(Journal des psychologues n°174, Février 2000 - Par
Sonya Jougla - Psychologue clinicienne, Psychothérapeute, Victimologue,
Chargée de cours en médecine légale à l'université
Paris V et à l'université Claude Bernard à Lyon
Introduction
Spécificité des victimes de sectes
Adeptes non conscients d'être victimes
Adeptes conscients d'être victimes
Victimisation sectaire
Attentes du futur adepte
Facteurs favorisant l'adhésion
Ma pratique professionnelle de psychologue clinicienne et de psychothérapeute
m'a amenée depuis vingt-cinq ans à entendre la détresse
psychique et physique d'anciens adeptes.
Tout au long de leur psychothérapie a été mise au jour
une dangerosité insidieuse, qui ronge la victime jour après jour,
comme un cancer, et entraîne tout doucement une lente destruction de sa
personnalité. Les dégâts de la mécanique sectaire
ne se limitent pas aux seuls adeptes, ils touchent bien évidemment les
enfants vivant dans les sectes, mais aussi les enfants vivant hors des sectes
avec l'un des parents non adepte, les conjoints, les grands-parents, l'entourage
et le corps social.
Trente-cinq à quarante pour cent environ de mes patients ont été
" entamés " par la dangerosité sectaire. On peut les
regrouper en trois types de patients, demandant de l'aide pour trois sortes
de souffrance différentes.
Certains sont d'ex-adeptes sortis de secte, conscients d'avoir été
victimes de manipulation mentale. Ils désirent, à travers la psychothérapie,
sortir d'une souffrance intolérable et comprendre, d'une part les mécanismes
de leur secte, d'autre part ce qui les a insidieusement poussés à
s'y embrigader. À travers la psychothérapie, ils cherchent à
retrouver (ou à trouver) leur autonomie d'êtres adultes, responsables
et citoyens.
D'autres sont confrontés à la dangerosité sectaire à travers un enfant, un parent ou un conjoint adepte. Les dégâts familiaux, professionnels et leur propre souffrance, liée à la culpabilité et à l'impuissance, les amènent à consulter et à demander une aide psychologique.
D'autres encore commencent avec moi une démarche de psychothérapie après des années d'errance dans des sectes et groupes de pseudo- " connaissance de soi " qui n'ont apporté ni apaisement à leur souffrance ni réponse à leurs questions existentielles. Ces patients ne sont pas conscients d'avoir été victimes de manipulation mentale.
Le glissement vers la dépendance et l'assuétude se fait insidieusement. |
À la différence de nombreuses autres victimes (d'agressions sexuelles, d'attentats, de catastrophes, de catastrophes naturelles, d'accidents de la route, de prises d'otage, etc.), les victimes de sectes sont entrées tout doucement, en apparence de leur plein gré et avec " bonheur ", dans un groupe qui semblait répondre complètement à leur attente. De leur plein gré, car il n'y a eu ni agression, ni effraction, ni contrainte physique ou psychique, du moins initialement - tromperie au pire, mais pas toujours. Avec bonheur, parce qu'elles ont trouvé là ce qu'elles cherchaient depuis toujours : des réponses sécurisantes à des questions essentielles pour elles.
Tout doucement, parce qu'insidieusement. On n'entre pas dans une secte comme
on entre au couvent, c'est la secte qui entre sans bruit en vous ; il n'y a
pas de choix conscient ni de décision volontaire d'entrer un jour bien
précis dans la secte, contrairement à la prise de voile.
De plus, à la différence des autres victimes, la victime de secte
ressent une forte culpabilité liée au fait de s'être mise
volontairement dans une souricière, source de tous ses problèmes
ultérieurs, d'y être restée de façon incompréhensible,
sans prise de conscience, et d'avoir provoqué des dégâts
et des souffrances dans son entourage proche.
Contrairement aux autres victimes d'agressions tangibles, visibles et soudaines,
causées par une tierce personne ou une catastrophe naturelle, certains
adeptes n'auront jamais conscience de la manipulation dont ils font l'objet
ni de leur état de victime, parce qu'au moment de leur rencontre avec
la secte il n'y a pas de contrainte apparente (pas d'effraction, pas d'agression,
etc.), pas de contrat stipulant l'engagement de la secte envers le futur adepte
et du futur adepte envers la secte, pas la soudaineté d'une agression.
Le glissement vers la dépendance et l'assuétude se fait insidieusement, sans choix conscient ni décision volontaire Les adeptes non conscients d'être victimes peuvent vivre - et même mourir -sans avoir jamais pu s'extraire (et prendre conscience) des filets de l'emprise sectaire et de la manipulation mentale exercée par le gourou.
Durant tout son parcours sectaire, l'adepte vit une lutte intérieure
dans laquelle s'affrontent deux forces contraires : d'une part son éthique
personnelle, ses valeurs morales, d'autre part l'état agentique (l'état
de soumission, d'obéissance, selon Milgram) dans lequel l'a progressivement
embourbé la manipulation mentale sectaire.
Lorsque les limites de la tolérance à la soumission sont atteintes,
et lorsque l'éthique personnelle et les valeurs morales de l'adepte sont
piétinées au-delà du tolérable, apparaît un
embryon de refus de l'inacceptable.
La conscience d'être victime se développe au fur et à
mesure que s'amenuise l'état de soumission. La " graine "
du doute peut aussi germer et engendrer une faille irréversible et grandissante
qui lézarde peu à peu la " construction forteresse "
de la doctrine sectaire.
Les victimes de sectes sont des victimes chroniques qui subissent une victimisation
prolongée et répétée dans le temps avec des traumatismes
multiples.
Les victimes de sectes sont toujours victimes de manipulation mentale, d'abus
de faiblesse, d'atteinte aux droits de l'homme ou aux droits de l'enfant. Elles
sont parfois, selon la secte et selon le gourou, victimes de maltraitance, de
malnutrition, de manque de sommeil, de travail forcé, d'escroquerie,
de sévices corporels, d'agressions sexuelles, de pédophilie. Elles
peuvent être victimes d'inceste, parfois réel mais toujours symbolique
du fait de la confiance et de l'affection données par la victime-adepte
à l'auteur-gourou et de la relation d'infantilisation et de dépendance
créée et entretenue par le " maître ".
Elles peuvent être aussi victimes de séquestration virtuelle et
magique, ce qui les apparente aux victimes de prises d'otage (même vécu,
même symptôme, même syndrome de Stockholm par exemple).
Il n'existe pas de profil type
Il est très difficile de définir un profil type des adeptes de
sectes pour plusieurs raisons. Le plus grand pourcentage des adeptes est représenté
par des personnes vivant encore au sein d'une secte. Toutes investigations ou
statistiques sont alors catégoriquement impossibles. Seule l'étude
des sujets sortis de secte est donc possible, mais pas toujours aisée.
Le nombre des ex-adeptes n'est donc qu'un faible pourcentage comparé
à la totalité de la population sectaire.
S'il n'existe pas de profil type de recrutables, il est néanmoins possible
de distinguer trois différentes sortes d'attentes selon trois grands
groupes d'adeptes.
- Les adeptes psychologiquement fragiles entrent dans une secte pour éviter
la confrontation avec le réel qui est souvent à l'origine des
angoisses de l'individu. Il trouvera dans la secte la possibilité de
fuir la réalité en se réfugiant dans l'irrationnel (l'utopie
pour échapper au quotidien). Cet individu attend de la secte qu'elle
réalise ses désirs refoulés, les rendant accessibles en
niant toute réalité. Il attend qu'elle comble ses frustrations,
son sentiment d'incomplétude, qu'elle le protège de toutes les
agressions extérieures, qu'elle résolve tous ses conflits sociaux
et familiaux.
Il y entre aussi pour éviter des responsabilités trop écrasantes
pour lui. Les choix étant faits à sa place par le gourou, l'adepte
ne pourra plus se tromper. Ne plus décider rend la vie plus simple. Il
cherche aussi à éviter la solitude. Il fera partie d'un groupe,
d'une famille chaleureuse et aimante, aidante.
Désirant éviter la confrontation et la rupture avec la famille
et la société, il trouvera là une autre famille qui le
reconnaîtra à sa juste valeur, lui donnera sa place, une plus grande
place (sa famille est " mauvaise ", dit-il, et ne l'a pas compris).
Il désire aussi éviter les échecs scolaires et professionnels
en échappant à la réalité de la vie en société.
- Dans le deuxième groupe, les adeptes recherchent pouvoir et connaissance
à travers la secte qui les comble et promet à chacun qu'il sera
différent du commun des mortels, appartiendra à une élite
et ne sera plus confondu dans la masse ; qu'il sera initié et accédera
à des connaissances cachées aux autres ; qu'il sera plus savant,
plus compétent, plus puissant. Les connaissances qui lui seront révélées
sont d'avant-garde et pas encore connues " ici-bas ". Il sera initié
avant les autres. Il comprendra la totalité du monde, le cosmos, la vérité.
II sera puissant et obtiendra des pouvoirs et même des pouvoirs surnaturels.
II aura un rôle important dans la secte et dans le cosmos. Il sera là
pour sauver le monde et il réalisera de grandes oeuvres.
- Le troisième groupe est constitué d'adeptes qui sont venus
là simplement par hasard, parce qu'ils s'ennuyaient et qu'un ami leur
a proposé par exemple une sortie ou une activité, ou bien parce
qu'ils sont curieux de toute expérience portée par un mouvement
de mode. Cette catégorie d'adeptes ne réalisera jamais la portée
de son engagement non conscient, mais subira néanmoins les conséquences
aliénantes de la manipulation sectaire.
Il est posssible, à partir de l'étude des témoignages
de ces patients ex-adeptes sortis de sectes, de dégager quelques éléments
répétitifs de nature à favoriser l'adhésion sectaire.
Pour qu'il y ait adhésion il faut, d'une part que l'offre (de la secte)
soit une réponse adéquate à la demande (du futur adepte),
d'autre part que cette rencontre se fasse à un moment bien précis
de la vie de l'adepte.
Le moment de la rencontre secte futur adepte semble être le facteur favorisant
le plus important.
Deux tranches d'âge semblent être les plus vulnérables :
18-25 ans et 45-60 ans.
L'adhésion découle souvent de conflits sociaux ou familiaux divorce,
perte d'emploi, échecs personnels, professionnels ou scolaires, difficultés
financières, rupture avec la famille au moment de l'adolescence.
Le moment où il faut prendre des responsabilités (fin d'études,
départ de chez les parents, ruptures...) apparait également comme
un moment favorisant, de même que la mort d'un être cher.
La secte devient alors à la fois un abri contre les agressions extérieures
et un lieu de résolution des problèmes.
Elle a une fonction pseudo-thérapeutique.
Elle confirme la négativité et la culpabilité de la société
et de la famille.
Elle répond (mais de façon illusoire) à la demande de
liberté. des adolescents et des personnes en rupture avec la " normalité
". La secte, panacée merveilleuse pour certains, comble les manques,
confirme l'adepte, le reconnait, lui apporte la chaleur d'une famille, la présence
d'un père (le gourou), d'une mère (la secte), de frères
et sueurs (les adeptes), lui donne confiance, le structure, lui donne des repères
et un sens à la vie.
La secte est pour d'autres un distributeur de connaissances et promet une évolution, des pouvoirs de guérir ou autres pouvoirs sur soi, sur les autres et même sur le tout.
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