Sectes

Étranges entreprises de révisionnisme

Une relecture falsifiée : Guyana, Waco, Temple solaire, AUM SHINRI KYO

(Source : BULLES du 4ème trimestre 1995)


Les décombres des chalets suisses où avaient péri les Chevaliers du Temple Solaire fumaient encore que deux universitaires montraient du doigt les vrais responsables. Si vous pensez qu'il s'agit de Luc Jouret, l'homéopathe belge disert et enjôleur qui avait aussi exercé en France ses divers talents, et son associé Joseph Di Mambro, escroc et véritable organisateur de l'entreprise, vous n'avez rien compris.

 Ce sont :

Ou ne sait ce qui étonne le plus : voir décerner aux grands Nouveaux Mouvements Religieux un brevet de respect des lois, ou accuser les anti-sectes d'ignorance totale (et habituelle), alors que BULLES avait publié dans son n° 41 (1er trimestre 94) un article sur Luc Jouret et le Temple Solaire, mentionnant sa paranoïa de fin du monde, sou goût pour l'argent de ses disciples et pour les armes à feu. (2)

 Nul n'est obligé de lire BULLES, mais il est de mauvaise méthode de parler des accusations aussi catégoriques, sans eu avoir vérifié le bien-fondé. Pourquoi des universitaires qui se veulent sérieux n'ont-ils rien eu de plus pressé, dans une circonstance aussi tragique, que d'essayer de déconsidérer ceux dont ils méprisent le travail, qu'ils ignorent ?

 Dans un communiqué date du 8/10/94, l'un d'eux répète :

Il faut préciser que ces déclarations sont citées avec faveur dans un communiqué de La Famille (ex-Enfants de Dieu) daté d'octobre 1994, où ils cherchent à se distancer des sectes à tendances suicidaires. (De fait, il est beaucoup question de suicide dans les lettres les plus récentes de leur chef Moïse Davis ou "MO", mort en novembre 1994). Rien d'étonnant à ce qu'ils se soient empressés de diffuser des déclarations d'experts internationalement acclamés (selon eux) qui leur décernent un tel certificat de bonne conduite.

 Mais les adeptes de MO ne sont ni les premiers, ni les seuls. Déjà, à propos du drame de Waco, Éthique et Liberté (4), une publication de la Scientologie en France, citait le point de vue "nouveau et intéressant" du sociologue Massimo Introvigne, publié dans le n° 217 de Cristianita, journal de l'Alleanza Cattolicà italienne : la communauté de David Koresh vivait paisiblement, sans faire de mal à personne, quand un personnage au passé de délinquant et de collaborateur de CAN (5), serait allé raconter d'horribles mensonges aux autorités américaines (sévices sexuels sur enfants et adolescentes, conditions de vie lamentables, paranoïa et tyrannie du prophète, détention et trafic d'armes illégales, de munitions, d'explosifs). Tout cela n'aurait jamais été prouvé, et Introvigne, qui est allé enquêter sur place bien après la catastrophe, en doute fortement. Éthique et Liberté conclut :

Précisons que selon cette théorie, ce sont les agents du FBI et du bureau des Alcools et des Armes à Feu qui auraient attaqué, bombardé et incendié la ferme des Davidiens et seraient donc coupables de leur mort.

 Nous avions signalé que bien des erreurs et maladresses avaient été commises, dans une situation à laquelle personne n'était préparé. Mais pourquoi des agents du gouvernement, qui ont bien assez à faire, seraient-ils allés attaquer sans raison et sans provocation de paisibles citoyens ? Si un groupe (les discours de Koresh étaient connus) répondait à la définition d'occulto-apocalyptique, peu nombreux mais dangereux, donnée par Introvigne dans son communiqué d'octobre 94, c'était bien celui-là. Nous notons d'ailleurs que dans ce cas, un centre d'information sur les "sectes" (CAN) est accusé d'avoir été informé et d'avoir informé les autorités (en réalité ce centre n'a jamais été consulté sur la conduite à tenir) alors que dans l'affaire du Temple Solaire, ce centre et les associations analogues sont accusées (à tort d'ailleurs) de n'avoir rien su et rien dit. Ces universitaires internationaux ont une logique bizarre.

 Cette enquête était une initiative personnelle. Mais l'Administration américaine (ministère de la Justice et du Trésor) a demandé un rapport sur le déroulement des opérations de Waco, et l'a confié à plusieurs experts. Comme il est normal, ceux-ci n'ont pas été entièrement d'accord entre eux. L'un de ces rapports signé de Mme Nancy T. Ammerman, professeur associé de sociologie des religions à l'Université d'Emory (Texas), daté du 03/09/93, détaille des opinions fort catégoriques, sur les "sectes" en général, ainsi que leurs adeptes :

On se demande quels désirs et "besoins" des bébés et des enfants nés ou élevés à Waco pouvaient bien être "satisfaits" par le genre de vie qui leur était imposé.

C'est là une théorie fréquemment avancée par les avocats de ces organisations ; c'est d'ailleurs bien un plaidoyer que présente Mme Ammerman, qui poursuit en pourfendant la notion de lavage de cerveau :

Ici elle se trompe : l'APA a refusé d'adopter une résolution condamnant les témoignages de psychologues en tant qu'experts sur la Réforme de la pensée. Le DSM (Diagnostic & Statistical Manual) de l'APA mentionne les dissociations induites par la "persuasion forcée, par exemple le lavage de cerveau, la réforme de la pensée ou l'endoctrinement de sujets captifs de terroristes ou de sectes" (300.15).

Sur cette question du lavage de cerveau ou réforme de la pensée, nos lecteurs peuvent se reporter au compte-rendu de l'étude de base du Professeur Robert J. Lifton. D'autres auteurs ont étudié ce sujet (7), qui fait encore l'objet de discussion, comme il est normal, et suscite bien des passions. Il s'agit d'une question fondamentale pour l'autonomie de l'être humain en tant que sujet pensant.

L'une des erreurs les plus fréquentes, source de controverses sans fin, est de croire et de faire croire que cette réforme n'aurait été pratiquée que sur des prisonniers de guerre américains, lors de la guerre de Corée. Après les discussions déclenchées par Waco, le Professeur Lifton a de nouveau précisé :

La notion elle-même n'est nullement discréditée, non plus que les auteurs qui l'utilisent. Des tribunaux américains ont admis la réalité de la coercition sans violences physiques dans certains cas, l'ont rejetée dans d'autres. Les auteurs cités par Mme Ammerman, niant la possibilité du "lavage de cerveau" sans violences, ne sont pas neutres ; ils ont signé une pétition adressée à un tribunal américain (en tant qu'Amis du Tribunal) en faveur de l'organisation Moon à qui un ex-adepte réclamait des dommages, estimant qu'il avait été recruté et manipulé contrairement à sa volonté véritable. La pétition a été rejetée, le tribunal a donné raison à l'ex-adepte et lui a accordé des dommages. Le jugement emploie les termes de persuasion forcée contrôle mental et lavage de cerveau de façon interchangeable pour désigner " les procédés d'endoctrinement intenses discutés ici " (9).

D'autres cas ont été décidés différemment, y compris à la Cour Suprême des États-Unis. Une opinion demeurée célèbre est celle de deux juges de celle Cour, les juges Brennan et Marshall, de 1988, selon laquelle " certains moyens de coercition psychologiques, économiques et sociaux peuvent être aussi efficaces que les moyens physiques ou légaux ... Hypnose, chantage, tromperie, falsification, isolement sont des méthodes illustrant cela" (10).

 Mme Ammerman porte dans son rapport des jugements péremptoires et fort peu flatteurs sur l'activité et le rôle de la communauté anti-sectes comme s'il s'agissait d'un bloc monolithique, ce qui n'est vraiment pas le cas. (En fait, ce sont les groupes qu'elle appelle Nouveaux Mouvements Religieux qui forment bloc quand ils se croient attaqués ; ils perçoivent tous ceux qui ne sont pas entièrement d'accord avec eux comme un bloc, une conspiration hostile et maléfique, alors, qu'en fait, il s'agit de personnes ayant des approches ou des jugements personnels différents les uns des autres sur bien des points).

 Mme Ammerman affirme que :

A la suite d'une lettre de rectification envoyée par CAN, elle a reconnu dans sa réponse que le NCC n'avait jamais rien dit de pareil. Mais la phrase figure toujours dans le rapport. Et où a t-elle pu prendre cela !

Elle ne cite pas ses sources mais parle vaguement dans sa réponse à CAN , d'individus de la communauté préoccupée par la liberté religieuse.

Si les grands nouveaux mouvements religieux internationaux, après Waco comme après le carnage du Temple Solaire, appellent à la rescousse des sociologues dont les déclarations leur conviennent, c'est bien que ce genre de catastrophe est de nature à faire réfléchir au danger de ce genre d'organisation. Ils prennent donc les devants, et rejettent la responsabilité des drames sur les victimes, sur les proches, sur ceux qui informent, dans la mesure de leurs moyens, sur des abus et des risques trop réels, et sur les pouvoirs publics qui interviennent, souvent trop tard, avec des moyens peu adaptés.

Mme Ammermann fait allusion au drame de Jonestown (Guyana, le "temple du Peuple") en 1978. La mort de 913 personnes (la plupart par ingestion plus ou moins volontaire de poison, y compris les nourrissons) aurait été la conséquence des actions d'agences gouvernementales poussées par des familles inquiètes. Qui croira que la visite d'un député du Congrès, accompagnée de quelques parents de résidents de Jonestown, sans représentant d'aucune police, sans arme, ait causé l'ordre d'anéantissement ? (il y avait eu dans le passé plusieurs répétitions !). Si le représentant de Leo Ryan a été assassiné par un adjoint de Jim Jones au moment de monter dans le petit avion de brousse qui devait le ramener à Georgetown, capitale du Guyana, ce n'est certainement pas sa faute, ni celle d'une quelconque "agence" américaine...

 Cette "relecture" rappelle celle de "MO", le "Père" des ex-Enfants de Dieu, dans une de ses lettres (avril 93, N° 546, "Disciples seulement") :

Certains se souviennent d'une séance à l'Académie des Sciences Morales et Politiques, à Paris, où Roger Ikor avait fait une communication sur les " sectes " et mentionné Jonestown. Un académicien, historien fort réputé, lui avait rétorqué qu'il n'y avait eu " que " 200 suicidés, " presque tous noirs " (!) " parce que leur prophète, devenu fou, leur avait annoncé la fin du monde ". Ce " savant " ne pouvait pas supporter cette horreur et donc la niait. Il n'était pas bien informé, et ne voulait pas l'être.

Récemment, nous avons entendu affirmer qu'il ne " pouvait " pas y avoir eu 900 morts à Jonestown, car le terrain sur lequel ils gisaient ne pouvait géométriquement en contenir autant. Les soldats américains qui ont emballé dans des sacs et ramené les corps aux Etats-Unis ne savaient sans doute pas compter, ni ceux qui ont réceptionné ces macabres cargaisons.

 En résumé, selon certains " experts internationaux " :

  1. Les grands " nouveaux mouvements religieux " (type Scientologie, Moon, etc...) sont parfaitement respectueux des lois, ne présentent aucun risque pour personne, et si les gens y vont et y restent, c'est parce qu'ils y sont heureux. Seule attitude possible : la neutralité bienveillante.
  2. Pour les " petites sectes ", ils n'ont pas l'air sûr : Koresh et sa paranoïa d'apocalypse n'était pas dangereux, il fallait le laisser tranquille. Mais un an plus tard, les mêmes experts déclarent que le Temple Solaire était mortellement dangereux, et accusent les associations "anti-sectes" de n'avoir pas informé et mis en garde. (Ce qu'elles avaient fait, mais ils n'en savaient rien).
Tout cela ne paraît pas bien sérieux. Mais cela fait le jeu de ces " NMR ", qui citent complaisamment ces experts.

 Mais ce n'est pas anodin : qui d'entre nous, quel gouvernement ne préférerait qu'un problème aussi épineux que celui des " sectes " n'existe pas ? Pour se débarrasser de choses inconcevables (passées ou présentes) le plus simple est de les nier, tout simplement.

 Mais voici que nous retrouvons les " nouveaux révisionnistes " au Japon, dans l'affaire de la " Vérité Suprême d'AUM ". Quatre Américains, dont MM. Gordon Melton et James Lewis (spécialistes des " NMR ", mais non des sectes japonaises) se sont rendus au Japon, aux frais de la secte. Ils ont convoqué plusieurs conférences de presse dans un local d'AUM, pour expliquer aux journalistes japonais que la secte était innocente des crimes dont elle était soupçonnée, et était la victime de pressions excessives de la part de la police.

 Les quatre Américains ont indiqué que, pendant trois jours, ils avaient parlé à des dirigeants d'AUM, mais n'avaient pu visiter ses usines chimiques, ni son quartier général. Ils avaient cependant conclu , d'après des photos et documents fournis par la secte, que celle-ci ne pouvait avoir produit le gaz sarin.

 Ils ont adjuré la police japonaise de résister à la tentation " de détruire une religion et de lui refuser la liberté ". Certains au Japon, exploiteraient la peur du terrorisme pour renforcer les pouvoirs de la police.

M. James Lewis s'est dit " outragé " par le fait que certains enfants avaient été retirés de la secte. (Or ils vivaient séparés de leurs parents, entassés dans des dortoirs, recevaient deux repas par jour et dormaient quatre heures par nuit. Pas d'école, les écrits du gourou pour tout enseignement, des casques à électrodes sur la tête, pas le droit de jouer dehors...) (International Herald Tribune, 09/05/95 - Religion Watch, juillet - août 95).

A signaler que MM. Gardon Melton et James Lewis figurent sur la liste des universitaires recommandés par la " Famille " dans son communiqué d'octobre 94, cité au début de cet article et également sur celle de la Scientologie (Freedom, special Report 1995) en raison de leur " information objective sur les religions et la liberté de religion ".
 


Notes

(1) : Communication de MM. Gardon Melton et Massimo Introvigne à une "Conférence annuelle d'études des communautés" (Annual Communal studios Conference, Oneida, New-York, 6 - 9 octobre 94).

 (2) : L'ADFI de Bretagne avait réuni depuis des années sur Luc Jouret et ses diverses associations une importante documentation, qui a été mise à la disposition des autorités françaises. Le Centre Roger Ikor (CCMM) possédait également des documents indiquant que l'Ordre du Temple Solaire était dangereux en raison de son extrémisme doctrinal et de son système interne dictatorial. Ces documents internes montraient aussi ses liens étroits avec des organisations néo-nazies. (International Herald Tribune, 06/10/94).

 (3) : Signé de Massimo Introvigne. Cet Italien, fondateur du Centre CESNUR (pour l'étude des nouveaux mouvements religieux) est surtout connu pour ses études sur la magie, l'occultisme et les groupes ésotériques. Catholique, se déclarant très conservateur, il dit avoir d'étroites relations avec la hiérarchie catholique et le Vatican. Admirateur de l'Opus Dei, il dit n'en être pas membre, parce qu'il est membre d'un autre groupe, l'Alleanza cattolicà.

 (4) : N° 44, juin 93.

 (5) : CAN, Cult Awareness Network (Réseau pour la prise de Conscience des Sectes), centre d'inîormation sur les sectes (en américain : "cults") avec des filiales ("chapters") dans la plupart des États US. Publie un Bulletin mensuel d'information.

 (6) : Cité dans Psychological Coercion & Human Rights , par David J. Bardin, 19/04/1994 (Cult Abuse Policy & Research).

 (7) : P. ex. E. Schein, L. Schneier & C. Barker, Coercive persuasiun : a socio-psychological analysis of the "brainwashing" of American civilian prisoners by the Chinese communists. New York 1961.

 (8) : Communiqué non daté - postérieur à Waco. Cité par David Bardin op. cit.

 (9) : Molko contre Association du Saint Esprit (= Organisation Moon), 762, p. 2 d 46, 54-55 (cal. 1988), et 490 US 1084 (1989). Cité par Bardin, op. oit. p. 5.

 (10) : Ibid.


 
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