurs dans larticle montrent que les raëliens apprennent à aimer la vie et nont aucune envie de mourir », écrit-on.
Selon le communiqué, Claude Vorilhon, alias Raël, est cependant « un des êtres dont la vie est le plus en danger sur terre ».
Il ne faut pas y voir de la paranoïa, affirme-t-on, mais plutôt les conséquences de menaces qui « montrent quil ny a rien là dimaginaire ou de pathologique ».
À lappui de cette prétention, on évoque des « milliers de lettres de menaces de mort », dont la réception aurait amené « le dépôt de plaintes auprès des autorités judiciaires ».
On ne précise pas toutefois quels corps policiers ont pu être saisis de la chose.
Ce sont les positions du maître de lÉglise raëlienne sur le droit au plaisir, la libre sexualité, le divorce, la contraception, le clonage et leuthanasie, entre autres choses, qui lui vaudraient une telle hargne, suggère le communiqué, qui nest pas signé.
« Personne sur terre ne fait, autant que Sa Sainteté Raël, la promotion de lathéisme et il a donc des ennemis parmi les membres fanatiques des trois plus grandes religions monothéistes », y lit-on.
Les raëliens accueillent les mineurs à bras ouverts et comptent même les recruter dans les écoles.
« Les messages ne sont vivants qu'à travers vous, surtout les jeunes », a dit Raël, lors d'un rassemblement en avril. « J'aimerais avoir 18 ans aujourd'hui et être un raëlien. »
Pour la première fois depuis des années, une poignée de mineurs ont été accueillis à bras ouverts au stage d'éveil de deux semaines au camping raëlien de Maricourt, cet été.
Les mineurs auraient déserté les stages raëliens depuis la condamnation pour corruption de mineurs de quatre raëliens, en France, il y a deux ans.
Les dirigeants n'ont pas pris leur retour à la légère. Dès le premier rassemblement du stage, Nicole Bertrand, une des rares femmes guide-évêque, a demandé aux cinq mineurs d'environ 15 à 18 ans de se lever devant les 400 raëliens pour que tous les identifient.
Puis, elle a demandé à tous de répéter: « Pas touche! Pas touche! Pas touche! »
Nudisme
Elle a ensuite expliqué à la foule qu'il est illégal pour un majeur d'avoir des relations sexuelles avec ou en présence d'un mineur. Que les mineurs devront porter en tout temps le bracelet noir les identifiant sous peine d'être expulsés du stage. Et que le prophète lui-même ne défendra pas les majeurs qui contreviendront à la loi. « Les mineurs avec les majeurs, a tranché Mme Bertrand. »
Une main se lève. « Est-ce qu'on a quand même le droit d'être nu autour du lac? », a demandé un spectateur concerné par la question.
« Oui », répond tout de suite la guide. « Il n'est pas illégal d'être nu en présence d'un mineur. »
Recrutement dans les écoles
Par ailleurs, le mouvement compte intensifier sa présence dans les écoles, question d'y recruter de nouveaux adeptes. C'est ce qu'a affirmé Pierre Bolduc, ami de longue date de Raël et guide-évêque, lors d'une conversation dont le « Journal » a été témoin durant une petite réunion raëlienne rue Laurier, en février.
Selon lui, Raël veut que ses disciples « retournent dans les écoles et qu'on dise qu'on recrute au lieu de seulement donner de l'information ».
- Wow! Je suis partante! Ca va être super! a réagi une jeune raëlienne, témoin de la conversation.
Le mouvement a déjà provoqué la controverse en distribuant des condoms dans des écoles du Québec en 1993.
Les raëliens s'étaient aussi attiré de nombreuses critiques en menant une campagne d'apostasie dans maintes écoles du Québec, à l'automne 2002.
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