Très nombreux sont les foyers qui reçoivent
la visite des Témoins de Jéhovah et qui se demandent ce qu'il
faut en penser. Il n'est guère de région où l'on ne
signale leur passage de porte à porte, systématiquement,
pendant quelques semaines. Après quoi on n'en entend plus parler.
Un an ou deux plus tard, ils reviennent. A chaque raid, ils convainquent
quelques personnes qui acceptent leurs " études bibliques à
domicile ". Certaines deviennent à leur tour des propagandistes.
D'autres les abandonnent au bout de quelque temps. Ici et là, quand
ils ont créé un groupe local, ils ouvrent une " Salle
du Royaume ", où ils tiennent des réunions régulières.
Ils multiplient aussi les rassemblements régionaux dans certains
centres, où des autocars amènent les adeptes d'un vaste secteur
; à cette occasion des articles dans les journaux locaux attirent
l'attention sur eux. Bref, c'est une secte dont on parle beaucoup.
Est-ce à dire que ce soit la secte la plus nombreuse
? Non. D'autres les dépassent en nombre dans le monde. Ce n'est
donc pas leur importance numérique qui m'amène à en
parler, mais bien plutôt le souci de vous éclairer, à
partir où leur manière de lire la Bible, sur ce que doit
être, par contraste, une lecture de la Bible intelligente et fructueuse
pour la vie spirituelle.
C.-T. Russell, J.-F. Rutherford, N. Knorr, F. W. Franz
Inutile de nous attarder sur l'historique du mouvement. La
plupart des études qui leur ont été consacrées
le font abondamment. Quelques mots suffiront. L'histoire des Témoins
de Jéhovah se confond avec l'évolution de leur propagande
et de leurs conceptions sur la " prochaine " fin des temps.
Leur fondateur s'appelle Charles-Taze Russell (1852-1916).
Il est né à Pittsburgh (Pennsylvanie) d'une famille presbytérienne.
Il fréquente quelque temps les Adventistes et prend dans leur manière
de lire la Bible le goût des calculs relatifs à la fin du
monde et au retour du Christ sur terre, considérés comme
prochains. En 1878, il se sépare des Adventistes, vend son commerce
pour se consacrer tout entier à sa mission et se fait désormais
appeler " pasteur ". Il crée un journal qui aura pour titre
La Tour de Garde de Sion, et une société, la "
Société de la Tour de Garde et des tracts " (Watch
Tower) qui est toujours la raison sociale de l'Association. En ce temps-là,
on ne s'appelle pas encore " Témoins de Jéhovah ",
mais " Etudiants de la Bible ". Russell écrit beaucoup, notamment
un ouvrage en sept volumes : Etudes des Ecritures. Il voyage aux
Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Asie Mineure, en Russie et jusqu'en
Extrême-orient, prononçant quelque 30.000 discours et fondant
1.200 groupes d' " Etudiants de la Bible ". Il rationalise la propagande
avec un très grand sens de la publicité. C'est lui qui invente
le système du porte à porte, qui reste aujourd'hui l'instrument
le plus efficace du travail missionnaire. En 1911, il annonce que l'année
1914 verra la fin du " temps des Gentils " et le début du
" millenium ". En 1913, il donne à ses 25.000 adeptes le
nom d' " Association internationale des Etudiants de la Bible ".
Russell avait fondé à Brooklyn, faubourg
de New-York, une imprimerie et une maison d'édition. C'est le directeur
de l'imprimerie, J.-F. Rutherford, qui prit la tête du mouvement,
en 1917, après la mort de Russell. Sous son énergique impulsion,
les " Etudiants de la Bible " connaissent un grand développement.
C'est lui qui crée en 1919 le périodique bimensuel qui va
devenir Réveillez-vous. Il utilise largement la radio, puis
le disque, pour diffuser ses propos. Il écrit abondamment : une
vingtaine de livres et quelque quatre-vingts brochures, où il reprend,
en les modifiant, les prédictions de Russell sur le prochain retour
du Christ. Il mène avec violence la campagne contre les Eglises
chrétiennes, la catholique surtout, toutes englobées sous
le nom qui se veut méprisant de " chrétienté ".
C'est lui surtout qui a donné à l'association le caractère
combatif que nous lui connaissons. C'est lui aussi qui en a fait, selon
son expression, une " théocratie ", c'est-à-dire une
entreprise dirigée directement par Dieu - pratiquement une organisation
centralisée, où l'élection a été remplacée
par la nomination, à tous les échelons d'une hiérarchie
rigoureusement structurée. Désormais, comme ils disent :
" Le Roi Jésus est maintenant à la
barre de son organisation terrestre, puisqu'il dirige les nominations et
guide le gouvernement des assemblées du peuple de Jéhovah...
(Ses Témoins appartiennent) à une organisation combative
et ils s'y soumettent joyeusement à une direction royale théocratique
" (Watch Tower, 1938, pp. 333-334).
En 1931, il a découvert que Dieu lui-même, "
de sa propre bouche ", a donné à ses adeptes leur nom
propre : Témoins de Jéhovah. Son caractère
autoritaire et despotique a engendré bon nombre de dissidences -
une dizaine environ - notamment, en 1920, celle du dirigeant des " Etudiants
de la Bible " de Genève, Alexandre Freytag, qui se sépara
de Rutherford pour fonder son propre groupement, les " Amis de l'homme
", moins doctrinaires, et qui se veulent plus persuasifs que discuteurs.
Rutherford est mort en 1942. Son successeur, Nathan
Knorr, a introduit dans les méthodes de propagande plus de courtoisie,
moins de brutalité et d'agressivité. Il a maintenu et renforcé
la centralisation et l'organisation. Il a continué et intensifié
l'entreprise de librairie : c'est sous sa direction qu'ont été
publiés les livres les plus diffusés actuellement par la
Secte : La vérité vous affranchira (1943), Le Royaume
s'est approché (1944), Que Dieu soit reconnu pour vrai
(1946), Equipé pour toute bonne ouvre (1951), etc... une
multitude de brochures et de petits feuillets. Mais il n'a rien signé
de son nom ; désormais toutes les publications sont anonymes. Sous
son règne, les Témoins ont édité leur propre
traduction (anglaise) de la Bible, en deux parties : Traduction du Nouveau
Monde des Ecritures hébraïques, - c'est l'Ancien Testament
- et (traduit en français d'après l'anglais) Les Ecritures
grecques chrétiennes, traduction du Monde Nouveau, c'est le
Nouveau Testament. Il a surtout poussé la diffusion des deux journaux,
La Tour de Garde et Réveillez-vous, dont le tirage
est monté à des dizaines de millions d'exemplaires en totalisant
les éditions publiées en plusieurs langues (26 langues et
4.900.000 exemplaires, en 1938, pour chaque numéro de Réveillez-vous).
Nathan Knorr a également développé le porte à
porte, les réunions bibliques à domicile, les rassemblements
régionaux et internationaux grâce à quoi les adeptes
sont constamment en alerte pour préparer la réunion ou le
congrès de demain ou d'après-demain. Il était présent
au grand Congrès international de Colombes en août 1969. Il
a beaucoup valorisé la formation des propagandistes, de telle sorte
qu'ils soient parfaitement instruits des doctrines de la secte et ne risquent
pas de se livrer à l'inspiration personnelle dans leur propagande.
L'organisation des Témoins de Jéhovah est
actuellement dirigée par Frédérick W. Franz.
L'organisation
Pionniers et proclamateurs
'est le moment de dire quelques mots de l'organisation des
Témoins de Jéhovah et de leurs méthodes de travail.
Tout Témoin de Jéhovah se considère
comme un ministre de la Parole de Dieu, ordonné par Jéhovah
lui-même pour annoncer la venue du Royaume. On est un vrai Témoin
de Jéhovah du fait qu'où va de porte en porte ou dans la
rue, vendre les publications de la Secte et réciter un des sermons
qu'on a appris et qui doivent durer de trois à huit minutes. Il
y a ainsi deux catégories de propagandistes :
les pionniers, qui doivent consacrer à ce travail
au moins cent heures par mois. Certains donnent cent-cinquante heures et
sont modestement rétribués par la Société :
ce sont les " pionniers spéciaux ". Certains sont " temporaires
", donnant leur cent heures, par exemple pendant les mois de vacances.
Certains sont appelés " missionnaires " : ceux qui sont envoyés
dans les pays étrangers.
les proclamateurs, eux, travaillent à temps
partiel ; ils doivent donner de dix à quinze heures par mois. Ils
ne reçoivent aucune rétribution, mais, comme les pionniers,
ils peuvent faire un certain bénéfice sur les publications
qu'ils réussissent à vendre ; ils en donnent gratuitement
d'autres : en aucun cas on ne peut dire que l'esprit de lucre anime les
Témoins de Jéhovah, ce serait une calomnie. Il faut au contraire
saluer le dévouement dont ils font preuve en consacrant le meilleur
de leur temps aux réunions de formation et à la propagande.
Pionniers et proclamateurs tiennent un compte minutieux de
leurs activités : personnes visitées, publications vendues.
Chacun fait rapport de son travail à l'échelon supérieur,
et cela se transforme en statistiques, tableaux et graphiques : remis sous
les yeux des propagandistes, ces résultats doivent agir comme des
stimulants entre les individus et entre les groupes, à qui obtiendra
le meilleur résultat.
Structure
L'unité de base du mouvement s'appelle la congrégation
(regroupant jusqu'à 200 membres). Il est constitué par les
Témoins de Jéhovah d'une même localité qui se
réunissent régulièrement pour le culte et l'étude
de la Bible et qui prêchent en union les uns avec les autres.
Leurs réunions se tiennent dans une salle quelconque jusqu'à
ce qu'on puisse louer ou édifier un local permanent, dès
lors appelé " salle du Royaume ". Ces réunions sont
au nombre de cinq par semaine, d'une heure environ chacune. Celle du dimanche
est ouverte aux sympathisants ; elle consiste habituellement en un discours.
Les autres sont des réunions d'études, autour d'un livre
ou du journal de l'Association. On procède par questions et réponses,
le tout se trouvant déjà imprimé sur un feuillet que
chacun a en main ; on y fait aussi le point de la propagande et on détermine
les objectifs à atteindre.
Au-dessus du groupe, il y a la circonscription
: c'est une circonscription qui englobe de 10 à 20 congrégations.
Son chef instruit et contrôle les propagandistes, tient les finances,
stimule les ventes, organise deux fois par an des assemblées.
Au-dessus de la circonscription vient le district,
correspondant à une vaste région, souvent un pays tout entier.
Chaque pays constitue une filiale, avec un Béthel,
lui-même relié au Béthel du Collège central,
La Société, avec son bureau de direction, représentant
visible de Jéhovah sur terre : c'est Lui qui en a choisi les membres.
Les équipes dirigeantes résident naturellement aux Etats-Unis
et doivent être composées en majorité écrasante
de citoyens américains.
Activité
des membres
La formation des propagandistes supérieurs
se fait à New-York, dans une maison créée par Nathan
Knorr et qu'on appelle " Béthel " ; et dans une autre qu'on
appelle " Galaad ", où résident les missionnaires
destinés aux pays étrangers et les " pionniers " étrangers
dont on a distingué la valeur et à qui on paye voyage et
séjour : chaque année, deux sessions de cinq mois, au cours
desquelles on enseigne les techniques de diffusion, la parole publique,
une langue étrangère et la manière jéhoviste
de lire la Bible. Dans le reste du monde, les candidats responsables ont
à leur disposition des " écoles du ministère théocratique
", où ils prennent des cours hebdomadaires d'une heure.
Sur quoi débouche cette vaste entreprise aux rouages
bien engrenés ? L'objectif unique est d'annoncer l'urgence de se
rallier aux Témoins de Jéhovah pour faire partie du "
Royaume " et échapper ainsi à la catastrophe qui menace
les rebelles. Donc recruter des adeptes et les amener à s'engager
de plus en plus dans le mouvement.
Pour cela première visite à domicile et
présentation de quelques papiers. Deuxième visite, " complémentaire
", pour inviter à poursuivre l'étude de la publication.
Troisième étape : on invite à participer à
une étude biblique hebdomadaire à domicile. Quatrième
étape : le sympathisant prend part à des réunions
en compagnie d'adeptes plus avancés et se convainc de la doctrine
essentielle : le monde actuel approche de sa fin, la bataille d'Harmaguédon
est imminente ; il faut se sauver de la colère de Dieu en adhérant
à la Société du Monde Nouveau. L'adepte convaincu
s'engage dans les équipes de propagandistes. Finalement, il signifie
sa consécration en recevant le baptême par immersion.
Cette activité, je le disais il y a un instant,
a quelque chose qui force l'admiration. Les militants qui s'y engagent
à fond se veulent vraiment consacrés à leur oeuvre.
La rigueur de l'embrigadement et du contrôle ne les rebutent pas,
puisque " l'unité d'action " est à ce prix ; non plus
que la soumission constante à une façon uniforme de penser
la même chose sur tout, imposée d'en haut, puisqu'ils croient
que c'est la façon de penser de Jéhovah.
Ce " désir d'une pensée unifiée
et d'unité d'action ", me faisait remarquer quelqu'un qui fut
de leurs plus actifs militants pendant onze ans, se retrouve chez bien
des gens autres que les Témoins de Jéhovah, en différents
secteurs de l'activité religieuse ou politique. Il serait facile
ici d'évoquer le " monolithisme " de certains partis, et
les dévouements passionnés qu'il détermine, en même
temps que les conséquences tragiques auxquelles il aboutit parfois.
Mais, chez nous-mêmes catholiques, nous avons connu cette avidité
de directives précises, de consignes impérieuses, de mots
d'ordre à exécuter, cette foi donnée aveuglément
à des formules toutes faites qu'il suffit de tenir ferme pour être
dans " la vérité "..., de la part de gens qui "
marchent à fond " dès là qu'ils se sentent encadrés.
Cela existe encore dans certains secteurs (restreints) de la pensée
catholique. Nous considérons à juste titre que c'est de l'infantilisme
et contraire à la sainte " liberté des enfants de Dieu
". Mais ne nous étonnons pas de le retrouver - au maximum il
est vrai - chez les Témoins de Jéhovah et ailleurs.
Sans plus parler de ces excès, nous connaissons
chez nous, au cours de l'histoire et en ce moment, des milliers et des
milliers de chrétiens qui se sont consacrés corps et âme
à l'évangélisation, qui " témoignent "
de leur foi et de leur charité par un dévouement sans limites.
Ce que nous pourrions reprocher aux Témoins de Jéhovah, c'est
d'ignorer ces grandeurs quand elles existent ailleurs que chez eux, de
penser naïvement qu'ils ont le monopole de la " consécration
". Mais ce n'est pas une raison pour refuser de les saluer chez eux.
A cet " endroit ", il y a d'ailleurs un " envers
". Quand, en dehors de son travail, on consacre plusieurs heures
par semaine à des réunions et à une propagande entièrement
axées sur les mêmes thèmes ; quand on se refuse, en
vertu de la doctrine elle-même, à participer aux activités
politiques, syndicales, artistiques, culturelles et même de bienfaisance
- car tout cela, c'est " le monde ", radicalement mauvais, le royaume
de Satan ; quand on ne lit plus que les publications des Témoins
de Jéhovah, qu'on n'entend plus que des conférences des Témoins
de Jéhovah, qu'on n'a plus de relations qu'avec les Témoins
de Jéhovah ou avec ceux qu'on veut gagner aux Témoins de
Jéhovah - on s'enferme inévitablement dans un monde à
part, où l'on peut certes trouver pendant un temps une certaine
ambiance d'amitié fraternelle, une certaine chaleur, mais où
l'on finit par se dessécher l'esprit et le coeur.
Ecoutez deux passages du long mémoire qui m'a été
adressé par cet ancien militant Témoin de Jéhovah
que je citais tout à l'heure.
D'abord une protestation contre ce qu'il estime être
des calomnies :
" J'affirme en conscience - et je parle ici au nom
de mes anciens coreligionnaires - que l'unique motif de mon activité
missionnaire passée sous la bannière des Témoins de
Jéhovah voulait être l'expansion du Royaume de Dieu.
J'ai accompli cette oeuvre souvent dans la joie profonde de servir mon
Créateur..., m'attachant de tout mon coeur à sauver mes frères
menacés du fléau de Dieu. "
Puis une analyse des causes de déception et de lassitude
:
" Un dirigisme absolu qui finit à la longue
par lasser ceux qui parviennent à en prendre conscience... "
" L'excès de la 'promiscuité fraternelle'
: un groupe local vit en vase clos. On se fatigue :
de côtoyer les mêmes têtes,
des phobies et folies contagieuses,
des cancans divulgués 'en toute charité',
des distractions en commun,
de s'entendre dire fraternellement ses quatre vérités,
des exhortations continuelles,
des mises à l'écart purificatrices,
des fiançailles imposées 'dans le Seigneur',
des clans qui luttent sournoisement dans l'ombre pour
la conquête du groupe... "
J'ajouterai, en évoquant maintes et maintes confidences
déchirantes reçues depuis une vingtaine d'années :
combien de foyers détruits parce que l'un des deux est tellement
convaincu des exigences de sa mission qu'il persécute les siens
pour les amener à penser comme lui !
N'est-ce pas l'inévitable rançon d'une doctrine
qui est tout le contraire de ce que nous appelons " l'ouverture de l'Eglise
au monde " ?
La doctrine
Quelle est donc cette doctrine ?
Encore qu'elle soit détaillée en d'innombrables
imprimés, elle se ramène à quelques thèses
essentielles, où la conception du destin de l'humanité tient
la place majeure :
Le nom propre du Dieu unique est Jéhovah. La Trinité
est une invention païenne.
L'Esprit-Saint n'est pas une Personne divine. C'est le souffle
de Dieu dont sont animés ceux qui croient.
Jésus-Christ n'est pas Dieu. C'est " la première
des créatures ". Avant sa venue sur terre, il était un
archange, l'archange Saint Michel (Studies in the Scriptures, II,
p. 147). Il est devenu Messie au moment de son baptême par Jean.
Après sa mort, il n'est pas ressuscité, mais il est redevenu
une créature spirituelle et il a pris une apparence de corps pour
apparaître à ses disciples.
L'âme humaine n'est ni spirituelle ni immortelle ;
elle n'est pas différente de celle des animaux ; elle mourra avec
le corps.
Depuis peu de temps après la Création, le règne
de Satan s'étend sur le monde. L'histoire de l'humanité est
celle de son oeuvre pour ravir à Jéhovah sa royauté.
C'est lui qui a créé " la religion ", entreprise idolâtrique.
C'est lui qui dirige tous les gouvernements civils. Il a été
précipité sur la terre, chassé des cieux lui et ses
anges, et " de nombreuses preuves permettent de situer cet événement
entre 1914 et 1918 " (Que Dieu soit reconnu pour vrai, p. 55).
Pour tromper les hommes, il se sert des " associations pour la sécurité
mondiale, de l'O.N.U., des groupements confessionnels et autres institutions
de ce genre " (p. 56). Mais cela ne durera plus longtemps. Depuis 1914,
" christ Jésus a été investi du pouvoir royal et
commença à régner " (p. 223). Jéhovah s'est
suscité des Témoins pour lui rallier tous les hommes et les
conduire à " ce Royaume destiné à remplacer définitivement
tous les gouvernements terrestres actuels qui seront bientôt détruits
par Jéhovah à la bataille d'Harmaguédon. Bien que,
depuis près de soixante siècles, Jéhovah Dieu ait
eu des Témoins sur la terre, ce n'est que de nos jours qu'ils se
sont rassemblés pour une ouvre mondiale " (p. 226). Ils "
n'essaient pas de convertir le monde entier au christianisme... Dieu ne
leur donne aucun ordre semblable. Ils reconnaissent qu'il est impossible
de convertir les méchants et les impies " (p. 234). Leur rôle
est de dénoncer " sans ménagements les faux principes
blasphématoires de toutes les religions " et d'annoncer aux
hommes de bonne volonté la Venue du Royaume de Jéhovah Dieu.
" Ils n'espèrent pas tous aller au Ciel. Ils savent qu'un nombre
restreint de fidèles aura cette gloire. Le Dieu tout-puissant a
limité à 144.000 le nombre de ceux qui formeront le 'corps
du Christ' et régneront avec lui dans son Royaume céleste
" (p.238). Quelques grands Personnages de l'Ancien Testament, les Apôtres,
et un certain nombre de Témoins de Jéhovah formeront cette
élite des 144.000. Les autres justes de l'Ancien et du Nouveau Testament
et les autres Témoins de Jéhovah n'iront pas au ciel : "
la promesse leur a été faite de vivre éternellement
ici-bas, où ils auront le privilège de soumettre, d'embellir
et de peupler la terre si toutefois, comme Témoins de Jéhovah
ils lui prouvent leur fidélité avant la bataille d'Harmaguédon.
" Les 144.000 forment le " petit troupeau " ; les " autres
brebis " sont appelées des " Jonadabs " (du nom d'un
Compagnon de Jéhu) (p .238). Quant aux hommes qui n'auront pas rallié
le Royaume théocratique de Jéhovah, ils seront anéantis.
Les calculs qu'ils ont faits dans la Bible permettent
aux Témoins de Jéhovah d'affirmer que 1914 a marqué
la fin du " temps des nations " et le " rétablissement
de la théocratie de Jéhovah " (pp. 262-263). Satan, furieux,
suscita alors la guerre de 1914-1918, la famine et la peste qui la suivirent,
puis la seconde guerre mondiale : " Le monde plus opprimé que
jamais se débat sous l'étreinte de Satan, son démoniaque
chef invisible " (p. 264-265). Inutile de compter sur l'O.N.U., pour
obtenir la paix : avec son ancêtre, la société des
Nations, ce sont les deux " bêtes " de l'Apocalypse (pp. 268-269).
Mais voici proche la bataille d'Harmaguédon, ultime cataclysme qui
détruira complètement l'organisation visible et invisible
de Satan. En vue de ce " jour de la colère de Jéhovah
", " Jésus invite tous les hommes bien disposés envers
Dieu à se réfugier dans l'organisation de son Royaume "
- celle des Témoins de Jéhovah (pp. 270-271).
Tout cela se trouve dans LA BIBLE, dont chaque phrase est
à prendre au pied de la lettre et qui donne une réponse à
toutes les questions qu'on peut se poser, y compris celles que la science
prétend (faussement) résoudre, comme l'origine de l'homme,
le lieu et la date de la création, l'histoire de l'humanité,
l'époque où elle finira, etc... (cf. Réveillez-vous,
numéro spécial du 8 octobre 1963 : " La Bible triomphe
dans un monde épris de science ". A l'aide des publications
des Témoins de Jéhovah, la Bible peut enfin être lue
dans sa vérité.
Je n'ai pas l'intention de discuter ici ces doctrines des
Témoins de Jéhovah : un gros volume n'y suffirait pas. Au
reste, plusieurs existent, auxquels vous pourrez vous reporter (cf. bibliographie).
Mon propos, je vous l'ai dit, est seulement d'examiner leur manière
de lire la Bible. Mais auparavant je voudrais vous livrer quelques réflexions
sur la thèse que nous venons de résumer.
Je suis frappé de voir comme elle s'apparente à
l'antique manichéisme par sa division radicale de l'humanité
en deux blocs : les bons et les mauvais, les bons dirigés par Dieu,
les mauvais sous l'emprise de Satan - le Royaume de Jéhovah-Dieu
auquel il est urgent de se rallier si on ne veut pas être exterminé,
et le Royaume de Satan qui englobe tous ceux qui ne s'enrôlent pas
sous la bannière des Témoins de Jéhovah.
Certes, le thème de la lutte entre les ténèbres
et la lumière est traditionnel dans le christianisme et on le trouve
largement exprimé dans saint Jean (par exemple, 16, 18 et sq.),
l'opposition des " deux Cités " était chère
à saint Augustin et celle des " deux étendards " à
saint Ignace de Loyola. Quant au " monde ", il est clair que dans
le Nouveau Testament un des sens de ce mot signifie ceux qui refusent le
Christ (Jn 1, 10), le mal auquel le Christ est venu nous arracher (Gal
1,4), le règne de Satan (Act 26, 18).
Où donc est le tort de ceux que vous écoutez,
à chers Témoins de Jéhovah, à qui je voudrais
maintenant parler aussi fraternellement que possible ?
Il est d'abord de ne pas saisir que la lutte du bien et du
mal, des ténèbres et de la lumière, se situe au
coeur de chacun de nous. Il n'y a pas deux troupes adverses sur lesquelles
se détacherait en gros caractères l'étiquette "
bons " ou " mauvais ". C'est une image d'Epinal, que nous sonnes
tous tentés d'accepter quand nous nous rangeons parmi les " bons
", mais qui ne répond pas à la réalité
et dont il faut nous défaire. Aux Pharisiens qui lui demandent quand
arrivera le Royaume de Dieu, Jésus répond : " La venue
du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer et on ne saurait dire : le
voici ! Le voilà ! Car, sachez-le, le Royaume de Dieu est parmi
vous " (ou) " au-dedans de vous " (Lc 17,20). Le Royaume de
Dieu, c'est le Christ. - Qui est du Christ ? Une fois il affirme : "
Celui qui n'est pas avec moi est contre moi " (Lc 11,23). Et une autre
fois, à ses disciples qui veulent écarter certains qui se
réclament de lui sans faire partie de leur groupe : " Celui qui
n'est pas contre nous est pour nous " (Mc 9,40). Ce n'est pas à
nous qu'il appartient de déterminer ceux qui sont " pour "
et ceux qui sont " contre ". Dieu seul " sonde les reins et les
coeurs " (Ps 7,10; Jér 11,20). " Ne jugez pas et vous ne
serez pas jugés " (Lc 6,37). " Qui que tu sois, à
homme, toi qui juges, tu es inexcusable ; car en jugeant les autres tu
te condamnes toi-même " (Rom 2,21).
Un autre tort est d'accaparer pour les seuls Témoins
de Jéhovah le monopole du " Royaume " en rejetant tous
les autres sous la bannière de Satan. Que vous ayez une foi vive
dans le Dieu, unique, lue vous vous efforciez à une vie honnête
et pure, loyale et désintéressée, conforme à
l'évangile, je n'en doute pas. Mais... il y en a d'autres, c'est
le moins qu'on puisse dire. Pourquoi ignorer systématiquement la
multitude des saints de toutes les religions, et éminemment du christianisme,
d'hier et d'aujourd'hui, qui ont pratiqué, parfois jusqu'à
l'héroïsme et au martyre, la foi, la charité, l'humilité,
le pardon des offenses, l'amour de Dieu et de Jésus-Christ - tout
ce que leur " religion " leur avait appris - cette " religion
" qui est ta bête noire de vos conducteurs et dont ils attribuent
la paternité à Satan ? Je suis sûr que vous éprouvez
un malaise quand vous lisez dans leurs publications tous les sarcasmes
dont ils accablent " la chrétienté ", " le religionisme
", " les religionistes ", " les religieux " ; quand ils
vous disent que " Satan, le diable, a introduit la religion dans le
monde " (4) ; ou encore que " les catholiques,
protestants, juifs, bien qu'ils invoquent le nom de Jéhovah, n'ont
en réalité que mépris pour sa parole et pour son Royaume
" (5) - vous savez bien que ce n'est pas vrai
! Ou encore quand ils affirment que " le principal ennemi visible de
Dieu et, par suite, le plus grand et le pire ennemi public, est l'organisation
religieuse catholique romaine " (6), allant jusqu'à
la présenter comme l'inspiratrice d'Hitler (dont le racisme a été
condamné par Pie XI) :
" Le bras séculier de l'Eglise catholique romaine,
le führer nazi Hitler, commença à s'abattre avec fureur
sur l'Europe, opération facilitée par la cinquième
colonne catholique. L'année 1940 fut le 400ème anniversaire
de l'ordre des Jésuites. Il ne paraît pas douteux que l'Eglise
romaine ait choisi cette date pour essayer de conquérir le contrôle
du monde grâce à la pieuvre nazie, à la cinquième
colonne et à l'action catholique " (7).
Vous connaissez assez l'histoire pour savoir que ces propos
sont malhonnêtes.
Ne croyez-vous pas aussi qu'il est excessif d'attribuer à
Satan, comme le font vos conducteurs, la paternité des articles
de la foi chrétienne qu'ils rejettent - la Trinité : "
Que Satan en soit le promoteur, cela saute aux yeux " (8)
; l'immortalité de l'âme : " Cette doctrine est la principale
imposture que Satan propagea à travers les âges pour égarer
l'humanité et l'asservir aux religieux " (9)
; la divinité de Jésus-Christ (parce qu'ils croient, comme
les Juifs et les Musulmans, qu'elle s'oppose à la foi au Dieu unique,
ce qui est bien mal connaître la théologie de la Trinité
!) - ou encore d'affirmer que les fêtes chrétiennes, et surtout
la fête de Noël, sont des inventions de Satan (alors que tout
le cycle des fêtes de l'année liturgique, de l'Avent à
la Pentecôte, sont des célébrations du salut par le
Christ, à la gloire de Dieu) ? ...
Enfin ne sentez-vous pas qu'il y a un abus à
traiter de " Royaume de Satan " tous les Etats, toutes les organisations
temporelles ? à considérer comme un acte d'idolâtrie
le fait de saluer un drapeau ? à se considérer soi-même
comme un étranger dans le pays où l'on est né, un
ambassadeur du " Royaume théocratique " auprès de
ce pays, de telle sorte qu'on n'est tenu à aucune des obligations
politiques imposées aux citoyens de ce pays ? à affirmer
:
" Puisqu'ils doivent l'obéissance au Tout-Puissant
et à son Royaume, (les Témoins de Jéhovah) ne peuvent
s'ingérer dans la politique ou participer aux élections...
Ils en sont dispensés par la loi divine qui leur ordonne de se garder
des souillures du monde... Une autre raison pour laquelle ils s'abstiennent
de participer aux affaires du monde actuel, c'est que celui-ci est gouverné,
invisiblement, par le diable... " (10).
Pourquoi cette évasion hors de la société
civile - qui va, vous le savez, jusqu'au refus d'adhérer à
quelque groupement que ce soit - cette haine de toutes les organisations
? C'est un cas typique du phénomène que Lanternari a étudié
dans sa thèse de sociologie religieuse : Les mouvements
religieux des peuples opprimés (11). Dans
la multitude des mouvements " messianiques " d'autrefois et d'aujourd'hui,
il discerne le transfert sur un plan religieux d'une réaction contre
l'oppression (d'un milieu, d'une classe, de la caste sacerdotale, d'un
gouvernement...). Tandis que les hommes évolués et adultes
traduisent leur révolte en organisations temporelles (syndicales,
nationales, raciales, etc...) pour faire triompher leur cause, les infantiles
et les impuissants rêvent d'interventions miraculeuses des puissances
célestes qui les dispenseront d'agir. C'est exactement "
l'opium du peuple ". Ce rêve peut certes trouver des répondants
dans la Bible ancienne, histoire d'un peuple temporel dont l'espérance
s'est difficilement dégagée d'une idée de revanche
temporelle. Il n'a plus rien à voir avec l'espérance chrétienne,
qui ne se situe en aucune façon sur un plan temporel, pour qui "
le salut " est la conversion des coeurs et non l'extermination des
" méchants ", et qui fait aux chrétiens un devoir
d'oeuvrer présentement pour la justice, pour la paix, pour la défense
des opprimés. Il est remarquable que les Témoins de Jéhovah,
s'ils s'entraident entre eux d'une façon louable, n'ont aucune oeuvre
de bienfaisance comme nos Conférences de Saint-Vincent-de-Paul,
la Cimade, le Secours Catholique, l'Armée du Salut... Tout cela
: coopération avec un monde mauvais, prétention à
faire l'oeuvre de Dieu avec des moyens humains. Tout leur dévouement,
qui est grand, se porte sur l'annonce du " Monde Nouveau " : "
Il faut prendre part au témoignage final pour avoir part à
la victoire finale ".
" Quoique âgée et infirme ", m'écrivait
une dame, " j'ai une mission à remplir : étant Témoin
de Jéhovah, notre devoir est d'apporter à notre prochain,
en obéissance au commandement divin qui dit 'Tu aimeras ton prochain
comme toi-même', une merveilleuse espérance et une grande
consolation ".
C'est assurément très beau, mais j'avoue
que je ne saisis pas en quoi cela s'oppose à une action charitable
organisée, ni à une action sociale pour la liberté
et pour la justice, en union avec tous les hommes de bonne volonté.
Et pour en finir avec ce thème, vous serez certainement
d'accord avec moi si je vous dis que, sans méconnaître l'action
dans le monde de la Puissance des Ténèbres, j'aime mieux
admirer l'action de la Grâce qui, sans se lasser, tire le
bien du mal, ne veut pas la mort du pécheur qu'il se convertisse
et qu'il vive, est à l'oeuvre au coeur de tant d'hommes épris
de vérité et de paix. J'aime mieux admirer et faire confiance
que de juger et de condamner - car :
" Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné
son Fils unique... et il n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour
condamner le monde mais pour que le monde par lui fût sauvé
" (Jn 3, 16-17).
II - Comment ils lisent la Bible
Il nous faut maintenant en venir à la manière
dont vos conducteurs, ô chers Témoins de Jéhovah, vous
apprennent à lire la Bible. Beaucoup d'entre nous ont découvert
la Bible grâce à eux et ils leur en gardent une légitime
reconnaissance, même quand ils ont cessé de les suivre dans
leurs interprétations ; j'ai dans mes dossiers maints témoignages
de ce genre. Il est assez émouvant de lire certaines longues lettres,
de gens généralement assez simples, qui ont pris la peine,
pour convaincre leurs correspondants, d'accumuler les textes bibliques,
en mentionnant minutieusement les références. Ces textes
sont généralement pris dans les publications jéhovistes,
bourrées de citations de l'Ecriture. Un petit nombre s'en dégage
pour lire la Bible d'une manière personnelle, mais la plupart leur
font confiance et ne lisent guère la Bible qu'avec les yeux qui
leur sont fournis par la Watch Tower.
Récemment, en réponse à une enquête
sur la lecture de la Bible que nous avions lancée dans notre revue
La Bible et son message (12), nous avons reçu
ces quelques lignes :
" J'étudie la Bible avec l'aide des Témoins
de Jéhovah et de leurs si précieuses éditions de la
Watch Tower. Catholique de naissance et après avoir longuement été
à la recherche de la vérité, j'ai pu constater que
les Témoins de Jéhovah sont les seuls se servant, sans interprétation
aucune, de la parole de Dieu intégrale et non tronquée. "
Une autre personne, après avoir entendu leurs propos,
appuyés sur la Bible, nous écrivait au contraire :
" Mon mari a accepté d'étudier la Bible
avec eux. Ce qu'ils ont fait, c'est de nous diviser complètement.
Faut-il vraiment lire la Bible et y trouver réponse comme ils le
font ? Ce livre, soi-disant inspiré, contient-il tout ce qui se
passe, comment cela se passe, comme ils le prétendent ? ... Mon
Dieu, qui croire de tout cela ? Voyez où la Bible peut conduire.
Je vous en supplie, expliquez ce qu'elle veut dire, on ne comprend plus
rien à rien. "
Voilà le problème bien posé par ces
deux correspondants. L'un qui accepte sans discuter la manière jéhoviste
de lire la Bible, l'autre qui est tellement scandalisée par ce qu'ils
en tirent qu'elle est tentée de la rejeter.
Comment lire la Bible
Disons d'abord : oui, la Bible est inspirée, oui,
elle contient la Parole de Dieu. Ce n'est pas parce que certains l'interprètent
d'une manière contestable qu'il faut renoncer à la lire.
Il faut seulement, pour y découvrir l'authentique message qu'elle
contient, ne pas se fier à n'importe qui, au hasard des rencontres,
mais à ceux qui sont fidèles à ce que les chrétiens
ont toujours cru depuis les Apôtres.
Oui, l'Eglise nous recommande de lire la Bible. On vous
a dit le contraire, et il est exact qu'à certaines époques
l'Eglise a réagi maladroitement, face à ceux qui se servaient
de la Bible comme d'une arme contre elle en apportant des restrictions
à sa lecture, encore qu'il n'y eut jamais d'interdictions de la
lire et que toujours le Livre Saint ait été répandu
par ses soins. Cette époque de controverses est aujourd'hui lointaine
(même si elle a laissé longtemps des traces) et les textes
officiels abondent qui nous exhortent à la fréquentation
des saintes Ecritures. Ainsi le Concile Vatican II :
" exhorte avec force et de façon spéciale
tous les chrétiens à acquérir par la lecture fréquente
des divines Ecritures une 'science éminente de Jésus-Christ'
(Ph 3, 8), car ignorer les Ecritures c'est ignorer le Christ. Qu'ils approchent
donc de tout coeur le texte sacré lui-même, soit par la sainte
liturgie, soit par une pieuse lecture, soit par des cours faits pour cela
" (13) .
Que cet appel soit largement entendu, ceux qui sont au courant
peuvent l'attester. Plus de deux millions d'exemplaires de la seule Bible
de Jérusalem vendus, sans compter les centaines de mille de
la Bible de Crampon, de la Bible du Cardinal Liénart,
de la Bible de Maredsous (et je ne parle que des éditions
catholiques) ; les Evangiles, le Nouveau Testament, les Psaumes,
la Genèse abondamment diffusés en éditions
" de poche " les Evangiles, à eux seuls, ont dépassé
le million)... Une extraordinaire floraison d'études bibliques,
des livres les plus savants aux magazines de vulgarisation... Des cours
bibliques et des cercles bibliques dans un nombre considérable de
paroisses et de groupements... Les cours bibliques par correspondance du
Cercle Saint-Jean-Baptiste (14) ; les milliers d'abonnés
de Bible et terre sainte (15) et des cahiers
bibliques Evangile (16) ; les 40.000 exemplaires
de notre revue La Bible et son message vendus chaque mois... Oui on
peut dire que les catholiques d'aujourd'hui lisent la Bible et la travaillent,
pas aussi nombreux encore qu'on le souhaiterait, mais de plus en plus (17).
Comment mener fructueusement et intelligemment une lecture
de la Bible ? Je m'en suis expliqué dans une série d'éditoriaux
de La Bible et son message (18). Que ce soit
en commençant par le commencement et en lisant peu à peu
tous les livres, de la Genèse à l'Apocalypse,
- que ce soit en étudiant à fond un seul livre, - ou bien
en partant de l'Evangile et de saint Paul pour remonter à
l'Ancien Testament, - ou à partir du dictionnaire biblique
que l'Eglise nous propose dans sa liturgie, - ou en étudiant un
thème à travers toute la Bible (la tendresse de Dieu, le
Messie, le Rédempteur, la conversion, la charité...)
- la première règle est de lire honnêtement. Comme
dit Sulivan : ne pas mettre dans le panier ce qu'on voudrait y trouver.
Se soumettre au texte. Purifier son regard de tout préjugé.
Recevoir la Parole telle qu'elle est. Ce qui entraîne :
Une exigence de fidélité absolue dans la traduction.
Ce n'est pas mon idée à moi que les mots choisis doivent
traduire, mais le sens du mot hébreu ou du mot grec.
Qu'on replace toujours un texte dans son contexte - dans
ce qui le précède et ce qui le suit ; si on isole une phrase
de l'ensemble où elle se trouve, on peut lui faire dire juste le
contraire de ce qu'elle dit. Un exemple amusant : dans un psaume nous lisons
" Il n'y a pas de Dieu ". Inquiétant ! Mais lisons ce qui
précède : " L'insensé dit en son coeur : Il n'y
a pas de Dieu ". On respire...
Quand on aborde un livre, le situer dans l'histoire, chercher
dans quel milieu il est né, comment il a été composé,
quels étaient les buts de celui qui l'a écrit, quelles ont
été ses sources. Tout cela importe pour comprendre ce qu'il
a voulu dire, et donc le Message divin qu'il contient (19).
Se demander aussi de quel " genre littéraire "
il relève : dans cette petite bibliothèque qu'est la Bible,
il y a des genres littéraires très différents : des
poèmes comme le " Cantique des Cantiques ", des contes comme
Jonas, des récits historiques comme les Actes des Apôtres,
des épopées comme l'Exode, des récits inventés
comme les paraboles, et ce genre littéraire très particulier
qui s'appelle le genre " apocalyptique ", qui est celui de l'Apocalypse,
de certaines pages de Daniel, etc... Chaque genre littéraire
a ses lois. Cela ne s'invente pas au gré de la fantaisie, cela s'apprend
; et il faut le savoir pour ne pas faire dire à la Révélation
ce qu'elle n'a jamais voulu dire. Si l'on va piocher des textes un peu
partout, sans tenir compte de ces exigences, si on les prend (croit-on
!) " au pied de la lettre " et qu'on les rapproche arbitrairement,
on se trompe sur leur sens et on induit les autres en erreur, à
l'aide de citations qui n'ont pas du tout le sens qu'on leur attribue.
Il faut prendre garde enfin au génie propre de la
langue hébraïque dans laquelle l'Ancien Testament a été
écrit. L'hébreu n'est pas le français. Il a ses procédés
de composition, ses expressions bien à lui. On peut toujours le
traduire littéralement en français : si on entend cette traduction
comme elle sonne à nos oreilles, on comprend tout de travers. Ainsi
dans le psaume 90 (v. 4) que saint Pierre cite (2P 3,8) : " Devant le
Seigneur un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour " -
il s'agit évidemment d'une hyperbole familière au style hébraïque
: au regard de l'éternité de Dieu, le temps n'est rien !
Si on entreprend de faire des calculs à partir du chiffre " mille
" en le rapprochant du mot " jour " pour déterminer des
dates d'événements, on obtient des résultats ahurissants
- et qui n'ont rien à voir avec la Révélation divine.
Il y a encore d'autres règles de bonne interprétation,
mais je pense vous avoir dit les principales. Elles se ramènent
en somme à ceci : tâcher de comprendre ce que l'écrivain
sacré a voulu dire. C'est un travail délicat, difficile,
qui demande pas mal de science et surtout beaucoup d'honnêteté.
Il ne vous est évidemment pas demandé de le faire ! C'est
le rôle de ceux qui écrivent les livres et les revues dont
vous vous servez pour bien comprendre la Bible. Il vous revient, à
vous, de donner votre confiance à ceux qui
observent les règles que nous avons dites.
Or vous allez juger sur pièces, par quelques exemples,
que ces règles sont souvent violées dans les ouvrages que
vous donnent les écrivains que vous lisez, Témoins de Jéhovah.
En toute bonne foi d'ailleurs, j'en suis persuadé.
Mais la bonne foi n'exclut pas l'erreur. D'où vient l'erreur
? De ce qu'ils recourent à la Bible pour
y trouver la confirmation de leur thèses. Ils ont un certain nombre
d'idées chères - sur la fin du monde, sur la nature de l'homme,
sur Jésus-Christ, sur la création, etc... Ils les affirment.
Puis ils vont chercher toutes les phrases de la Bible qui semblent leur
donner raison : ils mettent dans le panier ce qu'ils veulent y trouver.
Un exemple typique du procédé est le petit
livre qu'ils vous remettent pour la propagande : " Eprouvez toutes choses
". Soixante-dix thèmes disposés par ordre alphabétique
; sous chaque titre une suite d'affirmations sous chaque affirmation des
textes bibliques. Or j'ai fait l'expérience que vous pouvez faire
vous-mêmes - et je l'ai faite avec la personne qui m'apportait ce
livre et qui en ce temps-là vous suivait : lire lentement à
haute voix les passages bibliques cités. Il sautait aux yeux que
souvent leurs ressemblances avec la thèse étaient purement
verbales et qu'ils ne la confirmaient pas du tout. Et quand on lit l'ensemble
des ouvrages de vos écrivains, sans se laisser impressionner par
la puissance massive de l'affirmation, mais d'un oeil exigeant, on arrive
à la même conclusion. De plus, comme le mouvement est né
d'une réaction contre ce qu'ils appellent " la Chrétienté
", contre les Eglises chrétiennes et leur foi, la Bible, entre
leurs mains, devient une arme de guerre, un arsenal d'arguments pour assommer
l'adversaire. La lecture de la Bible, qui devrait aboutir à l'action
de grâces, à la prière, au mea culpa sur sa propre
poitrine, à la repentance, à la charité, débouche
en polémiques, en jugements durs, en insultes, en sarcasmes... Ne
trouvez-vous pas que c'est triste - et finalement lassant ?
Traductions fausses
Nous allons maintenant prendre quelques exemples qui vous
montreront de quelle manière vos conducteurs manquent aux règles
que nous avons dites, pour justifier leurs thèses. Quelques exemples
seulement ; on pourrait en citer beaucoup d'autres.
Et d'abord des exemples de traductions fausses. Je les
prends dans votre traduction du Nouveau Testament : Les Ecritures
grecques chrétiennes.
Matthieu 26, 26 (contre la présence réelle)
:
Nos frères protestants ne croient pas de la même
manière que nous à la présence de Jésus dans
l'Eucharistie ; mais toutes leurs versions (celle de Segond par
exemple, que citent les Témoins de Jéhovah quand elle leur
convient) traduisent comme les nôtres : " Jésus prit du
pain... et il dit : Prenez, mangez. Ceci est mon corps ", parce
que c'est la seule manière honnête de rendre l'original grec.
Or votre traduction dit : " Ceci signifie mon corps " ; et
le mot " signifie " est souligné dans chacun des textes cités
par ," Eprouvez toutes choses " p. 229.
Jean 1,1 (contre la divinité de Jésus-Christ)
:
" Au commencement était le Verbe (ou La Parole),
et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. "
Il n'y a pas moyen de traduire autrement si on veut se
soumettre au texte grec. Or votre traduction dit : " A l'origine était
la Parole, et la Parole était auprès de Dieu, et la Parole
était un dieu ", avec un petit d. Aucune argutie textuelle
ne peut autoriser cette malversation. L'identité de nature entre
le " Logos " et Dieu est affirmée sans ambages et d'ailleurs
confirmée par ce qui suit : l'identité entre le Verbe et
le Créateur : " Tout a été fait par lui et sans
lui rien n'a été fait ". Au reste il faudrait être
polythéiste pour prétendre qu'à côté
du grand Dieu, il y aurait un petit dieu... (20)
.
Jean 5, 20 (contre la divinité de Jésus-Christ)
:
" Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu'il
nous a donné l'intelligence afin que nous connaissions le Véritable
(= le Dieu vrai). Nous sommes dans le Véritable, dans son
Fils Jésus-Christ. Celui-ci est le Véritable et la
vie éternelle. "
Traduction des Témoins de Jéhovah :
" Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu'il nous
a donné des capacités intellectuelles (!), afin que
nous acquérions la connaissance du véritable. Et nous sonnes
en union avec le véritable par le moyen de son Fils Jésus-Christ.
C'est ici le vrai Dieu et la vie éternelle. "
Colossiens 2, 9 (contre la divinité de Jésus-Christ)
:
" En lui (le Christ) habite corporellement
toute la Plénitude de la Divinité " (même traduction
dans Segond ; dans Darby : " En lui toute la plénitude
de déité habite corporellement ").
Traduction des Témoins de Jéhovah :
" En lui toute la plénitude de la qualité
divine habite corporellement ". "
Qualité divine " ! Il faut
vraiment être gêné par le texte pour traduire ainsi
le mot grec " théotêtos " qui signifie exactement "
divinité " ! D'autant que les mêmes traducteurs, à
un endroit où le mot ne les gêne pas (Rom 1, 20) le traduisent
par " divinité "...
Luc 22, 42-43 (contre l'immortalité de l'âme)
:
Ici un simple déplacement de ponctuation suffit
à changez le sens. Il s'agit du dialogue du bon larron et de Jésus
sur la croix : " Jésus, souviens-toi de
moi quand tu viendras dans ton royaume. Il lui répondit : En vérité
je te le dis : aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ". Les
manuscrits, vous le savez, ne comportent aucune ponctuation ; celle que
toutes les Bibles chrétiennes ont adoptée s'impose par le
bon sens et aussi par le parallélisme des termes qui se répondent
: " souviens-toi de moi quand tu reviendras...
aujourd'hui tu seras avec moi... "
Les Témoins de Jéhovah changent de place
les deux points et cela donne : " En vérité je te le dis
aujourd'hui : tu seras avec moi... " Ce qui est évidemment contraire
au bon sens : Jésus n'a pas besoin de dire qu'il parle aujourd'hui...
Et ce qui détruit le parallélisme voulu par saint Luc. Mais
quand on ne croit qu'à la résurrection des corps à
la fin des temps, c'est gênant. Alors on s'en tire comme ça...
Et pourquoi, dans la traduction officielle, traduit-on correctement
Jean 10, 30 : " Moi et le Père nous sommes un " -
tandis que dans le vade-mecum à l'usage des propagandistes (p. 387)
on traduit : " Moi et le Père nous sommes d'accord "
...
Croix ou poteau ?
Un dernier exemple de traduction, faite à l'encontre
de toute la tradition chrétienne, en vertu d'une idée préconçue.
Dans leur révolte contre les images et dans leur volonté
d'attribuer une origine païenne à toutes les coutumes chrétiennes,
vos conducteurs s'en prennent à la Croix. Pour eux, c'est un "
signe phallique ", qui a passé du culte d'Osiris et autres divinités
égyptiennes dans le culte de " la Chrétienté "
(21). Non, Jésus n'a pas été
crucifié, il a été attaché à un poteau
et il est mort pendu...
Il fallait évidemment faire passer cette invention
dans la traduction. Cela donne des résultats navrants, qui ne peuvent
pas ne pas provoquer en vous le malaise qu'ils provoquent en nous.
Durant la Passion, la foule ne crie plus : " Qu'il
soit crucifié ! ", mais " Qu'il soit mis au poteau ! "
(Mt 27, 23) ; Simon de Cyrène est requis pour " soulever son
poteau de torture " (27, 32) ; les grands prêtres l'insultent
en disant : " Si tu es un fils de Dieu, descends du poteau de torture
! " (27, 40). Durant sa vie publique, Jésus disait : " Si
quelqu'un veut venir à ma suite... qu'il prenne son poteau de torture
jour après jour... " (Lc 9,23). Mais c'est dans saint Paul que
l'expression revêt les aspects les plus pénibles : " Le
langage de la croix, folie pour ceux qui se perdent, etc... " devient
: " Le langage du poteau de torture est folie pour ceux qui périssent...
" (1 Co 1,18) ; le " scandale de la croix " devient " la
pierre d'achoppement du poteau de torture " (Ga 5,11) ; Paul ne s'écrie
plus : " Que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de Notre-Seigneur
Jésus-Christ qui a fait du monde un crucifié pour moi et
de moi un crucifié pour le monde ", mais : " Que cela n'arrive
jamais que je me glorifie, sinon dans le poteau de torture de Notre-Seigneur
Jésus-Christ par qui le monde a été mis au poteau
pour moi et moi pour le monde " (Ga 6,14) ; l'hymne célèbre
des Philippiens (2, 8), " S'étant comporté comme un homme,
il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, oui
la mort sur un poteau de torture ".
Voilà ce qui arrive quand on utilise l'Ecriture
au service d'une idéologie de combat. Je ne sais pas ce que vous
en pensez ; pour moi, je trouve tout cela infiniment triste. L'invention
est d'ailleurs récente : dans la " Concordance théocratique
" de 1953, on trouvait encore partout le mot " croix ".
Sens déformés
Je répète que, dans cette conférence,
mon intention n'est pas de discuter de la Trinité, de la divinité
de Jésus-Christ, de l'immortalité de l'âme, de la fin
des temps ou de n'importe quel point de doctrine, mon seul propos et de
vous inviter à réfléchir sur la manière dont
ceux qui vous ont apporté la Bible vous la font lire. Nous venons
de voir quelques malversations dans leurs traductions. Regardons maintenant
comment ils déforment le sens de certains passages pour les besoins
de leur cause.
" Venez et discutons ensemble "
(Isaïe 1, 16-18) :
Dans la préface qu'ils ont mise au vade-mecum
du propagandiste " Eprouvez toutes choses ", ils vous disent d'étudier
la Bible, mais d'une manière critique : "
La Bible ne nous demande pas d'accepter ces seules paroles de vérité,
et cela aveuglément, car le prophète de Dieu dit : venez
et discutons ensemble. Voilà qui est clair ! "
C'est une citation d'Isaïe. Reportons-nous au texte
d'Isaïe. Dieu interpelle son peuple ; il lui reproche ses fautes ;
il lui dit : " Lavez-vous, purifiez-vous... brisez
avec le mal, entraînez-vous au bien... venez donc pour que nous
discutions : même si vos péchés sont comme l'écarlate,
comme neige ils blanchiront ; quand ils seraient rouges comme la pourpre,
comme la laine ils deviendront. "
Voilà qui est clair, en effet : Dieu invite le
pécheur à plaider sa cause devant lui en se repentant de
son péché, et lui pardonnera. Cela n'a absolument rien à
voir avec une invitation qui nous serait faite à " discuter "
des paroles de Dieu contenues dans la Bible ? Le texte cité a été
tiré hors de son contexte pour lui faire dire autre chose.
" Ils examinaient les écritures... "
(Actes 17, 11) :
Dans le même ordre d'idées, la nième
préface continue : " Réfléchissez
à la réponse offerte, cherchez-en confirmation dans le texte
sacré, à l'instar des premiers chrétiens qui 'reçurent
la parole avec beaucoup d'empressement, (mais) examinaient chaque
jour les Ecritures pour voir si ce qu'on leur disait était exact',
si les chrétiens primitifs n'hésitaient pas à
consulter la Parole de Dieu pour y trouver l'explication des choses
de leur temps, il nous faut évidemment montrer le inerte empressement
pour acquérir la vérité. "
La citation est prise dans les Actes des Apôtres.
Reportons-nous au texte remis dans son contexte : "
Arrivés (à Bérée), (Paul et Silas)
se rendirent à la synagogue des Juifs. Ceux-ci... accueillirent
la parole avec le plus grand empressement. Chaque jour ils examinaient
les Ecritures pour voir si tout était exact ".
Primo il ne s'agit pas des premiers chrétiens.
Il s'agit des Juifs à qui les Apôtres apportent le Christ,
et de la manière que vous savez : en leur montrant que Jésus
a été annoncé par les Prophètes. Les Juifs
vérifient dans les Ecritures pour voir si ce qu'on leur dit est
exact... Voilà le sens. Cela n'a rien à voir avec une prétendue
étude biblique des chrétiens primitifs " pour y trouver
l'explication des choses de leur temps ".
Mais comme c'est ce que les Témoins de Jéhovah
vous invitent à faire actuellement, ils détournent de son
sens ce passage des Actes pour se l'annexer...
" Que chacun se soumette aux autorités en charge
" (Romains 13, 1-7) :
Mais voici qui est encore plus typique d'une interprétation
déformante. Il s'agit du chapitre 13 de l'Epitre aux Romains.
Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, capitale de l'Empire, saint
Paul recommande aux chrétiens la soumission aux pouvoirs civils.
Je vous cite le passage en entier, car il forme un tout : " Que chacun
se soumette aux autorités qui sont au-dessus de nous (les Témoins
de Jéhovah traduisent " les autorités supérieures
"...). Car il n'y a point d'autorité qui ne tienne de Dieu,
et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui
qui résiste à l'autorité se rebelle contre l'ordre
établi par Dieu. Et les rebelles se feront eux-mêmes condamner.
En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le
bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu n'avoir pas à craindre
l'autorité ? Fais le bien et tu en recevras des éloges ;
car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien. Mais crains,
si tu fais le mal ; car ce n'est pas pour rien qu'elle porte le glaive
; elle est un instrument de Dieu pour faire justice et pour châtier
qui fait le mal. Aussi doit-on se soumettre non seulement par crainte du
châtiment, mais par motif de conscience. N'est-ce pas pour cela mène
que vous payez les impôts ? Car il s'agit
de fonctionnaires qui s'appliquent de par Dieu à cet office. Rendez
à chacun ce qui lui est dû : à qui l'impôt, l'impôt
; à qui les taxes, les taxes ; à qui la crainte, la crainte
; à qui l'honneur, l'honneur ! "
Je pense que pour tout esprit non prévenu le sens
est clair. Paul affirme ici le principe de l'origine divine de l'autorité,
et l'obligation pour le chrétien de s'y soumettre. Il y reviendra
d'ailleurs dans sa première lettre à Timothée - alors
que l'empereur s'appellera Néron ! " Je
recommande avant tout qu'on fasse des demandes, des prières, des
supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les
rois et tous les dépositaires de l'autorité " (2, 1-2).
Et dans la lettre à Tite (3, 1) : "
Rappelle à tous qu'il faut être soumis aux magistrats et aux
autorités ".
Vous pensez bien qu'avec les sentiments qu'ils professent
à l'égard des gouvernements de ce monde, vos conducteurs
ne peuvent entendre ces paroles telles qu'elles sonnent ! Dans leur livre
" La Vérité vous affranchira " (pp.286-287), ils racontent
comment, en 1918, les Témoins de Jéhovah se laissèrent
égarer par ce texte et se soumirent aux " dirigeants de ce monde
" (avec lesquels, aux U.S.A., ils avaient eu des ennuis...). Heureusement
" en 1929 une grande lumière les illumina. La Tour
de Garde publia l'explication scripturale du chapitre 13 de l'Epitre aux
Romains. Elle montrait que Jéhovah et Christ sont les 'autorités
supérieures', et non les gouvernants de ce monde ; que les âmes
chrétiennes doivent obéir à Dieu plutôt qu'aux
hommes et se soumettre à 'tout ordre humain' scriptural émanant
de serviteurs établis dans l'organisation de Dieu soumise à
Christ le Roi. " - autrement dit aux dirigeants des Témoins
de Jéhovah. " La révélation de cette vérité
libéra complètement l'esprit du peuple consacré à
Dieu. "
Et dans le vade-mecum qu'on vous remet, p.40, vous pouvez
lire la même exégèse : les " autorités supérieures
" dont parle saint Paul ne sont point les autorités civiles,
mais Jéhovah et Jésus-Christ ; seuls Jésus-Christ
et son organisation théocratique sont reconnus par Dieu ; eux seuls
méritent qu'on leur obéisse.
Je vous prends à témoins, Témoins
de Jéhovah : ne pensez-vous pas qu'il est difficile de détourner
plus manifestement un texte du sens qu'il avait sous la plume de celui
qui l'a écrit ?
" Tu es Pierre, et sur cette pierre... "
(Matthieu 16, 16-18) :
Venons-en au fameux texte où Jésus confie
à Pierre son Eglise :
" Pour vous, qui suis-je ? ", demande Jésus.
" Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant " répond
Pierre.
En réponse, Jésus lui déclara :
" Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car cette révélation
t'est venue, non de la chair et du sang (= d'une façon de voir
purement naturelle), mais de mon Père qui est dans les cieux.
Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai
mon Eglise, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle.
Je te dominerai les clefs du Royaume des cieux : quoi que tu lies sur la
terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié " etc...
Il est clair que la réponse de Jésus à
Pierre est consécutive à son acte de foi. Le " Tu es Pierre
" répond à " Tu es le Christ ". " Sur cette
pierre je bâtirai mon Eglise " est confirmé par " Je
te donnerai les clefs du Royaume ".
Vous remarquerez que c'est la première fois que
le mot " pierre " (en grec " céphas ") est utilisé
comme nom propre ; que c'est le même mot " céphas "
que Jésus utilise quand il dit " Tu es Pierre " et quand
il dit " et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ". Pour
quiconque lit sans préjugé, l'équivoque est impossible.
Les Témoins de Jéhovah s'en prennent bien
entendu à ce texte.
Tout d'abord ils le traduisent ainsi : " Tu es Pierre,
et sur ce roc je bâtirai ma congrégation... Tout ce que tu
peux lier sur la terre aura été lié dans les cieux...
"
Et ils en donnent une exégèse pour le moins
curieuse (22) : le premier " Céphas " désignerait
l'apôtre, et le second " Céphas " désignerait
Jésus lui-même (et sur cette pierre, sous-entendu que je suis
moi-même, je bâtirai...). Pour le prouver, ils vont chercher
la version syriaque : il paraît qu'en syriaque " tu es
Pierre " est du masculin, tandis que " sur cette pierre "
est du féminin - donc il ne s'agit pas de la même pierre !
...
L'ennui pour cette interprétation, c'est que le
Nouveau Testament n'a pas été écrit en syriaque, mais
en grec, et que le grec ne supporte absolument pas cette exégèse.
Et encore - et surtout ! - qu'on ne voit plus du tout
pourquoi, dans ce cas, Jésus aurait appelé " Pierre "
un apôtre qui auparavant se nommait Simon, si ce n'était pas
pour le désigner quand il dit tout de suite après : "
et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise... "
C'est encore typique d'une interprétation consécutive
à une idéologie. Alors que la Bible protestante de Segond
traduit de la même manière que nous - et que l'exégète
protestant Oscar Culmann trouve comme nous, dans ce texte, l'affirmation
de la primauté de Pierre - quitte ensuite à se séparer
de nous pour estimer que cette primauté n'était pas transmissible
à des successeurs - ce qui est parfaitement matière à
discussion - mais à partir de la fidélité d'abord
au sens objectif du texte évangélique.
Fausses utilisations des chiffres bibliques
Venons-en maintenant à l'usage que font vos conducteurs
des chiffres qu'ils trouvent dans la Bible pour étayer leurs conceptions,
notamment sur la fin des temps. Nous avons là de remarquables exemples
d'une méconnaissance totale des règles qui s'imposent pour
lire correctement la Bible en tenant compte du " genre littéraire
" de chaque livre. Il est clair que, dans les Actes des Apôtres
(19, 8), quand Luc nous dit que Paul parla " pendant trois mois "
à la synagogue d'Ephèse, nous sommes dans le genre littéraire
" histoire " et qu'il s'agit bien de trois mois. Tandis que dans
le poème de la création, au début de la Genèse,
quand il est parlé des six jours de la création, il ne s'agit
pas de six de nos jours. Les Témoins de Jéhovah en sont bien
d'accord, qui interprètent à leur manière les chiffres
bibliques. Mais que vaut cette interprétation ? Nous allons le voir
par quelques exemples.
La date de la création de l'homme
Les données présentes de la science préhistorique
nous apprennent que l'homme existe depuis plusieurs dizaines, peut-être
même depuis plusieurs centaines de milliers d'années. Même
pour l'histoire - où l'on atteint le passé grâce aux
fouilles, en Egypte, en Babylonie, etc... - les découvertes
les plus récentes attestent l'existence de civilisations
avancées il y a six ou sept mille ans.
A l'époque où l'on ignorait cela, on était
excusable d'accorder quelque crédit aux chiffres bibliques pour
tenter une chronologie. Encore que, depuis fort longtemps, les biblistes
sérieux aient montré que l'intention de la Bible n'est point
du tout de nous fournir des informations scientifiques, mais de nous dire
le dessein d'amour de Dieu sur le monde et son plan de salut, par la préparation
du peuple d'Israël. Les découvertes scientifiques, n'ont pas
du tout " discrédité la Bible ", comme les Témoins
de Jéhovah nous accusent de le croire (23)
; elles nous ont aidé à chercher dans la Bible un message
spirituel qui s'exprime aussi bien à travers des poèmes qu'à
travers l'histoire proprement dite, à travers des conceptions cosmologiques
périmées qu'à travers d'antiques traditions communes
aux peuples orientaux. Vouloir faire de la Bible, en tous ses livres,
un ouvrage scientifique et refuser, par exemple, l'évolutionnisme
au nom de la Bible, c'est la vouer gratuitement au ridicule : Dieu
ne nous a pas parlé pour nous dire à quelle date avait été
créé l'homme, mais pour nous dire qu'il a créé
l'homme à son image et à sa ressemblance et que c'est une
oeuvre d'amour.
Vos conducteurs tiennent pourtant à vous apprendre
à quelle date remonte la création de l'homme, et ils précisent
: l'année 46.028 avant Jésus-Christ. Cette précision
augmente-t-elle dans vos coeurs l'amour de Dieu et du prochain ? à
vous de le dire. En tout cas vous savez le nombre de pages que cette démonstration
occupe dans les ouvrages que vous connaissez... Prenez par exemple le chapitre
11 du livre La vérité vous affranchira, intitulé
Le calcul du temps :
La chronologie depuis Adam jusqu'à nos jours est introduite
par ces mots : " Dieu s'en tient strictement aux dates qu'il a fixées
pour la réalisation de ses desseins... " - et elle est établie
d'après la liste des patriarches et la durée de leur vie.
Cela donne 1.656 années depuis Adam jusqu'au déluge + 427
années du déluge à Abraham + 1.945 années d'Abraham
à Jésus-christ. Total : 4.028 ans.
Est-il besoin de préciser que les généalogies
qu'on trouve dans la Genèse n'offrent aucune garantie mathématique
? Premièrement parce qu'il n'est pas du tout sûr que les chiffres
des traditions orientales aient la même valeur que les nôtres.
Deuxièmement parce que ces traditions sont très flottantes
; c'est ainsi que le texte hébreu compte 1.656 ans avant le déluge,
tandis que la version des septante en compte 2.242 et le Pentateuque samaritain
1.307... Troisièmement et surtout parce que les très vieilles
traditions rapportées dans les onze premiers chapitres de La
Genèse (avant Abraham) relèvent d'un genre littéraire
qui n'a rien à voir avec l'histoire. Fixer la date du déluge
ou de la Tour de Babel, additionner des chiffres à partir
de l'âge de Mathusalem et des autres, est un travail absolument vain.
L'histoire biblique commence avec Abraham (vers 1.800 avant Jésus-Christ)
et se précise quelque peu avec Moïse (vers 1.200 avant Jésus-Christ).
Et même, jusqu'à l'institution de la royauté (vers
1.000 avant Jésus-Christ), l'imprécision est de rigueur.
Passons...
Reste à trouver 42.000 ans. Comment les trouve-t-on
? En lisant le récit de la création. Tout le monde sait qu'il
est distribué en six jours - et Dieu se reposa le septième...
Admirable poème, qui chante l'oeuvre créatrice à la
manière orientale, en décrivant ses merveilles dans le cadre
de la semaine, rythme traditionnel de l'activité humaine, pour aboutir
au repos du septième jour. Les auteurs des livres Du paradis
perdu au paradis retrouvé (pp. 1-26), La vérité
vous affranchira (pp. 50-74), etc... se donnent un mal fou pour donner
une allure " scientifique " à ce poème, afin de le
rendre acceptable pour des esprits modernes. C'est de la bien mauvaise
apologétique. Quant aux chiffres, ils affirment qu'un jour
équivaut à 7.000 ans. Pourquoi ? Parce que, depuis que Dieu
s'est arrêté de créer, il s'est déjà
écoulé plus de 6.000 ans et que nous sommes dans le septième
millénaire. Si le " septième jour ", celui du "
repos de Dieu " est de 7.000 ans, les six jours de son activité
créatrice ont dû être chacun également de 7.000
ans. Six fois sept = quarante deux :
" Le grand repos ou sabbat de Dieu a duré
six mille ans déjà (affirmation sans preuve...), et sa parole
nous assure (où ? ...) qu'il se prolongera pendant un millénaire
encore, de sorte que sa durée totale sera de sept mille ans environ.
si ce septième jour est une période de sept millénaires,
il est on ne peut plus raisonnable de supposer que les précédents
six jours de la création eurent chacun la même longueur, ce
qui donne pour ces derniers un total de quarante-deux mille années
". (La Vérité vous affranchira pp. 52-53).
Trouvez-vous que cette démonstration est vraiment
convaincante ? Trouvez-vous surtout qu'il vaille la peine d'y consacrer
des pages et des chapitres ? Ne pensez-vous pas que c'est bien du temps
perdu ? Notre foi n'a rien à y gagner, parce que ce n'est pas l'objet
de la Révélation. Et notre curiosité n'y trouve que
des erreurs.
La fin du " temps des gentils "
Regardons maintenant à l'autre extrémité
du temps, du côté de la fin ...
Depuis toujours, il se rencontre des inquiets pour faire
des calculs relatifs à la fin des temps. Et depuis vingt siècles,
il se rencontre des calculateurs pour aller chercher dans la Bible de quoi
alimenter leurs calculs, chacun a découvert, au temps où
il vivait, de quoi prédire la fin des temps pour les années
" prochaines ", chaque fois ces calculs ont été démentis,
mais, inlassablement, d'autres calculateurs ont pris le relais. Il serait
très intéressant que l'histoire fût faite de toutes
ces prédictions déjouées par les événements
; intéressant et instructif pour ceux qui continuent à croire
à celles d'aujourd'hui (24) - y compris dans
certains cercles catholiques qui ressemblent étrangement aux sectes.
On ne saurait espérer que ce petit jeu prenne fin... avant la fin
des temps. Du moins peut-on essayer de montrer que tous ces calculs reposent
sur de fausses interprétations de la Bible. Jésus d'ailleurs
ne nous a-t-il pas avertis : " Pour ce qui est du jour et de l'heure,
personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père
seul " (Ht 24, 36).
Vos conducteurs, Témoins de Jéhovah, citent
cette parole, mais ils prétendent qu'elle s'applique seulement à
la fin " définitive ". Le Seigneur nous inviterait au contraire
à supputer le temps où arrivera la fin de notre monde mauvais
(royaume de Satan) et le début des mille ans de bonheur où
le royaume de Dieu sera établi sur la terre (La Vérité
vous affranchira p. 265).
Sur quoi s'appuient-ils pour établir leurs calculs
? Principalement sur deux livres qui relèvent du genre " apocalyptique
" : le livre de Daniel et le livre de l'Apocalyspe. Ce
genre littéraire a ses lois : tout y est symbole ; les noms, les
personnages, les "bêtes", les pierres, les chiffres et la suite des
événements, qui n'a rien à voir avec une suite chronologique,
chercher à interpréter chaque image, chaque chiffre, pour
eux- mêmes, est une entreprise aberrante qui débouche inévitablement
dans l'incohérence ou dans l'erreur.
Pour lire correctement Daniel et l'Apocalyspe,
il faut :
Les considérer comme de grandes fresques dont on ne
peut saisir le sens qu'en les considérant dans leur ensemble - et
non pas s'armer d'une loupe : c'est un mauvais instrument pour regarder
une fresque.
Ne pas rapporter à la fin du monde des passages qui
peuvent légitimement s'appliquer à des événements
historiques déjà accomplis.
Daniel a été composé à
la fin du IIème siècle avant Jésus-Christ, à
l'époque de l'empereur persécuteur Antiochus Epiphane, qui
pille Jérusalem et détruit les Livres Saints. Les visions
qui le composent décrivent la succession de quatre empires qui deviennent
de plus en plus cruels et impies : Assyrie-Babylonie, Mèdes, Perses,
Macédoniens. Un enchevêtrement de " jours ", de "
semaines ", d' " années ", de " temps "... en
rend la lecture très difficile pour les commentateurs sérieux,
et il faut une intrépidité primaire pour la rendre limpide.
Daniel lui-même dit à plusieurs reprises qu'il ne comprend
rien aux visions qui lui sont données (7,15,28 ; 8,27 ; 12,8) et
que tout ça le rend malade (25).
L'Apocalyspe est la réplique de Daniel
au début de l'ère chrétienne. Elle est écrite
à l'époque de la terrible persécution de Domitien
contre les premiers chrétiens. Saint Jean revit, et jusque dans
les termes qu'il emploie, les épreuves qu'ont connues les Juifs
aux temps d'Antiochus. Comme Daniel, il entrevoit la délivrance
et son regard bondit au-delà des luttes au milieu desquelles il
est plongé, jusqu'au déroulement de l'histoire de l'Eglise,
jusqu'à sa consommation à la fin des temps. Ecrit de circonstance,
destiné à relever et à raffermir le moral des chrétiens,
qui pourrait être ébranlé par l'épreuve : "
Ayez confiance, j'ai vaincu le monde ! " Epopée de l'espérance
chrétienne ; chant de victoire de l'Eglise persécutée.
Inutile de chercher dans les visions de L'Apocalyspe une succession
de périodes historiques : elles représentent la même
réalité sous des images différentes.
" La Bête " et toutes les autres représentations
du même type, c'est évidemment l'empire romain, à ce
moment persécuteur des chrétiens ; mais c'est aussi , tous
les persécuteurs de l'avenir, et par-dessus tout Satan, l'adversaire
par excellence du Christ et de son Eglise. Les tremblements de terre, les
phénomènes qui se produisent dans le soleil et la lune, la
chute des étoiles, l'écroulement des collines et des montagnes,
etc... : il faut savoir que ce sont des lieux communs de la littérature
apocalyptique et même de la littérature prophétique
en Orient. Toutes ces images à profusion signifient la même
chose : Dieu ne laissera pas les crimes impunis, le châtiment s'abattra
sur les persécuteurs. On retrouve cette imagerie chez tous les prophètes.
Vous pensez bien que de telles catastrophes, prises littéralement,
atteignant par leur nature même les innocents et les coupables, il
est ridicule d'y voir des manifestations de la " colère de Dieu
"... (26).
Revenons maintenant aux calculs de Russell et de Rutherford.
Russell a prédit que 1914 serait l'année
du retour du Christ sur la terre et de la restauration du royaume théocratique.
Rutherford, devant l'évidence que rien ne s'était produit,
a affirmé qu'en 1914 le Christ était bien revenu sur terre,
mais de façon invisible, sensible aux seuls Témoins de Jéhovah.
Pourquoi 1914 ?
D'abord une affirmation gratuite : la domination théocratique
de Jéhovah, abolie par la déportation des Juifs à
Babylone au temps de Nabuchodonosor, sera rétablie - en interprétant
un chiffre de Daniel - au bout de " sept temps ".
Puis une deuxième affirmation gratuite : un "
temps " de Daniel équivaut à une année symbolique
; les " sept temps " de Daniel équivalent donc à 84
mois de 30 jours, soit 2.520 jours ; un " jour " de Daniel c'est
une de nos années. Donc il s'agit de 2.520 de nos années.
Enfin une erreur historique : le point de départ
(la déportation) est fixé à l'année 607 avant
Jésus-Christ (en fait la déportation a eu lieu en 587-586).
Muni de ces données arbitraires, on affirme : à
partir de 607 avant Jésus-Christ calculons 2.520 années :
cela nous donne 1914 (27).
Or les " sept temps " dont il est question dans un songe
de Nabuchodonosor qu'interprète Daniel s'appliquent au seul
Nabuchodonosor. Il n'y a qu'à lire le texte pour s'en rendre compte
(10, 15 ; 25, 31). Cela n'a absolument rien à voir avec la fin des
temps !
Et pourquoi un " jour " équivaudrait-il
à une " année " ? Ah ! là on va chercher un
verset du prophète Ezéchiel : " Je t'impose un jour pour
chaque année " (4, 6). Allez voir le contexte de ce verset :
vous verrez qu'il s'agit d'un siège de Jérusalem et de sa
durée, dans un symbolisme d'ailleurs obscur. Rien à voir
avec d'autres passages de la Bible où il est question de " jours
".
Toujours les mêmes procédés : sortir
une phrase de son contexte, inventer des interprétations personnelles
pour faire dire aux pages de la Bible ce qu'on veut qu'elles disent, au
mépris de ce qu'elles disent réellement. Jugez vous-même
: est-ce là respecter la Parole de Dieu ?
Le " millenarium "
Venons-en à ces fameux " mille ans ", ce fameux
" millénarium ", qui a été si exploité
par les " fanatiques de l'Apocalypse " qu'on peut grouper tout un
ensemble de sectes sous l'étiquette " millénaristes ".
A telle date - une date qui varie bien entendu avec les
sectes et avec l'époque où elles vaticinent - en 1914, selon
M. Russell, en 1918 selon M. Rutherford, puis à une date indéterminée
- mais prochaine - va commencer sur terre, après la bataille d'Harmaguédon,
le règne théocratique du Christ pour mille ans. Pendant ces
mille ans, un certain nombre de morts ressusciteront (pas tous : il y en
a qui sont anéantis pour toujours, notamment les " religionistes
", entendez les fidèles des diverses confessions chrétiennes).
Cette résurrection se fera par étapes, par catégories.
Ce sera une ère de prospérité terrestre, où
la terre deviendra un paradis : les justes ressuscités " goûteront
la vraie paix, en communion parfaite avec les fidèles d'autrefois,
devenus les princes du Monde Nouveau " ; ils " se marieront, auront
des enfants, etc... " Tout cela a été révélé
en 1918. Pendant ces mille ans, le diable est enchaîné. Au
bout des mille ans, il sera déchaîné de nouveau, essaiera
de " réintroduire la religion ici-bas " (laquelle religion,
" démoniaque ", aura été " entièrement
supprimée de la planète " pendant les mille ans). Il
échouera, bien entendu, après avoir séduit pas mal
de malheureux. Point final : règne des Témoins de Jéhovah,
anéantissement de tous les autres (28).
Je vous fais grâce des détails de ces élucubrations,
qu'on retrouve à longueur de volumes.
D'où viennent donc - bibliquement parlant - ces
mille ans ?
De six versets de l'Apocalypse (20, 1-6). Il y est question
en effet du diable enchaîné pour mille années, d'une
première et d'une seconde résurrection. Qu'est-ce à
dire ?
C'est le cas d'éclairer ce qui est obscur par ce
qui est clair. Or, dans le chapitre 25 de saint Matthieu, il est clair
que la description du Jugement (" Venez, les bénis de mon Père...
Allez, maudits, au feu éternel ! ") se rapporte à un
seul acte, au moment de l'unique second Avènement du Seigneur. De
même en saint Jean (5, 28-29), où Jésus affirme : "
L'heure vient où tous ceux qui gisent dans la tombe en sortiront
à l'appel (du Fils de l'homme) : ceux qui auront fait le
bien ressusciteront pour la vie, ceux qui auront fait le mal pour la damnation
". C'est clair : une seule résurrection des corps à la
fin des temps, pour tous, un seul jugement. Et l'Epître aux Hébreux
(9, 27) dit nettement : " Les hommes ne meurent qu'une fois, après
quoi il y a le jugement. "
Comment donc comprendre le texte apocalyptique des "
mille ans " ? En un sens spirituel, évidemment.
La " première résurrection " est
celle que nous donne le Christ en nous faisant participer à la sienne
par le baptême. Les textes de saint Paul abondent : " Vous êtes
ressuscités avec le Christ " (Col 3, 1), Dieu " nous a ressuscités
avec le Christ ! ". La vie éternelle est déjà
commencée pour ceux qui ont accepté le Christ par la foi.
Sur eux, Satan n'a plus d'empire ; ils ont vaincu la mort avec le Christ
: " Heureux - conclut ce passage de l'Apocalypse - heureux et saint
celui qui participe à la première résurrection ! La
seconde mort (la mort éternelle) n'a point pouvoir sur eux,
mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront
mille années. "
Les " mille ans ", ce n'est pas 999 ans + 1 ; c'est
ce temps indéfini qui a commencé avec le Christ ressuscité
et qui s'achèvera à la fin des temps - préparation,
anticipation de l'éternité bienheureuse.
Ne soyez pas des obsédés morbides des calculs
eschatologiques, comme ceux qui s'hypnotisent sur de tels passages pour
en faire (c'est ce qui est le plus triste) la pièce majeure de
leur prédication. Il y a mieux à faire du temps que de
le calculer ! Il y a le vivre, aujourd'hui, " l'aujourd'hui de Dieu
", car cet aujourd'hui est déjà engagé dans l'éternité.
Les 144.000
Finissons-en avec les chiffres en regardant du côté
du ciel, où vont accéder, pour y régner avec le Christ,
144.000 élus, pas un de plus, pas un de moins, tandis que les autres
sauvés, les " autres brebis ", les " Jonadabs " vivront
heureux sur une terre renouvelée. Eux seuls, les 144.000, sont le
" corps de Christ " ; eux seuls sont l'Eglise : "
La Bible dit sans équivoque que le nombre des membres de l'Eglise
céleste sera de 144.000... L'Eglise est donc limitée à
ce nombre prédestiné d'élus et devient dans les cieux
le corps gouvernemental de l'organisation de Jéhovah Dieu... Les
autres créatures qui recevront de Dieu la vie... n'appartiendront
pas à l'Eglise, mais habiteront sur cette terre qui sera gouvernée
du ciel par Christ et son Eglise. " (Que Dieu soit reconnu pour
vrai p.121).
Quand on lit ces énormités, on se frotte
les yeux pour relire les deux passages de l'Apocalypse où il est
question des 144.000 (7, 4-8; 14, 1-4). Au chapitre 7, la vision du ciel
par saint Jean : " Marqués du sceau, 12.000 de la tribu de Juda,
12.000 de la tribu de Ruben... " etc... " Après quoi voici
qu'apparut à mes yeux une foule immense, impossible à dénombrer,
appartenant à toute nation, race, peuple et langue... "
Pour saisir le sens de cette vision, il faut d'abord savoir
que " mille " indique toujours la multitude indéfinie. Ensuite
que " douze ", dans la symbolique biblique, est le chiffre du peuple
d'Israël, issu des douze patriarches, ancêtres des douze tribus
d'Israël - et dans sa symbolique chrétienne, il est devenu
le chiffre de l'Eglise, issue des douze Apôtres. Dans l'Apocalypse,
la Jérusalem nouvelle a douze portes, où sont inscrits les
noms des douze tribus d'Israël (21, 12), ses remparts reposent sur
douze soubassements qui portent les noms des douze Apôtres de l'Agneau
(21,14)... Douze au carré = 144. Les 144.000 du chapitre 7 représentent
donc la multitude (indéfinie) des élus issus d'Israël,
soit de l'Israël selon la chair, soit de l'Israël nouveau. La
" foule immense de toute nation, race, peuple et langue... " (formule
stéréotypée pour signifier l'universalité),
vêtue " de robes blanches " (symbole du bonheur céleste)
et " des palmes à la main " (symbole de triomphe), ce sont
ceux, nous dit le verset 14, " qui viennent de la grande épreuve
", les martyrs de la persécution de Néron. Au chapitre
14 (1-4) les 144.000 qui suivent l'Agneau représentent l'Israël
nouveau, fidèle au Christ. Ils sont " vierges " de toute
idolâtrie, ayant refusé de se plier à l'adoration des
idoles... De toutes manières, " 144.000 " et " foule immense
"sont dans le même ciel, et non pas, les uns au ciel,
les autres dans un paradis terrestre.
Traduire ce symbole en un chiffre matériellement
limité (143.999 + 1), c'est méconnaître la symbolique
biblique et tomber dans la puérilité. Réduire à
ce nombre celui des membres du Corps du Christ et des élus du ciel,
c'est aller contre le contexte de l'Apocalypse que nous venons de voir
et contre maints autres passages du Nouveau Testament - les Béatitudes
par exemple (Mt 5, 2-12) : " Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume
des cieux est à eux... Heureux êtes-vous si l'on vous persécute
et si l'on vous calomnie à cause de moi... car votre récompense
est grande dots les cieux " : cela ne s'adresserait qu'à 144,000
personnes ? ! ... En vérité, si l'on voulait forcer comme
eux les paroles de l'Ecriture, ne serait-on pas en droit d'appliquer à
ceux qui soutiennent de pareilles théories la parole du Seigneur
: " Vous fermez aux hommes le Royaume des Cieux et vous n'y laissez
pas pénétrer ceux qui le voudraient " (Ht 23, 13).
" Harmaguédon "
J'ai nommé Harmaguédon..., la prochaine bataille
d'Harmaguédon... un des leitmotiv de votre propagande. Qu'est-ce
donc qu'Harmaguédon ? On vous dit que c'est le lieu où bientôt
Jéhovah va détruire, premièrement la " chrétienté
", " la religion organisée ", puis toutes les puissances
politiques (La vérité vous affranchira pp.320-321)
pour établir son royaume terrestre à lui : " Le dessein
immuable de Jéhovah d'établir un Royaume de justice se réalisa
en 1914. A la bataille d'Harmaguédon qui est proche, il frappera
avec toutes ses forces rassemblées l'organisation entière
du diable et détruira toutes ses institutions, les visibles et les
invisibles. " (Que Dieu soit reconnu pour vrai p.138)
A l'appui de cette affirmation, qu'on trouve dans toute
la littérature qu'il vous font lire, sont jetés en vrac une
multitude de textes empruntés à Zacharie, à
l'Apocalypse, à Michée, aux Psaumes,
aux Chroniques, à Isaïe, à Daniel,
etc.., on pourrait en ajouter cent autres : le thème de l'espérance
du peuple d'Israël opprimé par ses ennemis et certain du triomphe
final de Yahvé sur ses oppresseurs se trouve dans tout l'Ancien
Testament et l'espérance chrétienne l'a repris en le spiritualisant.
Mais où est Harmaguédon dans tout cela ?
Dans un seul verset de l'Apocalypse (16, 16) : " Ils
les rassemblèrent au lieu dit, en hébreu, Harmaguédon
", dans un contexte (une vision) où il est parlé de toutes
les puissances du mal qui doivent être détruites par le Christ.
" Harmaguédon " signifie en hébreu " la montagne
de Meggido ".
Meggido, au milieu de la plaine d'Esdrelon, était
demeurée tristement célèbre chez les Hébreux
depuis que Josias et ses troupes y avaient subi un désastre mémorable
(2 R 23, 29 et sq.), quelque chose comme pour nous Waterloo ou la Bérésina
ou Trafalgar : " Quel coup de Trafalgar ! " dit-on pour traduire
: " Quel désastre ! ". Je veux bien qu'une fois en passant,
comme le fait l'Apocalypse, on invoque ce nom symbolique. Mais ne
croyez-vous pas qu'il y a de l'abus à matérialiser autour
de ce nom, en de fulgurantes descriptions indéfiniment répétées
et destinées à terrifier, la ferme espérance chrétienne
qu'un jour le mal sera vaincu - le mal, et non pas la chrétienté,
ni les Etats politiques, ni les pécheurs.
Notes
(1) L'offensive des Sectes, 3ème
éd. 1 vol. 520p, coll. Rencontres. Ed. du Cerf.
(2) Que penser des Sectes ?
Album " Fêtes et Saisons ".
(3) Connaissez-vous les Mormons
? H. Chéry.
(4) Conspiration Against Democracy,
p. 5.
(5) Le Royaume, un refuge dans
la détresse, p. 11
(6) Ennemis, p. 286
(7) Réjouissez-vous !
p. 53
(8) Que Dieu soit reconnu pour
vrai, p. 68
(9) Id. p. 70
(10) Id. p. 244 et tout le ch. 18.
Les Témoins de Jéhovah sont " objecteurs de conscience
", comme beaucoup de chrétiens. Mais, alors que les chrétiens
le sont par refus de porter les armes contre leurs frères, les Témoins
de Jéhovah soulignent qu'ils ne sont pas " des pacifistes pour
un motif politique, religieux ou philosophique ", mais qu'ils refusent
tout service, militaire ou civil, en tant qu'opposé au service de
l'Evangile (p. 246).
(11) Vittorio Lanternari : Les
mouvements religieux des peuples opprimés, 1 vol. 399 p. Ed.
Maspéro, Paris 1962.
(12) On en trouvera 1e dépouillement
dans La Vie Spirituelle de janvier 1968
(13) Constitution La Révélation
divine, n° 25
(14) Cercle Saint-Jean-Baptiste,
3 rue de l'Abbaye, Paris VIe
(15) Bible et Terre Sainte, mensuel,
Bonne Presse, 5 rue Bayard, Paris VIIIe
(16) Cahiers Evangile, Ligue
catholique de l'Evangile, trimestriel ; plus de 75 cahiers parus
(17) Lire Les Catholiques et la
Bible, 1 brochure 28 p. 1959. Même adresse.
(18) La Bible et son Message,
n° 12 à 23, réunis en un volume broché : "
Vers la Terre promise ". L'essentiel des n° 1à 11 a été
réimprimé dans un autre volume " La Genèse ".
Les n° 2 à 36 (de Josué au schisme des dix tribus) constituent
le volume " Les débuts du Royaume ".
(19) On lira avec profit à
ce sujet les Cahiers Evangile, n° 36 et 37 : " Les livres
de la Bible ".
(20) Lire l'étude de Boisnard
: Le prologue de saint Jean, 1 vol, coll. Lectio divina. Ed. du
Cerf.
(21) La religion a-t-elle servi
l'humanité ? pp. 94-95
(22) Que Dieu soit reconnu pour
vrai, pp. 116-117
(23) Reveillez-vous du 8 octobre
1963 : " La Bible triomphe... " p. 3
(24) Cette histoire a été
écrite pour le Moyen-Age, spécialement en Allemagne : Les
fanatiques de l'Apocalypse, par M. Norman Cohn, chez Julliard
(25) Iintroduction au Livre de
Daniel, dans l'édition de ce fascicule de la Bible de Jérusalem,
1 vol. 98 p. Ed. du Cerf
(26) Lisez l'introduction à
L'Apocalypse, l vol. 88 p. même collection
(27) Que Dieu soit reconnu pour
vrai, ch, 18 : " Sept temps "