France

Moi, A., ex-scientologue

(Source : L'Express n° 2055, 22-28 novembre 1990, par Renaud Leblond)

« Je pensais vraiment sauver la planète. Et je n'ai fait qu'engraisser des escrocs. » A. C. a 26 ans. Elle est assistante sociale dans la région lilloise. Et gagne à peine 6.000 francs par mois. Pour  la « Sciento », elle en a dépensé 36.800 en un trimestre.

Quelques inexactitudes ou informations à compléter font l'objet de renvoi vers des notes en fin de page.


Tout a commencé - comme d'habitude - par un tract glissé dans sa boîte aux lettres. On y proposait un « test de la personnalité », Nous sommes en juillet 1989. A. est seule avec sa fille, S. Son mari, archéologue, est parti pour de longues fouilles, à Besançon. Difficile de rompre l'ennui. D'autant que le stage de yoga prévu par Agnès vient de tomber à l'eau. Alors, pourquoi pas un test ? Il suffit de se rendre à l'adresse indiquée : Centre de dianétique, 61, rue de Béthune, Lille (1). La dianétique ? Le mot lui est (encore) étranger. Sans doute une simple méthode de remise en forme...

Erreur, bien sûr. Depuis deux ans, le « 61 » est la succursale, dans le Nord, de l'Eglise de scientologie. Un appartement feutré, une salle de cours, des ordinateurs et, aux murs, de belles affiches à la gloire de Ron Hubbard, le fondateur. Il y a aussi un tableau qui dresse l'impressionnante liste des « auditions » indispensables pour... une purification réussie ! L'accueil est chaleureux ; la politesse, presque obséquieuse. Seul problème : les résultats du test d'Agnès sont mauvais, désespérément mauvais. Néanmoins, elle n'a pas à s'en faire : tous ceux qui se livrent au test sont dans le même cas... (2) Responsables ? Les « engrammes », bien sûr, des images mentales, souvenirs de blessures lointaines, dont elle est « bombardée ». Comment échapper au « bombardement » ? Rien de plus simple. Il suffit de suivre un premier entretien avec un « auditeur » confirmé. A. se laisse séduire. Pendant deux heures, elle raconte par le menu ses affres, ses douleurs, ses remords. Coût du déballage : 1.200 francs (3). Mais ne lui promet-on pas des progrès fulgurants ? Promesse tenue, d'ailleurs : le deuxième graphique est nettement meilleur (4). De quoi, dans la foulée, lui faire signer une « lettre de succès ». « Ils me disaient que mes " gains " [progrès, en langage scientologique] n'étaient rien. Que j'allais en faire de beaucoup plus importants ; que justement, là, tout de suite, il y avait un cours - à 500 francs - "vraiment pus cher et supergénial". » A. s'exécute.

Jusqu'au jour où on lui propose le grand bond : une audition avec électromètre, à Paris. Le must du programme. Comment refuser ? Surtout qu'on lui fait une fleur : 17.500 francs pour vingt-cinq heures, au lieu de 24.000 francs pour douze heures trente ! Certes, la jeune femme est un peu effrayée par la somme. Pour éviter de se laisser tenter. Elle se rend même au « 61 » sans moyen de paiement. « Mais ils sont très forts, dit-elle en souriant. Grâce aux premières auditions, ils connaissent tous vos points faibles. Ils se sont mis à trois pour me convaincre. » La suite ? « Un scientologue m'a accompagnée en taxi à la banque pour y retirer mes économies amassées depuis deux ans : 20.000 francs au total ! Et j'ai payé sur-le-champ. »Agnès va alors à Paris. Là, « dans une espèce d'auto-hypnose », elle décrit ses « vies antérieures » : « Je disais que je m'appelais Mélanie, que j'avais 60 ans, que nous étions en 1425. J'étais une sorcière, j'avais de gros sabots, et les villageois me torturaient. » Rude expérience. Sur le coup, Agnès, pourtant, la juge positive : « En rentrant à Lille, j'étais calme, comme libérée d'un poids. » D'où son désir d'aller jusqu'au bout. Mais avec quel argent ? «  A la maison, on ne mangeait ni viande ni fromage, juste des oeufs et des yaourts. » Les scientologues lui conseillent d'emprunter. Ce qu'elle fait: un contrat de « découvert négocié » de 10.000 francs !

Le tournant, probablement. Car, cette fois, une (bonne) question lui vient à l'esprit : où va tout cet argent ? Agnès lit pose, un jour, à « ceux du 61 », Réponse : « C'est pour alphabétiser les petits Africains et lutter contre les groupes "suppressifs". » Les suppressifs ? « Tous ces journalistes et psychiatres qui tentent de faire croire que la Scientologie n'est qu'une pompe à fric. » Sans le savoir, les scientologues de Lille jettent le doute dans l'esprit d'Agnès. Un doute bientôt accentué par les premières scènes avec un mari dont, bizarrement, ils lui demandent de se séparer. La procédure est pourtant classique (voir cet autre témoignage : Quand l'Eglise recommande le divorce).

Désormais ,A. se fait réticente. Elle rechigne quand on la pousse au prosélytisme en lui promettant une commission de 15 %
sur chaque dépense effectuée par les nouvelles recrues. Elle s'insurge quand on lui demande d'acheter 10 exemplaires de « La Dianétique » (l.290 francs) et de les revendre sans profit. Les scientologues l'accusent d'être égoïste, de ne pas « vouloir sauver la planète ». Trop tard. C'est sa vie qu'A., cette fois, veut sauver.

Dès lors, elle se renseigne, lit la presse « suppressive ». Et se souvient de l'existence d'une association qui, trois ans plus tôt, est intervenue dans une affaire de Témoins de Jéhovah. C'est l'ADFI, un organisme reconnu d'utilité publique et qui lutte contre les sectes. « Elle a eu un courage extraordinaire », assure Lydwine Ovigneur, présidente de l'ADFI lilloise et rédactrice en chef de « BULLES », le bulletin de liaison pour l'étude des sectes. Convaincue de s'être fait bluffer, A. décide donc d'attaquer. Avec un premier objectif : récupérer les 7.461 francs versés, d'avance, pour un nouveau cours. Comment ? En menaçant de « balancer » son histoire à la presse locale. Quelques jours après son ultimatum, un huissier sonne à sa porte. Pour lui remettre un chèque de 7.461 francs.

Première victoire. Et volonté d'en remporter d'autres. Pourquoi pas le remboursement intégral ? Les circonstances s'y prêtent. Nous sommes en juillet 1990. A Lyon, plusieurs scientologues viennent d'être inculpés. La secte n'est pas au mieux. A. en profite. En jurant qu'elle aussi va porter plainte devant le tribunal de grande instance de Lille. Résultat : un chèque de 29.000 francs, qui lui arrive comme par miracle !

Irrémédiablement suppressive, A.. Mais gagnante. Enfin, presque: le 7 novembre, l'ADFI organisait à Lille la première réunion publique sur les méthodes de la Scientologie. Lydwine Ovigneur aurait bien aimé qu'Agnès soit là pour répondre aux  « envoyés spéciaux » de la secte. Elle n'est pas venue. Parce qu'elle n'en a pas fini avec la Scientologie. Au « 61 », en effet, reste précieusement conservé un document. Celui sur lequel A. avait longuement confessé tous ses « overts ». Ses péchés.


Notes

(1) : Le centre de dianétique de Lille n'existe plus actuellement [en 1999].
(2) : En réalité, les tests de personnalité ne donnent pas toujours des résultats catastrophiques. Mais même quand le bilan est positif, les scientologues estiment qu'il faut absolument faire quelque chose pour le nouveau venu, car il leur paraît anormal qu'un non-initié se porte aussi bien... Comme ils disent, il doit être sur son "petit nuage"... (Voir l'analyse des tests d'aptitude OCA dans le livre de Roger Gonnet, à partir de la page 61).
(3) : En fait, pour 1.200 francs, ce sont 12 h 30 d'"audition dianétique" qui sont proposées, soit un tarif inférieur à 100 francs de l'heure. Des prix aussi bon marché sont proposés qu'aux nouveaux venus. Ensuite, à ceux qui ont mordu à l'hameçon, on leur propose des "auditions scientologiques" (avec l'électromètre), présentées comme "beaucoup plus efficaces", et d'un coût horaire nettement plus élevé (souvent supérieur à 1.000 F/h).
(4) : Après la première série d'auditions, les progrès constatés sur le test de personnalité sont évidemment attribués par les scientologues à l'efficacité de la "Technologie Hubbard". On est en droit de se demander si ces "gains" ne sont pas essentiellement le résultat d'un sentiment de réconfort et de confiance en soi retrouvée, que procurent un accueil chaleureux et de belles promesses miraculeuses. Comme dans bien d'autres sectes, cette amélioration n'est que l'aboutissement de la première phase de l'endoctrinement, celle de la séduction : le nouveau-venu rencontre enfin des personnes qui sont à l'écoute de ses problèmes personnels, et qui lui assurent détenir la solution pour y remédier. Viennent ensuite les deux autres phases : la déstabilisation mentale, puis la reconstruction de la personnalité selon un modèle conforme à la secte.



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