(Source : Veille Magazine n°54 - mai 2002 par Michel Dufourt)
Mis en ligne le 10 novembre 2003
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Coaching, formation professionnelle, conseil en management... Entreprises, on ne vous aime pas toujours pour les meilleures raisons. Depuis quelques années, plusieurs dizaines d'organisations sectaires se sont positionnées sur le marché de la prestation de services. Avec de nouvelles stratégies d'approche et un goût marqué pour la dissimulation. Enquête sur un business lucratif qui n'est pas sans soulever de graves problèmes d'éthique et de sécurité...
par Michel Dufourt
"Chère Madame, comme vous l'avez certainement constaté, les participants des formations rencontrent parfois des difficultés à mettre en application les formations qu'ils ont suivies, réduisant ainsi une partie des bénéfices potentiels ". La plaquette est léchée et les mots bien sentis. Elle émane de VIP Training - Very Important Potentialities. un organisme de formation basé à Charenton Le Pont qui, pour casser le train-train de la formation professionnelle, propose une "solution originale " : le coaching par téléconférence. L'idée n'est pas si mauvaise : adaptable à la demande, la téléformation permet au salarié de mieux gérer son temps, d'être plus réceptif - donc plus efficace - tout en restant sur son lieu de travail, Et à l'entreprise de réaliser quelques économies.
D'autant qu'à croire la plaquette: les résultats sont là : " la psychologie du changement (sic) montre qu'un changement s'opère définitivement après 21 jours ". A priori, aucune raison d'être méfiant l'organisme affiche un code de déontologie, des références aussi prestigieuses que Accor. Auchan. Banque CIC ou La Poste; et se dit membre de la Fédération francophone de coaching,
Sauf que la Fédération
francophone de coaching - cofondée par VIP Training - a été
pendant plusieurs années une structure virtuelle dont les statuts n'ont
été déposés à Paris qu'en 2001. Et que J.L.L.,
fondateur et dirigeant de VIP Training est un adepte déclaré du
mouvement raëlien, une organisation éti-quetée " sectaire
" par deux rapports d'enquête parlementaire.
Il n'est pas le seul : responsable du service client de VIP Training, F.C. apparaît en qualité de responsable raëlienne pour, la région parisienne dans " Action Organisation Méditation ". la revue interne du mouvement . [.........]
Trois dirigeants, trois raëliens. Et quelques interrogations : si VIP dispose de bureaux parisiens - situés à la même adresse que le domicile personnel de J.L.L. - son siège social est basé à Marseille, où le tribunal de commerce nous apprend qu'elle est une filiale de la société Réseau Experts Limited, société d'intermédiations financières établie à Londres et dont la représentante en France, Martine Riot - elle-même raëlienne - est l'actuelle compagne de J.L.L.
Toujours plus étrange : enregistrée comme organisme formateur. VIP Training n'apparaît dans aucun des fichiers des services de contrôle de la formation professionnelle. Sans doute parce que son numéro d'immatriculation renvoie à une autre structure : Gaia Consult. Officiellement créée en 1999, cette SARL de conseil pour les affaires et la gestion avait pour gérant Francis Lesage, notaire de son état et... porte-parole du mouvement raëlien. Mise en liquidation judiciaire le 11 mars 2001, Gaia Consult n'existe plus.
En France, nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public.
L'appartenance à une secte n'est donc pas en soi un délit. Rien n'empêche les membres d'organisations sectaires de commercialiser des activités de services.
Reste que les entreprises devraient pouvoir décider, en toute connaissance de cause, des organismes à qui elles confient la formation de leurs salariés. Ce qui est loin d'être toujours le cas : effet pervers des politiques de lutte contre les sectes et de quelques procès retentissants, la plupart de ces dernières ont appris à avancer masquées. Avec des stratégies plus élaborées et un intérêt particulier pour le secteur privé. Au point que la Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes (MILS) (1) placée sous l'autorité du Premier ministre, a consacré plusieurs rapports à l'analyse du phénomène.
Les sectes et l'entreprise, une stratégie réseau
" Les organisations à caractère sectaire s'adaptent vite" déplore Henri Pierre Debord, conseiller de la MILS "elles orientent leur stratégie de développement en fonction des mesures prises par les pouvoirs publics. En clair, si le phénomène sectaire " recule quantitativement ", il " évolue qualitativement " : on passe d'un recrutement indifférencié à un recrutement spécifique, ciblé, de personnes physiques ayant des responsabilités importantes au sein de personnes morales, dont les compétences ou les fonctions peuvent être mises à profit par l'organisation ".
Au coeur de ces nouvelles stratégies : l'entreprise "Support déterminant"du développement des organismes à caractère sectaire, elle est aussi une "victime potentielle de ces organismes ou des structures qui en dépendent ".. note le rapport de la MILS.
Non sans rappeler que " l'infiltration est la règle universellement observée dans les pratiques sectaires ". Les sectes et l'entreprise. le lien n'est pas nouveau. Mais il a pris de l'ampleur et un nouveau visage. En témoigne la prolifération des prestataires de services liés d'une façon ou d'une autre aux organisations sectaires.
Premier secteur concerné : la formation professionnelle. Officiellement, les pouvoirs publics recensent une vingtaine de sectes positionnées sur le créneau. Mais pensent qu'il peut en exister bien d'avantage le marché, en pleine expansion, concerne plus de 400 000 personnes et pèse 22 milliards d'euros par an. il permet surtout d'aborder les forces vives de l'entreprise. celles qui, décisionnaires, ont accès aux cordons de la bourse et à l'information stratégique,
"Les crédits de formation des entreprises sont une véritable aubaine pour les organismes sectaires" reconnaît ce fonctionnaire du Ministère de l'Intérieur : "bien mieux que le démarchage dans la rue ils permettent aux sociétés liées a ces organismes d'approcher une clientèle de qualité. informée. avec plus de réussite et de plus grands gains financiers ". D'où un certain nombre de dérives. Car la frontière est mince entre formation professionnelle et formation personnelle.
Dérives
Immatriculée en Gironde comme organisme de formation. l'association Otium s'est ainsi vue contrainte de reverser au Trésor public les sommes quelle avait perçues entre 1992 et 1994. Un contrôle effectué par les pouvoirs publics en 1996 ayant conclu que les stages de formation Avatar organisés par Otium s'assimilaient à " une démarche strictement personnelle " et ne relevaient pas de la " typologie des actions de formation professionnelle ". Liée à la secte Star's Edge International, Otium comptait dans son fichier clients des sociétés comme Thomson CSF, EDF ou la RATP.
La même classification a été appliquée aux séminaires " Insight training seminar " développés par la secte Innergy : destinés à guider les gens dans leur vie quotidienne afin de " créer plus d'amour, de joie et de bonheur ", ces séminaires ont été apparentés à une "démarche de développement personnel visant à l'amélioration du bien-être de l'individu ", et non à de la formation professionnelle.
Conséquence : les entreprises ne peuvent plus imputer ce type de stages sur leur budget de formation sans risquer d'avoir à rembourser, elles aussi. les sommes correspondantes. " Une façon de protéger les salariés contre tel ou tel stage douteux que pourrait leur imposer leur direction ". reconnaît Stéphane Rémy du Groupe national de contrôle de la formation professionnelle qui insiste sur le rôle clé du comité d'établissement, " légalement compétent pour évaluer le bien-fondé des plans de formation ".
"Il suffit parfois d'un ou deux relais sectaires bien placés à l'intérieur de l'entreprise pour tout déclencher " constatent les associations de lutte contre les sectes.
Objet de toutes les attentions : les cadres et dirigeants d'entreprise car leur l'autorité fait souvent office de passe-droit. " Lorsque des cadres recommandent tel ou tel organisme à leur entreprise, personne n'ose imaginer qu'il puisse exister un lien entre l'organisme et une secte. Pour la secte c'est l'occasion d'un accès aux dirigeants et/ou à des fichiers et, par là, de prendre le contrôle de l'entreprise " rapporte une note d'information de l'UNADFI. D'où la mise en place, dans certaines organisations sectaires, d'opérations de profilage très proches des méthodes déployées en intelligence économique.
Consciente du problème, la MILS e étudié le mode opératoire de différents prestataires liés à des organisations sectaires condamnés par la justice. Elle distingue une approche en trois temps:
La phase d' " attirance-séduction " correspond à la prise de contact. Réalisée la plupart du temps par l'intervention des prestataires de services ou d'experts extérieurs, elle s'ancre " dans le cadre de préoccupations partagées au sein de l'entreprise (...) autour de la notion de " quête de sens " voire dans le cadre de réflexion sur la " spiritualité en entreprise ", et se conclut souvent par " un achat de produits ou de services ".
La phase d"' accoutumance-intégration " consolide ce premier lien par " la mise en dépendance " progressive de l'entreprise dont l'objet social ou la finalité sont " peu à peu perdus de vue " au bénéfice du mouvement sectaire.
L'étape de " dépendance-coercition " " parachève la stratégie de l'organisme " et place l'entreprise ciblée dans " une dépendance psychologique, matérielle et financière " nuisible à son développement. Or cette progression dans les étapes " fait très fréquemment l'objet de contrats ou d'accords successifs ", prévient Pierre-Henri Debord. D'où l'importance de veiller au bon déroulement des procédures dans les phases de mise en oeuvre des contrats (voir encadré).
Prévenir le risque sectaire
Les conseils la MILS (1)
EVALUER le risque pour l'entreprise au regard des enjeux économiques et des stratégies de développement de certaines organisations à caractère sectaire.
SE RENSEIGNER sur les fournisseurs de services externes en considérant l'évolution de leurs clientèles. de leurs prestations et de la nature des services fournis. Ne pas négliger l'historique des relations entre les salariés et la société prestataire.
ORGANISER une veille active au niveau des procédures exercées par l'entreprise dans les phases de la mise en oeuvre des contrats (appels d'offres. cahiers des charges, bilans d'action. Lister les fonctions, procédures, et prises de décision susceptibles d'être contrariés par l'influence sectaire,
DEFINIR des modes d'intervention adaptés aux situations de -risques-personnels - risques-fonction - - risques-procéduriers
RENFORCER la prise de précautions métier par métier. et au niveau des grandes familles de contrats. Prêter une attention particulière a tout ce relève de la propriété intellectuelle.
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Un sens certain des affaires
Mais les revenus de la formation professionnelle ne se limitent pas à l'approche directe et à la prestation de services. Pour les organismes sectaires. la rémunération des droits de propriété intellectuelle représente une manne financière au moins équivalente. Dès 1999, la commission d'enquête parlementaire " sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes " s'est inquiétée de la multiplication des accords de franchise liant certaines d'entre elles à une nébuleuse d'organismes commerciaux. Résultat : la plupart des sectes présentes sur le marché du conseil et de la formation ont déposé leurs propres méthodes, qu'elles revendent ensuite sous forme de licences à leurs adeptes ou à des acquéreurs peu informés.
L'usage détourné du mécanisme de la franchise, permet ainsi à des organisations sectaires d'étendre de nombreuses ramifications sans être repérées, non seulement par le client final, mais parfois aussi par le franchisé lui-même qui a cru, de bonne foi, acquérir une méthode intéressante informe la commission.
Montant moyen des royalties : de 5 à 25 % du prix du stage. Un dispositif lucratif, notamment utilisé en France par les sectes Landmark, Star's Edge ou Innergy, ou par l'Eglise de scientologie dont le rapport d'enquête parlementaire souligne qu'elle fait partie des "sectes les plus actives sur le marché de la formation professionnelle ".
Les cas de dérives constatés par les pouvoirs publics ne valent pas généralité. Ils sont pourtant exemplaires : nombre d'entreprises ignorent qu'elles financent, à leur insu, des organisations sectaires.
Non sans raisons : en 1999, la secte fondée par Lafayette Ron Hubbard (LRH) a fait paraître un "annuaire international des entreprises scientologues" A l'intérieur : les coordonnées de 2427 entreprises opérant sur tous les continents et dans tous les secteurs économiques : conseil. formation. coaching, recrutement, communication et marketing compris.
Toutes sont membres de Wise (World Institute of Scientology Enterprises), l'Institut mondial des Entreprises de scientologie. Créée en 1979. cette structure dont le siège mondial est basé à Los Angeles en Californie, se présente comme une " organisation de membres" qui entendent" assainir la scène économique en diffusant la technologie administrative de LRH dans chaque organisation, gouvernement et entreprise de la planète ".
Dans les faits, Wise fonctionne comme un réseau mondial d'organismes franchisés à plusieurs niveaux : aux entreprises adhérentes. le droit d'utiliser en interne - moyennant redevances - la technologie administrative de LRH. Aux entreprises " associées " le droit de commercialiser sous forme de cours ou de consulting une dizaine de formations élaborées par l'académie, contre le reversement en royalties de 6 et 9 % de leur chiffre d'affaires.
Un dispositif qui permet à la scientologie d'être présente dans une centaine de pays. Et notamment en France où, selon son propre annuaire, plusieurs dizaines de sociétés utilisent ou revendent les méthodes de management préconisées par Ron Hubbard.
C'est que tenus par leur Code intérieur d"'augmenter les adhésions à Wise " et " de faire émerger une nouvelle civilisation ". les membres de Wise " partagent des intérêts communs ". Rien d'étonnant donc, à ce qu'ils " traitent des affaires ensemble " et "se recommandent les uns aux autres" . Au risque. parfois. de flirter avec la loi : en 1998, l'industriel scientologue Gabriel Boudewijn Van Rampay, acquéreur de la société Sogetram, a été contraint d'en quitter la direction après une mise en redressement judiciaire : les consultants externes auxquels il recourrait étaient tous membres avérés de la secte.
Certes, les cas de dérives constatés par les pouvoirs publics ne valent pas généralité. Ils sont pourtant exemplaires : nombre d'entreprises ignorent qu'elles financent - souvent à leur insu - des organisations sectaires. M.D.
L'arsenal juridique
Inquiets de la situation, les services de l'Etat renforcent leurs moyens de contrôles. En mai et octobre 2000, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle ont fait paraître deux circulaires de sensibilisation relatives aux pratiques et dérives sectaires.
Constatant que " l'entreprise constitue une cible privilégiée des mouvements sectaires "la première invite les services de contrôle de la formation professionnelle à se montrer " particulièrement vigilants " et à " rechercher tous comportements et modes de gestion susceptibles de constituer des indices de pratiques illégales " Déterminant l'action administrative, la seconde demande aux mêmes services " d'exercer une action préventive par une vigilance accrue dans les procédures d'agrément ou d'autorisation ".
Surtout. les lois de modernisation sociale publiées le 16 janvier 2002 sont venues consolider l'arsenal juridique. " Elles ont remplacé l'ancienne déclaration d'existence par une déclaration d'activité, explique Stéphane Rémy du groupe national de contrôle. Jusque-là, les organismes de formation qui souhaitaient exercer avaient lobligation légale de s'immatriculer auprès des services de contrôle. Dorénavant ils devront démontrer la réalité de leurs activités et apporter la preuve qu'elles s'inscrivent bien dans le cadre légal et réglementaire dès le premier contrat ou la première convention de formation signés ".
Les professionnels aussi, s'organisent : fin 1998, la Fédération des chambres syndicales de formateurs consultants a mis en place un titre de formateur consultant inscrit au registre professionnel. Dans le même temps elle a participé à la création d'un institut de certification des professionnels de la formation indépendant délivrant, après examen de dossier, trois niveaux de qualifications.
Objectif : assurer la lisibilité des compétences.
Un enjeu de taille mais qui présente ses limites. Le marché, opaque, ne cesse de s'atomiser. Il nexiste pas, en matière de formation. de critères normatifs permettant d'éradiquer les risques à coup sûr.
" La démarche qualité reste l'un des meilleurs moyens d'assainir le secteur mais elle n'est pas une garantie en soi " reconnaît Christine Soroko, de la fédération de la formation professionnelle. qui prévient aussitôt contre le danger d'instituer des listes noires : " le meilleur moyen pour un organisme de discréditer un honnête concurrent ". Bref, à chacun d'établir ses propres normes de contrôle. Comme IBM que ses démêlés avec Landmark Education ont poussé à internaliser les prestations en matière de formation professionnelle. Ou EDF dont la direction proscrit depuis l'épisode Avatar "toutes les formations qui touchent ou concernent les valeurs personnelles, la vie personnelle intime et les approches psychanalytiques".
Partenaire indispensable, la MILS propose d'aider les entreprises qui en font la demande à définir une politique de gestion du risque sectaire. A ce jour, plusieurs accords de partenariats ont été conclus avec de grands groupes industriels. Reste à sensibiliser les PME. souvent plus fragiles et moins bien informées.
Depuis 1997, chaque préfecture dispose d'une cellule de vigilance et des forces de police spécialisées. Progressivement un véritable maillage du territoire se met en place. Parce qu' " à tout réseau il faut opposer du réseau " et qu'en matière de prévention " l'information reste le levier du pouvoir".
(1)
- La MILS a été remplacée par la MIVILUDES
en novembre 2002
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