A 23 ans, Laura fait partie d'une secte. Elle s'en est sortie grâce à la clinique de WELLSPRING, dans l'Ohio, qui "déprogramme" (1) les adeptes et les aide à oublier le cauchemar qu'ils ont vécu
En 1995, à 23 ans, je venais de finir mes études d'arts plastiques
et d'obtenir le diplôme qui me permettrait d'enseigner cette discipline.
Je vivais à Baltimore et occupais un emploi à mi?temps comme superviseur
de la maintenance de l'école.
Par ce biais, j'ai fait la connaissance d'un électricien avec qui j'ai sympathisé. Cet homme était en plein divorce mais semblait surmonter ses problèmes sereinement, et je lui ai demandé comment il s'y prenait. Il m'a parlé de séminaires qu'il suivait pour développer son "potentiel humain" et m'a donné un numéro de téléphone. C'était une période transitoire dans ma vie et j'étais à la recherche d'une spiritualité différente. La proie idéale pour une secte. J'ai appelé pour obtenir des informations et, immédiatement, je fus séduite par les propos de la femme au téléphone qui réussit à me convaincre d'assister à un forum de trois jours, moyennant 300 dollars.
Pendant un week?end, je me suis retrouvée dans une salle avec une centaine de personnes. Là, un leader nous a demandé de nous interroger les uns les autres sur un sujet précis et d'en débattre. Les conversations étaient vaguement philosophiques : le sens de la vie, le destin... et les gens présents tous aussi passionnés que moi !
Pendant trois jours.nous arrivions le matin très tôt et restions jusqu'à une ou deux heures du matin, ne dormant que quelques heures. Nous faisions également beaucoup de "visualisation". Le leader nous demandait de "regarder à "l'intérieur de nous?mêmes" en nous suggérant des images.
A la fin de ces trois jours, je me suis sentie transformée. De retour chez moi, mes amis m'ont trouvée changée, bizarre. Exaltée, j'étais dans une sorte d'euphorie, comme sous l'effet, d'une drogue. Je me sentais en paix et la vie me semblait merveilleuse.
Le groupe a offert aux participants du forum un séminaire gratuit chaque mercredi pendant dix semaines pour en savoir plus sur sa ``philosophie". C'était un mouvement New Age, mêlant discours spiritualistes, nouvelles thérapies, et prônant la découverte de soi.
Dans ces réunions, nous étions en groupe et toutes les conversations avaient un "meneur'". Nous avions l'impression de débattre alors qu'en fait nous recevions des messages. Par exemple, on nous disait que nous étions des êtres divins, que nous devions trouver Dieu en nous que nous pouvions diriger notre vie selon nos désirs et bien sûr que nous étions des personnes élues, meilleures que les autres.
Au terme de ces séances, nous étions persuadés d'être une sorte d'élite. Je devins méprisante à l'égard de mes amis. D'ailleurs, très vite, je n'ai plus eu le temps de les voir, submergée par mes activités au sein du groupe.
Ravie de nie sentir si bien, j'ai appelé ma mère en lui parlant
de ce potentiel que j'avais découvert en moi, des gens passionnants que
j'avais rencontrés.
Immédiatement, elle a flairé quelque chose de louche et m' a demandé:"Tu
es certaine qu'il ne s'agit pas d'une
secte ?" Irritée, je lui ai répondu: "Bien sûr
que non, tu sais que je ne ferai jamais partie d'une secte !"
En raccrochant, je me suis dit qu'elle était bornée. C'est à ce moment que mes parents ont entrepris des recherches sans m'en parler. Ils me surveillaient de loin en s'informant sur les moyens d'intervenir pour me sortir de ce groupe.
Peu à peu, la secte a occupé tout mon temps. Je travaillais bénévolement trente heures par semaine, recrutant de nouveaux membres. Entrée dans le groupe en mai, j'ai quitté mon travail en octobre et cessé de payer mon loyer.
Mes économies me permettaient à peine de me nourrir, je devais vivre avec 3 dollars (20 francs) par jour. En décembre, le propriétaire m'a expulsée.
En janvier, mes parents, m'ont proposé de revenir chez eux, sans me parler
de quoi que ce soit, sachant que
le ne les écouterais pas et que je risquais de m'enfuir.
Comme nous habitons dans l'état du Maryland, tout près de Washington,
j'ai trouvé une antenne de la secte et continué mes activités.
Une fois par semaine, j'assistais en plus à une réunion dans le
groupe de Baltimore.
Au printemps 1996, j'ai finalement trouvé un nouvel emploi dans une boutique d'arts plastiques. De son côté. ma famille avait mené des mois d'enquête et recruté un spécialiste des sectes, une sorte de "déprogrammateur" appelé "exit?counselor". Un matin, ma grand?mère est arrivée chez nous accompagnée de cet homme nommé Kevin. Mes parents m'ont dit qu'ils voulaient que je le rencontre.
C'est mon frère âgé de 14 ans qui a réussi à me convaincre d'accepter de faire un travail avec Kevin. J'avais essayé maintes fois de l'influencer pour qu'il adhère à mon groupe. Mais il avait suivi les recherches de mes parents et ne s'était jamais laissé séduire.
Nous nous sommes rendus dans la maison d'une amie de ma grand?mère, un lieu neutre. Cette "déprogrammation" intensive a duré trois jours, du matin au soir. Ma famille était là, avec moi ou dans la pièce à côté et me raccompagnait chaque soir chez nous pour dormir. Kevin, mon "exit?counselor", a d'abord commencé par avoir une conversation tout à fait banale avec moi.
J'étais intriguée. Au début, je me suis mise en colère contre cet homme, en criant qu'il ne comprenait rien. Peu à peu, il m'a demandé de répondre par écrit à des questions sur `'ma philosophie" : comme par exemple des interrogations sur Dieu... J'essayais de me concentrer mais je ne trouvais pas de réponses, même aux questions les plus simples.
A bout de nerfs, je me suis évanouie et suis tombée de ma chaise.
Kevin m'a aidée à me relever et m'a dit: "II est temps de
faire une pause. Il faut que tu saches que ton comportement n'est pas l'effet
du hasard. Ton
cerveau est incapable de retrouver les informations qu'il possédait.
Le groupe que tu as suivi t'a fait subir ce qu'on appelle un "lavage de
cerveau".
J'ai commencé alors à réaliser qu'il n'avait peut?être
pas tort. Je ne pouvais plus nier que quelque chose m'échappait.
Une jeune femme, nommée Laura comme moi, est venue assister à
certains entretiens. Rescapée d'une secte, elle m'a fait part de son
expérience. Après ces trois jours, j'étais déterminée
à ne plus revoir le groupe. J'ai repris mon travail mais je me sentais
angoissée, déprimée. J'avais peur d'éventuelles
pressions de la secte. Me harcelant de
coups de fil, mes anciens "amis" insistaient en effet pour que je
revienne, mais je tenais bon.
Deux mois plus tard. j'étais toujours aussi déprimée et je faisais des cauchemars où je voyais le gourou qui me poursuivait.
C'est Laura, la jeune femme qui m'avait aidée et avec laquelle j'étais toujours en relation, qui m'a fait rencontrer des "ex?cultists" (anciens adeptes), et m'a parlé d'un centre d'aide aux victimes des sectes nommé "Wellspring". Je décidai de m'y rendre.
Préalablement, j'ai dû téléphoner et on m'a demandé:
"Pensez?vous que vous risquez de retourner dans cette
secte ?" C'est une question essentielle, car certaines personnes hésitent
et il est impossible de les aider. Pour ma part, j'étais certaine de
ne pas vouloir y retourner.
Laura m'a conduite â Wellspring en voiture. Cet endroit est aussi appelé "le Chalet". C'est en effet une petite maison perdue entre bois et montagnes, dans l'Ohio. A mon arrivée, il y avait une autre jeune femme échappée d'une secte chrétienne et un homme plus âgé, survivant d'une secte dite "apocalyptique.
II a fallu quinze jours pour me sortir de mon état hypnotique
J'ai été reçue par un psychologue pour un entretien ainsi que des tests. Ensuite, on m'a expliqué comment le centre fonctionnait. Les pensionnaires restaient en moyenne deux semaines, ce qui serait mon cas.
Tous les matins, pendant quinze jours, j'ai suivi une thérapie individuelle avec un psychologue nommé Ron, et les après?midi, des ateliers étaient organisés avec tous les pensionnaires. Là, nous racontions notre histoire, comparions notre expérience. J'ai sympathisé avec la jeune femme de la secte chrétienne et nous nous écrivons toujours.
Parmi les psychologues et les conseillers, il y avait toujours quelqu'un pour m'écouter, ce qui est très rassurant, car lorsqu'on est dans une secte, on n'a pas le droit de parler quand on le souhaite. Ici, je pouvais poser toutes les questions que je voulais.
Nous assistions aussi à des projections de films sur les sectes, leurs gourous, et on nous expliquait les techniques d'endoctrinement et de manipulation mentale. On m'a aussi demandé de faire le point sur ma vie d'avant et sur ce qui m'avait poussée à entrer dans une secte. J'ai réalisé qu'en la choisissant, j'avais cherché une nouvelle famille... parfaite.
Le reste du temps à Wellspring était libre. Je passais des heures?à dessiner, à me promener dans la nature.
Cet isolement est une étape essentielle à la guérison d'un ex?adepte : en effet, quand on adhère à une secte, on ne reste jamais seul, on n'a pas le temps de se poser des questions.
Au Chalet, j'ai pu penser, comprendre qui j'étais vraiment et ce que la secte avait changé en moi. Je passais aussi des heures à me reposer, à pleurer, à retrouver des émotions perdues. Ici, les pensionnaires n'ont pas de voiture et on sortait peu en ville, d'ailleurs je n'en éprouvais pas le besoin. Deux fois, nous sommes allés faire du shopping avec quelqu'un du centr e.
La bibliothèque du Chalet était le lieu le plus intéressant: j'y ai découvert des ouvrages sur toutes les religions ainsi que les manuels des gourous. Aucune lecture n'était interdite, et il était conseillé de lire le plus possible pour s'informer.
Sur le mur, il y avait un panneau indiquant les religions du monde et leurs leaders. Plus j'apprenais et plus j'étais terrifiée. Jamais je n'aurais imaginé qu'il existait autant de sectes ! A ma sortie de Wellspring, je suis retournée vivre chez mes parents.
Je n'ai pas cherché immédiatement un nouvel emploi, j'avais encore besoin de temps pour comprendre ce qui m'était arrivé. Mais ma famille a tout de suite remarqué que je pouvais à nouveau avoir des conversations sans blocages, que je parlais plus facilement avec les gens. Avec mes parents aussi j'ai renoué le dialogue. Par la suite, j'ai occupé divers emplois et actuellement, je remplace l'institutrice en congé maternité dans une école primaire.
Mon but est de pouvoir un jour vivre de mon artisanat (dessin et céramique) et d'avoir assez d'argent pour aider ceux qui s'échappent des sectes. A Wellspnng, j'ai bénéficié d'une donation qui a aidé à payer mon séjour (5 000 dollars) et j'aimerais pouvoir rendre ce geste à quelqu'un. Voici quelques mois, j'ai rencontré une femme qui avait quitté la secte New Age et qui était très perturbée. En la voyant dans cet état, j'ai pensé que, sans ce séjour au Chalet, je ne m'en serais probablement pas sortie moi non plus.
Pendant un an, j'ai continué à voir gratuitement une psychologue
recommandée par le centre. Ces thérapies de groupe avaient lieu
une fois par mois. Ensuite, j'ai cherché un psychologue et entrepris
une thérapie individuelle que je poursuis.
Quatre ans plus tard, je suis toujours dans un processus de guérison.
Je fais parfois des cauchemars, notamment quand j'ai un nouveau travail, rêvant
de mon patron comme s'il était le leader du groupe, et je prends encore
des anxiolytiques.
Heureusement, faire face à la réalité devient chaque jour plus facile. Ces deux semaines de cure à Wellspring m'ont fait sortir de cet état d'hypnose. Ces personnes m'ont donné du courage et m'ont aidée à reprendre contact avec le monde réel
"Wellspring Retreat& Resource Center, P.O Box 67, Albany, Ohio 45710 USA. www.wellspringretreat.org
Interview du docteur Paul Martin, psychologue et directeur de Wellspring. Centre d'aide aux victimes des sectes.
Femme Actuelle - Comment est né le projet de Wellspring ?
Paul Martin : J'ai été membre d'une secte durant sept
ans et j'ai mis sept ans à m'en sortir. Mon épouse en faisait
elle aussi partie. Lorsque nous avons réussi à quitter la secte,
j'ai réalisé que nous avions subi de graves traumatismes. J'ai
voulu comprendre ce qui m'était arrivé pour aider les autres,
ma femme, des amis, tous dépressifs, et j'ai décidé de
suivre des études en psychologie. Wellspring a ouvert en 1986.
F. A.: Les personnes viennent-elles de leur plein gré ou sur
décision de leur famille ?
P. M. : 8O à 90 % des personnes qui quittent une secte viennent
ici de leur plein gré, fréquemment à la suite d'une psychothérapie
classique qui a échoué. Quand elles arrivent, ces personnes souffrent
encore de traumatismes. Un pensionnaire reste ici en moyenne deux semaines.
Le jour de son arrivée, nous le recevons en entretien privé, puis
nous lui faisons passer des tests psychologiques. Ensuite, il va suivre chaque
jour une thérapie individuelle de deux heures et des ateliers de trois
heures, au cours desquels il rassemble des informations sur les sectes, discute
avec les pensionnaires et notre équipe afin de comparer son histoire
à celle des autres. Le reste du temps est consacré à lire,
se promener ou aller en ville. L'équipe est composée de psychologues,
de conseillers, la plupart étant d'anciens membres de sectes ayant étudié
la théologie. C'est essentiel si on veut aider les gens sortant d'une
secte chrétienne. La plupart de nos pensionnaires sont jeunes, 27?28
ans en moyenne, et deux tiers sont des femmes.
F. A. :Les femmes seraient donc plus influençables que les
hommes ?
P. M.: Elles sont davantage à la recherche de thérapies
ou d'aide psychologique. Elles sont ainsi des proies plus faciles pour les sectes.
La plupart des gourous étant aujourd'hui des hommes, ils utilisent leur
pouvoir de séduction sur les femmes, qui sont souvent victimes d'abus
psychologiques et sexuels.
F. A. :Existe-t-il des sectes plus dangereuses que d'autres ?
P. M. : Toutes les sectes sont dangereuses car elles manipulent l'individu
qui n'est plus libre .de prendre. ses décisions sans le contrôle
du groupe. On connaît Moon, la Scientologie, Krishna, etc., mais il existe
une
multitude de groupes dont on parle moins et qui sont extrêmement violents.
Les sectes "apocalyptiques" parlent de bataille finale, construisent
des bunkers et ont des armes. Les sectes asiatiques et les groupes chrétiens
sont de plus en plus extrémistes. Les groupes New Age utilisent des thérapies
"bidon" pour contrôler leurs adeptes.
F. A. : Comment intervenez-vous auprès de ces personnes ?
P. M. : II est essentiel d'expliquer à nos pensionnaires les techniques
de persuasion utilisées par les sectes. A savoir l'endoctrinement le
groupe est la vérité, les autres sont le mensonge ? et l'intimidation,
les conséquences négatives sur la vie de l'adepte s'il quitte
le groupe. Nous réussissons ainsi à démonter le processus.
98 % des personnes s'en sortent et ne retournent plus jamais dans une secte.
F. A.: Comment explique-t-on le développement des sectes ?
P. M. : Notre société est de plus en plus individualiste.
Avant, on avait un sens de la communauté, à l'église, en
famille. Les ordinateurs et la télévision ont remplacé
les conversations. Le stratagème des sectes est d'attirer les gens en
leur donnant l'illusion d'être dans une communauté aimante.
F. A.: Y a-t-il un profil type de personne susceptible d'entrer dans
une secte ?
P. M. : Ces six dernières années, nous avons fait passer
un test dit "familial" et nous n'avons pas pu établir de profil
type. En revanche, certaines rencontres faites à un moment de la vie
seraient déterminantes.
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A lire:Pour sauver ma fille, par Marie Joly, Presses de la Renaissance.
(1) NB : En France il n'existe pas de structure officielle ou privée comparable au centre Wellspring ni de "deprogramming" .
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