(Source : Document de Jacques Trouslard note de Jean-Marie Abgrall - Psychiatre, Toulon)
LE RECRUTEMENT....
La séduction
La persuasion
Le jeu du persuadeur
La fascination
La persuasion coercitive
Les stratégies de persuasion
L'identification et l'imitation
La séduction
La captation
La conversion
L'endoctrinement
Les techniques de persuasion coercitiveDE L'EDUCATION AU LAVAGE DE CERVEAU
L'aliénation
La dépendance à l'autorité
Le changement agentique
Le maintien de l'état agentique
Les technioques de conditionnement
L'étude du phénomène sectaire est par essence polémique. Parmi les éléments
qui prêtent à discussion sans fin, on trouve au premier chef le thème de la
réalité de "la manipulation mentale
Niée par les sympathisants des sectes, la manipulation mentale est pourtant
la pièce maîtresse de la mise sous dépendance de l'adepte.Sans " manipulation
mentale ", il ne peut exister de secte - la manipulation mentale prive le sujet
de tout libre arbitre et de toute capacité d'analyse le plaçant en situation
de réceptivité totale vis-à-vis des discours de manipulateurs.Ce constat a entraîné
récemment la Commission Pénale Suisse sur les Dérives Sectaires à proposer d'introduire
dans le cadre pénal une nouvelle disposition visant à réprimer la manipulation:
" Celui qui aura exercé des actions physiques ou psychiques répétées et systématiques
sur autrui dans le dessein d'affaiblir sa capacité de jugement ou de le placer
dans un état de dépendance sera puni de l'emprisonnement ou d'une amende. "
Au registre de la psychiatrie médico-légale, nous proposons notre propre définition.
" La manipulation mentale est l'ensemble des manœuvres visant à modifier
les processus décisionnels d'un individu ou d'un groupe social par utilisation
de techniques individuelles ou groupales physiques ou psychiques " afin de le
(ou les) placer sous contrôle partiel ou total de l'auteur de la manipulation.
Face à cette définition se pose le problème du degré de manipulation - socialement
acceptable ou moralement condamnable (publicité, éducation...)
Dans la suite de notre propos, nous n envisagerons que la mise sous dépendance réelle et totale dans un but de soumission du manipulé, telle celle que l'on peut observer dans les groupes sectaires coercit~fs.
La manipulation procède par 2 étapes:
I. le recrutement;
2. le conditionnement.
Le recrutement d'un adepte passe par trois phases à partir desquelles l'adhésion va s obtenir progressivement, en même temps qu apparaît une forme de dépendance intellectuelle et affective. Tour à tour, le nouvel adepte va être séduit, persuadé, enfin fasciné.
Séduire, c'est avant tout plaire, mais c'est aussi détourner de la vérité. Tout le travail des sectes vise à proposer une utopie chatoyante en lieu et place de la grisaille quotidienne. Le recruteur-séducteur met en scène l'illusion sectaire; il agit comme un bateleur pour attirer les adeptes potentiels; il propose des réponses simples à des interrogations complexes; il charme l'interlocuteur pour créer l'illusion de l'échange affectif il joue en permanence sur le registre des émotions, effaçant de son propos toute logique; il oppose la morbidité du réel à la perspective d'un amour idyllique, celui qui règne au sein de sa communauté. Cette phase de séduction est appelée " accrochage "par un ex-adepte de Moon.
C'est la plupart du temps une démarche d'individu à individu, même si - et c'est de plus en plus fréquent - le terrain a été préparé par une démarche publicitaire antérieure prospectus, conférence, mailing, etc. Cependant, pour vendre un produit, il est indispensable d'établir un contact avec l'acheteur potentiel.
La persuasion met en présence deux acteurs l'émetteur et le récepteur. Ils ont établi une relation particulière dont le support est le message. L'émetteur ou adepte convaincu est le persuadeur; le récepteur est la cible, l'adepte potentiel quant au message, il est inclus dans le discours de la secte véhiculé par l'émetteur.
Pour que la persuasion soit efficace, ces trois éléments doivent répondre à des conditions particulières. Le but de la persuasion est pour l'émetteur d'amener le récepteur à consentir à une proposition particulière résumée dans le message. Le processus comporte plusieurs étapes : attention, compréhension, mise en forme, intégration du message, acceptation du message, changement de pensée ou d'attitude. L'ensemble est connu sous le sigle anglo-saxon ELM (Elaboration Likelihood Model).
Le persuadeur revêt un double statut. Il est l'orateur sophiste qui convainc par un discours équivoque et ambigu tenant lieu de réponse et de démonstration. Il est aussi le mystificateur qui propose le rêve et l'utopie comme décor et costume dans le théâtre d'une illusion collective.
Il fonde son art non sur la raison et la logique mais sur l'affect et les sentiments. Il ne démontre pas il émeut; il ne répond pas : il bouleverse. Il enfreint en permanence le pacte social et tacite de la communication véritable: le présupposé de sincérité et de vérité.
Toute sa dialectique vise à masquer son projet d'endoctrinement. Il faut donc qu'il présente comme réel ce qui est mensonge et trucage. Il y a mise en scène permanente d'une fable qui chasse le réel, envahissant progressivement l'espace de communication.
Le but est d'emporter l'assentiment d'autrui. Il s'agit de la première étape réelle de la manipulation.
L'une des subtilités de la manœuvre consiste à faire croire que l'adhésion dépend de l'intéressé et relève de sa volonté. C'est cette démarche perverse qui est à l'origine des difficultés rencontrées par les proches ou les thérapeutes lorsqu'ils tentent de convaincre un individu qu'il a été "entraîné dans une secte. C'est cette prétendue liberté personnelle qui perturbe les efforts de "désendoctrinement".
La fascination est l'élément moteur de l'adhésion, c'est elle qui "emporte le marché" . Après une phase de doute, le candidat est définitivement convaincu de la justesse de son choix lorsqu'il est mis en face de la pièce maîtresse de la dynamique sectaire. La confrontation avec le gourou (ou ses témoins) brise ses dernières réticences.
Commence alors une nouvelle étape du processus d'endoctrinement. Elle introduit un caractère magique dans la relation entre le futur adepte et le groupe sectaire. La relation se détache peu à peu du réel pour s'établir dans l'univers symbolique du sacré et du divin. Cette fascination va ôter au sujet toute velléité de se soustraire à l'influence de la secte et de ses membres. Elle s'accompagne d'une demande d'engagement complet.
La fascination de l'adepte se fonde sur la projection symbolique sur le gourou. Ce dernier est investi d'un pouvoir supranaturel qui touche au divin. A ce stade, le libre arbitre du recruté commence à s'altérer face à la pression doctrinale qui s exerce sur lui. Sa conversion définitive dépendra de l'équilibre qui va s'établir entre la force de coercition exercée par la secte et la puissance des liens que l'adepte a tissés auparavant avec la société.
La persuasion est fondée sur la capacité du persuadeur à saisir l'occasion d'émouvoir. D'ordinaire, elle correspond à une disposition d'esprit de ce dernier, qui tend à "laisser adhérer . Or, dans le cas des sectes, la persuasion est coercitive : il s'agit de priver le persuadé de tout libre arbitre, de l'aliéner dans une décision imposée.
Le discours de persuasion coercitive s'appuie sur une donnée fondamentale : la mystification. Il s'agit d'un discours falsifié dont le but n'est pas la communication, mais bien la conversion de l'auditeur. La stratégie de mystification consiste à passer progressivement du réel à l'illusoire, sans déclencher de phénomène de rejet. La mystification du discours s'appuie sur plusieurs éléments
· la fabulation le discours persuasif doit travestir le réel, le mythifier;
· la simulation: l'orateur joue, il crée un personnage séduisant
· la dissimulation : l'orateur masque ses propres interrogations, il cache ses doutes
· la séduction : l'orateur ne peut raconter sa fable si elle ne s'accompagne pas du désir de l'auditeur de l'entendre jusqu'à son dénouement;
· le mépris : le persuadeur ne fait pas que travestir la réalité à travers son discours, il truque aussi la relation.
L'un des moteurs de la persuasion coercitive est la faculté d'un orateur à faire accepter l'irrationnel. Alors que le réel est à l'origine des angoisses et du sentunent d'incomplétude qui ont conduit l'adepte à la secte, l'irrationnel qui lui est proposé le rassure parce qu'il véhicule des solutions toutes faites.
L'imitation exacerbe un désir de compétition entre les adeptes, qui doivent tendre le plus vite possible et de la façon la plus parfaite à leur accomplissement.
Cette phase n'est que le prolongement de la séduction entreprise lors
du recrutement.
La séduction s'appuie sur deux processus émotionnels complémentaires. D'une
part, il y a activation d'un phénomène émotionnel positif par la sympathie que
déclenche l'émetteur - système affectif privilégié autorisant les processus
d'identification. D'autre part, le renforcement d'un phénomène émotionnel négatif
souligne les conflits qui opposent le recrutable à son environnement habituel.
Le "love-bombing" (bombardement d'amour) de l'émetteur sur le récepteur s'accompagne
d'un bombardement de haine' du couple émetteur- récepteur à l'égard des tiers,
société, famille, etc.
La phase de captation consiste exclusivement à submerger le sujet de liens affectifs qui le rassurent et lui donnent le sentiment d'appartenance à un groupe. Il faut que le recruté soit convaincu qu'il va désormais pouvoir compter sur l'appui de personnes qui déclarent éprouver de la sympathie pour lui. La secte se présente alors comme un cocon, comme une famille de substitution plus accueillante et compréhensive que la famille naturelle.
Il s'agit du point culminant de l'assimilation sectaire. Le futur converti épuise ses défenses à réduire la dissonance qui existe entre les normes de sa vie antérieure et les nouvelles règles qui lui sont proposées. Sa conversion suppose qu'il consente à un compromis entre son histoire passée et son futur. La conversion s'appuie sur un pari pour l'adepte. Il s'agit de troquer un passé douloureux contre un futur chatoyant assorti d'une dépendance corps et âme à la structure. L'acceptation de ce pari signe le pacte d'engagement définitif - "sans critique" - envers le gourou. Le prosélytisme du disciple sera non seulement la preuve de sa conviction, mais aussi un instrument de renforcement du lien et un élément de coercition.
Il s'agit de la phase de consolidation de la conversion. Elle vise à éliminer les restes d'esprit critique qui peuvent encore animer le sujet. L'endoctrinement tend à l'intégration de plus en plus forte de l'individu dans la secte
Il ne faudrait cependant pas généraliser. De plus en plus souvent, dans leurs attendus, les juges tiennent compte de la dangerosité des sectes en matière de garde-d'enfant, de droit de visite et d'hébergement.
Cependant, le statut réel n'a qu'un lointain rapport avec le statut affiché. Plus la responsabilité semble croître au sein de la secte, plus les liens de dépendance se renforcent. La dépendance devient multidirectionnelle non seulement l'adepte dépend hiérarchiquement de ses supérieurs, mais il dépend moralement de ses inférieurs, et économiquement, socialement, de la structure.
Elles peuvent se classer en quatre types
-Les techniques comportementales : Elles consistent à modifier les relations de l'individu avec son milieu et visent à contrôler les échanges de l'adepte avec le système relationnel antérieur.
-Les techniques de type émotionnel : Ces techniques instaurent une empathie entre l'individu et la secte en créant un climat émotionnel permanent qui tend à supprimer tous les liens affectifs et toutes les émotions rattachés au passé.
-Les techniques de type cognitif : L'intellect représente le seul barrage à l'idéologie sectaire. La stratégie de la secte consiste à saturer ses canaux d'information avec de fausses données. En même temps, elle va s'efforcer de dénigrer toute attitude critique.
-Les techniques d'induction d'états dîssociatifs : Elles créent ou récupèrent des états pathologiques (hallucinatoires ou délires) qu'elles intègrent ensuite dans le corpus doctrinal de la secte (ex un délire devient "rapport avec le cosmos .)
En psychologie clinique, le conditionnement recouvre "l'ensemble des opérations associatives par lesquelles on arrive à provoquer un nouveau comportement chez l'homme" .
Dans les sectes, le conditionnement envahit tous les champs de l'activité. Il s'applique selon trois modes complémentaires
· conditionnement culturel,
· conditionnement affectif,
·
conditionnement physique.
Ce conditionnement entraîne un changement d'état et de statut chez le sujet.
L'intégration dans l'organisation pyramidale sectaire et la soumission au
système hiérarchique nécessitent un changement d'état chez le sujet.
Le système coercitif vise à réduire toute velléité d'indépendance. Cette "unification"
du groupe ne se réalise qu'à travers un changement d'état des individus, ce
que Milgram nomme le "changement agentique ".
L'intégration dans la hiérarchie ne peut se faire qu'à partir d'une modification
interne de chaque individualité. Les contrôles individualisés de l'action, reflets
de l'autonomie, doivent être abandonnés progressivement au profit des directives
hiérarchisées issues de l'agent ordonnateur. La structuration progressive du
groupe coercitif passe obligatoirement par un remaniement des domaines respectifs
de l'autonomie et de la dépendance.
L'augmentation du caractère coercitifs accompagne d'un changement progressif
de l'individu, qui passe de l'état d'autonomie totale à l'état agentique total.
La résistance au conditionnement et à l'intégration dans un système coercitif
naît de la confrontation de ces deux domaines d'action. Progressivement, le
sujet perd son libre arbitre et sa libre action au profit d'une dépendance au
système ; il ne se perçoit plus comme un agent organisateur et responsable de
ses actes, mais comme agent exécutant, exonéré de toute responsabilité de choix.
De l'état agentique découle un phénomène de syntonisation qui pousse l'individu
à accepter sans réserve tout ce qui émane de l'autorité, alors que les éléments
externes sont minimisés ou niés. Milgram atteste aussi l'existence d'une forme
idéologique potentielle qu'il nomme la " définition de situation ".
Tous les actes acquièrent une signification propre qui provient directement
du cadre dans lequel ils sont effectués, ce cadre étant lui-même défini implicitement
par les normes issues du consentement au système hiérarchique. Pour un adepte,
aucun acte ne peut être interprété s'il n'est intégré dans le corpus dialectique
et éthique qui dérive de l'acceptation de l'autorité du gourou et du pouvoir
de la secte. Un acte condamné par l'entendement général peut être interprété
dans le vécu sectaire comme une preuve de foi ou d'ardeur dans la lutte contre
le mal extérieur.
L'abdication éthique et idéologique constitue le fondement cognitif de l'obéissance.
Si le monde est tel que l'autorité suprême le défmit, les actes changent de
signification et toutes les actions qui s'inscrivent dans le respect de l'autorité
deviennent légitimes. L'état agentique a pour conséquence une perte du sens
de la responsabilité. Le sujet ne se sent plus responsable de ses actes, car
il est lié et dépendant de l'autorité dirigeante. L'éthique et le sens critique
ne disparaissent pas, mais ils se modifient au contact des nouvelles références.
En revanche, la notion de responsabilité disparaît bel et bien, au profit de
la fierté tirée du bon accomplissement du devoir.
Le remplacement de l'idéal du moi antérieur par l'idéal sectaire est le signe
de l'état agentique.
L'état agentique permet donc à la hiérarchie d'obtenir un acte d'obéissance
de la part du sujet.
Cependant, pour qu'il y ait obéissance, encore faut-il une adéquation entre
l'ordre donné et le "niveau d'état agentique réalisé.
Une fois l'état agentique instauré, la structure coercitive va s'efforcer d'y
maintenir le sujet. Or la confrontation entre l'éthique personnelle et les contraintes
d'obéissance crée en lui un conflit permanent, lorsque les tabous franchis croissent
en nombre et en degré.
Son analyse critique le conduirait rapidement à refuser les actions trop répréhensibles...
si l'allégeance n'était une pratique permanente.
Le point essentiel, ici, est qu'on ne demande à l'adepte aucune décision personnelle.
Seule la contrainte décisionnelle répétée constitue un élément déstabilisant
de l'état agentique il est indispensable que l'obéissance s'inscrive dans le
continuum temporel. De plus, au sein de la secte, la remise en question de l'obéissance
est sanctionnée par la perte du statut acquis. L'état agentique est donc encore
conforté par les privilèges antérieurs et la crainte du châtiment encouru. C'est
ce qu'on appelle plus communément la carotte et le bâton. Refuser l'obéissance,
c'est refuser l'identification au gourou, briser le lien affectif potentiel
entre le gourou et l'adepte.
Il n'existe pas de conditionnement établi à partir d'une seule technique.
Pour que le conditionnement soit opérant, il est nécessaire d'utiliser un faisceau
de techniques convergentes - physiques et psychiques.
Il n'existe pas de conditionnement permanent - la cessation de conditionnement
entraîne à plus ou moins longue échéance une reconfrontation avec le réel et un
émoussement du conditionnement, sauf dans le cas d'une pathologie mentale irréversible
(psychose, par exemple).
Si la théorisation est particulièrement difficile dès que l'on évoque la manipulation
mentale, la mise en évidence de celle-ci est souvent impossible même si elle est
perçue à travers ses résultats cliniques.
Pour conclure, nous soulignerons que la manipulation mentale se situe au confluent
de la psychiatrie médico-légale et de la criminologie clinique et que c'est l'étude
du phénomène à l'éclairage de ces deux disciplines qui permet de prévenir, de
guérir et de sanctionner les conduites manipulatrices.
(Avec l'autorisation de l'auteur : "ACTUALITE EN PSYCHIATRIE" ARDIX MEDICAL Juillet 2000 )
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