Je voulais observer le mode de vie des enfants entraînés
par leurs parents dans des sectes. A priori, je m'attendais à des
difficultés pour établir le contact et il n'en a rien été
: les responsables de la communauté Krishna d'Oublaisse m'ont accueilli
chaleureusement et ont tenu à ce que je reste une journée
entière chez eux. J'avais prévenu que je souhaitais voir
leur école. Voici mes observations.
L'école est un bâtiment de plain-pied en préfabriqué,
situé à 200 mètres du château d'Oublaisse appartenant
à l'Association Internationale pour la Conscience de Krishna (AICK).
Notre guide nous demande d'enlever nos chaussures que nous laissons avec
celles des enfants, puis, frappe à l'une des portes. Un jeune homme
souriant nous ouvre et se présente sous son nom hindou. Il me propose
de m'asseoir à un pupitre vide parmi les enfants. Les fillettes
se lèvent, se prosternent devant moi et se rassoient. Elles continuent
la dictée commencée quelques minutes avant notre arrivée.
L'école comprend cinq petites salles de classe ayant chacune
8 à la pupitres. Deux tranches d'âge sont déterminées
pour l'enseignement : les 6/10 ans et les 10/15 ans, la première
correspondant au cours élémentaire et la seconde au cours
moyen. Deux classes sont anglophones et les trois autres francophones.
Deux sont mixtes, celles des 6/10 ans. Les autres ne le sont pas, les fillettes
étant considérées comme de jeunes adultes, donc ne
côtoyant pas le sexe opposé.
Le contenu
A mon arrivée, je constate que je suis avec des fillettes francophones
de 10/15 ans. Elles écrivent un texte dicté par l'instituteur.
C'est un extrait du Bhagavatam, un des livres saints du mouvement. En voici
la première moitié : " Les notions de Dieu et de Vérité
absolue ne sont pas exactement de même nature bien qu'elles s'attachent
toutes deux à la même réalité. Le Shrimad Bhagavatam,
quant à lui, prend pour objet la Vérité absolue. Dieu
désigne le Maître suprême... ". La dictée terminée,
l'instituteur l'écrit au tableau et chaque élève corrige
les fautes faites. Aucune explication n'est donnée, que ce soit
au niveau du vocabulaire ou de la grammaire. La correction achevée,
il leur demande de ranger leur cahier de français et de prendre
celui de géographie. Il annonce le thème qu'il va traiter.
Aujourd'hui, ce sera l'énergie. Voici quelques courts extraits des
propos du maître et des réactions des élèves
:
L'instituteur : A l'âge d'or, il y a de cela des millions
d'années, la surface de la terre était couverte de diamants...
Au fur et à mesure des siècles, la terre donne de moins en
moins de richesses, car l'homme les prend... Pour trouver actuellement
des énergies nouvelles, il creuse donc à la surface de la
terre mais, à long terme, c'est dangereux car de tels trous pourraient
causer un déséquilibre de la planète. L'homme extrait
actuellement du sol, du gaz et du pétrole.
L'élève : C'est quoi du gaz ?
L'instituteur : C'est comme l'air mais en plus, tous les gaz ne
sont pas pareils. Certains sont produits par les hommes... Ceux-là
sont mauvais, ils contiennent des toxines... Le soleil peut alors se voiler
et la vie devenir très nocive.
L'élève : C'est des scientifiques qui ont dit ça
?
L'instituteur : Non. C'est le Baghavatam. Vous savez que la terre
a plein d'énergies différentes et qu'elle les retient par
l'intermédiaire de ses dévas.
Moi : Qui sont les dévas ?
L'instituteur : Des esprits supérieurs. Nous parlions des
gaz. Eh bien, quelquefois au Japon, l'air devient tellement nocif que les
habitants mettent des masques.
Plusieurs élèves étonnés échangent librement
leurs remarques. Le maître les laisse quelques minutes puis leur
demande de se taire. L'instituteur parle alors de l'industrie et les élèves
lui demandent : " C'est quoi, importer ", " C'est quoi, des textiles ".
Puis, l'instituteur fait une petite pause avant de parler de deux formes
d'énergie actuelle, l'énergie nucléaire et l'énergie
solaire et il parle ensuite des minerais pour terminer par la pierre philosophale.
L'instituteur : Vous vous souvenez de la pierre philosophale. Cette
pierre avait le pouvoir de changer en or les objets qu'elle touchait. On
en parle dans le Baghavatam. Un vieux berger plein de sagesse l'avait trouvée.
Il s'en servait pour le bien. Un jour, la pierre a disparu et personne
ne l'a jamais retrouvée.
Les fillettes intéressées par ce qui vient d'être dit,
parlent entre elles en évoquant d'autres histoires du Baghavatam.
Il est 13 heures 15, la cloche sonne. Les élèves
quittent la pièce, vont dans le hall remettre leurs chaussures et
se dirigent vers le château. Je reste avec l'instituteur dans la
salle de classe pour obtenir d'autres renseignements sur l'éducation
des enfants. Chaque élève a un manuel de mathématiques,
de géographie et de sciences naturelles ainsi que plusieurs cahiers
pour les matières d'orthographe, mathématiques, histoire,
géographie, sciences naturelles, sanscrit. Une heure est en effet
réservée au sanscrit chaque semaine. Les enfants ne mémorisent
rien car, me dit l'instituteur, " le monde étant passager, s'attarder
sur l'histoire et la géographie est inutile... Le but de l'éducation
védique est de libérer l'être de la naissance, de la
maladie et de la mort ".
Un tel enseignement est surprenant par plusieurs aspects. Tout
d'abord, certains termes du vocabulaire employé ne nous sont pas
familiers car ils sont tirés d'ouvrages hindouistes lus par les
dévots. De plus, les enfants les connaissent alors que certains
termes de notre vocabulaire courant leur sont étrangers. De plus,
le contenu de l'enseignement est particulier. En feuilletant le cahier
d'orthographe d'une des élèves, j'ai remarqué que
chaque dictée est extraite de la Bhagavad-Gita ou d'un tome du Baghavatam.
Les conjugaisons de verbes font appel à des notions religieuses
: " avoir du pragadam ", " être un dévot ", " faire sanhirtan
" servant de base à l'étude des temps composés. Il
faut noter enfin l'orientation marginale de l'instituteur. Le cours de
géographie auquel j'ai assisté ne tient pas compte des réalités
géologiques et historiques de notre planète. Le mythe et
la réalité sont étroitement mêlés. De
plus, parmi les éléments réels étudiés,
beaucoup sont choisis par rapport aux croyances du mouvement. Par exemple,
les villes françaises considérées comme importantes
sont celles où se trouvent les ashrams de la secte, l'histoire et
la géographie de l'Inde sont limitées à l'histoire
des maîtres spirituels antérieurs à Prabhupada (fondateur
de l'AICK) et à la connaissance des lieux où ils ont vécu.
Cet enseignement fonde la marginalité de ces enfants en
creusant le fossé par rapport aux valeurs dominantes de la société
environnante.
Cette école est une école privée hors contrat,
elle n'est pas soumise aux contrôles pédagogiques pour fonctionner.
Les instituteurs étant diplômés et les locaux conformes
aux règles d'hygiène et de sécurité, elle peut
recevoir un agrément officiel.
Les horaires scolaires
Après avoir transcrit le contenu des enseignements, il convient
de donner l'organisation horaire d'une journée :
3 h 30 : Réveil, douche.
3 h 30 - 4 h 30 : Visite au temple en compagnie des adultes. Incantations.
4 h 30 - 7 h 30 : Lecture du Baghavatam au temple. Tous les enfants et
les adultes y assistent.
8 h 30 : Petit déjeuner en compagnie des adultes. Les femmes dans
une pièce, les hommes dans une autre.
9 h 30 -13 h : Enseignement.
13 h - 13 h 30 : Déjeuner en compagnie des adultes.
14h30 - 16h30 : Activités dirigées dans des ateliers (bricolage
et judo pour les garçons, cuisine, tissage et couture pour les filles.
16 h 30 - 17 h : Douche.
17h 30-18h : Lecture du Bhagavatam faite par un adulte exclusivement pour
les enfants.
18 h : Coucher des enfants de 6/l0 ans, les l0/15 ans se couchant en même
temps que les adultes à 20 h 30.
Cet emploi du temps est le même tous les jours de la semaine sauf
le dimanche, journée sans école et que les enfants passent
habituellement avec leurs parents. Cinq des huit fillettes que j'ai rencontrées
voient leurs parents une fois par mois, ceux-ci vivant dans un autre ashram.
Tous les enfants scolarisés ont un mois de vacances en juillet qu'ils
passent en compagnie de leurs parents à visiter d'autres ashrams.
J'ai demandé la raison de l'octroi d'un seul mois de congé
scolaire. On m'a répondu que " passer trop de temps sans fréquenter
les énergies spirituelles est nocif pour les enfants ". Les contacts
avec le monde extérieur sont très limités. Deux fois
par mois, un groupe d'enfants et d'adultes se rend à Tours ou à
Châteauroux pour se faire connaître du public. Ils distribuent
alors leurs revues en chantant et en dansant au son de leurs instruments.
L'enfant face au Dieu Krishna
Enfants et adultes vivent dans un climat où la présence du
surnaturel est permanente. Il en découle un sentiment tout imprégné
de merveilleux. Celui-ci est le produit du cadre, de l'habillement, du
rituel, des actions de la journée.
Comme les adultes, l'enfant est habillé à la mode
indienne, les petites filles, dès deux ans et demi, portent le sari
et sont délicatement maquillées comme les autres femmes.
Les petits garçons gambadent en dothis, la mèche rituelle
derrière leur crâne rasé. La différence et l'étrange
ne proviennent pas seulement de l'habillement mais aussi du rite. Ils ne
passent jamais plus de trois heures et demie sans prier en groupe. Quatre
heures dans la matinée sont passées au temple au milieu de
la ferveur des adultes, dans le décor chargé d'un temple
hindou. Au début du repas, ils participent à des libations
en l'honneur du Dieu Krishna et au cours de l'après-midi, il leur
arrive souvent de réciter le mantra de base. Ils vivent de plain
pied avec la divinité.
Il me semble que cette éducation (qui a pour but d'amener
les enfants à avoir à l'âge adulte une vie ascétique)
combine, en proportions à peu près égales, avantages
et inconvénients. Si elle leur apporte quiétude et régularité,
si elle les fait vivre dans un monde heureux, plein de bienfaisantes créatures
de Krishna, elle les plie à une rude discipline et creuse l'écart
avec notre société contemporaine dans laquelle, s'ils le
voulaient plus tard, ils auraient grandes difficultés et grandes
souffrances pour se réinsérer.
Depuis la rédaction de ce rapport et peut-être
en partie grâce à lui, des améliorations ont été
apportées au mode de vie des enfants et en particulier aux horaires
du lever. (NDLR).