Les sectes à l'école

(Source : Bulles n°66, 2ème trimestre 2000 ,
Ce texte est un extrait d'un ouvrage à paraître sur les sectes à l'école de Paul Ariès
Politologue, université Lyon II .)

 
 

La commission d'enquête parlementaire de juin 1999 évalue, en France, à 500 000 le nombre d'enfants subissant à travers une soixantaine de mouvements une influence sectaire. Elle note que 6 000 élèves seraient astreints ainsi à une scolarité "hors norme". On distinguera les enseignants sectaires des méthodes éducatives de type sectaire.

L'Éducation Nationale semble, au sommet, des mieux équipées pour résister à ce danger puisque le Ministère s'est doté, depuis septembre 1996, d'une cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires, organisme dirigé par un Inspecteur Général.

Le rapport parlementaire de juin 1999 a établi pourtant des lacunes dans ce dispositif. De nombreux enseignants se plaignent, en outre, de ne recevoir aucune information sur les sectes même lorsqu'ils achèvent juste leur formation dans les IUFM.

Les enseignants adeptes

L' Inspection générale de l' Éducation Nationale estime que les personnels enseignants et les médecins scolaires sont particulièrement visés par les grands mouvements sectaires : le recrutement s'effectue souvent par le biais de séminaire de formation professionnelle. Le rapport indique qu'un nombre important d'enseignants ont suivi récemment les cours de Landmark-éducation dans le cadre de séminaires facturés 2 300 francs les 3 jours. Ce groupe n'est pourtant pas inconnu puisqu'il figurait déjà dans le rapport de 1996 :

Landmark Éducation Le Forum (ex-EST) fut fondé, en 1971, par un ex-scientologue. Ses méthodes visent à transformer l'individu dans son être le plus profond pour lui apprendre soi-disant à devenir plus compétitif et à se forger une âme de gagneur. L'objectif serait-il de transformer les enseignants du XXIe siècle en "killer" (tueurs) ?

Le rapport parlementaire précise en outre que la secte Siderella a cherché récemment à travers des jurys de concours à recruter des adeptes parmi les Professeurs d'université. L'inspection de l' Éducation Nationale a confirmé par ailleurs qu'un enseignant en classe préparatoire dans un très grand lycée parisien aurait utilisé dans ses cours des documents en provenance de la Scientologie : l'administration n'aurait pas souhaité intervenir avant la fin de l'année scolaire pour ne pas risquer de perturber les élèves destinés ne l'oublions pas à intégrer des grandes écoles.

Est-ce à dire que la découverte de l'usage de ces méthodes serait en soi plus déstabilisante pour l'élite de la nation que le contenu même de ces documents ? Les matériaux de la scientologie seraient-ils dangereux parce qu'ils porteraient son label ou parce qu'ils véhiculent une idéologie ou des modes de pensée condamnables ?

Les méthodes sectaires

Le même raisonnement vaut plus encore au sujet de l'achat par l'Éducation Nationale de méthodes éducatives mises au point par des sectes ou au contenu jugé proche. Le rapport parlementaire rappelle ainsi que la méthode "clés pour l'adolescence" présentée en 1989 et en 1990, avec le parrainage du Lions Club, avait été adoptée par différents Rectorats, bien qu'elle fut inspirée des techniques et des principes scientologiques. Faudrait-il croire que son contenu n'ait rien en soi de dérangeant pour nos experts ? Cette méthode a certes été finalement interdite en 1990 mais en raison de son label. L'essentiel n'est-il pas pourtant non pas son origine mais son contenu et sa nature c'est-à-dire ses conséquences sur le fonctionnement intellectuel et psychique de nos enfants ? La bévue officielle serait dans le premier cas mineure, dans le second plus préoccupante.

Elle mettrait à jour, en effet, une certaine perméabilité d'une partie de l'Éducation Nationale à certaines méthodes pédagogiques jugées, en elles-mêmes, non recevables. Comment croire, en effet, que de telles méthodes puissent être achetées sans expertise ? Doit-on donc en conclure que nos experts n'ont rien trouvé à redire à cette pédagogie ? Le risque serait grand qu'une banalisation toujours possible de la Scientologie finisse par exposer nos enfants à de telles dérives. La crainte est d'autant plus fondée qu'il semble (à lire le rapport parlementaire) que l'Éducation Nationale n'ait pas, unanimement, assez tiré les leçons de cette grave erreur : "Neuf ans plus tard, apparaissait une nouvelle méthode extrêmement proche de la précédente dénommée "Objectif Grandir", facturée 1 500 francs la mallette. Trois rectorats avaient commencé à négocier un achat groupé, pour un total d'environ 500 000 francs. Son introduction se faisait par l'intermédiaire de médecins scolaires qui eux-mêmes l'auraient connue par des médecins de l'action sanitaire et sociale. L'enquête de l'Éducation Nationale a montré que le démarcheur était le même que pour la méthode précédente" (rapport parlementaire, p. 112).

Le rapport parlementaire prouve cette fois que l'erreur ne fut pas isolée mais une démarche simultanée de trois grands Rectorats. Ce ne fut pas, en outre, une mais trois administrations qui furent, cette fois, concernées puisque le rapport met en cause des médecins de l'action sanitaire et sociale, des médecins de l'Éducation Nationale et - on peut le supposer - des services pédagogiques. Ce partage de responsabilité tout au long de cette chaîne ne constitue en rien un facteur atténuant, bien au contraire, puisqu'il prouve qu'aucun fonctionnaire ne fut conscient du caractère néfaste de cette méthode avant que l'on ne découvre "accidentellement" sa proximité d'avec cette autre méthode pour-tant déjà condamnée neuf ans auparavant. Est-ce à dire que toutes les leçons du premier accident n'auraient pas été
tirées ? Peut-être devrions nous alors chercher ce que tant d'experts ont trouvé manifestement de "positif", dans ces méthodes, sous peine de répéter bientôt la même erreur ? Personne ne pourra croire, en effet, que trois rectorats aient pu négocier un tel achat pour 500 000 francs, sans avoir expertisé sérieusement au préalable le contenu pédagogique ! L'inverse serait, en effet, non seulement fort improbable mais en outre inadmissible.

Ces pseudopédagogies entendaient en effet changer le sens même de notre enseignement. Cette méthode quel que soit son label ou son origine n'est en effet pas acceptable. Il est donc à craindre que ce soit bien l'absence de réflexion sérieuse sur les motifs réels de l'acquisition de la méthode "clés pour l'adolescence" qui explique cette grave bévue. Parents et citoyens ont le droit et le devoir de savoir comment on a pu en arriver là. Quelles leçons le Ministère en a-t-il tiré ? Ne sommes nous pas trop perméables ? L'Éducation Nationale est-elle suffisamment préparée à résister à ces "infiltrations" ? La formation dispensée dans les IUFM constitue-t-elle un bon rempart contre les sectes ? Le personnel enseignant est-il assez informé des dangers de cette sectarisation ?

Certains Rectorats ne furent certes pas les seuls à se doter de cette méthode, des structures d'éducation à la santé en firent aussi, un temps, la promotion, avant de réagir. Elles surent, elles, interroger leurs propres pratiques pour se vacciner contre ces dérives. La France n'a pas fait, dans ce domaine, pire que ses voisins puisque, par exemple, la Suisse a commis la même bévue mais à beaucoup plus grande échelle : des parents et des enseignants ont su, heureusement, y faire échec, dans de nombreux cantons.

En quoi "Objectif Grandir" est inacceptable ?

La méthode Objectif Grandir serait issue d'une méthode publiée par TACADE, organisation anglaise spécialisée dans la scolarisation d'enfants déstructurés. Le premier problème, c'est que cette méthode "ciblée" est ici utilisée pour n'importe quel enfant. Elle induit en outre un changement radical de conception de l'école au sein de la société. Elle comporte un risque de dérives notamment de ruptures des liens enfants-parents. Elle fait mine de partir du constat de la destructuration des familles mais tend en fait à pathologiser l'institution familiale en la considérant comme une véritable source de domination et de violence sur les enfants mais aussi comme un lieu d'insatisfaction.

La méthode Objectif Grandir n'est donc pas - au delà du détail - une méthode incohérente car elle vise à subvertir la famille et à fragiliser et enfermer l'enfant dans un projet de normalisation. Le matériel de ce programme comprend cinq éléments : un guide à l'intention de l'enseignant, un jeu de séquences, un guide de rencontre avec les parents, une liste bibliographique et une fiche guide pour les notes personnelles. Ces éléments sont présentés dans une mallette standard légèrement différente selon l'âge des enfants.

On dressera un tableau des principaux griefs formulés contre cette méthode notamment en se fondant sur l'analyse précise produite par les réseaux militants de parents suisses :

 
1) - Objectif Grandir repose sur la thèse que la famille va s'effacer en tant qu'institution. Cette méthode se présente donc comme une tentative d'emprise sur tous les enfants. L'école nouvelle deviendrait ainsi une institution de substitution et non complémentaire. Les parents sont, dans ce but, à la fois culpabilisés, infantilisés mais aussi dénoncés. Ils passent du statut d'acteurs partenaires du système éducatif à celui de simples "objets" : ils doivent être "(ré)éduqués" afin d'assurer "convenablement" leur rôle éducatif. Ils sont invités par exemple à exécuter des tâches identiques à celles de leurs enfants. Toutes ces activités normalisatrices sont le plus souvent infantilisantes et régressives.

2) - Les enfants sont conviés à se confier publiquement sur les sujets les plus intimes : le maître impulse dans ce but un groupe dénommé "cercle magique" censé susciter et recueillir les confidences des enfants grâce à des techniques de dynamique de groupe. Ces méthodes sont utilisées ici sans aucun des garde-fous habituels (transfert, etc).

3) - L'enseignant est ainsi nié dans son rôle strictement éducatif par adjonction d'un pouvoir de "normalisation" sociale mais aussi d'une quasi-fonction thérapeutique. On assiste donc à travers cette méthode à une indifférenciation des missions dans le cadre d'une stratégie de subversion de la famille au profit d'un programme régressif. L'objectif serait en effet de normer en soi et non plus de transmettre des valeurs. L'école ne serait plus dès lors celle de la République mais celle d'une fonctionnalité sociale qui pourrait correspondre à n'importe quels autres besoins comme ceux du marché. On peut imaginer alors que l'enseignant devienne, à terme, l'assistant d'un véritable formatage culturel qui livrerait l'enfant sans aucune résistance aux diktats du marché mondial.

4) - Le cercle magique constitue une figure régressive particulièrement perverse. Il est introduit en effet de façon à sécuriser l'enfant au moyen d'une combinaison de rituels. Leur but est de lever les résistances à l'expression des émotions les plus intimes. Les enfants sont disposés, par exemple en cercle, un petit tapis rond placé au milieu d'eux. Le cercle est introduit obligatoirement, pour les plus petits, par le récit d'un conte. Ce dernier expose la situation d'un enfant (semblable à eux) abandonné pourtant des siens. L'histoire introduit ainsi une dévalorisation systématique du monde extérieur. Les enfants écoutent le conte puis tracent devant leurs yeux un cercle avec les deux index. Ils s'imaginent coiffés d'un chapeau invisible définissant leur rôle au sein du cercle. L'enfant indiscipliné se verra rappelé à l'ordre par le rappel de son chapeau. La méthode recourt aux marionnettes pour faire parler les enfants et lever les ultimes résistances. La marionnette fétiche se nomme Bidounet, elle est indifféremment garçon, fille ou animal. Elle exprime des sentiments ambigus (douceur, violence, passivité, activité, etc). Elle remplit, outre sa fonction libératrice de la parole, une véritable fonction identificatrice : l'enfant est amené peu à peu à s'identifier à la marionnette (et non plus à sa famille).

5) - La méthode vise à modifier techniquement la personnalité même des enfants. L'objectif est dit-on officiellement de desserrer l'étau dans lequel sont en-fermés les enfants coincés entre les valeurs familiales et celles du projet éducatif de leur école. L'amélioration des relations élèves-enseignants permettrait de réaliser ce transfert : "Les enfants apprennent à devenir présents à ce qu'ils sont, à ce qu'ils font, aux relations qu'ils nouent avec les autres". Objectif Grandir utilise également d'autres outils comme les jeux de rôle sur des thèmes de la vie quotidienne avec un contenu émotionnel bas. Il est recommandé par exemple de ne pas mettre en scène des scènes de ménage, etc. L'enfant prononce rituellement à la fin du jeu "je ne joue plus le rôle de X, je suis....". Tous ces jeux de rôle sont conduits naturellement sous la direction de l'enseignant. Ils doivent éviter les discours moralisateurs et s'intéresser à l'expression des sentiments. Les exemples donnés montrent l'importance accordée aux sentiments conflictuels. La méthode recommande les pantomimes permettant de se glisser dans d'autres identités. L'enfant mime avec le visage des expressions : tristesse, fureur, peur, joie, colère, etc. Il mime aussi les mouvements d'une marche heureuse, d'une marche triste, en colère, etc. Cette méthode entend favoriser aussi le développement d'une pensée positive en demandant à l'enfant de ré-pondre à des questions du type "la meilleure chose que quelqu'un a faite pour moi", "la meilleure chose que j'ai réalisée pour moi-même", etc. La méthode propose d'autres exercices comme celui de la statue : un des enfants est une statue, un autre le sculpteur qui donne à la statue les positions qu'il souhaite. L'enfant "statué" se voit ensuite attribuer un nouveau nom (changement d'identité, etc). On multiplie aussi les jeux où il s'agit d'aller toucher des objets, le dos d'un autre, etc. Le lecteur aura établi lui-même le parallèle avec des méthodes utilisées par la scientologie : porter un chapeau, exercices objectifs, échelle des tons, expression des sentiments, etc. Le conte introductif se présente ainsi formellement comme un conte traditionnel mais sans en respecter aucunement le fonctionnement psychique c'est-à-dire la maturation. Il débouche sur une mise en pratique du "contenu" et non sur sa réinterprétation.

6) - Cette méthode incite donc à une confusion des fonctions mais aussi des âges. Elle rappelle que, selon l'Oedipe, l'enfant doit admettre la nécessité d'aller chercher ailleurs que dans sa famille les objets d'affection mais elle le comprend ici et maintenant. Cette régression est en effet l'opposé même de ce qu'exige une véritable maturation. Il serait à craindre qu'une telle démarche aboutisse à une société composée de grands-enfants.


Une telle méthode utilisée pour des enfants déstructurés avait peut-être son utilité. Elle devient en revanche inacceptable appliquée à la prévention primaire des déviances c'est-à-dire pour traiter avant même qu'ils ne puissent apparaître certains effets destructeurs. Elle repose en effet alors sur une pathologisation des familles, des enfants, etc. Elle véhicule enfin explicitement l'idée d'une pathologisation des classes populaires : "Les classes ouvrières des grandes cités ouvrières du siècle dernier sont ravagées par l'alcoolisme, la tuberculose et les maladies vénériennes (...) Au siècle dernier le concept de prévention se médicalise avec la vaccination, l'amélioration de l'hygiène (...)

Aujourd'hui le défi que doivent relever les actions de prévention est difficile : les enseignants et les parents demandent des moyens d'enrayer le développement des toxicomanies, de la maltraitance, de la violence, du Sida qui les inquiètent beaucoup (...) Il est vrai que jusqu'ici les moyens de guérison et de réinsertion semblent aléatoires, insuffisants, voire inexistants (...) La prévention ne peut pas se résumer à donner aux enfants des informations, elle est avant tout une action éducative touchant l'ensemble de la personnalité de l'enfant et ses relations avec les autres (...) A l'origine de beaucoup de comportements de violence et de dépendance se trouvent des conflits affectifs, des crises d'identité au sein de la famille, une situation sociale, culturelle et économique difficile".

Les parents suisses se sont mobilisés contre cette méthode Objectif Grandir qui les dévalorise systématiquement, qui invite leurs enfants à des confidences dans un cercle qui exclut les règles élémentaires de la discrétion, qui exige des parents de s'expliquer sur la façon dont ils s'occupent de leurs enfants. Les Suisses ont reproché à l'Administration les zones d'ombres qui ont entouré l'introduction officielle de cette pédagogie nouvelle : pas d'évaluation scientifique préalable, absence d'information des parents, des syndicats.

L'achat collectif par trois rectorats appelle de notre part les mêmes réserves : une démarche aussi éloignée de nos principes éducatifs ne méritait-elle pas - pour le moins - une large consultation des parents, des organisations d'enseignants et des députés ? Nous pensons que cette erreur n'avait rien d'accidentelle au sens où le contenu même de cette méthode correspond à certains fantasmes pédagogiques en vogue parfois. Le rapport parlementaire doit donc être l'occasion de nous interroger sur l'école de demain. Des initiatives centrales et locales montrent combien les personnels de direction, les enseignants, les personnels du médico-social, les personnels ATOS réagissent de plus en plus souvent.

Des conférences sur les sectes sont de plus en plus souvent organisées dans les écoles


     

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