" Pour mes trois enfants, rendez-moi mon argent ", disait la pancarte qu'elle avait fixée sur sa voiture... Pour étouffer l'affaire, les Scientologues ont préféré lui rembourser les quelque quatre cent mille francs qu'ils lui avaient soutirés. Claude Junqua raconte ici plus en détail sa longue et triste aventure.
(voir aussi l'article de La Croix Eglise de Scientologie, le combat d'une femme, et Interview d'un couple d'ex-scientologues sur France 3).
Dans les années 1980-1981, alors que je suis étudiante aux Beaux-Arts de Toulouse, un ami me prête le livre de Ron Hubbard, la Dianétique. J'accroche totalement et suis séduite par le travail technique de l'audition.
A la mission de Toulouse où je me rends pour la première fois, un membre du personnel de la Scientologie d'Angers qui se trouve là me propose d'expérimenter la technique exposée dans le livre dans un séminaire de deux jours. Pour deux cents francs seulement, je peux " auditer " et améliorer les aptitudes des gens grâce à l'audition. Je n'en reviens pas et décide de m'y rendre.
A Angers, entre deux séances, au cours de la première récréation, un des participants qui appartient au siège de Copenhague m'offre de signer un contrat de membre du personnel et me vante tous les avantages de travailler au coeur de l'organisation.
Mais les cours me plaisaient et m'apportaient beaucoup. Au bout de deux mois, ils étaient terminés. On me propose un peu " d'audition " en guise de récompense. A ce moment, le directeur d'Angers me rappelle de toute urgence. Son superviseur venait de s'enfuir. Toute déçue, j'ai quand même obéi.
Mon poste devenait très lourd à supporter ! Très vite, j'ai été en désaccord avec mon " ténor ", supérieur hiérarchique, à cause du stress qu'elle me faisait subir en me poussant à faire des choses contre ma volonté. Mais, comme dans le groupe personne ne se rebiffait, je pensais que mes réactions n'étaient pas normales.
Le poste que je tenais me donnait droit à un temps d'audition journalier ; j'ai alors commencé la procédure de " purification " qui est censée éliminer les effets nocifs de toutes drogues et médicaments.
Le stress devenait intolérable. Par exemple, pour arriver à manger suffisamment en qualité et en quantité, pour supporter le travail " sur poste ", pour supporter les heures sur la " purif "... Pour 10 à 12 heures de travail par jour, ma paye était de cinquante à deux cents francs par semaine, avec un seul jour de liberté. Malgré tout cela, je faisais confiance, j'avais de bons résultats, je remplissais enfin les salles de cours.
Financièrement, je trouvais bizarre qu'avec tous les millions qui rentraient chaque semaine dans la mission, les factures soient payées avec retard, qu'il y ait des difficultés de cet ordre. Mais je ne mettais pas en doute leur honnêteté. Je répondais à leur demande de participation pour pallier ces difficultés et j'acceptais de distribuer des prospectus dans toute la ville, en plus de mon travail habituel. Je me souviens d'avoir été obligée de distribuer des tracts, enceinte de 8 mois, chargée d'énormes sacs. Si j'avais refusé, j'aurais été traitée comme une pestiférée, mise " en éthique " (section de la Scientologie qui est censée appliquer la justice), d'où l'on ne sort que si on est réhabilité aux yeux du groupe, en exécutant de gros travaux physiques, et, bien sûr, en étant moins bien payé, voire pas de tout.
Et nous sommes partis, déstabilisés par ce que nous avions vécu, sans but précis sur ce que nous allions faire. Nous nous sentions coupables de ne pas agir pour sauver la planète. Et, relancés par Angers, nous y sommes repartis. A ce moment, nous étions persuadés que les problèmes passés ne venaient pas de nous.
De nouveau, j'exprime mon souhait de devenir auditeur, puisque Ron Hubbard désignait ces personnes-là comme étant les plus valables de la planète. Contre mon gré, on me demande, une fois de plus, de reprendre mon poste de superviseur. Le directeur nous prend à part dans son bureau et nous dit : " Bon, c'est bien, vous êtes mariés, mais vu le contexte, je vous demande de ne pas faire d'enfant pour l'instant... ". Nous avons été soufflés par ce discours, mon mari et moi. Bien sûr, je me suis trouvée enceinte tout de suite, A ce moment-là, il a été décidé que je recevrais l'audition pour femme enceinte tout de suite. Cette audition, une fois de plus, n'a pas marché. Parallèlement, ça n'allait pas sur mon poste. Le responsable m'a alors expliqué que rien ne pourrait marcher si je n'étais pas " éthique "... Comme ils ne savaient pas quoi faire de moi, à quinze jours de mon accouchement, ils ont demandé à mon mari de m'emmener prendre l'air.
Après mon accouchement, sans problème, un membre de Copenhague nous propose de travailler au Danemark, me laissant l'espoir de devenir auditeur. " Si tu le veux vraiment, me dit-il, tu le seras ". Espoir déçu encore : on m'a mise comme superviseur. J'ai travaillé à leur rythme alors que je venais d'accoucher depuis dix jours. Pourtant, même en Scientologie, il est de règle de laisser un mois complet à la maman. Ce mois m'avait été promis !
Ici s'arrête la période " membres du personnel " et nous allons commencer la non moins périlleuse période " public ". Le public, c'est celui qui travaille à l'extérieur, possède une fortune, des biens et/ou un très bon salaire.
Quand la nouvelle que nous voulions devenir publics s'est propagée, deux membres de l'église de Scientologie d'Angers sont venus nous voir. Nous avions des dettes et n'avions pas les moyens d'acheter les services en tant que publics. Il a alors été décidé que nous ferions des emprunts. Comme je n'en avais jamais fait, les deux membres d'Angers m'ont accompagnée à la banque. Leur empressement me semblait normal sur le moment, vu le peu de temps qu'il nous restait pour sauver la planète. Pour nous, il devenait obligatoire de devenir membres de l'IAS (Association Internationale de Scientologie). Son but est de collecter de grosses sommes pour se défendre des attaques dont les églises de Scientologie étaient l'objet. On pouvait être membre annuel ou à vie. On pouvait aussi être " patron " (avoir fait un don de 250.000 F). On nous encourageait vivement à devenir membres à vie. Cela nous donnait des privilèges et plus de considération. Une carte à vie coûtait 12.000 F. Il a fallu faire un emprunt de 24.000 F en plus de l'emprunt pour rembourser nos dettes. J'ai eu mon troisième enfant. L'entreprise marchait.
J'avais commis l'erreur de dire, au Danemark, que je pensais avoir atteint un certain niveau dans l'audition. Ce qui me valut, fin 86, la visite d'un membre de l'AOSH (organisation chargée de délivrer l'audition aux publics) pour me dire que, justement, un procédé venait d'être mis au point pour vérifier l'état " d'audition ". Ce procédé était à un prix promotionnel... Pour douze heures et demie de préparation à l'audition et, pour les cinq heures prévues par le procédé, je n'avais qu'à donner 25.000 F. C'était la carotte idéale ! Je m'arrange, en accord avec mon mari, pour rassembler les fonds. Ce " procédé " ne devait durer que dix jours. J'organise mon voyage. Je laisse mon mari avec les deux aînés et je pars avec le dernier de dix mois. Tout était prêt pour m'accueillir. Etant " public " et membre de l'IAS, je pensais que le tapis rouge serait déroulé sous mes pieds, comme on nous le laissait entendre lorsque nous étions membres du personnel. Déception ! Personne pour m'accueillir... Pas de chambre pour moi, pas de place à la nursery, comme c'était pourtant convenu. Je finis par avoir à prix d'or une chambre sale où il manque la clé. Aucun dossier pour moi. Etant public, j'ai osé réclamer et exprimer mon mécontentement. Le groupe s'en fichait : j'avais payé d'avance (en payant d'avance, il y avait une remise de 5 %). Je passe l'éponge, me disant que ce ne sont que des détails matériels.
Au bout de cinq jours, coincée dans la salle d'attente, j'apprends que je ne peux obtenir le procédé que j'espérais... je dois en recevoir un d'un niveau inférieur. C'est la douche froide, mais je suis obligée d'en passer par là. Les dix jours prévus s'écoulent. Au bout de cinq semaines, je n'avais toujours pas obtenu le résultat promis et, de plus, j'ai dû emprunter encore à d'autres publics 40 ou 50.000 F.
Au bout de cinq semaines, mon mari, voyant que j'étais prise dans un infernal cercle vicieux, m'a persuadée de rentrer. Mais les responsables ne voulaient pas que je parte, me disant que ce serait dangereux pour moi d'arrêter le procédé en cours de route. Mais je suis partie. Arrivée en France, j'ai alerté les membres haut placés de la Scientologie à Los Angeles ; je croyais qu'il y avait une vraie justice en Scientologie. Les événements qui auront lieu par la suite me détromperont. Je n'avais toujours pas l'idée de demander justice à l'extérieur de la Scientologie. Mais je commençais à me poser des questions : " Y a-t-il eu manipulation ? Abus de confiance ? Escroquerie ?... ".
En octobre 87, nous sommes informés de ce qu'un congrès international d'IAS aura lieu à Paris pour réunir tous les Scientologues. Des nouvelles de l'expansion de la Scientologie nous seraient données. Les bonnes nouvelles seulement, car on ne donne que les bonnes nouvelles ; ou alors, les mauvaises quand ils ont besoin de notre contribution financière. Pendant le congrès, un Scientologue fait un briefing sur le rôle (?) miraculeux qu'est celui de " patron " de IAS, citant des cas de personnes qui, une fois patrons, ont reçu des honneurs ou ont eu, comme par magie des gains de toutes sortes. Cela touche mon mari. Quant à moi, le directeur de l'AOSH me relance en me disant que c'était grave pour moi de rester avec un procédé inachevé. Il avait mis le doigt juste sur le point sensible, m'affirmant que pourrait être terminé en très peu de temps. J'étais dans un tel état psychique, tellement bouleversée, qu'il me fallait absolument cette audition. Le directeur me laisse entendre que l'issue serait immédiate. Bien sûr, cela ne coûterait que 10.000 F pour cinq heures. Je bataille pour avoir de l'argent, mais cette fois-ci, je prends mes précautions : je ne monterai que pour trois jours. Je ne donnerai pas un centime de plus. J'avais pris mon billet de retour en avion daté pour être sûre de ne pas flancher et juste l'argent pour trois nuits d'hôtel. Tout ceci était bien clair aussi avec mon mari.
Dès mon arrivée, je passe à la caisse, la trésorière me fait signer un papier sans rien m'expliquer ni me donner de double. Je suis tellement obnubilée de savoir que d'ici cinq minutes, je serai avec mon auditeur que j'aurais aussi bien pu signer mon arrêt de mort sans m'en rendre compte et... j'attends. J'ai attendu... trois jours. J'étais furieuse, anéantie, mais impuissante. Trois heures avant mon départ en avion, l'auditeur est venu me chercher ; une fois seule avec lui, j'ai craqué totalement - j'ai dit : " je dois partir " - alors l'auditeur, un adjoint de la direction et deux autres membres qui passaient par là m'ont prise dans un bureau et ont essayé de me persuader de rester. Ils ont tout essayé pour me faire fléchir, voulant même que je téléphone à mon mari ; cela a été très éprouvant de résister, mais j'y suis arrivée et suis partie à toute vitesse - je n'ai même pas pensé à me faire rembourser.
Les deux huiles de l'IAS nous ont alors exposé le plan que suivent tous les patrons. Il fallait de nouveau faire des emprunts si nous voulions être actifs tout de suite. Je vais à Paris où deux membres d'IAS avaient tout mis en place pour me guider dans mes démarches. La filière des banques à contacter était établie, mon dossier standard était prêt avec des factures fabriquées, pour l'occasion, par d'autres Scientologues (dans mon cas, c'était des factures de cours d'art délivrées par un Scientologue responsable d'une école de graphisme). Ils m'ont mise aussi au courant de l'existence de " prêts étudiant " qui étaient à la mode à Paris à ce moment là. J'ai foncé en toute innocence, ne pensant pas un seul instant que des Scientologues pourraient faire des choses illégales.
Dès les premiers pépins, ils m'ont laissée tomber - j'ai alors réalisé que la seule chose qui les avait intéressés chez moi, c'était mon potentiel financier, physique et moral. Une fois endettée, ruinée, déstabilisée, du jour au lendemain, plus personne ne m'a contactée. Je suis une pestiférée qui a causé du tort à leur groupe et, comme par hasard, personne ne se soucie de mon bien-être mental alors qu'avant, cela les passionnait.
Je baigne dans une angoisse jamais connue auparavant. Le 24 août, je traverse la France seule en voiture, dans un état physique lamentable. Le 25 août, je m'installe le long du trottoir, rue de Dunkerque, avec un canon à dessin sur lequel j'avais écrit : pour mes trois enfants, rendez-moi mon argent ! Deux minutes à peine après, la présidente de l'église sort et me dit : " Bonjour Claude, que tu as maigri ! (sic), que fais-tu ici ? ". Elle essaye de me faire rentrer dans les locaux, je refuse, on va dans un café, elle essaye plusieurs manipulations sur ma personnalité (ils appellent cela des maniements), elle me dit entre autres : " Ça rime à quoi, Claude, ce cinéma, tout ce que l'on va faire, c'est appeler la police et on t'embarquera ". Je réponds : " Appelez-la, j'aurai des choses à lui raconter ". Le 27 août, n'ayant toujours rien obtenu, je m'installe dans ma voiture, devant l'église de Scientologie, mettant sur chaque vitre " grève de la faim ".
Auparavant, je m'étais mise en règle avec le commissariat du quartier. Commence l'attente dans l'angoisse. Connaissant bien les techniques des Scientologues, je savais qu'ils préparaient une attaque. En effet, au bout de quelques minutes, une voiture de police s'arrête, C.W. (pour ne pas la nommer) sort, comme par miracle, au même moment de l'église. Je montre aux policiers mes papiers, le récépissé de ma déclaration, je peux rester, C.W., avec un manque de courtoisie évident, leur demande, n'osant y croire : " Comment, vous ne l'embarquez pas ? ", ce à quoi ils répondent : " Non, cette dame est en règle ". Une passante s'en mêle et me demande alors : " C'est vrai ce que l'on dit, ce sont des escrocs, là-dedans ? " C.W. l'éconduit. Je suis trop fatiguée pour m'en mêler, puis C.W. tente de " m'introvertir " avec des tas de termes scientos, pensant que je réagirai encore, je réponds encore, je réponds avec un calme apparent : " Tu peux hurler, ce que je fais est légal, je suis pacifique mais je ne quitterai les lieux qu'avec mon argent ". Je passe encore une journée d'angoisse où l'on me tient avec des promesses.
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