Peut-on sortir d'une secte ? Et comment ? Ce sont des questions qui
reviennent sens cesse dans les réunions d'information de l'Association
pour la Défense des Familles et de l'Individu. L'ADFI donne ici
brièvement son point de vue, fondé sur une expérience
de presque dix années.
Il n'y a pas de règle. Pour chacun, l'événement, la
phrase qui va déclencher le processus est différent : cela
dépend du caractère de l'adepte, de sa situation au moment
d'entrer dans la secte et de ses motivations pour y adhérer, de
ses relations avec le monde extérieur, principalement avec sa famille,
ses amis ; cela dépend aussi de ce qu'il a pu vivre dans la secte,
et naturellement des caractéristiques de la secte elle-même.
On peut toutefois distinguer entre ceux qui partent d'eux-mêmes
et ceux qui n'ont "vu clair" que grâce à une aide extérieure.
Premier cas
Les raisons du départ sont très diverses. La plus fréquente
reste un désaccord ou une incompatibilité d'humeur avec le
"chef" direct. Ce peut être aussi un sentiment de "ras-le-bol", un
éclair de lucidité à partir duquel s'écroulent
brusquement tous les discours, tous les décors plantés par
la secte. Cela peut survenir également après une accumulation
de griefs personnels, de déceptions, de doutes refoulés qui
explosent à l'occasion d'un événement souvent mineur,
détonateur qui fait prendre la fuite. Fuite nécessaire car
les sectes se rendent parfaitement compte de ceux qui sont branlants :
ils deviennent alors l'objet d'une sollicitude tout particulièrement
attentive (changement de poste, voyage, récompense promesses...),
mais qui peut soudain se muer en menaces.
Il faut mentionner ici ceux qui sont rejetés par la secte,
soit qu'ils sont trop délabrés physiquement et mentalement,
soit qu'ils ne sont plus "rentables" et deviennent une charge. Ceux-là
peuvent se retrouver en hôpital psychiatrique, parfois en Plein délire.
S'ils ont la chance de tomber sur une équipe soignante ouverte et
sans Préjugés, qui ne rejette pas a priori la réalité
pathogène d'un endoctrinement massif, ce peut être la guérison
dans un délai de trois mois minimum, à condition d'écouter
le malade, et au besoin de se renseigner sur l'expérience qu'il
vient de vivre. Le résultat dépend bien entendu de la structure
mentale du malade au moment de son entrée dans la secte. Certains
ne se remettent jamais complètement.
Second cas
L'aide peut venir de membres de la famille, frère, soeur, oncle,
tante... ou d'amis. Ce sont rarement les parents, du moins dans un premier
temps, du fait que la secte les a présentés constamment comme
hostiles, "manipulés par Satan". De toute manière, la charge
affective de la relation parents-enfants est trop grande. Pour pouvoir
rétablir un vrai dialogue avec l'adepte, les personnes disposées
à l'aider doivent être informées très objectivement
de ce qui se passe dans la secte, de ce qu'on y vit, de ce qui s'y dit.
Cependant, l'aide la plus efficace est celle qui passe par un
ancien adepte ayant connu la même expérience, et qui a pu
prendre une certaine distance. Il a acquis une connaissance objective et,
en plus, possède l'expérience émotionnelle intense
vécue dans ces groupes. Il peut faire sentir les contradictions
entre les aspirations et les promesses qui ont conduit à l'entrée
dans la secte, et la pratique et les pressions des réalités
quotidiennes. Il peut témoigner de l'angoisse par laquelle il est
passé quand il a décidé de quitter le groupe et, après
la sortie, de la solitude et du désespoir qui l'ont saisi. Il peut
montrer qu'on peut retrouver un équilibre, qu'avec de la patience
et du courage, on peut retirer des éléments positifs de l'expérience
détestable comme de la dure épreuve qui a suivi.
Le "deprogramming"
On a beaucoup discuté de procédés utilisés
principalement aux États-Unis, mis en oeuvre par des spécialistes
du déconditionnement et qu'on appelle souvent "deprogramming". Ce
mot sert d'épouvantail. Il est vrai que ces procédés
présentent toute sorte de risques et d'abus ; on ne saurait les
considérer comme une panacée. Il faut toutefois ne pas oublier
que le contexte américain est fort différent du nôtre,
et il ne faut pas non plus écarter les témoignages d'ex-adeptes
"déprogrammés", heureux et reconnaissants pour ce traitement
qui les a libérés. Les psychologues et les psychiatres américains
ont beaucoup appris sur ce qui se passe dans les sectes en le pratiquant.
Nous en reparlerons par ailleurs, mais on peut déjà retenir
que le processus, toujours basé sur des réalités vécues
et concrètes, s'appuient sur une discussion patiente avec l'adepte
pour provoquer chez lui un réveil critique.
Quel rôle a joué l'ADFI auprès des ex-adeptes ?
Au cours de ses neuf années d'existence, dans la mesure de ses faibles
moyens, l'ADFI a surtout apporté une aide pour débrouiller
des situations aussi complexes que diverses. Il y a autant de cas que de
personnes. En effet, on ne sort pas d'une expérience à l'intérieur
d'une secte sans qu'il subsiste des séquelles, plus ou moins fortes.
Pour certains, il suffira de quelques semaines pour retrouver l'équilibre
et le courage d'affronter la vie réelle ; pour d'autres, il faudra
des années pour surmonter les diverses peurs incrustées en
eux et, principalement, un sentiment très complexe de culpabilité.
L'une des techniques des sectes est justement une intense culpabilisation.
Culpabilisation vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis de
la secte et du "Maître", vis-à-vis d'amis qu'on y a laissés,
des parents qui ont souffert de la rupture. Au moins dans un premier temps,
les ex-adeptes se sentent des traîtres, des apostats ou simplement
des faibles. Ils ont peur du monde où ils retournent, qu'ils ont
pris l'habitude de considérer comme mauvais, hostile, irrécupérable,
satanique, et qui a d'ailleurs tendance à les regarder avec inquiétude
et méfiance.
D'abord, une écoute attentive et sympathique...
Dans tous les cas, la première aide est l'écoute. Une personne
qui vient de se séparer d'une secte a besoin de parler sans craindre
d'être mal comprise, mal jugée, et elle a très peu
la possibilité de le faire dans sa famille. Nous n'avons pas comptabilisé
les heures d'écoute au cours de toutes ces années ! Dans
les cas trop difficiles, nous avons eu recours à des spécialistes
: psychologues, psychiatres ; quelques-uns ont maintenant l'expérience
des effets de l'endoctrinement et de la vie dans une secte, et ne cherchent
plus la source des troubles uniquement dans un conflit remontant à
la petite enfance.
... pour le reste, les "moyens du bord" !
L'écoute ne suffit pas. Il faut continuer à épauler
l'ex-adepte. Sur ce point, nous n'avons jamais disposé de moyens
appropriés, par exemple, d'une équipe spécialisée
avec possibilités d'un séjour en maison de convalescence
- plutôt que de "repos" -, permettant de faire le point, de commencer
à se prendre en charge en affrontant les problèmes qui surgissent
inévitablement, et souvent ne sont pas minces.
Nous avons eu la chance de connaître un certain nombre de
familles qui ont accepté d'accueillir un ancien adepte le temps
nécessaire à sa remise sur pied, physique et psychique. Mais,
cas par cas, c'est l'improvisation ! II faut éviter à la
fois l'isolement et la surprotection ; les besoins de chacun sont différents.
De ce point de vue, cette solution est peut-être plus adaptée
qu'une "maison spécialisée". Nous ne savons pas non plus
ce qui se passera dans un avenir plus ou moins rapproché : nous
pouvons avoir à accueillir un jour un grand nombre d'adeptes désillusionnés,
par exemple si une secte entière s'écroule. Espérons
qu'il y aura un mouvement de solidarité : l'aide des anciens adeptes
sera indispensable !
Cela peut durer longtemps !...
On a besoin longtemps d'amis fidèles et compréhensifs en
qui on a entière confiance, et c'est par eux qu'on s'enracine à
nouveau dans la vie. Il n'y a pas de recette-miracle, mais il faut arriver
à parler de ce qui tracasse, en sachant qu'on sera compris, et non
jugé.
Une fois surmontés les premiers problèmes, il restera
des difficultés ou troubles très divers. Nous n'en mentionnons
que quelques-uns :
difficultés de langage : chaque secte a son jargon, pauvre, répétitif,
et il faut réapprendre à utiliser la richesse, les nuances
du langage "naturel" ;
troubles de la mémoire, de l'attention, fatigabilité psychique
;
peur de l'impuissance sexuelle, cauchemars récurrents, troubles
psychosomatiques...
affolement devant les démarches les plus anodines, quand il faut
affronter le monde extérieur, faire une demande ;
indécision : on a perdu l'habitude de prendre des décisions
personnelles, importantes ou non, et même d'organiser son temps ;
honte de s'être "fait avoir", peur que, "cela se sache" ; le "curriculum"
a un trou de plusieurs années, comment l'expliquer ?...