Suisse

La doctrine raëlienne peut inciter à la pédophilie

La Liberté (Suisse), 12 décembre 1997.

Voir également un extrait video sur la position ambigue du mouvement raelien au sujet de la pédophilie.


Raël voulait un « droit de réponse » suite à un article publié par « La Liberté »

par Antoine Rüf

Cinq heures de bataille au tribunal Audience peu ordinaire, le 24 novembre dernier, devant le Tribunal de district de la Sarine. C'est que l'enjeu, entre la secte de Raël et le quotidien local, allait au-delà d'un droit de réponse.

Une dizaine de journalistes, le juge civil déplacé dans la salle du tribunal pénal pour faire face à l'affluence du public : le Tribunal de district de la Sarine a vécu lundi 24 novembre une audience peu ordinaire pour statuer sur une demande de droit de réponse dirigée contre « La Liberté » par le mouvement raëlien. Il a fallu plus de deux semaines de réflexion au président Daniel Kaenel pour statuer sur cette demande. Il l'a refusée dans un jugement de treize pages, rendu lundi, qui refuse le droit de réponse et donne intégralement tort à la secte. Allant plus loin que « La Liberté » dans l'appréciation de la littérature raëlienne, le juge a notamment estimé que le contenu des ouvrages qui constituent la doctrine officielle du mouvement peut « indiscutablement conduire à des comportements prohibés à l'égard des mineurs ».

Abomination condamnée

Dans son édition du 6 août dernier, le journal avait écrit de cette secte qu'elle avait été « jugée dangereuse par la France » et qu'elle « prône théoriquement dans ses écrits la pédophilie et l'inceste ». Il relatait encore la condamnation à cinq ans de prison "pour abus sexuels sur une mineure de deux proches de la secte", en mai dernier à Carpentras. Le journal a tout faux, a réagi le mouvement raëlien en substance. La secte affirme promouvoir la sexualité entre adultes consentants, mais qualifie d'« abomination » et « condamne formellement » la pédophilie et l'inceste, dont elle estime les auteurs « psychiquement dérangés ». Enfin, le mouvement raëlien expliquait que seul un des deux accusés de Carpentras était membre de la secte (ndr : en oubliant de préciser, ce qui est apparu à l'audience, qu'il s'agissait d'un animateur de la secte, et que les abus sexuels avaient été commis au domicile de la mère - elle-même raëlienne - de la victime).

En possession de documents qu'elle juge accablants, « La Liberté » a refusé le droit de réponse. On ne peut pas prétendre condamner la pédophilie et l'inceste et en même temps diffuser largement, dans les ouvrages du fondateur de la secte et dans sa revue interne, des prises de positions allant clairement en sens contraire. Tout au long de cinq heures d'audience les parties ont fait défiler témoins et arguments. Côté « Liberté », une spécialiste parisienne, Hayat El Moutacir, chargée d'études à l'ADFI, auteur d'un livre intitulé « Les enfants des sectes ». La spécialiste a répété que le mouvement prône « très clairement » la pédophilie dans nombre de ses écrits. Plusieurs éléments, dans le discours de la secte, évoquent pour les psychiatres la démarche d'intellectualisation et de théorisation typique des pédophiles.

« Eveillés » par les adultes

Raël, dont le système de « géniocratie » fait de l'épanouissement sexuel une condition théorique de l'exercice des droits civiques, prône dans ses écrits non seulement des rapports sexuels précoces, mais également la création de « centres d'épanouissement» où les enfants seraient « éveillés » sous l'« orientation » d'adultes. Le but final de cet « éveil » étant d'en faire des « génies » dignes.

Se brosser les dents

En face, la secte avait appelé à la barre plusieurs membres et anciens membres. Deux jeunes femmes sont venues témoigner que personne ne les avait concrètement incitées à entretenir des relations dans le cadre des activités de la secte. Voire que l'accès à certaines activités était interdit aux enfants. Une troisième, qui a raconté dans « Apocalypse » comment son grand-père l'avait initiée à la masturbation à quatre ans, et tout le bien qu'elle en pensait. « C'est un geste sain et aussi naturel que d'apprendre à se brosser les dents », a-t-elle commenté, avec un sens discutable de l'opportunité...

« Ils n'engagent qu'eux »

Le responsable européen de la secte, après avoir fait verser en avalanche toute la littérature raëlienne sur le bureau du président Daniel Kaenel, a systématiquement tenté d'éloigner tout ce qui pouvait gêner le tribunal : Les plaidoiries ont tourné au duel oratoire enflammé, entre Pierre Perritaz, l'avocat de « La Liberté », et Elie Elkaim, celui du mouvement raëlien. Le second a plaidé qu'il y en allait de la liberté de croyance et de la tolérance face à une « chasse aux sorcières » menée contre son client. Pour l'avocat, les écrits litigieux sont de vieilles choses, qui s'expliquaient par le contexte de l'époque et par un certain désir de provocation.

Indigné qu'« on lui joue les Lumières contre l'obscurantisme du Fribourg catholique », l'avocat de « La Liberté » a impliqué la secte dans de nouvelles affaires (un de ses ex-fondateurs a avoué récemment des abus sexuels sur des mineurs). L'avocat a clamé que « les paroles d'hier sont les actes de demain », ce qui semble confirmé par ces derniers événements.


Pourquoi le juge a refusé  le droit de réponse réclamé par les raëliens

par Antoine Rüf

Pour le juge, l'audience a permis d'apporter la preuve que les réponses des raëliens sont manifestement inexactes lorsque le mouvement affirme condamner la pédophilie et l'inceste.

 
Il n'est pas très fréquent qu'un juge refuse un droit de réponse. Tout le système de la loi, d'ailleurs, le pousse à l'accepter. Les seules exceptions prévues dans les articles 28g et suivants du Code civil, sont que la réponse ne soit pas manifestement inexacte, ni contraire aux lois ou aux meurs, et qu'elle se limite à l'objet de la présentation contestée. Dans le jugement refusant le droit de réponse au mouvement raëlien, le président Daniel Kaenel a estimé que deux de ces trois conditions étaient remplies.

Citant une abondance de jurisprudence et d'auteurs, le juge estime qu'il faut d'abord déterminer dans l'article incriminé ce qui comporte une évaluation négative, donnant au lecteur moyen une image défavorable de la personne concernée. Il doit ensuite déterminer si la réponse proposée se limite à présenter des faits et si elle doit permettre en principe de rétablir la vérité aux yeux du public par la présentation des faits correspondant à la version de l'auteur.

Et cela même si le droit de réponse n'est en principe pas un droit de rectification.

  Trois affirmations

Le mouvement raëlien contestait, essentiellement trois affirmations publiées par «La Liberté» :
  1. que la secte a été « jugée dangereuse par la France »,
  2. qu'elle « prône théoriquement la pédophilie et l'inceste dans ses écrits »,
  3. et que deux de ses membres ont été condamnés à cinq ans de prison en France pour des agressions sexuelles sur une fillette de douze ans.
Pour le président Kaenel, le terme « jugé » ne se réfère pas exclusivement au travail de l'ordre judiciaire, mais revêt plusieurs sens tels que apprécier, considérer, estimer. Dans le contexte de l'article, le terme « jugé » figurant dans le titre était immédiatement explicité dans le sous-titre et le deuxième paragraphe, et ne laissait planer aucune ambiguïté. Par ailleurs, il ressort effectivement du rapport parlementaire français cité par « La Liberté » que le mouvement raëlien est mentionné, avec d'autres mouvements sectaires, sous un chapitre intitulé « Les dangers pour la collectivité ». « Le droit de réponse sollicité ne peut qu'être refusé sur ce point », conclut le président Kaenel.

Le plus grave de ces reproches est bien sûr le second. Pour y répondre, les raëliens avaient affirmé condamner formellement la pédophilie et l'inceste, estimant qu'il s'agit d'abominations et que les individus s'adonnant à de telles pratiques sont psychiquement dérangés et doivent se voir prodiguer des soins psychiatriques adéquats.

Pas de condamnation

Rendant hommage à la prudence et au sens de la nuance de l'auteur de l'article, Pierre Rottet, de l'Agence de presse internationale catholique (APIC), le juge relève qu'il s'est appuyé sur plusieurs sources d'information, qu'il a mentionnées dans son article de manière à ce que le lecteur moyen garde une certaine marge d'appréciation. Il est donc manifestement inexact de soutenir, comme le faisaient les raëliens dans leur réponse, que le journaliste aurait affirmé sans aucune nuance que le mouvement raëlien prône la pédophilie et l'inceste de façon générale.

En fouillant dans la littérature de la secte, le juge n'a trouvé qu'un certain nombre de passages dont les plus gentils sont au moins ambigus, et les plus graves tout à fait révélateurs. Mais nulle part dans les sept livres de Raël et les 55 revues fournies par le mouvement il n'a trouvé le moindre indice de condamnation de ces graves déviances sexuelles. Au contraire, il en a plutôt retiré l'impression que Raël soi-même semblait plutôt regretter que la loi pose des limites à ses épanchements envers la jeunesse.

« On doit bien admettre que certains passages peuvent conduire certains adultes à des dérives sexuelles du comportement à l'égard d'enfants mineurs. Les témoignages tendant à démontrer le contraire ne changent rien au contenu des ouvrages (...), qui constituent la doctrine officielle du mouvement et qui peuvent indiscutablement conduire à des comportements prohibés à l'égard des mineurs ». Manifestement inexacte sur ce point aussi, la réponse doit également être refusée.

Un peu plus loin

Elle doit l'être également sur le troisième point. Les raëliens contestaient que deux des leurs avaient été condamnés à Carpentras pour avoir sexuellement abusé d'une fillette de douze ans. D'après eux, seul l'un des agresseurs était raëlien, et encore a-t-il été exclu du mouvement après sa condamnation. Dans sa réponse, les raëliens qualifiaient de « répréhensibles et immoraux » les actes commis par les deux condamnés, et les jugeaient « incompatibles avec les valeurs défendues » par la secte.

Soutenir une telle position, c'est lancer le bouchon un peu loin estime le juge. D'abord, ces appréciations dépassent les limites que la loi fixe au droit de réponse : ce sont des opinions et non des faits. On ne se limite donc pas à l'objet de la présentation contestée.

Ensuite, ces fameuses « valeurs » raëliennes que serait la condamnation de la pédophilie et de l'inceste ne se retrouvent pas dans les textes, ce qui rend la réponse, là également, manifestement inexacte. Et conduit à la rejeter.


Commentaire : L'attaquant piégé

par Roger de Diesbach

Non, La Liberté n'a pas déclaré la guerre aux extraterrestres ni à l'ancien journaliste sportif français Claude Vorilhon, dit Raël, Lhomme chargé le 13 décembre 1973 par des êtres venus du ciel (Les Elohim, ils sont petits avec les yeux en amande) de préparer leur ambassade sur la terre. Non, nous sommes trop farouchement attachés à la liberté de conscience et de croyance!

Alors, pourquoi tout ce tintamarre ? Parce que, dans un article publié le 6 août dernier dans notre journal, le journaliste Pierre Rottet, de l'Agence de presse internationale catholique (APIC), à Fribourg, affirme que les écrits du Mouvement raëlien prônent "théoriquement", la pédophilie et l'inceste. Touchés, les raëliens exigent que « La Liberté » publie un droit de réponse par lequel ils qualifient « d'abominations » la pédophilie et l'inceste.

Nous pensons qu'un journal doit donner largement la parole à ses lecteurs. En ouvrant un « Forum » des lecteurs  mais aussi en publiant les droits de réponse qui nous sont adressés. Nous sommes d'ailleurs tenus à le faire par la loi.  Pourtant, nous avons refusé la publication de la réponse exigée par Raël. Pourquoi ? Parce que de nombreux textes  internes à la secte, provenant tant du journal des raëliens que des livres de Claude Vorilhon, nous ont paru pour le moins ambigus, voire dangereux. Réunis par le journaliste Rottet ou par ses interlocuteurs, ces textes montrent un autre réalité derrière la vitrine jeune et fantaisiste présentée par ces admirateurs d'ovnis. Bien plus sinistre. Pas question d'accuser tous les raëliens d'inceste ou de pédophilie. Mais il n'y a pas de doute qu'une partie de leur prose pourrait alléger la mauvaise conscience de celles ou ceux qui souffrent de penchants sexuels pervers envers les enfants, peut-être même leur permettre de justifier leurs actes coupables.

Ce constat établi, la question ne se posait plus. Notre journal devait refuser la publication du droit de réponse raëlien manifestement inexact, ne serait-ce que pour respecter sa charte qui lui impose de défendre les valeurs de vérité, de justice et de liberté.

Le Mouvement raëlien suisse a demandé au juge fribourgeois de nous imposer la publication de son droit de réponse. Ce qui nous a permis d'étayer sur le fond, témoins et textes à l'appui, les écrits de Pierre Rottet. Alors que les deux avocats de Raël tentaient de faire passer notre défense comme une bataille d'arrière-garde de l'obscurantisme catholique contre la liberté des meurs. Il fallait s'y attendre!

En réalité, nous nous moquons comme de colin-tampon des "galipettes entre adultes", fussent-ils terrestres ou extraterrestres. Seuls comptent pour nous les dangers pour l'enfant, que Raël tente de masquer en dénonçant la nouvelle inquisition judéo-chrétienne dont serait victime son mouvement.

Minutieux et courageux, un petit juge fribourgeois s'est donné la peine et le temps de comprendre, de lire les textes et les livres de Raël, et de trancher : « Ces écrits peuvent indiscutablement conduire à des comportements prohibés à l'égard des mineurs ». La plainte des raëliens leur revient en soucoupe volante dans les gencives. Ils vont faire recours, c'est sûr. Mais si les autres instances judiciaires devaient confirmer la sentence du premier juge, se posera alors l'ultime question : « Faut-il continuer à tolérer une telle secte? ».


« Il y aura recours »

« Mes clients sont atterrés par cette décision. Ils la trouvent d'autant plus injuste et brutale qu'on ne leur permet pas de répondre pour se défendre des attaques portées contre eux. Mais ils sont déterminés à aller plus loin. Il y aura recours civil devant le Tribunal cantonal » a déclaré hier Elie Elkaim, l'un des deux avocats de la secte à « La Liberté ». « On est dans un climat pénible pour les minorités religieuses, mais il ne faut pas que l'on aille par principe dans le sens de les réprimer. Le climat a beaucoup joué dans cette affaire », regrette l'avocat.

Son confrère Alexandre Emery, l'autre avocat du mouvement, estime que, à chaque étape du raisonnement, on a le sentiment que le président a fait une analyse unilatérale, sans jamais discuter les éléments apportés par le mouvement raëlien. Cela donne finalement le sentiment que si le mouvement n'était pas une secte, il aurait certainement obtenu ce droit de réponse. En conclusion, l'avocat confirme que le mouvement raëlien n'a pas hésité une seconde à porter l'affaire en seconde instance. Recours il y aura donc, et le Tribunal cantonal sera appelé à se repencher sur cette affaire. En attendant que peut-être, le Tribunal fédéral, voire la Cour européenne des droits de l'homme s'en saisissent.


Morceaux choisis de la pensée raëlienne

La littérature raëlienne,  aussi bien dans les écrits  de son fondateur Claude  Vorilhon (« la Bible », selon  l'avocat de la secte) que dans sa revue interne L'apocalypse (« le bulletin de paroisse ») est riche en citations sur les amours enfantines. Certaines paraissent bénignes, et parlent de tendresse et  d'amour partagé. C'est un peu ce que l'écrivain Albert Cohen appelait « la crème fouettée sur les pieds de cochon ». Un certain nombre d'entre elles sont beaucoup moins équivoques. En voici quelques exemples, qui ont été lus lors de l'audience du Tribunal civil de la Sarine.
 

Dans la « Bible » vorilhonnesque :

Et quelques autres, pêchés dans Apocalypse, le « bulletin paroissial » de la secte : A la fin d'un texte dans lequel l'auteur raconte comment son grand-père l'a initiée à la masturbation à l'âge de quatre ans :


 
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