Le Canard Enchaîné, par Serge Richard, 18 juillet 1990.
Pourquoi se compliquer la vie en allant draguer, comme les sectes concurrentes, l'adolescent à la sortie des bahuts, quant il est si simple de le faire à l'intérieur Tel est, depuis très longtemps, le raisonnement des scientologues. Il y a quelques années déjà, ils avaient réussi à installer dans les murs mêmes d'un respectable lycée parisien le siège de l'École de l'éveil, une des quelque 40 filiales de la Scientologie recensées par l'ADFI.
Mais ces étranges "éveilleurs scolaires" avaient été démasqués et mis à la porte. Sans que leur dieu, feu l'écrivain de science-fiction Ron Hubbard, intervienne du haut des cieux.
Cette fois, c'est plus sérieux. Avant de se glisser à l'intérieur de l'Education nationale, les rusés de la Scientologie ont infiltré une vénérable et très chic organisation : le Lions Club International. Un certain nombre de responsables de la branche américaine et de la branche française du Lions sont des scientos déguisés.
En 1987, le Lions français reçoit de sa direction mondiale un véritable plan de guerre contre la drogue. Ce " programme " (documentation, sessions payantes de formation, etc.) est confié à une fondation créée tout exprès, Quest International, avec siège européen en Suisse, à Vevey. " Étrange ! ", commencent alors à se dire quelques membres du Club, en découvrant que peu à peu, cette fondation grossit et brasse des millions de francs sans rendre le moindre compte au Lions. Mieux : la lutte contre la drogue devient juste une petite partie d'un programme à prétention psychologiques aussi bizarres que le reste. Mais on n'a encore rien vu.
Quest International déploie un tel zèle que certains profs s'interrogent et mettent le nez dans la documentation remise aux ados. Ils s'aperçoivent que la toxicomanie y représente tout juste quelques pages, mais que le jeune lecteur y est surtout incité à construire sa " planète personnelle " hors du cadre familial et éducatif. Des parents d'élèves, comme à Dijon, s'insurgent contre cet "endoctrinement des gosses". Certains découvrent dans Clés pour l'adolescence le schéma exact des programmes "éducatifs" de la Scientologie : le même vocabulaire, les mêmes méthodes, y compris les plus dérisoires. Par exemple, la possession obligatoire d'une trousse à matériel pédagogique, ou l'utilisation intensive de la pâte à modeler, un des dadas de la secte.
Les plus futés comprennent tout quand ils tombent sur l'édition américaine de la brochure antidrogue de Quest. En couverture, à côté du logo du Lions Club, celui d'une association de directeurs d'école reproduit fièrement l'insigne de la Scientologie : la pyramide à bandes horizontales...
Au ministère, on allègue que l'autorisation donnée à l'opération Quest l'a été pour un nombre très limité d'académies. Ce qui n'a pas l'air de tellement gêner nos gourous : pendant l'année scolaire qui vient de s'achever, 8.000 élèves des lycées et collèges ont été " maniés " comme on dit dans le vocabulaire des scientos. Très affectueux, ils ne sont pas près de leur lâcher les baskets. Et un vivier tout neuf est à la disposition de la secte dès la rentrée de septembre.
(...) A Saumur, le conseil municipal a délibéré sur l'utilisation de la subvention accordée à un collège de la ville qui a accepté de participer à ce programme anti-drogue, baptisé joliment Clés pour l'adolescence.
On ne sait pourquoi, mais l'équipe qui gère la mairie
de Saumur a très mal pris le rappel, par les conseillers municipaux
de l'opposition, des informations parues dans Le Canard. Une adjointe au
maire, Marie-Hélène de Bousquet, a prononcé une diatribe
enflammée non pas contre la scientologie, mais contre Le Canard
"cette gazette diffamatoire et provocatrice". Rien de
moins.
Cette agressivité s'explique : on n'a pas pardonné au Canard d'avoir raconté comment, en 1983, le maire de Saumur, Jean-Paul Hugot, animait, en compagnie des intégristes, des associations de droite créées pour la "reconquête" culturelle (Art et Lumière, Alliance pour une nouvelle culture). Hugot est un ancien du petit syndicat d'extrême-droite UNI, même si, aujourd'hui, il s'est acheté une conduite en entrant au Lions Club de Saumur. C'est plus chic.
Remue-ménage, également, chez nos voisins suisses. Leur presse a repris les informations du Canard avec d'autant plus d'intérêt que les scientologues de Quest-Europe ont installé leur siège à Vevey. La récente décision du ministère français de l'Education nationale, suspendant le programme Clés pour l'adolescence dans les lycées et collèges, a également impressionné les Helvètes. Ainsi, à Lausanne, affirme l'agence suisse de reportage BRRI, le canton de Vaud va probablement renoncer à l'opération Quest dans ses établissements scolaires. Les scientologues s'étaient réjouis trop vite d'engloutir les petits Suisses.