Actuellement, nombre d'adeptes ont quitté la secte dans laquelle ils vivaient. Leur réinsertion dans la société pose des problèmes psychologiques qui en disent long sur ce que peut être la vie dans ces communautés.
Mon étude a porté sur des ex-membres de secte telles que les Enfants de Dieu [devenu "La Famille"], l'Association pour l'Unification du Christianisme Mondial (AUCM) du révérend Moon, la Conscience de Krishna, la Mission de la Lumière Divine, l'Église de Scientologie.
Depuis deux ans que fonctionnent les groupes de discussion que j'ai organisés avec Jesse Miler (psychologue à l'Université Berkeley, en Californie), près de cent personnes ont participé aux séances de travail. La moyenne d'âge est de vingt-trois ans. Dans l'ensemble, ces jeunes sont issus de la haute et moyenne bourgeoisie, et ils ont au moins une ou deux années d'université à leur actif.
Notre travail ne s'apparente ni à une psychothérapie de groupe, ni à cette fameuse " déprogrammation ", qui fait l'objet de tant de publicité. Les séances sont axées sur la discussion, le dialogue. Nous essayons de tirer un enseignement positif des expériences que nous décrivent les anciens membres d'une secte et de soulager leur détresse en mettant à leur disposition un endroit où ils sont sûrs de trouver compréhension et soutien. Nous nous efforçons également de les faire profiter de nos connaissances sur les techniques de modification du comportement auxquelles ils ont été soumis et qui semblent avoir endommagé sérieusement leurs facultés d'adaptations à la vie en société.
En échange, une obéissance totale aux " commandements " du culte est exigée. Les sectes maintiennent leurs adeptes sous domination, par le biais d'arguments idéologiques et de pressions psychologiques et sociales qui équivalent - à dessein ou non - à des techniques de conditionnement.
Ces procédés aboutissent à une restriction du pouvoir d'attention, une limitation des relations personnelles, une dévaluation du raisonnement. Toutes les descriptions des anciens membres concordent. Les adeptes subissent un entraînement intensif, visant à atteindre des états de conscience " altérés " et à produire une soumission automatique aux ordres. Les conférences répétitives, les incantations, les prières psalmodiées durent plusieurs heures d'affilée.
Dans plusieurs sectes, les membres doivent, durant la nuit, mettre des écouteurs qui leur déversent des sermons dans les oreilles, alors qu'ils ont déjà passé des heures dans la journée à écouter les exhortations du leader enregistrées sur bande magnétique que... Ces techniques tendent à produire des états de conscience altérés et à accroître l'exaltation et la suggestibilité.
L'isolement (exclusion de la famille, interdiction d'entretenir des contacts avec les amis), les jugements rigides formulés sur le monde extérieur non converti, le strict contrôle de la sexualité sont autant de moyens d'accroître l'engagement des membres du groupe envers des objectifs communs... et du puissant chef fondateur.
Beaucoup de participants à nos groupes avouent avoir souhaité secrètement une intervention de ce genre. Eux-mêmes, se sentaient impuissants à concrétiser leur désir d'abandonner la secte, du fait de pressions exercées sur eux par leurs compagnons et par les dirigeants. En outre, ils étaient assaillis par le doute : pouvaient-ils se réadapter à ce monde extérieur qu'ils avaient si longtemps dénigré et rejeté ?
Presque tous les anciens membres que nous avons rencontrés ont eu à lutter à un moment ou à un autre, contre ces inconvénients et ont estimé qu'il leur a fallu de 6 à 18 mois pour se réadapter et retrouver une vie normale, un usage régulier de leurs facultés. A cela s'ajoute, dans les premiers temps, une sensation de vide, d'inutilité qui renforce leur impression initiale d'absurdité de l'existence. Il leur faut, de surcroît, affronter à nouveau les problèmes familiaux et personnels qui étaient demeurés sans solution au moment de leur conversion. Quitter une secte signifie aussi quitter beaucoup d'amis avec lesquels on partage une intimité d'autant plus intense que le sentiment de vivre ensemble une expérience unique est puissant. Par voie de conséquence, un autre problème se pose : celui de nouer de nouveaux liens d'amitié dans un monde méfiant, voire hostile.
Beaucoup d'anciens adeptes sont sujets à des phénomènes assez curieux, ils découvrent que certaines conditions - une situation conflictuelle, un état dépressif, certains mots ou idées significatifs - peuvent les plonger à nouveau dans l'état de transe qu'ils expérimentaient lorsqu'ils vivaient dans la secte. Ils tombent en léthargie et ont l'impression d'entendre des bribes d'exhortation du chef ou d'un porte-parole de la secte. Ces moments de " flottement " s'estompent avec le temps, mais il arrive qu'ils se produisent encore quelques semaines, voire quelques mois, après l'abandon de la secte.
La plupart des anciens adeptes d'une secte ne présentent pas d'incapacité grave ou de déséquilibre alarmant. Néanmoins, ils ont remarqué chez eux un affaiblissement subtil de leurs facultés mentales, qui ne disparaît qu'au bout d'un temps assez long. Ils ont cependant du mal à décrire avec précision ce qu'ils ressentent. Dans la secte, on vous empêche de penser, de réfléchir aux problèmes importants de l'existence en vous disant continuellement : " Cesse de douter, d'être négatif ! ".
Presque tous les participants à nos groupes de discussion signalent que leur passage dans une secte semble avoir anéanti en eux tout discernement et tout sens critique. Ils n'étaient plus capables d'exécuter puis d'user de leur faculté de jugement, ils écoutaient, croyaient et obéissaient.
En règle générale, les sectes luttent activement contre les désertions ; selon certains membres, ils vont jusqu'à menacer de la damnation éternelle le " déserteur " en puissance, ainsi que ses ancêtres et ses enfants.
Quand un membre quitte une secte, les tentatives pour le ramener au sein du groupe vont d'un harcèlement modéré à l'emploi de la violence. De plus, le souvenir des anciennes humiliations subies pour s'être écarté du " droit chemin " alimente un certain sentiment de peur et d'insécurité.
" Les gens, déclare un ancien adepte, ne peuvent pas comprendre tout ce que le groupe vous met dans la tête, comment il joue sur vos sentiments de culpabilité et sur vos besoins profonds. La pression psychologique est une arme bien plus forte qu'une porte fermée à double tour. La porte, on peut toujours l'enfoncer, mais les chaînes psychiques sont infiniment plus difficiles à briser ".
Il ressort de notre étude que ceux qui veulent aider un ex-membre d'une secte doivent avoir une idée assez précise du fonctionnement de la communauté, des techniques et des pratiques qui y ont cours.
Certains thérapeutes tentent de dépasser les limites de l'expérience vécue dans la secte, pour agir sur des éléments plus permanents de la personnalité. A notre avis, cependant, le thérapeute n'est pas en mesure d'engager le dialogue avec son patient, ou même de comprendre ce qui se passe, s'il n'a pas une petite idée des événements survenus durant ce séjour dans la secte et de la trace qu'ils ont pu laisser. S'il se place uniquement sur un plan général, il peut être conduit à penser que cette personne s'est spontanément convertie à une religion et omettre complètement de tenir compte des techniques de recrutement et d'endoctrinement excessivement complexes auxquelles son patient a été soumis. De ce fait, il pourra être amené à juger, à tort, certains comportements comme les manifestations de troubles psychopathologiques déjà anciens.
Nombreux sont les anciens adeptes d'une secte qui craignent de ne jamais se rétablir complètement. Mais, grâce à nos groupes de discussion, ils sont mis en contact avec des garçons et des filles ayant vécu la même expérience qu'eux et ayant retrouvé progressivement toutes leurs facultés et leur autonomie, ce qui les rassure. Ceci peut également être instructif pour ceux qui envisagent de s'affilier à une secte.
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