Dans ces conditions, il est évident que le mode de vie communautaire et d'apparente solidarité des sectes ainsi que leur statut de "réprouvé" dans la société peut répondre à une soif d'idéaux. L'Eglise traditionnelle, en particulier l'Eglise orthodoxe n'offre pour le moment qu'une maigre résistance à la prolifération des sectes. Elle propose une réponse sur le plan théologique mais, a du mal à organiser une réflexion pour lutter de manière active.
Quant à l'Etat, il ne joue absolument pas son rôle de garde-fou contre les atteintes à la liberté individuelle. L'Ukraine a tendance à prendre des mesures répressives alors que la Russie semble inerte. La secte ukrainienne la Fraternité blanche a vu ses leaders condamnés pour escroquerie et détournement de fonds. En fait, le danger que représentent les Moon, Krishna, Fraternité blanche et autres, n'est pas encore bien évalué par les institutions. Il est d'ailleurs symptomatique que les quelques initiatives existant aient pour origine l'intervention de parents dont les enfants ont succombé au puissant attrait de ces communautés. Grâce à eux, le scandale de la disparition des enfants et du "psycho-terrorisme" est maintenant soulevé par une grande partie de la presse. Le relais médiatique permet de dénoncer et de chercher des solutions conjointement avec des psychiatres, des juristes, des représentants du clergé... Le manque d'informations chiffrées, notamment (nombre de sectes, d'adeptes...) ne nous permet pas de vous présenter un tableau général de la situation. En effet, la Russie est seulement en train de prendre conscience du mal et le débat, empreint d'angoisse et du désir d'éradiquer rapidement le problème, part peut-être dans tous les sens aux yeux des Occidentaux. C'est pourquoi dans ce dossier, nous évoquerons plutôt les aspects du problème actuellement soulevés en Russie. Nous parlerons en particulier de la Fraternité blanche dont les exactions suscitent nombre d'inquiétudes. Les familles des nombreuses victimes de cette secte parlent, décidées à lutter et à attirer l'attention sur le sort des adolescents et des jeunes gens qui quittent leur foyer pour rejoindre les "frères blancs".
Vladimir Porech : Il y a quelques années, à l'invitation d'une communauté orthodoxe du Mans, j'ai rencontré Jacques Richard, responsable d'une association de familles qui lutte contre les sectes. C'était ma première prise de contact avec ce problème. Nous avons réalisé que la Russie était touchée quand des enfants ont disparu et que l'on a commencé à parler de ceux qui refusaient le dialogue avec leurs parents. Des parents, à la recherche de soutien et de compréhension se sont adressés à nous, c'est-à-dire à la Maison des droits de l'homme. Nous nous sommes alors rendu compte que nous ne savions pas grand-chose sur ce sujet. Des sectes d'origine étrangère et d'autres, nationales, ont grandi sur notre territoire comme la Fraternité blanche (qui n'a rien à voir avec le mouvement international du même nom). Comme idéologie, c'est un mélange monstrueux de toutes sortes d'idioties. A tel point qu'on se demande comment les gens peuvent avaler ces monstruosités. Et pourtant beaucoup le font, des gens intelligents, surtout des jeunes. Comme autre secte d'origine russe, nous avons le Centre de la sainte Vierge. La Fraternité blanche est d'origine ukrainienne mais le régime d'Ukraine, plus autoritaire que celui de Russie l'a chassée du pays et maintenant elle essaime sur le territoire russe.
Aide aux Croyants : Quand cette secte a-t-elle été créée et quels sont ses moyens d'action ? Ses moyens financiers ?
Vladimir Porech : Elle a été créée il y a trois ou quatre ans, après la Perestroïka, par une femme qui se présente comme l'incarnation féminine du Christ. Ses adeptes doivent la reconnaître comme la réincarnation du Dieu vivant. Cette femme était membre du Komsomol puis journaliste avant de créer cette secte avec son mari. Puis des jeunes ont commencé à suivre, à être manipulés comme des marionnettes. Son portrait s'étale maintenant dans tout le pays, même dans les villages les plus reculés et sa propagande est très active. L'argent vient des adeptes qui donnent tout ce qu'ils possèdent. Il est possible que cette secte soit aidée par des entreprises mais pour le moment l'information n'est pas vérifiée. Quelques milliers de personnes en Ukraine et en Russie ont déjà adhéré à la Fraternité blanche qui n'est sans doute pas très riche mais extrêmement active. Le nombre de sectes est considérable en Russie mais certaines n'apparaissent pas en surface. L'Eglise de l'Unification de Moon, par exemple, mène de nombreuses activités comme des cours d'anglais mais ne se présente pas sous son véritable nom.
Aide aux Croyants : Et les autres sectes ?
Vladimir Porech : Il existe une secte dirigée par un hindou. Récemment, j'étais au centre du parti démocratique de Russie. la première chose que j'y ai vu était le portrait de cet homme avec une promesse de paradis sur terre. Il est dangereux et puissant. Il a même parlé à l'ONU où il a proposé des courses à pied pour la paix. J'ai acheté un de ses livres à Smolensk. Cette secte a un centre à Moscou tout comme l'Eglise de Scientologie qui édite des livres que l'on peut trouver partout.
Aide aux Croyants : Ce sont donc les sectes les plus importantes de Russie ?
Vladimir Porech : Non. Celles-ci sont récentes alors que les Krishna sont présents depuis de longues années. Ils défilent dans les rues ; ils ont déjà chanté devant la cathédrale de Kazan et maintenant ils organisent des distributions de nourriture dans la ville. Des adolescents très jeunes sont des adeptes de cette secte. Je connais personnellement une mère dont les deux fils sont chez les Krishna. L'aîné est majeur mais le second n'a que quinze ans. Il vit encore dans sa famille mais suit les préceptes de la secte et n'a plus aucune relation avec sa mère.
Aide aux Croyants : Quelles sont les actions que vous avez entrepris pour faire face à cette situation ?
Vladimir Porech : Nous avons invité Jacques Richard pour qu'il explique aux parents ayant des enfants dans les sectes le principe et le fonctionnement de l'ADFI (Association de défense des familles et de l'individu), pour répondre à leurs interrogations et les conseiller. Des journalistes étaient présents et une émission de radio (qui a engendré des protestations de la part de certaines sectes) a eu lieu sur ce thème. Nous avons reçu l'autorisation de traduire une brochure d'information de l'ADFI que nous avons publiée deux fois dans des journaux de Saint-Pétersbourg : dans la revue Tchas Pik (l'Heure de pointe) et un hebdomadaire qui s'adresse aux écoles. Nous allons édité cette brochure pour la distribuer à titre préventif en Russie. Vous comprenez, nous ne sommes pas du tout immunisés contre ce danger et les gens croient tout ce qu'on leur raconte. C'est seulement lorsque des enfants ont commencé à disparaître que l'on s'est préoccupé de ce problème. Toujours dans cette optique d'information, la Maison des Droits de l'Homme disposera régulièrement d'une page dans cet hebdomadaire destiné aux écoles, page qu'elle consacrera aux sectes.
Aide aux Croyants : A partir de quel moment les sectes ont commencé à susciter un interêt dans la population ? Avez-vous une idée des causes de leur succès, de causes spécifiques à la Russie ?
Vladimir Porech : Je dirais que le problème nous a sauté aux yeux il y a deux ans. Avant, on ne se posait pas de questions ; on pensait que les Krishna étaient inoffensifs. Le Centre de la Sainte Vierge était présent lors du putsch et clamait partout que les démocrates avaient remporté la victoire grâce à la Vierge. Et puis, on a commencé à parler de ces parents qui ne savaient pas où étaient leurs enfants. J'ai demandé à ces parents si leurs enfants étaient fragiles psychiquement, s'ils avaient eu des problèmes pour les éduquer. Ils sont unanimes pour répondre que non. Souvent, ce sont même des enfants doués, qui lisaient beaucoup et qui réussissaient de brillantes études. La cause de leur endoctrinement a l'air d'être liée à une grande soif spirituelle à laquelle ces jeunes ne trouvaient pas de réponse plutôt qu'à une instabilité psychologique. Un autre facteur est le hasard. Le hasard qui a fait qu'un jeune a eu l'occasion de visiter un de ces centres où un accueil chaleureux l'a séduit.
Aide aux Croyants : Quelle est la position de l'Église orthodoxe face au développement des sectes ?
Vladimir Porech : L'Église est très consciente
de ce problème mais en réalité elle ne peut rien faire
sauf prendre des mesures administratives. Sinon, des prêtres parlent
à leurs paroissiens mais le fondement de leur discours est une critique
du point de vue religieux et théologique ce qui n'est pas le plus
important dans la lutte contre la prolifération des sectes. D'abord,
il faut prévenir les gens de la manipulation, du mensonge, de l'escroquerie.
Jusqu'à présent, les déclarations de l'Eglise s'adressaient
aux orthodoxes alors qu'ils ne sont pas les plus en danger.
Aide aux Croyants : Existe-t-il une prévention dans
les écoles, les lycées, les universités ?
Vladimir Porech : C'est très variable. Dans certaines écoles sont organisées des séances d'occultisme ! Vous savez, c'est le chaos le plus total ! On dit que toutes les religions sont bonnes et on place sur le même plan la Chrétienté, l'Islam, le Bouddhisme, la Scientologie et la magie. C'est un manque de connaissances qui aboutit à cette situation. Et puis, il y a un autre facteur qu' a souligné très justement Jacques Richard : les sectes mondiales attendaient la chute du mur de Berlin pour se ruer dans les pays de l'Est. Elles avaient compris que, pour elles, c'était la terre promise !
A ce travail d'information qu'entreprend l'Église orthodoxe s'ajoute
la création en Russie, en Ukraine et en Biélorussie de comités
pour la défense des adolescents contre les pseudo-religions. Ces
comités regroupent les parents d'enfants qui sont entrés
dans des sectes. Ils ne luttent pas contre la liberté de conscience
mais contre les manipulations psychologiques qui ont conduit leurs enfants
à renier leurs familles, abandonner leurs études et adopter
un mode de vie souvent préjudiciable à leur santé,
non seulement morale mais aussi physique. Un autre combat est mené
par ces comités de parents pour retrouver leurs enfants et les soustraire
à l'influence des pseudo-religions. Malheureusement, rares sont
les réussites.
Outre les difficultés que rencontrent les parents confrontés
à cette terrible situation, le vide juridique se fait cruellement
sentir. Un terme comme "pression psychologique" n'existe pas dans la législation
; il est donc difficile d'envisager une protection pour préjudice
moral et d'avoir recours à la loi pour sauver son enfant. Aucune
parade légale n'existe pour répondre à des slogans
tels que celui-ci " laisse ta famille et tes proches pour me suivre
au Royaume du Dieu éternel ! Ton père, Ton fils et Ta mère
sont le DIEU VIVANT MARIA DEVI KHRISTOS ". Néanmoins, les autorités
concernées commencent à mener une réflexion. La Commission
aux affaires de la jeunesse d'Ukraine a fait appel à un groupe de
spécialistes afin qu'ils élaborent un projet de loi sur les
sectes. Des dossiers sont établis par les services de sécurité
des ex-républiques de l'URSS ; mais pour l'instant, selon la presse,
le seul et unique moyen d'intervention des autorités reste l'OMON*.
* Troupes spéciales du Ministère de l'intérieur russe.
Au printemps de cette année, dans les services de police et au Ministère des affaires intérieures (MVD) ont commencé à affluer des lettres comportant toutes la même demande : "Protégez nos enfants, défendez-les contre les "frères blancs".
Elles sont parties et ne sont pas revenues... Lena vivait à Kiev, Tania à Yaroslav. Toutes deux étaient de familles sans problèmes. Toutes deux, sans même avoir atteint l'âge de la majorité ont quitté leurs familles, laissant pour seule mémoire la photographie de leur passeport. La cause de leur disparition n'est pas la mort. Sans avoir terminé leurs études, elles sont parties de chez elles pour devenir prédicateurs à la Fraternité blanche et entraîner d'autres jeunes derrière elles. Aujourd'hui, comme on nous l'a communiqué au Ministère des affaires intérieures de Russie, la Fraternité blanche est largement implantée et continue à étendre ses réseaux. l'épais dossier des ministères en témoigne.
Extrait des dossiers du MVD d'Ukraine :
(...) Krivonogov est un maniaque sexuel potentiel ; il est vaniteux, cruel. Tous ses ordres doivent être exécutés sans un murmure. Il maîtrise à la perfection la bioénergétique et l'hypnose, techniques grâce auxquelles il neutralise la volonté des gens, les rendant dociles, incapables d'opposer la moindre résistance. Le programme de sa communauté est fondé sur la transformation en "zombi" d'une victime choisie, opération qui commence dès le "baptême" et l"'initiation" à l'entrée dans la Fraternité blanche. (...) |
Extrait de lettres de parents adressées au MVD de Russie :
Mon fils, qui était chez les "frères blancs" a raconté
que les adeptes priaient toute la nuit et que dans la journée, ils
étaient au service des "Saints". Ils se rendaient pour eux au marché
alors qu'eux-mêmes n'avaient le droit de manger qu'une fois par jour
et avaient l'obligation d'être végétariens (...). Les
spécialistes de la bioénergétique affirment que Youri
Krivonogov, ingénieur cybernéticien, travaillait dans un
laboratoire qui faisait des recherches sur l'arme psychologique. On peut
donc supposer qu'il détient ses connaissances de cette époque
et qu'il les applique sous une forme dure d'hypnose : l'abrutissement psychologique
qui transforme les gens en zombis par des lavages de cerveau, en robots
sans volonté, prêts à obéir au "père
des cieux", à accepter n'importe quel supplice jusqu'au sacrifice
de leur propre vie par l'immolation par le feu.
Izvestia 28.07.93
N. Bourguyba et A. Grigorev
|
"En octobre de l'année dernière, notre fils est entré
à la Fraternité blanche. A la maison sont apparus des brochures
religieuses et des portraits. Notre fils répétait sans cesse
qu'un jugement terrible attendait ceux qui n'adopteraient pas sa foi. Au
bout de deux mois, il disparut sans même laisser un mot. (...) Les
recherches pour retrouver notre fils nous ont conduits à assister
aux sermons de ces "frères". Nous y avons vu des gens tourmentés,
mal habillés et épuisés. Nous avons compris que les
"frères" avaient inculqué à notre fils qu'il était
interdit de travailler car le travail est une oeuvre du diable, qu'il était
interdit de manger de la viande, des oeufs, du poisson, toutes nourritures
mortes. Ils lui ont également dit que la mère qui l'avait
mis au monde n'était pas sa mère, sa véritable mère
étant Maria Devi qu'il n'a jamais vue. Nous avons compris que Krivonogov,
qui a créé cette secte, exerce l'hypnose et brise le psychisme
des jeunes gens.
Nous avons cherché notre fils sans relâche. Ma femme pleurait : à la maison, dans les transports, au travail. Ses inquiétudes l'ont conduit dans une clinique psychiatrique. Puis notre fils est réapparu à la maison. Ensemble, nous sommes allés voir sa mère. Mais au cours de cette rencontre, il ne l'a pas laissée le toucher, il n'a pas permis à sa mère de l'embrasser, de le prendre dans ses bras parce que, disait-il, elle dégageait une "énergie négative". A la maison, il faisait sonner le réveil à quatre heures du matin, priait toute la journée et ne mangeait rien. J'ai appelé un psychiatre. Notre fils a été hospitalisé. Il est resté à la clinique pendant un mois et demi. Puis il a promis qu'il quitterait la secte si on le laissait sortir. Les médecins ont accepté. Il est resté quatre jours à la maison et il est retourné chez les frères..." Kievskie vedomost
D.B, de Karkov
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Informations tirées de Nevskoe Vremia du 16.11.93
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