La méditation comme un instrument de dépendance constitue
la seconde partie de l'étude sur l'Orient dévoyé,
commencée dans notre première partie.
Par Orient dévoyé, nous entendions dénoncer
l'utilisation des spiritualités orientales par de soi-disant gourous
qui n'en retiennent qu'une teinture superficielle et dévaluée
pour se constituer à bon compte ce qu'il faut bien appeler une clientèle.
En abordant maintenant l'utilisation de la méditation comme instrument
de dépendance, nous poursuivons le même objectif qui est
de faire apparaître à quel point les recherches spirituelles
les plus authentiques peuvent être utilisées à des
fins possessives, voire mercantiles, par des imposteurs dépourvus
de tout scrupule.
Parmi les sectes qui véhiculent ces dévoiements, certaines
sont parvenues çà s'attirer une audience suffisante en Occident
pour qu'il soit devenu nécessaire de faire savoir clairement que
leur message n'est que grossière caricature de courants spirituels
et mystiques dénaturés à leur profit.
Le temps passé dans le recueillement, individuel ou collectif, silencieux
ou verbal, revêt une importance capitale dans l'univers religieux
oriental. En France, les groupes actuels combinent souvent méditation
commune et méditation solitaire. Les façons de faire varient:
visualisation extérieure : flamme, fleur, photographie (Mataji,
Sri Chinmoy).
Les rassemblements peuvent prendre le style "satsang" avec témoignages
comme chez Guru Maharaj Ji ou le style "kirtan"avec chants comme à l'AICK.
Ajoutons à ces activités contemplatives des travaux plus
matériels - cuisine, entretien des locaux, administration - conçus
comme service (seva) du gourou, du groupe et du Divin. Bien sûr,
ce " yoga de l'action " devient facilement une source d'exploitation
du disciple qui trime nuit et jour à bâtir une cité
pour son dieu vivant ou, plus banalement, s'échine à repeindre
les appartements privés du maître.
Quelles que soient les méthodes utilisées, deux résultats
demeurent unanimement recherchés:
l'apaisement de l'esprit
la disparition du moi égoïste
Mais pourquoi donc se mettre à méditer ?
L'homme
fasciné
" Elle a psalmodié pour avoir une renouvelle robe et une nouvelle
voiture, et elle a obtenu les deux; et elle voulait que tout le monde le
sache " (Santa Monica news (USA) 17 juin 1988 - Prophète
pour le Profit). Pareille assertion est courante à la Nichiren
Shoshu où il est de bon ton de chercher le bonheur en consommant
davantage. Et ça marche ! vous dira-t-on. " Tenez, on ne vous
fait pas de baratin pour vous presser de venir parmi nous. On vous demande
simplement de vous asseoir et de répéter consciencieusement
notre formule sacrée. Vous verrez, vous serez vite convaincu de
la vérité de notre Bouddhisme puisque vous allez obtenir
à coup sûr le résultat souhaité. Vous voulez
de l'argent ? Vous en recevrez. Vous cherchez un appartement ? Vous l'obtiendrez.
On vous l'avait bien dit, il n'existe qu'une seule voie : la nôtre
! ". Comment l'homme de la société de consommation, privé
de véritable formation religieuse, ne s'y laisserait-il pas prendre
? Et vive le Karma-Cola (Mot composé de l'élément
"consommation" Cola et du terme sanskrit "karma" qui désigne le
cycle des renaissances basées sur les actes "karma" bons ou mauvais.
Karma-Cola est le titre d'un livre de Gita Mehta, Éditions Simon
en Shuster., 1979, Touchstone Paperback 1981) ! Nuits obscures,
déserts, sécheresses : vieilles histoires que tout cela.
Nous avons trouvé bien mieux !
Élan Vital
Et voici Guru Maharaj Ji qui, lui aussi, recommande
une méditation assidue : un minimum d'une heure le matin et le soir.
Son type de recueillement comporte quatre phases :
le Verbe, avec répétition de la formule traditionnelle
" So-ham ", " Je suis Lui " en lien avec la respiration ;
la Lumière, avec concentration sur le " troisième oeil
" entre les sourcils ;
le Son, avec audition d'une musique ou d'une vibration intérieure
;
Le Nectar savouré à l'extrémité de la langue
retournée le plus loin possible vers la gorge.
" Il y a réellement quelque chose à voir (Lumière)
à entendre (Musique) à goûter (Nectar) à sentir
(Verbe) " déclare le maître (cité
dans H. Ch. Chéry. " Ces sectes qui viennent d'Orient ", page 25).
Et voici le témoignage de deux adeptes :
Michèle : Ce que j'ai le mieux ressenti, c' est la Musique,
mais pour la Lumière, j' ai vu des dessins géométriques
qui vibraient très fort avec la Lumière dans des losanges
entrecroisés C'était très beau. Cela bougeait comme
de la Lumière vivante. Pour la Musique, d'abord j'ai entendu les
cloches qui carillonnaient ; ensuite on aurait dit un métro qui
passait sous la maison, tout tremblait, je sentais dans mon corps une grosse
vibration. Ensuite, j'ai entendu une flûte indienne à un tel
point que j'ai cru que des " prémies " (disciples) avaient mis un
disque. Cela ressemblait à la flûte que l'on entend dans le
disque " Le Seigneur de l'Univers ". Mais Maharaj Ji a dit : " Tout ce
que vous avez entendu provenait bien de vous, parce que j'avais demandé
qu'on ne fasse pas de bruit ".
Gérard : D'abord, je croyais que je partais dans une fusée,
je commençais à oublier, non pas mon identité, mais
enfin... je partais un peu comme dans un film : on se sent entouré
par un écran plein d'images, et c'étaient des dessins géométriques
qui se sont transformés en un grand soleil. Je commençais
à voir des visages à l'intérieur. Alors j'ai essayé
de savoir comment ils étaient faits, si ce n était pas Maharaj
Ji et ses anges et alors là, ça c'est estompé
(" Ces sectes qui viennent d'Orient ", page 26).
Aux sens externes de l'homme correspondent donc des sens internes qui captent
diverses expressions del'énergiedivine. " Nous
pouvons expérimenter l'Infini avec notre corps " ("
Ces sectes qui viennent d'Orient ", page 25).Seul Guru Maharaj
Ji peut ouvrir à ces merveilleuses sensations... dont la mise en
avant constitue une grave erreur si l'on en croit la tradition indienne
elle-même : " Lorsque surgissent... goûts, parfums, sons
et lumières, le yogi ne doit prêter aucune attention à
cesmanifestations surnaturelles qui l 'empêchent de rester
vigilant " ;il lui faut " surmonter cette science dépourvue
de discernement obstacle à la pure science mystique " (Shivasutra.
Commentaire de Kshemaraja (XIème siècle). Paris - Institut
de Civilisation Indienne - 1980 - verset 4). Au XIIIème siècle,
Maître Exkhart déclarait crûment : " Il est des gens
qui veulent contempler Dieu de ces yeux mêmes dont ilsregardent
les vaches... Tu aimes la vache à cause du lait et de ton propre
avantage " (Cité dans la revue Hermès,
n° 1, page 243).
La Méditation Transcendantale
Que propose, à son tour, Maharishi Mahesh Yogi, ex-gourou des Beatles
et grand maître de la Méditation Transcendantale
?
" La technique de la méditation transcendantale répond
aux besoins de l'homme moderne en lui procurant systématiquement
une plus grande clarté d'esprit davantage de dynamisme et d'efficacité
dans l'action... Elle élimine tous les stress et tensions accumulés
dans le système nerveux et enrichit tous les aspects de la vie "
(tract : " Vivre simplement, naturellement et sans stress
").
Elle éliminerait aussi guerre et criminalité à partir
du moment où l'humanité compterait un pour cent de méditants.
C'est " l'effet Maharishi "... qui semble avoir abandonné
le commando de méditants envoyé à Téhéran
pour apaiser les esprits à la fin du règne du Shah.
La Méditation Transcendantale propose aussi à ses adeptes
de léviter : " Initie-toi à la méditation et dans
deux mois tu voleras" (Le Point - 31 mai 1982 - Les Gourous
du Troisième Type). Mais les sauts de grenouille exécutés
par les méditants semblent bien loin de toute lévitation
authentique :
Pendant toute la durée des cours, nous pouvions parler tous
les jours avec les responsables de ce qui se passait. Lorsque quelques
filles se mirent à sautiller, elles exprimèrent leur préoccupation
: elles n'avaient pas vraiment l'impression de léviter, mais plutôt
de se servir de leurs muscles pour se soulever du tapis. Les responsables
nous répondirent qu'il était évident que nous utilisions
nos propres muscles : " Mais à quoi vous attendiez-vous, qu'un
petit ange vienne vous soulever ?... " Ce qui s'était déroulé ici n'était pas
de la lévitation, comme on avait bien voulu nous le faire croire,
ou comme la plupart des gens ou comme le dictionnaire la définiraient.
J'avais vu quelques films sur la glossolalie et des trucs semblables lors
d'un cours de psychologie au collège et j'avais reconnu que ce sautillement
entrait dans la même catégorie. C'est une crampe musculaire
spontanée qui est produite par l'auto-suggestion et l'ardeur religieuse...
Je me sentais vraiment idiote et imbécile car j'ai dépensé
tout cet argent (3.000 dollars) pour apprendre la lévitation, sansparler du travail bénévole et de tous les soucis
(Témoignage cité par Reinhart Hummel. Les Gourous. Édition
du cerf).
Enfin, plusieurs anciens de la Méditation Transcendantale se sont
plaints d'un recueillement si relaxant qu'il en devient anesthésiant.
Il ne couperait pas seulement dumonde extérieur mais aussi
de la réalité intérieure sur laquelle un travail doit
bien être fait pour progresser. Il y aurait mise entre parenthèses
des difficultés au profit d'un rêve très agréable...
dont on se réveillerait des années après sans avoir
le moins du monde évolué.
Les bienfaits que l'on promet ne sont pas forcément illégitimes.
Mais c'est une erreur de s'imaginer qu'ils relèvent de la véritable
vie intérieure. Si quelqu'un estime que ces pratiques méditatives
le conduisent au Divin, il se laisse amuser... et abuser ! A la question
si souvent posée : " La méditation, qu'est-ce que ça
apporte ? " la meilleure réponse serait probablement que ça
dépouille de l'inutile pour enrichir de l'essentiel.
Le
Mantra
Le mantra est une formule, disons de transformation de soi, de prière,
de contemplation. C'est un véhicule pour un au-delà de soi-même
et du monde connu par les sens. Généralement bref, il peut
aller jusqu'à se réduire à une seule syllabe. Ainsi
le plus célèbre des mantras : om, le Divin rendu sonore.
Il peut avoir une signification ou non. On le dit et redit des centaines
ou des milliers de fois par jour pour apaiser son esprit et progresser.
Mais attention ! Chaque mantra est censé relier le pratiquant
à une énergie particulière qui devrait l'éveiller
dans ses profondeurs. Il ne possède donc pas uniquement l'efficacité
apaisante - ou hypnotisante - de toute répétition. Le mantra
n'est pas neutre.
Il existe deux façons de recevoir un mantra
:
soit en entrant dans un groupe qui possède un mantra collectif,
connu de tous. On le récite ou on le chante ensemble. En voici trois
exemples :
A la Nichiren Shoshu : Nam Myoho renge kyo.
Nam Myoho (consécration au principe universel et éternel
qui régit toute chose et en qui l'on puise l'énergie nécessaire)
renge (loi d'enchaînement des causes et des effets) kyo
(continuité de la vie à travers le passé, le présent
et l'avenir).
A l'AICK : " Hare Krishna, Hare Krishna, Krishna,
Krishna, Hare, Hare; Hare Rama, Hare Rama. Rama. Rama. Hare. Hare ". -
Krishna, Rama et Hare sont trois façons de désigner le
divin.
Au Siddha Yoga : " Om namah Shivaya " - " Hommage à Shiva
".
soit en se faisant disciple d'un maître qui individualise ses mantra
et qui les adapte à la nature de chacun. Le disciple ne devra pas
divulguer son mantra. La Méditation Transcendantale
prétend se situer dans cette seconde perspective. Pourtant, il ne
s'agit plus de donner un mantra adapté à chaque personnalité
puisque les instructeurs ont commencé par se référer
à l'âge et au sexe puis actuellement ne tiennent plus compte
que de l'âge. Voici, par exemple, trois tableaux successifs sur lesquels
se sont basés les instructeurs :
Liste de juin 1971
Liste de décembre 1971
Liste de juin 1973
Âge
Masculin
Féminin
Âge
mantra
Âge
mantra
5-10
10-15
15-20
20-25
25-35
35-45
45-55
55-65
ing
inga
aing
ainga
shiring
hiring
kiring
riring
im
ima
aim
aima
shirim
hirim
kirim
ririm
10-12
13-15
16-18
19-21
22-24
25-27
28-30
31-33
34-36
37-39
40-42
43-45
46-48
49-51
52-54
55-57
58-60
61 et plus
ing
im
inga
ima
aing
aim
ainga
aima
shiring
shirim
hiring
hirim
kiring
kirim
riring
ririm
shyam
shyama
10-12
12-14
14-16
16-18
18-20
20-22
22-24
24-26
26-30
30-35
35-40
40-45
45-50
50-55
55-60
60 et plus
ing
im
inga
ima
aing
aim
ainga
aima
shiring
shirim
hiring
hirim
kiring
kirim
shyam
shyama
La récitation peut être verbale ou silencieuse. La fréquence
de la répétition doit être adaptée aux possibilités
des uns et des autres. C'est ainsi que le starets (saint homme de l'église
orthodoxe) d'un pèlerin russe lui demanda d'abord 3.000 répétitions,
puis 6.000, puis 12.000 (Récit d'un pèlerin
Russe. Anonyme - Le Seuil). Si le mantra est mal " dosé
", il peut provoquer des troubles : excitation, hallucinations auto-hypnose,
tout ce qui a été reproché à l'AICK
et à la Nichiren Shoshu.
Il semble que beaucoup de choses dépendent
de l'atmosphère dans laquelle est pratiquée la récitation
du mantra. Calme et paix semblent particulièrement souhaitables,
accompagnés, évidemment, d'un genre de vie équilibré.
S'il est vrai que la récitation du mantra de la Nichiren
Shoshu se termine par de véritables hurlements, on reste
rêveur ! Et n'oublions pas que le don du mantra n'est pas toujours
gratuit. Ainsi la Méditation Transcendantale
applique une tarification et demande de verser le quart de son salaire.
L'Éveil
de la Kundalini
Dans la perspective orientale, le corps est le réceptacle d'énergies
spirituelles endormies, dont la Kundalini. Kundalini signifie
" La Lovée ". Il s'agit en effet d'une énergie comparable
à un serpent enroulé sur lui-même. On la situe au bas
du corps, un peu au-dessous du sacrum. Le but de certains yoga est de la
réveiller. Alors, elle se déroule et se dresse pour monter
verticalement, par la colonne vertébrale, jusqu'au sommet du crâne
ou elle fusionne avec le Divin. C'est l'illumination. Mataji insiste beaucoup
sur ce processus. Si l'on en croit un spécialiste, tout cela ne
va pas sans risques :
Ma conscience était dans un tel état de flux incessant
que je ne pouvais jamais savoir comment elle allait se comporter pendant
les quelques minutes à venir. Elle s'élevait et retombait
comme une vague me soulevait pendant un moment hors des hors des griffes
de la peur, pour me projeter à nouveau, l'instant d'après
dans les abîmes du désespoir Il semblait aussi, que ce flot
de vitalité, montant jusqu'à mon cerveau à travers
l'épine dorsale et mystérieusement relié à
la région entourant la base de la colonne vertébrale, jouait
d'étranges tours à mon imagination. Par ailleurs, j'étais
incapable de l'arrêter ou d'empêcher ses effets sur mes pensées.
Etais-je en train de perdre l'esprit ? Étaient-ce les premiers symptômes
d'un désordre mental ? Cette pensée harcelante me poussait
au désespoir. Ce n'était pas tant l'étrangeté
extrême de mon état mental que la crainte d 'une folie à
ses débuts ou de quelque grave désordre du .système
nerveux qui m'emplissait d'une consternation croissante (Pandit
Gopi Krishna - Kundalini - Le courrier du livre, 1978 ; p. 73).
On comprend qu'il soit universellement admis qu'un travail aussi risqué
doive se faire avec l'appui d'un maître extrêmement expérimenté.
Gopi Krishna, que nous venons de lire, a failli y laisser la vie. Il faut
donc être très prudent avant de se confier à une personne
ou à un groupe qui prétend manipuler les énergies.
Invitation à la Vie Intense (IVI), par exemple,
fait partie de ces groupes à référence apparemment
occidentale et chrétienne qui sont plus marqués par l'Orient
qu'il n'y paraît. Ainsi ce commentaire du Notre Père et du
Je vous salue Marie qui se ramène au Yin-Yang chinois :
D'abord le Notre père, Appel au principe masculin et actif Puis, surgit de vos poitrines De vos ventres, Le " Je vous salue Marie " Invocation du principe féminin Et réceptif A la Grande Mère A la terre puissante et fertile. (IVI - Savoir
prier - page 23).
Ce groupe fait sien le corps subtil, dit énergétique ou astral,
qui influencerait en permanence notre corps physique. Il essaye d'harmoniser
des vibrations impalpables au profane pour une meilleure santé physique
et psychique. On réalise la délicatesse de l'entreprise.
L'homme
décapité
" Le mental est un requin ". C'est Maharaj Ji qui l'a dit.
Et Maharishi vient l'épauler en demandant à tous de "
transcender " un mental prisonnier d'une activité grossière(D'où le nom de son mouvement : Méditation
Transcendantale).
C'est le repos qui est la base de l'activité. Ainsi, cet
état de moindre excitation de la conscience va constituer la structure
fondamentale sur laquelle vont prendre forme les états excités
de l'esprit (veille, rêve, sommeil). Dans la pratique de la Méditation Transcendantale, I' individu
fait l 'expérience de cet état de moindre excitation au niveau
de la conscience. En effet, l'esprit s' achemine vers des états
d 'activité moindre, niveaux plus subtils du processus de la pensée,
jusqu'à ce qu'il atteigne l'état le moins excité et,
transcendant cet état, il gagne le champ illimité de la conscience,
il s'apaise dans un état de pur bonheur (Tract
- 1979 ).
Bhagwan Shree Rajneesh ne les dément pas : " Je ne vous donne
pas le savoir, je vous l'enlève. Je veux vous donner le vide
" (Rajneesh n°10 spécial - avril 1979).
" Le mal en lui-même, c'est le mental. Il n'y a pas à choisir
: conscient ou inconscient, il doit disparaître. L'Orient a toujours
essayé d'aller au-delà du mental. C'est une question d'adaptation
à l'existence elle-même " (Rajneesh n°10
spécial - avril 1979).
Ces gens n'ont pas complètement tort puisque toutes les traditions,
aussi bien orientales qu'occidentales, enseignent qu'à un moment
donné de son évolution le chercheur spirituel ressentira
un apaisement de l'intellect et de l'imagination. A vouloir rester dans
les idées et les images, on stoppe son propre progrès. Mais
à vouloir parvenir trop vite à ce dépassement des
idées et des images, on se fourvoie. Actuellement, sous l'influence
de l'Orient (et du Zen en particulier) trop d'occidentaux estiment que
" méditer, c'est faire le vide ". Ce vide forcé et artificiel
relève du domptage alors que le vrai silence intérieur est
un fruit qui vient en sa saison et que l'on ne peut qu'attendre patiemment
(" Ce que je désapprouve, c'est qu'on ait la présomption
de suspendre soi-même l'entendement. N'arrêtons pas son action
: nous resterions froids et comme hébétés, frustrés
tout à la fois de ce que nous avions et de ce que nous prétendions
obtenir... Vouloir lier de nous-mêmes les puissances de notre âme
et arrêter leur activité est une folie. " Thérèse
d'Avila - Vie - Chapitre 12).
Le mauvais maître, lui, s'ingénie à accélérer
le processus. C'est qu'il n'y trouve que bénéfice. Au lieu
de marcher au pas de son disciple, il lui demande dès le départ
d'arrêter son mental. En clair, il lui ôte toute possibilité
de réflexion, de recul et de critique. Et l'absence d'intellect
va libérer l'espace où le leader pourra déverser ses
idées, ses délires et ses angoisses. Et voilà le crâne
du disciple devenu le réceptacle des pensées du maître.
Une véritable transplantation cérébrale ! )
1er temps : vidage du cerveau ;
2ème temps : gavage du cerveau.
Ce vidage-gavage est connu: c'est le reconditionnement. L'adepte perd la
tête au profit de son escroc bien-aimé. Rappelez-vous Tintin:
" Je vais vous aider à trouver la Voie ! Rien de grave, rassurez-vous Il s'agit simplement de vous couper la tête " (Tintin
- Le Lotus bleu - p18).
Ajoutons - c'est capital - que l'Orient ne néglige pas, bien loin
de là, l'étude conceptuelle des textes sacrés. On
y accorde une grande importance, même si certains courants la minimisent
(Particulièrement les pratiquants du Zen et les Sahajayas.
Ceux-ci ont-il été pour quelque chose dans la formation de
Mataji ? Nous l'ignorons). Il est bien possible que des maîtres
dissimulent leur ignorance sous une relativisation indue du travail conceptuel.
Certains membres du Sahaja Yoga de Mataji rejetteraient
systématiquement les livres à cause de leurs vibrations négatives
(Dernière heure - 12.7.89). Et une connaissance approfondie
des " Traités " ne donnera-t-elle pas au disciple une lucidité
dangereuse pour son maître ? L'occidental cherche à expérimenter
plutôt qu'à connaître, à progresser vitalement
plutôt qu'à savoir intellectuellement. Mais l'Orient ne lui
demande pas de mépriser un enrichissement intellectuel qui restera
une instance critique bien précieuse et qui permettra d'instaurer
un va et vient éclairant entre le texte et le Gourou. S'il y a eu
des reproches à faire à l'AICK,
ce n'est certainement pas celui d'avoir négligé l'étude
puisque ses membres vont même jusqu'à étudier le Sanskrit.
On peut, par contre, s'interroger sur leur interprétation des
textes, qui reste fondamentaliste. Ils ne situent pas leurs livres saints
dans le contexte de leur rédaction. Ils accordent plus à
la transcendance qu'à l'activité humaine. Ils n'estiment
pas qu'un ouvrage inspiré relève tout entier du Divin et
tour entier de l'homme. Le pôle "origine divine" l'emporte largement...
ce qui conduit Salami Prabhupada à des positions difficilement recevables:
Tout est dans les Vedas :
Les Vedas constituent la source originelle du savoir. Il n'est aucune partie
du savoir, matériel ou spirituel qui ne procède du texte
originel des Vedas. (Srimad Bhagavatam)
Maharishi lui emboîte le pas :
" Dans la science védique, la totalité de la connaissance
est merveilleusement concertée " (Invitation au
congrès international de Paris- 1982)
La science est contestable :
" Il n'est pas question d'évolution progressive des espèces.
Toutes les espèces vivantes - hommes, animaux, oiseaux... etc. -
sont créées ensemble, en même temps que l'univers
" (" la bhagavad Gita telle qu'elle est ", 9.8).
" Malgré l'incapacité de nos sens grossiers à les
percevoir, il existe bien des êtres sur la lune, supérieurs
même à ceux qui habitent la terre " ("
la bhagavad Gita telle qu'elle est ", 8.25).
Les hommes " tentent aujourd'hui, à l'aide d'engins spatiaux,
d'atteindre la lune, entreprise d'ailleurs impossible " (Srimad
Bhagavatam, livre 1 - chap. 10 - verset 27).
... et un instituteur de l'école d'Oublaisse d'enseigner " qu'il
y a de cela des millions d'années, la surface de la terre était
couverte de diamants " (Visite à
l'école des dévots de Krishna).
L'homme
dénoyauté
Rien de plus étranger aux charlatans de l'âme que d'aider
l'autre à devenir lui-même, à se trouver peu à
peu à longueur de vie. Le despote religieux ne se préoccupe
pas de son disciple, mais de lui-même. Il n'y a que lui. Qu'a-t-il
à faire des autres ? Il s'efforce donc de centrer ses adeptes sur
sa propre individualité et il entreprend une vaste opération
de photocopiage. La dépersonnalisation vient alors compléter
la décérébralisation. Encore un usage perverti d'une
vérité unanimement reconnue: l'homme doit marcher vers moins
d'orgueil, moins de considération de soi, moins d'esprit propriétaire.
L'Orient va même plus loin : il demande de quitter le moi habituel,
celui qui fait dire : "Je mange, je bois, je souffre... etc.". Ce
moi est considéré comme petit, mesquin, égoïste
et séparateur. Il lui faudra donc, un beau jour, laisser place à
une Réalité moins resserrée. Aussi Rajneesh
critique-t-il la psychologie occidentale :
Elle continue à penser en termes d'ego, comment le rendre
plus fort, mieux enraciné, plus centré. Alors qu'en Orient
l'ego en lui-même est considéré comme une maladie
( Rajneesh n° 1- avril 78 )
Il s'agit donc de " saper les fondements de l'ego " (Article
non signé : "la Grande aventure de Bhagwan Shree Rajneesh").
Mais un retournement aussi radical ne saurait se produire qu'au terme
d'un processus extrêmement long - sauf exceptions rarissimes (Par
exemple le grand maître du sud de l'Inde Ramana Maharshi).
Il serait donc gravement erroné de vouloir " pousser " artificiellement
les choses. Pourtant, prétextant confiance et abandon, de soi-disant
gourous harcèlent leurs disciples de critiques de l'ego : " Tu
ne partages pas mon avis, c'est ton ego. Tu me critiques, c'est ton ego
".
"Donnez-moi votre amour et je vous donnerai la paix. Laissez-moi
les rênes de votre vie et je vous donnerai une paix qui ne finira
jamais. Remettez les rênes de votre vie entre mes mains et je Vous
délivrerai de vos souffrances · (Guru Maharaj
Ji. Cité dans "Ces sectes qui nous viennent d'Orient" p 28)
L'argument " ego " permet au responsable de plier les autres à
sa volonté tyrannique :
" J'étais complètement apathique, je m'en foutais,
j'espérais et croyais seulement que Bhagwan dirigerait mon avenir.
Je dois me soumettre. Je dois me soumettre... Quand Sandesh (son ami) me
suggéra de prendre un sac de cannabis avec moi pour le voyage, je
me soumis. Je voulais me soumettre... je pensais que me jeter dans l'inconnu
d'une manière si radicale... c'était la soumission absolue
à Bhagwan, à Dieu. Lui seul déciderait ce qui m'arriverait
(Témoignage de Virginia, ancienne adepte de Rajneesh).
L'Occidental, assoiffé de résultats rapides, se croit entre
les mains d'un maître à la page. Hélas ! La personnalité
du maître est en train de se substituer à la sienne. Ainsi
de Virginia qui avait reçu de Rajneesh le nom " religieux " de Bianca
:
" Au début c'était facile, c'était beau. Bianca
vint à la vie, naquit. Mais Virginia n'était pas encore morte.
Elle se débattait. Je voulais laisser tomber totalement mon ego
afin de m'en remettre au Maître. Virginia n'y arrivait pas - mais
elle était influencée. Elle n' était plus capable
de penser clairement, de prendre des décisions. Il lui arrivait
de dire, de penser les choses les plus bêtes. Bianca ne pensait pas
du tout. Bianca écoutait la voix intérieure, celle du Bhagwan.
Mais Virginia l'interrompait toujours. par exemple, une fois que j'étais
à l'écoute de la voix de Bhagwan en moi il me dit de respirer.
De respirer totalement, de me concentrer sur la respiration d'oublier toute
autre chose de remplir mes poumons d'air et de laisser l'air en sortir,
fortement et rapidement. A la fin j'étais hors d'haleine, mes jambes
commençaient à me faire mal, il faisait terriblement chaud
- j'étais absolument vide, hors de moi-même, et pendant tout
ce temps, Bhagwan, à l'intérieur de moi, disait : ' Continue,
continue à respirer ' et Virginia criait, hurlait en moi ' arrête,
arrête, va-t-en et prends une douche, c est assez, arrête !
'. Je ne me souviens plus comment cela a fini " (Témoignage
de Virginia, ex adepte de Rajneesh. 15.8.79).
Par ailleurs, on ne demande pas à quelqu'un de dépasser son
moi s'il n'en a pas encore - ou si, du moins, son moi reste fragile. Par
définition, on ne peut aller au-delà du moi que si celui-ci
existe déjà ! L'étape d'une structuration autour d'un
centre ne peut pas être brûlée, et cela aux dires mêmes
d'un maître contemporain : " Quand nous avons dépassé
l'individualisation, alors nous sommes des Personnes réelles. L'ego
fut une aide; I 'ego est l'entrave " (Sri Aurobinde.
Pensées et Aphorismes - tome 1 - page 1). "L'ego fut une
aide" : on ne peut donc pas le déclarer mauvais en tout temps.
Demander à quelqu'un la mort d'un ego encore en gestation, ce n'est
pas l'engager sur le chemin de son identité mais le mettre sur la
voie de la Restructuration. Écoutons encore Virginia :
" Tout l'ashram forme un groupe - c'est un lavage de cerveau collectif
; pas à pas vous pénétrez dans quelque chose que vous
ne connaissez pas mais où vous avez confiance en tout le monde en
n 'importe quoi. et vous finissez par ne plus savoir qui vous êtes,
où vous êtes, ce que vous êtes.
C'est ce que j'ai entendu dire quotidiennement pendant cinq mois
- aussi bien par Bhagwan que par tout le monde et, à la fin, par
moi-même aussi.
Arrêter de penser, tuer l'ego. Et pour moi : tuer Virginia.
Tuer Virginia et laisser Bianca venir à la vie. Virginia, cette
personne anxieuse, perdante, sensible, qui s'entremettait toujours, cette
part de moi-même qui perturbait l'autre partie, qui disait toujours
non, qui était un grand, très grand non, qui toujours, toujours
essayait de me faire régresser à mes vieilles habitudes,
limites et devoirs - combien je la haïssais (Témoignage
déjà cité de Virginia).
Jamais Virginia n'en serait arrivée là si Rajneesh
avait appliqué certaines de ses belles déclarations :
" Il faut obéir au maître, puis il faut tuer le maître
". Et encore : " La vérité d'un autre n'est pas votre vérité...
Je ne suis pas votre propriétaire mais votre ami... Lorsque votre
propre lampe sera allumée... il n'y aura plus de disciple, plus
de gourou, plus de 'moi' plus de 'vous'... Il ne restera plus que le Divin.
Lorsque le maître et ledisciple auront tous deux disparu,
ce sera la première rencontre avec La vérité " (Rajneesh
n° 10).
Cette autre citation semble mieux correspondre à ses intentions
:
" Je dois vous tuer pour que vous renaissiez. Poona (Ville
où se trouve l'ashram indien de rajneesh) n'est pas une
démocratie et j'exige de chacun de vous une soumission totale à
mes ordres " (Cité dans Le point - 31 mai 1982).
Et une affiche de l'ashram proclamait :
" Se dépenser dans le travail pour Bhagwan est comme un orgasme
permanent " (Cité dans Le point - 31 mai 1982).
Cette proposition d'une existence sans autonomie peut séduire à
l'extrême ceux qui se refusent à entrer dans une vie adulte.
Ils trouvent la dépendance bien confortable et ils souhaitent demeurer
dans un sein maternel. Ainsi naissent des troupeaux d'adeptes plus que
des communautés de disciples. Ces gens sont comme possédés.
Ils sont sous influence. Ils vivent dans - et de - l'emprise d'un autre,
dans l'univers trop bien connu de la dépendance sectaire. On se
drogue au gourou. On se shoote au gourou. " Plus j'y goûte, plus
j'en veux " proclamait un adepte lors d'un satsang de Guru Maharaj
Ji.
Pour
conclure
Au terme de ce dossier qui met en cause de nombreux groupes contestables
issus ou inspirés de l'Orient, on se méprendrait sur nos
intentions si l'on en déduisait que nous avons voulu démontrer
que tout ce qui vient de l'Orient est intrinsèquement pervers et
dangereux.
Notre propos n'était d'ailleurs évidemment pas de nous
livrer à une étude sur les spiritualités orientales
ni même sur les sectes qu'elles ont engendrées. Plus modestement
et dans la ligne du bulletin qui les a accueillies, nous nous sommes proposés
de dénoncer les imposteurs qui se parent des couleurs de l'Orient
pour mieux séduire des esprits avides d'idéal et les amener
ainsi par leur adhésion à enrichir matériellement
ces mauvais maîtres et ces faux gourous.
Notre démarche a donc été la même que celle
qui nous amène en d'autres occasions à combattre les sectes
issues tout aussi bien du Christianisme ou de l'Islam dans la mesure où
leurs porte-parole ne sont en fait que des prédateurs.
Bouddhisme, Hindouisme, Taoïsme, Shintoïsme - pour nous en
tenir aux grands courants - sont des voies spirituelles dignes de respect
qui n'ont rien à voir avec les escrocs qui leur empruntent cyniquement
quelques bribes mal digérées de vocabulaire ou de doctrine
ou les illuminés qui, d'abord victimes de leur propre divagation,
prennent ensuite plaisir et intérêt à abuser desadeptes sans méfiance.