Le 26 mars 1997, trente-neuf corps bien alignés
sont découverts dans une villa de Rancho Santa Fé, en Californie.
Tous membres de la secte de la Porte du Paradis, ils ont abandonné
leur enveloppe corporelle pour "rejoindre le vaisseau spatial dissimulé
derrière la comète de Hale-Bopp", en voyage vers une
"destination cosmique" connue d'eux seuls, dans le but d'atteindre
un "niveau supérieur"...
Après 10 jours d'enquête, la police californienne
a refermé le dossier : pas de sang, pas de crime, pas de coupable
ni d'explication rationnelle à rechercher. Une bande d'illuminés,
c'est tout.
Par quel procédé d'endoctrinement ces 21 femmes
et 18 hommes ont-ils été persuadés qu'ils accéderaient
à un "niveau supérieur", dans une participation à
une mise en scène version macabre de Rencontre du troisième
type ou de Star Trek ? Qui sont ces adeptes ?
Les suicidés de Santa Fe n'étaient pas des marginaux, mais
des gens souriants, réputés équilibrés. Ils
habitaient dans des villas luxueuses et s'occupaient de la création
de sites Internet. Ces "moines" aux cheveux courts et aux pyjamas noirs
de Viêt-cong inquiétaient un peu leur voisinage, mais leur
comportement et leurs références professionnelles étaient
irréprochables. Les consultants de la société "Higher
source" se montraient extrêmement compétents pour guider leurs
clients dans le cyber-espace. Ces derniers n'étaient pas forcément
au courant que les employés de cette société étaient
également au service du site prosélyte Heaven's Gate.
Des adeptes issus de tous horizons
En 1996, Steven et Yvonne Mc Curdy-Hill abandonnent leur cinq enfants,
dont deux jumelles nouveau-nées. C'est Steven, passionné
de science-fiction, qui découvre sur Internet le site de Heaven's
Gate. Yvonne succombera au magnétisme de "Do" et prendra part
au "grand voyage". Quant à Steven, il est retourné au foyer
après deux ou trois mois de présence dans la secte. Il est
un des rares survivants ayant séjourné dans la villa de Rancho
Santa Fé.
David Geoffrey Moore, un adolescent fragile, il disparaît en 1975
après avoir assisté à une réunion d'un groupe
mystérieux, dont les membres croient que les ovnis règlent
leur destin. Sa mère le retrouve vingt ans après "l'air calme,
rationnel, heureux".
John Craig, 63 ans. En 1975, c'est un homme d'affaire prospère,
père de six enfants. Un vieil ami lui rend visite et lui présente
les enseignements de "Do" et "Ti", qui s'appellent à l'époque
"Bo" et "Peep". Une semaine plus tard, après une rencontre avec
"Do", il abandonne femme et enfants pour rejoindre la secte. "Pour moi,
il est mort depuis 22 ans", déclare sa femme Mary-Ann, "après
son départ soudain, il ne donnait de ses nouvelles qu'occasionnellement
avec des lettres impersonnelles et sans adresse de retour".
Raymond Alan Bower a 25 ans quand il assiste à une conférence
sur les OVNI, animée par Marshall Applewhite à l'université
de Stanford à Palo Alto. Il rejoint la secte en 1975 et la quitte
8 ans plus tard. En 1988, il traverse deux douloureuse épreuves
: la mort de son jeune frère et une procédure de divorce
à l'issue de laquelle il perd la garde de ses trois enfants. Depuis,
d'après sa soeur Susan Ventulette, il vit de petits boulots et passe
le reste de son temps devant la télé jusqu'au jour où
il rencontre un autre ex-membre de la Porte du Paradis. C'est selon lui
un "signe du destin", et il décide de réintégrer la
secte. "Personne ne l'a forcé à y retourner", déclare
une de ses soeurs, "Il était avec eux parce qu'il obtenait une paix
intérieure qu'il ne trouvait pas à l'extérieur, dans
le monde réel".
Ladonna Ann Burugato, 40 ans, était une remarquable violoniste,
dit son père, et exerçait le métier de programmeur
en informatique. Il y a trois ans, il père perd le contact avec
elle, en même temps qu'elle entre cette secte. Il fait alors appel
aux services d'un détective privé : "J'ai tout fait pour
la retrouver", dit son père, "avec ma famille, nous sommes partis
à sa rechercher pendant trois ans, mais elle semblait toujours avoir
une longueur d'avance sur nous". Quand Ladonna loue une maison dans le
district de Cherry Creek School (Colorado), son propriétaire remarque
un comportement assez étrange : "Elle avait fixé aux coins
de son lit quatre cristaux en forme de diamant et un grand cristal suspendu
au plafond juste au-dessus du lit. J'avais l'impression que c'était
une sorte d'expérience New Age de communion avec les esprits".
Margaret June Bull, 53 ans, rejoint la secte au milieu des années
70, après avoir été professeur d'anglais en Espagne.
Margaret revient à la maison en 1994, à la mort de sa mère.
A cette époque, elle parle des membres de la secte qui conduisent
des voitures de luxe, vivent en communauté, déménagent
fréquemment et sont tous célibataires. "Je les croyais inoffensifs",
déclare son frère John Bull, "jusqu'au jour où nous
avons reçu une vidéo, dans laquelle Applewhite se proclamait
le nouveau messie et appelait ses adeptes à la rédemption".
Cheryl Elaine Butcher, 43 ans, rejoint la secte en 1976 dans l'Oregon.
D'après sa mère, elle semblait très heureuse : "Elle
ne se sentait pas dans une secte. Elle n'a jamais considéré
la Porte du Paradis comme une secte". Sa mère ne l'avait plus revue
depuis 1993.
Erika Ernst, 40 ans. D'après ses amis de sa ville natale Calgary,
elle est en 1976 une brillante étudiante, et une adolescente sympathique
qui aime voyager. A la fin de ses études, elle parle de rejoindre
une secte avec un ami. Peu après, elle abandonne tout ce qu'elle
possède et quitte Calgary. Son père déclare : "En
21 ans, nous n'avons reçu qu'une visite d'elle, et peut-être
un coup de téléphone. Elle nous disait qu'elle faisait des
choses formidables et qu'elle se sentait heureuse. Mais je pense qu'elle
a subi un lavage de cerveau".
Julie Lamontagne, 45 ans. En 1974, elle obtient son diplôme à
l'école d'infirmières de l'Université de Massachussets-Amherst,
quand son père décède. D'après son frère,
elle sombre alors dans un désarroi total. Julie rejoint cette secte
en 1975, en tant qu'infirmière personnelle de "Do". Elle écrit
quelques mois plus tard pour annoncer qu'elle rompt tout contact. Sa famille
dépense des milliers de dollars pour essayer de la retrouver. La
dernière fois qu'elle se montre, c'est au domicile de sa belle-mère,
en 1990, à Brooksville. "Vous venons de perdre notre fille", dit
sa mère, "mais cela fait en réalité 23 ans que nous
l'avons perdue. Sa mort est simplement une perte définitive".
Jeffrey Howard Lewis, 41 ans. Il était masseur-kinésithérapeute
à San Antonio. Il y a quatre ans, Lewis revendit tous ses biens
et quitta San Antonio pour rejoindre la Porte du Paradis. A ses amis, il
leur écrivit qu'il ne voulait plus rester en contact avec eux, leur
demande d'être heureux pour lui car il a enfin trouver sa voie.
Thomas Nichols, 59 ans. Sa soeur, l'actrice Michelle Nichols, tenait le
rôle de Lt. Uhura dans la série télévisée
Star Trek. Thomas ne donne plus de ses nouvelles à sa famille
depuis 20 ans, pour "rester fidèle à ses croyances religieuses".
Il refait quand-même surface à la mort de sa mère.
Thomas confie à sa soeur que l'arrivée de la comète
de Hale-Bopp représente pour lui un événement capital.
Gary Jordan St Louis, 44 ans. Il quitte son domicile en 1992 en laissant
à sa petite amie une cassette vidéo expliquant sa décision
: "Je veux que tout le monde sache que c'est moi qui ai choisi de partir.
Je veux rejoindre mon Père spirituel et mes camarades, et j'en suis
très heureux. Partir aider mon vrai père a pour moi beaucoup
plus de signification que toute autre chose".
Beaucoup d'entre eux ont au moins un point commun : celui d'un passage
à vide dans leur vie, qui coïncidait avec la rencontre avec
"Do" ou avec son message. L'appel de "Do" est irrésistible, sa fascination
est totale. C'est un manipulateur d'âmes.
Profil du gourou
Marshall Herff Applewhite, 65 ans, est né à Corpus Christi
dans le Texas. Ils voulait imiter son père, d'un prédicateur
presbytérien, avant de s'apercevoir que sa véritable passion
était la musique. Marshall était en apparence un homme sain
de corps et d'esprit avant de devenir "Do". Marié dans les années
70, il devint père de deux enfants. Il était profondément
religieux et unanimement apprécié dans le milieu catholique.
Mais son homosexualité mal assumée le rongerait intérieurement.
En outre, il se faisait renvoyer de plusieurs emplois, devenait déprimé,
honteux, et commençait à entendre des voix. En 1971, au cours
d'une consultation dans un hôpital psychiatrique, il rencontra Bonnie
Lu Nettles, une infirmière qui deviendra sa future compagne "Ti".
Leur attirance a toujours été spirituelle et ésotérique,
et les a fait renoncer à toute sexualité au nom d'une certaine
perfection (C'est ainsi que huit des dix hommes de Santa Fe se feront castrer,
à l'exemple de "Do"). Quelques mois plus tard, "Do" abandonna femme
et enfants pour une errance initiatique à travers les États-Unis.
Le couple infernal, qui se faisait appeler "The two", vivait de
consultations astrologiques dans des conditions précaires. Mais
peu à peu, ils trouvèrent leur voie, à l'époque
de l'apparition du new-age et des hippies.
Naissance d'une secte
Au cours d'une conférence d'informations animée par "The
two" sur le thème du "message des ovnis", un vingtaine
d'auditeurs les rejoignirent pour former ce qui était déjà
un embryon de secte. Mais "The two", qui se disent choisis par les
extra-terrestres pour transmettent leur message aux hommes, se font discréditer
lorsqu'en compagnie de 400 spectateurs, ils attendent en vain l'arrivée
d'un vaisseau spatial dans le Colorado. La secte a malgré tout évolué
depuis.
Voici la bonne parole de "Do", surnom du gourou Marshall Applewhite,
et de sa compagne "Ti" décédée en 1985 mais dont l'esprit
demeure : "La vie terrestre est fondamentalement corrompue par le mal,
la civilisation est condamnée, l'apocalypse approche ; seule une
minorité d'élus, choisis par le 'niveau au-dessus des hommes'
seront sauvés : ils quitteront leurs corps, ces conteneurs temporaires
de l'âme, embarqueront dans un ovni, et seront réincarnés
dans une autre planète".
"Do" s'enferme dans un univers de plus en plus paranoïaque
: "Selon des standards sociaux, psychiatriques, médicaux et religieux,
dit-il, nous avons perdu depuis longtemps notre santé mentale".
Les nouveaux convertis doivent accepter une relation exclusive avec la
Porte du Paradis. Une discipline implacable rythme la vie de la secte.
Chaque membre est en permanence accompagné de son "double" chargé
de le remettre sur son droit chemin : toute initiative personnelle, toute
recherche d'identité, par la pensée, le sexe, le comportement,
est bannie. Une cloche sonne régulièrement pour que tous
les membres se consacrent au seul destin collectif, par une sorte de recyclage
mental. L'endoctrinement est total, c'est le prix à payer pour atteindre
le "niveau supérieur".
Mais comment aurait-on pu prédire un tel carnage dans un
pays qui compte une bonne centaine de groupes qui croient dur comme fer
au rôle messianique des soucoupes volantes ?