Il n'est pas certain que la peur de l'avenir, qui taraude indéniablement un grand nombre de nos contemporains, ait tellement de rapport avec la fin du millénaire, mais elle correspond peut-être plutôt à une perte de confiance dans l'Homme et donc à un déficit d'espérance. Reste la question, déjà souvent posée à propos du terrorisme : les médias ont-ils raison ou tort de parler des sectes, courant le risque de leur offrir une publicité gratuite ? Contrairement aux terroristes dont les actions n'ont de valeur que si elles sont connues du grand public, les sectes préfèrent s'avancer masquées et ne conçoivent de publicité qu'étroitement contrôlée par elles-mêmes. Comme les termites, elles n'aiment guère la lumière. Comme ces redoutables insectes, elles s'efforcent de ronger l'intérieur des structures de notre société sans révéler à un regard superficiel l'étendue des dégâts.
Les premiers journalistes qui se sont aventurés sur le terrain sectaire ont reçu un accueil dont ils gardent un souvenir amer et dont ils ne se sont pas privé de faire part à leurs lecteurs. Ce n'était pas de bonne politique de la part des sectes, et la plupart d'entre elles ont appris à corriger le tir. Si elles redoutent plus que jamais les journalistes d'investigation trop curieux, elles se sont rendu compte des avantages qui pouvaient être retirés d'une exploitation astucieuse de cette curiosité professionnelle. Après tout, même de vieux routiers de l'information peuvent être abusés. À l'occasion de la sortie parisienne d'un film, le portrait dans un grand quotidien de l'acteur principal, qui ne cache pas son appartenance à la Scientologie, comportait cette précision intéressante que « plus il gagnait d'argent, plus il en donnait aux oeuvres caritatives » : précision édifiante, et rare dans le petit monde hollywoodien de l'avis de l'auteur de l'article, mais qui laisse rêveur lorsque l'on connaît la gourmandise de ce genre « d'oeuvres ».
En définitive, les relations entre sectes et médias restent difficiles, car s'il est constant que les premières pratiquent le mensonge sans état d'âme, la déontologie professionnelle des médias, si elle ne les protège pas toujours de l'erreur, nous garantit l'honnêteté de l'information qu'ils délivrent. Certains intellectuels, juristes, universitaires, expriment parfois leur inquiétude sur l'éventualité de ce qu'ils appellent « un lynchage médiatique » des sectes, rebaptisés à l'occasion « nouveaux mouvements religieux ». Ils devraient pourtant être rassurés, car une fréquentation attentive des médias de toute nature montre que c'est essentiellement sur les comportements délictueux des organisations sectaires, dont beaucoup n'ont pas grand chose de religieux, que porte l'information, beaucoup moins que sur les bizarreries de leurs coutumes, et moins encore sur leur statut minoritaire. Les « gourous » seraient persécutés par les « médias », dernier avatar d'une inquisition implacable et irresponsable ! Mais ne partagent-ils pas alors ce triste sort avec bien d'autres délinquants, escrocs, violeurs, corrompus et corrupteurs ?
De toutes ces sortes de personnages peu recommandables, il y avait
déjà par le passé, et il est tout à fait certain
que d'en faire aujourd'hui mieux connaître les méfaits ne
suffira pas à les faire disparaître à jamais. Est-ce
une raison pour dissimuler leur existence sous un voile pudique, à
l'abri duquel ils pourraient prospérer tranquillement ?
Michel MOHRT de l'Académie Française,
in Le Figaro du 30.04.97