(Source Le Monde 3 février 2001 , par Claire Tréan)
La France, tout en cherchant à associer les organisations non gouvernementales à son action extérieure, souhaite plus de rigueur dans l'octroi par l'ONU du "statut consultatif" qui leur ouvre grand les portes du Palais de verre à New York.
Le débat en cours sur le rôle de la société civile dans le domaine des relations internationales est dans une large mesure propre à la France. Le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, lui a donné une impulsion, en exprimant certaines réserves envers les organisations non gouvernementales (ONG) et en craignant de voir dans leur irruption sur la scène internationale l'un des facteurs d'un dangereux affaiblissement des Etats.
Dans l'administration qu'il dirige, ses déclarations sont commentées de façons diverses. Certains s'en félicitent, avec des arguments expéditifs : "Il y a de tout dans les ONG, à boire et à manger; elles sont inflitrées par les sectes, par les multinationales, par les Américains.", ou encore "elles critiquent le gouvernement alors que c'est lui qui les paie ! " (ce qui n'est pas exact, lire ci-dessous).
Mais les autres rappellent que la tendance en France est, au contraire, à une prise en compte de plus en plus grande du travail des ONG, que l'actuel gouvernement et le ministre lui-même sont justement en quête d'un mode de relation plus efficace avec elles. Contrairement à ce qui se passe dans des pays qui n'ont ni la même histoire ni la même culture de l'Etat, la reconnaissance des ONG comme acteurs dans le champ diplomatique n'est pas tout à fait naturelle en France. "L'Etat français jacobin n'a pas coutume de faire faire à d'autres ce qu'il estime pouvoir faire lui-même, surtout en matière internationale, constate l'un des intéressés ; il n'y a, en France, aucune tradition de délégation du service public dans le domaine de l'action extérieure."
Une étude effectuée dans les pays européens sur la part de l'aide publique au développement que les Etats font passer par les ONG est à cet égard révélatrice: la France arrive bonne dernière avec un 0,6% qui contraste avec les pratiques des Danois, des Néerlandais (dix fois plus). Ce pourcentage s'explique, d'une part, par le fait que ceux qui étaient les administrateurs de la France d'outre-mer sont devenus avec la décolonisation des "coopérants", toujours fonctionnaires de l'Etat et principal outil de l'action extérieure de la France dans ces pays.
Il reflète aussi le fait que le partenariat institutionnel d'Etat à Etat a été et reste encore la règle en matière de coopération.
AMBIGUÏTÉ
L'aide au développement est pourtant le secteur où le travail des ONG est depuis le plus longtemps reconnu par les pouvoirs publics français. Les fonctionnaires "partagent souvent avec les ONG la même culture, la même conception du développement ou de la dette ; certains sont issus du milieu des ONG", fait remarquer l'un d'entre eux. Un autre évoque la synergie qui s'est instaurée, à propos de l'annulation de la dette, par exemple : "Ce sont les ONG qui ont porté le sujet devant l'opinion publique. Ce sont les pouvoirs publics qui leur demandent maintenant d'intervenir pour que les sommes annulées n'aillent pas au budget des Etats, mais financent directement des projets concrets et associent les sociétés civiles locales." Plusieurs rappellent, enfin, que les autorités françaises sont montées au créneau face à l'offensive menée à Bruxelles par le commissaire chargé du développement, Poul Nielson, qui prétend supprimer purement et simplement le comité de liaison des ONG (Clong), l'organisme qui les représente devant la Commission.
Tout cela ne suffit pas à faire des relations toujours sereines et dépourvues d'ambiguïté avec les ONG travaillant dans le développement : "On leur reproche d'être éparpillées, faibles financièrement; on voudrait qu'elles pèsent autant que les grandes ONG humanitaires ; mais en même temps elles ne peuvent espérer un financement de l'Etat français que si elles se rangent à ses priorités."
C'est un thème dominant, tant à Paris qu'à Bruxelles, dans les relations entre les pouvoirs publics et les ONG en général.
Il y a quelques jours encore, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) le soulignait à propos de la réforme des mécanismes européens en matière d'action humanitaire et d'aide au développement : "Il conviendrait de repréciser le rôle des ONG: simples sous-traitants ou partenaires? Acteurs ou instruments? Force de proposition ou prestataires de services devant uniquement répondre à des appels d'offres ?"
Dans les domaines de la défense des droits de l'homme ou de l'action humanitaire, les ONG françaises sont souvent d'une autre génération que les associations de développement, moins désireuses d'investir l'Etat ou de le convertir, plus soucieuses de leur indépendance et aussi plus puissantes. Les coopérations réussies ne manquent cependant pas, depuis le partenariat avec Handicap International, pour des projets d'assistance aux victimes des mines antipersonnel au Mozambique et au Cambodge, jusqu'à la coopération entre le Quai d'Orsay et une ONG anglaise, Redress, pour mettre au point quelques-unes des meilleures propositions de la France dans la négociation sur la Cour pénale internationale.
UN POUVOIR DE MOBILISATION
Mais ce qui inquiète, surtout dès que l'on sort du champ relativement consensuel de l'aide au développement, c'est l'énorme pouvoir qu'ont aujourd'hui les ONG de mobiliser l'opinion. C'est ce que le corps diplomatique français, dans sa partie la plus traditionaliste, a du mal à accepter: il se sent violé dans ses prérogatives, lorsque des ONG critiquent publiquement les choix stratégiques de la France. Et il a tendance, pour se défendre, à dénigrer l'"adversaire". "Qu'il y ait de tout dans les ONG, c'est vrai, dit Marc Lévy, président de l'une d'entre elles, le GRET (Groupe de recherche et d'échanges technologiques). Mais on est en train de monter un mauvais procès ; quand on veut fermer un abattoir, on dit qu'il n'y a pas d'hygiène."
Il a été parmi les Français qui, en juin 2000, avaient dénoncé la tournure prise par le forum des ONG invité à New York par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. L'accès était ouvert, y compris aux ONG non accréditées à l'ONU, et l'on avait assisté à une tentative de prise en main de la réunion par des "Eglises" anglo-saxonnes assez proches de sectes, et autour d'elles "des groupes très conservateurs, voire fascisants, se réclamant avec autant de légitimité que d'autres de la société civile", explique Marc Lévy. Il avait mis en garde contre un discours qui pare cette "société civile" de toutes les vertus et diabolise les Etats.
Ses remarques ne sont pas tombées dans des oreilles de sourds à Paris. Le paysage des ONG en France, outre qu'il n'est pas, que l'on sache, envahi par les sectes, n'est pas non plus aussi désordonné et sait s'organiser sur des thèmes communs. On sait, d'autre part, que les grandes associations humanitaires françaises ne sont pas les dernières à réfléchir à leur propre action, y compris aux moyens de l'évaluer sans complaisance.
Au plan international non plus la situation n'est pas celle dont la réunion de juin à New York a pu donner l'image, même si les modalités du dialogue sont sans doute à améliorer. La grande force des ONG a été, ces dernières années, de savoir s'organiser et former des coalitions sur certains sujets où elles ont remporté des victoires sans précédent: la campagne sur la dette, la convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel, le traité sur la Cour pénale internationale sont des exemples de leur capacité à entraîner les gouvernements, parfois même à faire émerger un nouveau droit international.
Face à cette réalité, les débats sur la vraie nature de la démocratie (représentative ou participative) paraissent un peu anachroniques.
"Tout le monde sait aujourd'hui que l'action non gouvernementale est indispensable et que les ONG font partie du débat démocratique, dit un diplomate français. Cette polémique, c'est tout simplement la rançon de leur succès."
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