Le nouveau Code Pénal est en application depuis le 1er mars 1994.
Il comporte des dispositions de portée tout à fait générale,
qui apportent, semble-t-il, de nouveaux moyens juridiques aux
personnes en difficulté ou en procès avec une secte,
et tout particulièrement aux adeptes, ex-adeptes et parents de ceux-ci.
Il s'agit des trois articles 313-4, 225-13 et 225-14. Ces trois articles
visent l'abus de l'état d'ignorance, de la situation de faiblesse
ou de vulnérabilité, et de la situation de dépendance
de personnes. Voici leur texte :
Article 313-4 : L'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou
de la situation de faiblesse, soit d'un mineur, soit d'une personne dont
la particulière vulnérabilité due à son âge,
à une maladie, à une infirmité, à une déficience
physique ou psychique, ou à un état de grossesse, est apparente
ou connue de son auteur, pour obliger ce mineur ou cette personne vulnérable
à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciable,
est puni de trois ans d'emprisonnement et de 2.500.000 Francs d'amende.
Article 225-13 : Le fait d'obtenir d'une personne, en abusant de
sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance,
la fourniture de services non rétribués ou en échange
d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du
travail accompli est puni de deux ans d'emprisonnement et de 500 000 Francs
d'amende.
Article 225-14 : Le fait de soumettre une personne, en abusant de
sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance,
à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles
avec la dignité humaine est puni de deux ans d'emprisonnement et
de 500.000 Francs d'amende.
Les deux derniers articles font partie du chapitre V "Des atteintes à
la dignité de la personne" et l'article 313-4, du livre 3, Titre
1er "Des appropriations frauduleuses" chapitre III "De l'escroquerie et
des infractions voisines" du nouveau Code Pénal.
Un étudiant en DEA de l'université de Toulouse 1
a fait au cours de l'année universitaire 1993/1994 un mémoire
sur le thème "Les sectes et le droit pénal". Ce mémoire
analyse notamment de manière approfondie quelles pourraient être
les possibilités d'un recours à l'article 313-4, en particulier
pour obtenir des condamnations significatives pour les responsables de
sectes auteurs d'actes relevant de l'escroquerie ou d'infractions voisines,
et qui utilisent à cette fin la mise en état délibérée
d'infériorité et de moindre résistance de leurs victimes
par des procédés physiques ou psychiques.
Cette analyse pourrait de même être effectuée
pour les articles 225-13 et 225-14, qui, concernant des actes contraires
à la dignité des personnes, donnent une possibilité
supplémentaire de répression lorsqu'ils sont perpétrés
contre des personnes vulnérables ou en situation de dépendance.
Ces trois articles, entièrement nouveaux, qui s'ajoutent
à tout ce que comporte déjà le Code Pénal fournissent
ainsi aux juges, pour les cas d'actes répréhensibles rencontrés
dans les sectes destructrices, des moyens nouveaux de répression
qui devraient pouvoir être utilisés, en renforcement des moyens
préexistants.
Cette législation n'est pas spécifique des délits
commis par les sectes, puisqu'elle peut aussi bien s'appliquer à
des actes de commerce ou relatifs à l'emploi ou au logement. Elle
n'en est sans doute que plus intéressante, le législateur
ne pouvant ainsi être accusé de persécuter ceux que
d'aucuns appellent les "nouveaux mouvements religieux" ou " groupes philosophiques
et religieux minoritaires".
Certes, elle ne résout pas le problème de la définition
juridique de la manipulation ou du viol des consciences, mais elle devrait
permettre, par le biais des résultats atteints sur la victime par
ces moyens de destruction de la personnalité, d'en sanctionner plus
gravement les auteurs dès qu'un acte répréhensible
de droit commun peut leur être imputé. Il devrait pouvoir
en être ainsi des actes d'abus de confiance, d'escroquerie, de chantage,
de vol, etc., ainsi que du non-respect des lois sociales.
On notera, de plus, que les dispositions de ces trois articles
devraient pouvoir être invoquées, que la victime soit consentante
(voire volontaire) ou pas; en effet, le "consentement" de la victime qui
a très souvent pu être opposé dans le passé
contre sa défense, ne peut plus en principe être invoqué,
puisque c'est son état physique ou psychique, et non sa volonté
(ou ce qu'il en reste) qui doit constituer un critère de décision
pour le juge.
Nous plaidons encore pour que soit inséré dans le
Code Pénal le délit d'instigation, qui prévoirait
qu'un commanditaire n'est pas un complice mais un auteur ( pire que l'exécutant
car, en plus, il y a lâcheté); une telle disposition était,
semble-t-il, prévue dans le projet initial.
Pour l'UNADFI, il est clair que, si des adeptes de sectes sont
amenés de ce fait à se rendre coupables de délits,
ceux-ci sont d'abord des victimes des méthodes de mise sous influence
de ces sectes. Actuellement les tribunaux devraient au moins prendre en
compte les dispositions suivantes de l'article 60 du Code Pénal
concernant le délit de complicité et les appliquer à
la responsabilité du "gourou" dans les délits commis par
leurs adeptes.
Cet article prévoit en effet, " Seront punis comme complices
d'une action qualifiée crime ou délit " :
ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir,
machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette
action ou donné des instructions pour la commettre ;
ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre
moyen qui aura servi à l'action, sachant qu'ils devaient s'en servir;
ceux qui auront, avec complaisance, aidé ou assisté l'auteur
ou les auteurs de l'action, dans les faits qui l'auront préparée
ou facilitée, ...".
Les trois articles 313-4, 225-13 et 225-14, visant l'abus
d'état d'ignorance, de la situation de faiblesse ou de vulnérabilité
et de la situation de dépendance des personnes, sont particulièrement
opportuns, semble-t-il, pour sanctionner des délits de droit commun
tels que l'escroquerie, l'abus de confiance, le vol, le chantage, le non-respect
des lois sociales, etc.
Dans leurs intentions, ces articles semblent donc particulièrement
adaptés aux cas de procès impliquant une secte,
et un ou plusieurs de ses adeptes ou ex-adeptes. En particulier de telles
sectes prétendent habituellement que les adeptes, considérés
depuis l'extérieur plutôt comme des victimes, sont consentants.
Leur argument perd de sa valeur, puisque, selon le nouveau Code, l'état
physique ou psychique de l'adepte est à considérer par le
tribunal au moins autant que sa soi-disante volonté.
Articles inutilisés par les plaignants
Aujourd'hui, pourtant, la jurisprudence des procès impliquant des
sectes et s'appuyant sur l'un des articles susvisés est vide. Sans
doute est-il encore trop tôt ; mais peut-être aussi, l'attention
des avocats et celle des juges n'a-t-elle pas été encore
assez attirée sur cet aspect du nouveau Code Pénal. Cela
est d'autant plus important que, d'après l'article 313-9, les personnes
morales déclarées responsables pénalement des délits
visés à l'article 313-4 peuvent encourir des sanctions graves
allant dans certains cas jusqu'à la dissolution ou la fermeture
temporaire ou définitive (article 131-19).
En quelque sorte l'application de ces articles aurait pour effet,
non seulement d'aggraver les sanctions encourues pour les délits
de droit commun commis par des sectes, mais aussi de mettre en évidence
le fait que l'état constaté de faiblesse de leurs victimes
est souvent le résultat de leurs propres méthodes de recrutement,
d'endoctrinement et de harcèlement, et non pas seulement le fait
d'une faiblesse préexistante, comme on l'allègue parfois
et comme les sectes destructrices essaient souvent de le faire accroire,
pour justifier de prétendus traitements appliqués par elles
pour y soi-disant remédier. Ainsi, dans les procès entre
une secte et un ou plusieurs adeptes ou ex-adeptes apparaîtrait la
double culpabilité de la secte : culpabilité dans le délit
de droit commun, et culpabilité dans l'action de mise en état
de faiblesse des victimes.
Double culpabilité par préméditation
Cette dernière culpabilité, qui correspond généralement
à une technique constante de la secte, présente toutes les
caractéristiques de la préméditation au sens où
la définit le nouveau Gode Pénal, à savoir " le dessein
formé avant l'action de commettre un crime ou un délit déterminé
" (article 132-72). Une telle reconnaissance du fait de préméditation
mettrait à la disposition du tribunal un élément d'appréciation,
qui, à notre connaissance, n'a pas encore été utilisé
à l'encontre de sectes dangereuses dans les condamnations prononcées
à leur égard.
Ainsi, nombre de délits de droit commun, qui font parfois
partie des méthodes employées pour la mise en état
de faiblesse, pourraient être appréciés comme plus
graves si la préméditation était établie. En
toute rigueur pénale, ces délits sont peu nombreux, puisqu'il
ne s'agit selon l'article 132-72 que d'actes de violence sur des adultes
ou sur des mineurs, définis par les articles 221-3, 222-8, 222-10
et 222-12.
La préméditation signée par les écrits internes
Cependant biens d'autres délits visés par le Code Pénal,
par le Gode des Impôts, par le Code du Travail, par le Code de la
Famille et d'autres encore, sont commis de manière constante et
délibérément répétée, donc avec
préméditation, par les sectes. La preuve du caractère
constant et délibéré de ces délits se trouve
dans bien des cas tout simplement dans leurs propres écrits à
usage interne destinés aux adeptes confirmés. Un document
rassemblant ces textes reste à établir. Il serait plus instructif
sur les méthodes des sectes que toutes les informations, plus ou
moins partielles, que l'on peut avoir par ailleurs, et il constituerait
en lui-même, par son caractère auto-accusateur la démonstration
de la préméditation. Un tel document permettrait en outre
de couper court aux essais si laborieux de caractériser la manipulation
mentale.
Pour revenir au Code Pénal, la liste suivante de délits
est représentative, bien que forcément incomplète
de ce qu'il arrive aux sectes de pratiquer de manière constante
et suivie :
le chantage (article 312-10 à 312-12),
les menaces (article 222-17 et 222-18),
l'abus de confiance (article 314-1),
le délaissement d'une personne hors d'état de se protéger
(article 223-3 et 223-4),
l'omission de porter secours à une personne en danger (article 223-6),
l'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à
l'intégrité physique ou psychique d'autrui (article 222-15),
les appels téléphoniques malveillants ou les agressions sonores
réitérées en vue de troubler la tranquillité
d'autrui (article 222-16),
l'organisation frauduleuse de l'insolvabilité (article 314-7 et
314-9),
le vol (article 311-1 à 311-11, article 311-16),
l'extorsion (article 312-1 à 312-9),
l'escroquerie (article 313-1 à 313-3),
l'incitation à des actes délictueux,
etc. De tels comportements ne sont pas admissibles dans une société
dont l'équilibre repose sur le respect du Droit. Les mouvements
sectaires, qu'ils aient ou non un caractère religieux, d'ailleurs
souvent usurpé, ne sont en aucun cas exemptés du respect
du droit commun, ce même droit commun que beaucoup d'entre eux dénigrent
ouvertement.
Des procédures abusives et onéreuses
Ce mépris les conduit tout droit à exploiter cyniquement
toutes les voies de recours juridiquement disponibles, et leurs ressources
financières, provenant précisément des manoeuvres
incriminées, alimentent largement ces procès. La procédure
abusive si onéreuse pour la collectivité ne devrait-elle
pas être plus lourdement sanctionnée ? En attendant, ces sectes
spéculent sur toutes les mesures dilatoires qu'offre la procédure.
L'application sans faille à leur égard du droit
pénal existant serait déjà de nature à assainir
considérablement la situation. C'est le sens de la circulaire
du Garde des Sceaux aux Parquets, en date du 29 février (Journal
Officiel du 5 mars 1996) qui rappelle en particulier l'article
31 de la loi du 9 décembre 1905. Gageons qu'elle portera ses
fruits pour le plus grand bien des familles, des individus et de la société,
mais aussi des mouvements dont les pratiques sont correctes et qui, aujourd'hui,
sont éclaboussés malgré eux par les retombées
des scandales affectant les coupables.