S'il est une secte où l'éducation est englobante, c'est bien celle des disciples de Krishna. Comme leurs parents, les enfants vivent vingt-quatre heures sur vingt quatre dans l'Ashram, coupés de toute forme d'information, ne sortant que pour accompagner les adultes au " Sankirtan ", ces journées de propagande et de quêtes.
Nous avions vu le programme scolaire, dont tous les thèmes
sont tirés des textes védiques : grammaire, dictées,
récitations où les mythes se mêlent à la réalité
et dont les données scientifiques sont sanctionnées par celles
de la Bhagavatam : " Au commencement, la terre était couverte de
diamants... Les énergies différentes que contient la terre
y sont retenues par les esprits supérieurs que sont les devas...
".
Malheureux, ces enfants ? Non, semble-t-il. Mais des enfants trop sages, qui évoluent dans une " radieuse et inquiétante insensibilité " en réponse sans doute à la même insensibilité maternelle qui leur est manifestée.
On vit une dévote allemande arrivée au Temple de Krishna de Vrindheven, confier à Oublaisse ses deux fils âgés de 6 et 19 ans, trop jeunes pour supporter la discipline exigée en Inde. Elle même repartait, sans un sou, pour Stuttgart, perturbée par la séparation d'avec ses enfants, mais soumise à la décision imposée, épuisée par le travail qu'on avait exigé d'elle à Oublaisse pour payer la scolarité de ses fils.
Il arrive heureusement que chez certaines dévotes, l'amour maternel ne cède pas à l'endoctrinement de Krishna : cela provoque des essais de discussion, puis des révoltes... et l'exclusion de la mère récalcitrante, alors que les enfants restent prisonniers de la secte, sous l'autorité du père, si celui-ci y demeure attaché.
A l'inverse le départ d'un dévot fut motivé par l'impossibilité où il se voyait de partager avec sa femme l'éducation de ses enfants. Ceux-ci vivent, en effet, avec leur mère dans les communs du château alors que les hommes sont logés dans le Temple. Tout comme chaque geste de la vie du couple est programmé et contrôlé.
On pouvait espérer qu'après le choc
subi par l'AICK en 1986, c'en était fini de la mainmise de la
secte sur les dévots et sur leurs enfants.
Le film montre dès 4 h 30 (on a quand même gagné une heure sur l'ancien régime) les mamans sortant des communs du château, entraînant leurs bambins, tout en récitant déjà le Mantra qui introduit à la prière : Hare Krishna, Hare Krishna... Pendant les quatre heures rituelles se succèdent chants, danses, acclamations, prosternations devant l'effigie de Brahupada jusqu'au petit déjeuner que prennent les enfants assis par terre, en demi-cercle.
A l'heure de la classe, dans l'école, le dialogue qui s'engage est sans équivoque : Olivier raconte au journaliste que son nom indien signifie " Perroquet ", qu'il est né à Châteauroux et vit à Oublaisse depuis lors, (il a 7 ans) sans ses parents dont il ignore le lieu de résidence.
Une petite fille, de nationalité allemande, âgée de 9 ans, vit là, elle aussi, coupée de sa famille.
Pour l'un comme pour l'autre, l'avenir est tout tracé : Olivier-Perroquet sera " Pujari " (c'est-à-dire dévot de Krishna). En dehors des heures de prière, de service et de méditation, il fera " Sankirtan ", c'est-à-dire la quête et la vente, au porte à porte, des livres et disques édités par l'AICK.
Elle sera " dévote " et, au Temple, s'occupera de la cuisine, des fleurs pour offrir aux statues des dieux, des vêtements dont on les orne aux jours de fête...
Tous les deux sont de la section des petits, 6-10 ans. Devant eux, le Bagavad Gita - leur Bible. Au tableau, des exemples tirés des textes védiques.
Comment peut-on douter de la profondeur de l'empreinte dont sera marquée la psychologie d'enfants conditionnés dès le plus jeune âge, sans points de repère ni de comparaison ?
Des enfants ainsi marqués sont-ils irrécupérables ? Il n'existe pas de règle générale. Un espoir est permis si l'on agit assez vite et assez tôt. Des grands-parents ayant obtenu la garde de leurs petits-enfants reconnaissent qu'en quelques mois, ceux-ci ont réappris à jouer, à se nourrir comme d'autres enfants de leur âge. L'adaptation à la nourriture familiale est souvent le plus difficile. Ils se sont adaptés au rythme scolaire normal. Cela reste l'exception. Et là encore, des tensions demeurent, des retours en arrière dès que lettres ou visites - celle de la maman demeurée fidèle à la secte - replongent les enfants encore fragiles dans le climat qui les a formés.
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