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Partout dans le monde, il y a la façade. Le joli bus à impérial, les livres dorés sur la dianétique, les «églises» à l'accueil chaleureux, les sourires larges des responsables de la Scientologie. Et il y a l'arrière-boutique, bien moins avenante : la quête du profit, les affaires judiciaires, les soupçons d'infiltration et les règlements internes. Libération a recueilli quelques-uns de ces textes confidentiels et d'autres documents qui disent, en creux, comment fonctionne réellement la secte. Comment elle s'y prend pour gagner et garder les esprits de ses adeptes (qui seraient 10.000 en France et 8 millions dans le monde). En juin, le rapport parlementaire sur les sectes et l'argent estimait les recettes annuelles de la Scientologie à «au moins 60 millions de francs pour la seule branche française». Selon ce même rapport, l'Eglise de scientologie possède cinq «églises» en France, une librairie, cinq associations, quatre «missions». Et 114 entreprises (conseil en informatique, formation, immobiliers, etc.) constitueraient son réseau économique dans le pays.
Le 15 novembre 1987, une lettre de règlement donnait, à propos de l'une de ces listes de questions, l'introduction qui devait aller avec: «Nous pouvons te promettre sincèrement qu'aucune partie de cette liste ni qu'aucune réponse que tu donnes ici ne seront remises à la police ou à l'Etat. Jamais aucun scientologue ne portera témoignage contre toi au tribunal à cause des réponses que tu donnes dans cette confession.» En réalité, les réponses sont dûment consignées dans les «dossiers paroissiaux» des adeptes. Et pieusement conservées. Une dizaine de ces «dossiers paroissiaux» figuraient ainsi parmi les pièces détruites à Marseille. Danielle Gounord jure que la Scientologie n'utilise pas ces confessions contre ses ex-adeptes : «Tout reste secret. Ces confessions sont là pour libérer les gens du poids des actes illégaux qu'ils ont pu faire.» D'autres affirment, au contraire, que ces confessions permettent de tenir les adeptes en rupture.
Par David Dufresne.
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Les scientologues sont décidés à agir. Avec le procès qui s'ouvre ce matin à Marseille contre sept de ses membres, poursuivis pour escroquerie, la secte sait qu'elle joue beaucoup: son image, son nom, et ses pratiques. Alors, hier midi, l'Eglise de scientologie a envoyé trois émissaires dans la cité phocéenne : ses deux responsables français, Jean Dupuis et Danièle Gounord, et un membre du bureau européen, venu de Copenhague (Danemark).
Quant aux adeptes locaux, ils ont été prévenus. Et se tiennent prêts, «si besoin est», dixit Danièle Gounord, à participer à ce que la secte appelle ses «croisades»: rassemblements, pancartes et banderoles devant le palais de justice de Marseille.
Côté victimes, on s'est également activé. Parmi elles, il y a Raymond Scapillato qui, malgré des menaces à peine voilées, a maintenu dix ans durant sa constitution de partie civile.
A la secte, il reproche d'avoir pris deux mois de sa vie, et quelques milliers de francs. C'est à dire peu, au regard des sommes bien plus importantes et des endoctrinements bien plus long évoqués parfois par d'autres victimes, au début de l'instruction, en 1990. Mais la plupart se sont rétractées. Sauf Jean-Jacques G., 20 ans à l'époque des faits, et qui devrait se constituer partie civile, ce matin, aux côtés de l'Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu).
Son cas est plus épineux pour la secte que celui de Scapillato. Jean-Jacques G. faisait à l'époque partie du «staff» de la Scientologie, de ceux qui font tourner la machine, vendent les livres, accrochent les nouveaux adeptes. Un homme qui connaît les rouages.
Renvoyé une première fois en 1995 pour vice de procédure, ce procès s'annonce donc bien, en filigrane, être celui de la Scientologie, même si la secte s'est empressée il y a quelques jours de se décharger contre les «dérives locales» de quelques-uns de ses anciens membres, comme pour dire que le ménage avait été fait, et que ces «écarts» n'auraient plus lieu d'être. Il faut dire que l'homme central du dossier, Xavier Delamare, ancien responsable de quatre centres de Dianétique/Scientologie à Nice et Marseille, soupçonné de vivre grâce à l'argent des adhérents, n'y allait pas de main morte. Son but: «Etre la meilleure mission d'Europe». Sous sa coupe, l'équipe locale multipliait alors les «auditions» d'adeptes à 1.200 francs de l'heure, les «cures de purification» tarifées jusqu'à 150.000 francs pour les «cas intensifs». Une équipe qui s'adonnait, aussi, au «hard sell» (ventes à la dure) comme personne. Rien que le centre de Nice pouvait ainsi s'enorgueillir en 1989 d'un chiffre d'affaires de sept millions de francs. Résultat, après neuf ans d'enquête, le parquet de Marseille écrivait dans son réquisitoire de renvoi, le 7 mai 1999: «La lecture de la procédure (...) permet de douter du but poursuivi et d'affirmer que les préoccupations de la Scientologie étaient autres que religieux».
Mais voilà. Depuis la révélation, le 8 septembre, de la destruction de pièces sous scellés au greffe du tribunal de Marseille, le procès d'aujourd'hui a pris une tout autre tournure. D'abord, il y a eu le doute. L'affaire rappelait celle, non élucidée à ce jour, de la disparition en plein Palais de justice de Paris d'un tome et demi d'une autre instruction concernant la secte. Puis le scandale. Puis la version officielle de la méprise, affichée désormais par le ministère de la Justice, et, enfin, la secte qui a aiguisé ses arguments pour ce matin. Selon l'un de ses avocats, Jean-Yves Le Borgne, l'Eglise de scientologie, experte en matière de procédure, devrait demander le renvoi. Ce qui, s'il était accepté, renverrait Scapilatto et les autres à leur longue attente. Dix ans après les premières plaintes.
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On s'épuise à disserter sur la frontière qui sépare les Eglises des sectes. Le bon sens commun les distingue assez bien, mais, dans un pays de droit écrit, on bute sur l'écueil de ne pas transformer la protection contre les malfrats du surnaturel en police des consciences.
Au demeurant, le code pénal recèle suffisamment de ressources pour s'attaquer à ceux qui font leur beurre avec le désarroi humain. Mais, s'agissant de la Scientologie, le seul traitement judiciaire ne suffit peut-être pas. A l'évidence, la secte qui professe un culte science-fictionnesque délirant relève plus de l'entreprise totalitaire que de l'association spirituelle. Et pas seulement parce que l'Eglise de scientologie pratique le ratissage systématique des poches de tous les pauvres gens qu'elle endoctrine: c'est la caractéristique la mieux partagée du monde des sectateurs.
A la différence des autres, les scientologues ont constitué au sein de leur «Eglise» une sorte d'organisation secrète qui vise à écraser la volonté de ses détracteurs, manipuler des «idiots utiles» (comme disait Lénine), infiltrer les rouages associatifs, voire ceux de l'Etat, bref imposer une hégémonie sur le monde qui n'est pas de nature très différente de tous les systèmes de décervelage de masse qui sévissent ou ont sévi sur la planète.
Certes, ils ne sont pas si nombreux que ça les scientologues, ce n'est pas pour autant qu'ils doivent être négligés. Il y a suffisamment de preuves, d'indices, de témoignages sur les menées occultes de cette «Eglise» pour qu'on ne lui oppose pas des moyens d'investigation qu'on réserve habituellement aux milices privées et autres pseudopodes fascistes. On a fait grand cas du DPS, le service d'ordre lepéniste, jusqu'à envisager sa dissolution, on devrait appliquer à la scientologie la même vigilance. A tout prendre, les fanatiques glacés qui en assurent le prosélytisme sont plus dangereux - car moins visibles - que les gros bras qui protègent les meetings d'extrême droite.
Pourquoi pas une commission d'enquête parlementaire sur les pratiques de cette seule secte ? Cela permettrait, au moins, d'exposer au grand jour des méthodes inacceptables dans un pays démocratique et laïque. Et de rechercher les meilleurs moyens légaux d'y faire face.
Par Armelle Thoraval.
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La lutte anti-sectes est un casse-tête. Et la bataille contre la Scientologie, plus encore. Il n'existe pas, en droit français, de délit spécifique qui pourrait s'appliquer au recrutement d'adeptes. Le délit de manipulation mentale est à l'étude, mais sa création pose quantité de difficultés d'applications. Alors, la justice fait avec les moyens du bord.
Il a fallu attendre décembre 1998 pour que le ministère diffuse à l'attention des procureurs généraux une circulaire de sensibilisation. Celle-ci a permis de créer un réseau de correspondants dans 35 parquets généraux : ces magistrats ont eux-mêmes des relais dans les palais de justice ou au sein des autres corps de l'Etat (services fiscaux, directions départementales de la concurrence, Education nationale, etc.).
L'échange d'informations : c'est d'abord par ce biais que la vigilance peut être accrue. Lors de leur réunion au ministère de la Justice, vendredi, plusieurs «correspondants» ont constaté avec inquiétude que les sectes investissaient, un peu partout, les associations d'aide aux familles en difficulté. Un sujet qui va donc être surveillé.
Les sectes, et particulièrement la Scientologie, utilisent des moyens d'«approche» masqués, sous des noms anodins (dans l'immobilier, la communication, la formation). Les magistrats qui ont déjà «démasqué» certaines structures en font profiter leurs collègues. Lors de la réunion de vendredi, il a en outre été décidé de sensibiliser tout le réseau judiciaire européen. Ces efforts d'initiatives sont nécessaires car les victimes hésitent à déposer plainte ou en sont efficacement dissuadées (pressions, argent...) lorsqu'elles ont franchi le pas.
Malgré ces difficultés, le nombre d'affaires enregistrées dans les palais de justice a nettement progressé au premier semestre 1999, par rapport à la même période de 1998. Une petite revue des décisions récentes concernant la Scientologie permet de mesurer la variété des angles d'attaque.
Face à ces techniques de marketing, les juges sont encore assez prudents : les amendes sont faibles, alors que, pour la Scientologie, assise sur un magot, l'arme économique est la plus dissuasive. En revanche, la publication des jugements dans les journaux est assez bien utilisée. La mauvaise publicité, les sectes détestent ça.L'escroquerie : le 30 octobre 1997, Joseph H., est condamné à deux ans de prison avec sursis et 150.000 francs d'amende par la cour d'appel de Besançon. Ce médecin persuadait ses patients connaissant des difficultés psychiques de recourir à la «dianétique», doctrine de Ron Hubbard, plutôt que d'user des moyens traditionnels de la médecine. Le commerce qui en découlait était lucratif: vente de livres, participation à des séminaires et cours de communication, moyennant finances. L'arrêt souligne que le médecin abusait ainsi de personnes en état de faiblesse. La publicité mensongère: l'Ecole de l'éveil (primaire) et l'Ecole Mont-Louis (secondaire), gérés par des scientologues, ont distribué des tracts sur la voie publique ne mentionnant pas leur statut d'établissements privés. Puis l'Ecole de l'éveil a rassuré les parents, en affirmant être agréée par l'Education nationale. Le ministère a déposé plainte à l'encontre des deux dirigeants. Le tribunal de grande instance de Paris leur a infligé des peines d'amende le 12 novembre 1997. La fraude fiscale: une autre structure, l'Ecole du rythme, dans le Ve arrondissement de Paris, a été pincée et condamnée pour dissimulation de recettes et frais injustifiés. Sur les comptes de l'école étaient imputés les voyages aux Etats-Unis des gérants, pour, officiellement, se former aux «techniques américaines de management». L'arrêt de la cour d'appel a été rendu le 12 avril 1999. La violation de la loi «informatique et libertés» : le 4 septembre 1998, à Paris, une Sarl baptisée Action Academy, gérée par un scientologue, a été condamnée pour avoir constitué un fichier illégal comportant des informations nominatives et basé sur les tests de compétence inspirés de Ron Hubbard. A Lille, l'une des dirigeantes de l'Eglise de scientologie a été coincée devant le tribunal de grande instance, le 18 décembre 1996, pour avoir distribué des questionnaires (les fameux «tests de personnalité») dans les boîtes aux lettres. Reexpédiés au «centre de dianétique», et triés, ils permettaient de constituer un fichier où apparaissaient les appartenances religieuses, syndicales, les opinions politiques. Utile pour pêcher de nouveaux adeptes.
New York de notre correspondant. En avril 1997, Bill Clinton aurait rencontré John Travolta, l'un des porte-parole les plus connus de l'Eglise de scientologie. L'acteur tournait alors l'adaptation au cinéma d'un livre qui avait fait grand bruit, Primary Colours. L'ouvrage décrivait la course à la présidence d'un gouverneur multipliant les affaires extra-conjugales, et Clinton, inquiet que l'on fasse le rapprochement avec ses déboires, aurait demandé à Travolta de ne pas dépeindre un personnage trop antipathique.
En échange, le Président aurait promis à la vedette d'aider la secte, qui avait déjà, à l'époque, des difficultés en Allemagne
Sans prendre de gants. «La relation américaine à la religion n'est pas la même qu'en Europe, explique Dale Johnson, professeur d'histoire religieuse à la Vanderbuilt University, ce pays a été fondé par des gens qui voulaient la liberté de culte. Cette liberté est garantie par la Constitution, et le gouvernement fédéral se doit de la protéger. Dès lors, le procès qui se tient en France n'est pas vraiment bien compris ici.»
Selon l'organisation Factnet, qui lutte contre la propagation des cultes sur l'Internet, une cinquantaine de représentants du Congrès et du Sénat américains soutiennent plus ou moins publiquement l'«Eglise».
En 1997, par exemple, un représentant démocrate a introduit un projet de loi au Congrès afin de «condamner le gouvernement allemand pour ses actes de discrimination envers les scientologues». Au début de l'année, un autre démocrate, Tom Lantos, a écrit au Conseil de l'Europe afin d'empêcher la publication d'un rapport sur la secte. «Les scientologues ont énormément de moyens, assure Ed Doerr, directeur de l'association Americans for Religious Liberty, car leur Eglise est basée sur l'argent. Les membres doivent payer pour participer à chacun des services. Dès lors, quand on dispose d'une telle manne, il est plus facile d'étendre son pouvoir.»
L'«Eglise» n'hésite pas à dépenser des millions de dollars en procès contre tous ceux qui osent l'attaquer. Accusé en 1998 de la mort par négligence de l'une de ses disciples, le mouvement est parvenu, jusqu'ici, à faire traîner les procédures judiciaires.
Par Fabrice Rousselot.
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Berlin de notre correspondante. «Etes-vous en relation, d'affaires ou autre, avec une organisation qui à votre connaissance utilise ou diffuse la technique de L. Ron Hubbard»; «Travaillez-vous selon les méthodes de L. Ron Hubbard ou avez-vous été formé selon ces méthodes?»...
Depuis novembre 1996, en Bavière, les candidats à la fonction publique ne sont plus seulement testés sur leurs compétences, mais aussi soumis à cinq questions sur leur relation aux enseignements du fondateur de la Scientologie. Un oui à l'une de ces questions «peut éveiller des doutes sur la qualification» du postulant à la fonction publique, dit l'arrêté signé en 1996 par le ministre-président conservateur de Bavière, Edmund Stoiber. Les entreprises répondant à des appels d'offres publics en Bavière sont, de même, obligées de signer une déclaration assurant qu'elles n'appliquent pas les principes de Ron Hubbard.
En trois ans, aucun cas de refus d'admission ou d'exclusion de la fonction publique n'a été relevé pour ce motif, assurent les autorités bavaroises. «Mais la mesure a une forte fonction préventive», se félicite-t-on au ministère de l'Intérieur, puisqu'elle stigmatise de façon éclatante la menace scientologue. Particulièrement spectaculaires, ces mesures ne sont que les plus radicales de toute une série d'autres prises ces dernières années en Allemagne pour lutter contre la Scientologie.
Choisie par l'organisation de Ron Hubbard comme base principale de développement en Europe, l'Allemagne a contre-attaqué avec force et succès. En juin 1997, les ministres de l'Intérieur des 16 Länder et de l'Etat fédéral ont estimé que la Scientologie avait des «aspirations hostiles à la Constitution» et méritait à ce titre d'être placée sous la surveillance des services de renseignements intérieurs. De vastes campagnes d'information ont sensibilisé l'opinion publique aux dangers de l'organisation.
L'une des mesures les plus douloureuses, surtout, a été, dans certains Länder, de ne plus considérer les organisations scientologues comme des communautés religieuses, bénéficiant d'importants avantages fiscaux, mais de les traiter comme des entreprises ordinaires, lourdement soumises à l'impôt. «Les scientologues ont beaucoup de mal désormais à prendre pied en Allemagne, observe Ursula Caberta, chargée de la lutte antisectes à Hambourg. Cela ne veut pas dire que le problème soit réglé et tout danger écarté. Mais la Scientologie a pris un coup. Nous constatons que moins de gens tombent dans ses bras et que de nombreux membres ont réussi à la quitter.»
Les services de renseignements estiment aujourd'hui entre 5.000 et 6.000 le nombre d'adeptes allemands, contre 10.000 il y a quelques années encore. L'Eglise de scientologie allemande continue, elle, à revendiquer «près de 30.000» disciples, mais reconnaît aussi ses difficultés à demi-mot: «On ne peut pas dire que toutes ces campagnes ne laissent pas de traces sur nous, avoue Sabine Weber, porte-parole de la Scientologie en Allemagne. Les gens sont effrayés. Le nombre de nos membres continue à augmenter, mais cela ne va plus à la vitesse d'avant.»
Ces succès importants ne rassurent toutefois pas encore assez les autorités allemandes pour qu'elles baissent la garde. Une nouvelle loi est en préparation au Parlement pour corseter les «séminaires psychologiques» et autres cours de dianétique: la proposition de loi prévoit d'obliger les organisateurs de tels cours à préciser leur formation, leurs méthodes, leurs objectifs et leur financement, batterie d'informations qui devrait rendre plus difficile à la Scientologie le recrutement d'adeptes par le biais de questionnaires psychologiques. «La lutte de ces dernières années a porté ses fruits, explique Renate Rennebach, députée sociale-démocrate spécialiste de la lutte antisectes. Mais il ne faut pas être moins vigilant pour autant.».
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