Erreur, bien sûr. Depuis deux ans, le « 61 » est la succursale, dans le Nord, de l'Eglise de scientologie. Un appartement feutré, une salle de cours, des ordinateurs et, aux murs, de belles affiches à la gloire de Ron Hubbard, le fondateur. Il y a aussi un tableau qui dresse l'impressionnante liste des « auditions » indispensables pour... une purification réussie ! L'accueil est chaleureux ; la politesse, presque obséquieuse. Seul problème : les résultats du test d'Agnès sont mauvais, désespérément mauvais. Néanmoins, elle n'a pas à s'en faire : tous ceux qui se livrent au test sont dans le même cas... (2) Responsables ? Les « engrammes », bien sûr, des images mentales, souvenirs de blessures lointaines, dont elle est « bombardée ». Comment échapper au « bombardement » ? Rien de plus simple. Il suffit de suivre un premier entretien avec un « auditeur » confirmé. A. se laisse séduire. Pendant deux heures, elle raconte par le menu ses affres, ses douleurs, ses remords. Coût du déballage : 1.200 francs (3). Mais ne lui promet-on pas des progrès fulgurants ? Promesse tenue, d'ailleurs : le deuxième graphique est nettement meilleur (4). De quoi, dans la foulée, lui faire signer une « lettre de succès ». « Ils me disaient que mes " gains " [progrès, en langage scientologique] n'étaient rien. Que j'allais en faire de beaucoup plus importants ; que justement, là, tout de suite, il y avait un cours - à 500 francs - "vraiment pus cher et supergénial". » A. s'exécute.
Jusqu'au jour où on lui propose le grand bond : une audition avec électromètre, à Paris. Le must du programme. Comment refuser ? Surtout qu'on lui fait une fleur : 17.500 francs pour vingt-cinq heures, au lieu de 24.000 francs pour douze heures trente ! Certes, la jeune femme est un peu effrayée par la somme. Pour éviter de se laisser tenter. Elle se rend même au « 61 » sans moyen de paiement. « Mais ils sont très forts, dit-elle en souriant. Grâce aux premières auditions, ils connaissent tous vos points faibles. Ils se sont mis à trois pour me convaincre. » La suite ? « Un scientologue m'a accompagnée en taxi à la banque pour y retirer mes économies amassées depuis deux ans : 20.000 francs au total ! Et j'ai payé sur-le-champ. »Agnès va alors à Paris. Là, « dans une espèce d'auto-hypnose », elle décrit ses « vies antérieures » : « Je disais que je m'appelais Mélanie, que j'avais 60 ans, que nous étions en 1425. J'étais une sorcière, j'avais de gros sabots, et les villageois me torturaient. » Rude expérience. Sur le coup, Agnès, pourtant, la juge positive : « En rentrant à Lille, j'étais calme, comme libérée d'un poids. » D'où son désir d'aller jusqu'au bout. Mais avec quel argent ? « A la maison, on ne mangeait ni viande ni fromage, juste des oeufs et des yaourts. » Les scientologues lui conseillent d'emprunter. Ce qu'elle fait: un contrat de « découvert négocié » de 10.000 francs !
Le tournant, probablement. Car, cette fois, une (bonne) question lui vient à l'esprit : où va tout cet argent ? Agnès lit pose, un jour, à « ceux du 61 », Réponse : « C'est pour alphabétiser les petits Africains et lutter contre les groupes "suppressifs". » Les suppressifs ? « Tous ces journalistes et psychiatres qui tentent de faire croire que la Scientologie n'est qu'une pompe à fric. » Sans le savoir, les scientologues de Lille jettent le doute dans l'esprit d'Agnès. Un doute bientôt accentué par les premières scènes avec un mari dont, bizarrement, ils lui demandent de se séparer. La procédure est pourtant classique (voir cet autre témoignage : Quand l'Eglise recommande le divorce).
Désormais ,A. se fait réticente. Elle rechigne
quand on la pousse au prosélytisme en lui promettant une commission
de 15 %
sur chaque dépense effectuée par les nouvelles recrues.
Elle s'insurge quand on lui demande d'acheter 10 exemplaires de «
La Dianétique » (l.290
francs) et de les revendre sans profit. Les scientologues l'accusent d'être
égoïste, de ne pas « vouloir sauver la planète
». Trop tard. C'est sa vie qu'A., cette fois, veut
sauver.
Dès lors, elle se renseigne, lit la presse « suppressive ». Et se souvient de l'existence d'une association qui, trois ans plus tôt, est intervenue dans une affaire de Témoins de Jéhovah. C'est l'ADFI, un organisme reconnu d'utilité publique et qui lutte contre les sectes. « Elle a eu un courage extraordinaire », assure Lydwine Ovigneur, présidente de l'ADFI lilloise et rédactrice en chef de « BULLES », le bulletin de liaison pour l'étude des sectes. Convaincue de s'être fait bluffer, A. décide donc d'attaquer. Avec un premier objectif : récupérer les 7.461 francs versés, d'avance, pour un nouveau cours. Comment ? En menaçant de « balancer » son histoire à la presse locale. Quelques jours après son ultimatum, un huissier sonne à sa porte. Pour lui remettre un chèque de 7.461 francs.
Première victoire. Et volonté d'en remporter d'autres. Pourquoi pas le remboursement intégral ? Les circonstances s'y prêtent. Nous sommes en juillet 1990. A Lyon, plusieurs scientologues viennent d'être inculpés. La secte n'est pas au mieux. A. en profite. En jurant qu'elle aussi va porter plainte devant le tribunal de grande instance de Lille. Résultat : un chèque de 29.000 francs, qui lui arrive comme par miracle !
Irrémédiablement suppressive, A.. Mais gagnante. Enfin, presque: le 7 novembre, l'ADFI organisait à Lille la première réunion publique sur les méthodes de la Scientologie. Lydwine Ovigneur aurait bien aimé qu'Agnès soit là pour répondre aux « envoyés spéciaux » de la secte. Elle n'est pas venue. Parce qu'elle n'en a pas fini avec la Scientologie. Au « 61 », en effet, reste précieusement conservé un document. Celui sur lequel A. avait longuement confessé tous ses « overts ». Ses péchés.
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