Comment la scientologie embrigade ses adeptes et combat ses détracteurs

(Source : Libération du 20 septembre 1999)

A l'aide de documents internes à l'Eglise de scientologie, Libération raconte comment cette secte embrigade ses adeptes et combat ses détracteurs.

Scientologie: voyage dans une prison de l'esprit.

Dix ans pour un face-à-face très attendu.

Totalitaires.

La justice française utilise les moyens du bord.

Le puissant lobby américain. L'Eglise à réussi à se faire reconnaître «mouvement officiel».

L'Allemagne mène la vie dure aux scientologues. Par Lorraine Millot


Scientologie : voyage dans une prison de l'esprit

Le fonctionnement de la secte décrit à travers des documents confidentiels.

Par David Dufresne.

[Texte intégral]

Partout dans le monde, il y a la façade. Le joli bus à impérial, les livres dorés sur la dianétique, les «églises» à l'accueil chaleureux, les sourires larges des responsables de la Scientologie. Et il y a l'arrière-boutique, bien moins avenante : la quête du profit, les affaires judiciaires, les soupçons d'infiltration et les règlements internes. Libération a recueilli quelques-uns de ces textes confidentiels et d'autres documents qui disent, en creux, comment fonctionne réellement la secte. Comment elle s'y prend pour gagner et garder les esprits de ses adeptes (qui seraient 10.000 en France et 8 millions dans le monde). En juin, le rapport parlementaire sur les sectes et l'argent estimait les recettes annuelles de la Scientologie à «au moins 60 millions de francs pour la seule branche française». Selon ce même rapport, l'Eglise de scientologie possède cinq «églises» en France, une librairie, cinq associations, quatre «missions». Et 114 entreprises (conseil en informatique, formation, immobiliers, etc.) constitueraient son réseau économique dans le pays.

 Le bureau des affaires spéciales

L'Eglise de scientologie possède son propre service de renseignements qu'elle préfère désigner comme un service de communication. Son nom: Office of Special Affairs (OSA). Selon le témoignage d'un ancien membre de l'OSA français, le bureau des affaires spéciales se décompose en quatre sections. Celle d'«investigation», chargée d'enquêter sur les antiscientologues. Celle des «relations publiques», chargée de la communication et du lobbying de la secte auprès des politiques, des chercheurs, des intellectuels (Libération du 11 septembre). Cette section coiffe également les associations parascientologiques, telles que la commission des citoyens pour les droits de l'homme ou Narconon, association de lutte contre la drogue. Une troisième section de l'OSA, dite des «affaires légales», s'occupe des affaires juridiques de la secte. Enfin, la section des «données» classe toutes les informations récoltées par la secte. Selon une publicité interne (1990), «le bureau des affaires spéciales est composé du personnel dévoué et professionnel qui travaille au sein de l'organisation maritime (le bateau Freewind, ndlr) ou au sein des églises classe IV». En clair, au sein de l'élite de la secte. Avec comme mission de «créer un environnement sûr dans lequel la Scientologie peut prendre de l'expansion». Selon Danielle Gounord, porte-parole de la secte, les sections douteuses de l'OSA auraient été dissoutes au début des années 90, comme celle des investigations: «On a fait la purge. Ça faisait partie des erreurs qu'on a payé cher.» Le 9 septembre, Denis Barthélemy, secrétaire général de la mission de lutte contre les sectes, assurait pourtant que d'«anciens commissaires de police» français ouvrent pour l'OSA.

 La religion

A l'origine était la dianétique. En 1954, L. Ron Hubbard, le créateur de cette doctrine (mort en 1986), écrivait (Technical Bulletins, vol. II, 1954-1956): «La Scientologie a ouvert les ponts d'un monde meilleur. Elle n'est pas une psychothérapie ni une religion.» Depuis, L. Ron Hubbard et ses disciples ont sérieusement révisé leur jugement. Et font leur maximum pour être qu'elle soit reconnue «nouvelle religion».

 Le contrat

Tout «adepte actif» qui veut faire partie du «staff» de l'Eglise de scientologie se doit de signer une «déclaration d'engagement religieux». Un véritable contrat (voir fac-similé) qui stipule, entre autres: «Je n'ai pas de dettes personnelles d'une importance telle que toute action entreprise pour m'en acquitter m'obligerait aussitôt à interrompre mon engagement à l'égard de l'Eglise ou à rester en dehors.» A la rubrique congés, on lit: «deux semaines par an après une année de service». A celle des «congés maladie»: «deux jours, non cumulatifs, chaque mois, sur présentation d'un certificat médical». Enfin, le candidat s'engage à ne s'«associer, en aucune manière, à d'anciens fidèles de cette Eglise ou toute autre organisation de scientologie n'étant plus en bonnes relations avec celle-ci ou ayant été expulsés ou déclarés des "personnes suppressives"». Danielle Gounord reconnaît l'existence de ce document. Mais c'est pour aussitôt préciser qu'il n'est plus en vigueur: «C'était la version américaine. Nous avons revu tout cela avec des avocats.» L'actuel engagement stipulerait seulement la durée: deux ans et demi ou cinq ans.

Les congés des permanents

Les lettres de règlement, qui se comptent par centaines, régissent la vie interne de la Scientologie. Toutes, y compris celles vieilles de plusieurs décennies, sont encore appliquées. Tant qu'elles ne sont pas annulées par le saint des saints, le Hubbard Communications Office. Dans ces lettres, tout est prévu, codifié, réglé. Ainsi, les congés des permanents (7 décembre 1976): «Toute personne avant de partir en congé doit recevoir une vérification de sécurité par un auditeur qualifié pour le faire réagir à des listes (de questions, ndlr) préparées.» «Toute personne revenant de mission ou d'un congé doit recevoir une vérification de sécurité.» La Scientologie de Paris assure que ces précautions ne sont plus «appliquées» et n'étaient «valables que pour les corps missionnaires, qui partent plusieurs mois».

 Les suppressifs

Ce sont les ennemis ou les traîtres à la secte. Dans son Introduction à l'éthique de scientologie (édition de 1998), L. Ron Hubbard écrit: «Une personne ou un groupe suppressif est une personne ou un groupe qui cherche activement à endommager ou à opprimer la Scientologie.» Parmi les nombreux «actes suppressifs», appelés aussi «crimes majeurs», l'ex-auteur de science-fiction détaille: «Conduite sexuelle ou conduite sexuelle pervertie allant à l'encontre du bien-être ou de l'équilibre d'esprit d'un scientologue qui jouit d'une bonne réputation [...]», «témoignage hostile auprès d'enquêtes gouvernementales ou officielles sur la Scientologie, afin de l'opprimer», «quitter publiquement la Scientologie». Dans l'édition de 1983 du même livre, d'autres précisions étaient apportées. En cas d'«acte suppressif», le coupable pouvait se voir exiger «le paiement de toute dette avec les organisations de la Scientologie». Aujourd'hui encore, un «rapport d'éthique» est rédigé puis versé dans le «dossier d'éthique» du fautif.

 Les sources potentielles d'ennui (PTS)

Ce sont les scientologues en contact avec des ennemis de la secte, «épouses, maris, parents suppressifs, autres membres de la famille, groupes hostiles ou mêmes amis proches». L'«éthique» de la Scientologie précise: «Pour résoudre cette condition PTS, [le scientologue] aura le choix entre résoudre la situation d'antagonisme avec l'autre personne ou, en dernier ressort, si toutes les tentatives ont échoué, rompre les liens avec cette personne.» Pour la secte, il ne s'agirait que d'«exercer son droit à communiquer ou à ne pas communiquer» avec les personnes de son choix. Pour ses adversaires, c'est le signe même de l'isolement propre aux sectes.

 Le «Freewind», QG flottant de la Scientologie

En 1992, le juge Fenech, qui instruisait le dossier de la Scientologie à Lyon, entend un ancien adepte français, qui fut membre de l'équipage du Freewind, un bateau qui fait office de quartier général de la Scientologie. «Le bateau est équipé d'une salle strictement réservée aux officiers et membres de l'International Institution of Scientology (ISS). C'est dans cette salle suréquipée en ordinateurs très sophistiqués et disposant de coffres contenant des documents ultraconfidentiels qu'ont été réunies notamment toutes les informations relatives à l'affaire judiciaire lyonnaise ainsi que d'autres affaires de ce type suivies dans d'autres pays du monde [...] Je peux vous dire encore qu'environ six avocats de toute nationalité ont été reçus à deux reprises sur le bateau pour notamment étudier l'impact de l'affaire judiciaire suivie à Lyon et décider des moyens de défense.» Le Freewind mouille actuellement dans les Caraïbes. Son port d'attache est Curaçao, dans les Antilles néerlandaises. Danielle Gounord affirme que le Freewind n'est autre qu'un «lieu de retraite spirituelle».

 L'éthique de la Scientologie

Ultradisciplinée, la secte a mis en place son propre code de justice, vu comme sa «seule garantie de survie». Avec ses «officiers d'éthique», ses rapports et ses recours. Dans son livre Introduction à l'éthique de scientologie (édition française, 1983), L. Ron Hubbard écrit, page 44, à propos de l'énigmatique «formule de puissance pour la troisième dynamique», le non moins énigmatique passage: «Quand vous quittez une position de puissance, payez immédiatement toutes vos obligations, déléguez le pouvoir à tous vos amis et partez armés jusqu'aux dents, avec les moyens de faire chanter tous vos anciens rivaux, des fonds illimités sur votre compte privé, des adresses de tueurs à gages expérimentés; allez vivre en Bulgarie et soudoyez la police.» Dans la nouvelle édition de l'ouvrage (France, 1998), le passage n'est pas plus explicité qu'auparavant. Les éditeurs ont juste pris le soin d'inventer un pays imaginaire, la «Bulgravie», en lieu et place de la Bulgarie. Dans le même livre, on lit: «S'il est difficile pour tous de vivre et de travailler avec un groupe, c'est parce que les membres de ce groupe, pris individuellement, ne contrôlent pas leurs semblables.»

Les confessions

Au départ de tout cursus scientologue, il y a le fameux test gratuit. Plutôt anodin, comme celui distribué la semaine dernière à Paris. Mais une fois ferré, l'adepte se doit de répondre à d'autres tests, d'une autre trempe parfois. D'après le témoignage d'un ancien adepte, auprès de la justice française, en 1992, deux des tests de confiance s'intitulent le «confessionnal» et le «test de sécurité». Selon lui, «le confessionnal consiste pour un auditeur à poser des questions sur la vie passée de façon à déceler une éventuelle incompatibilité avec l'appartenance de la Sea Org (l'élite, ndlr) [...] Le test de vérification de sécurité consiste à s'assurer que le candidat à la Sea Org n'est pas quelqu'un de suppressif qui serait lié à la police ou à toute personne adversaire de la Scientologie.» Parmi les délicates questions, celles-ci: «Est-ce que tu n'as jamais volé quoi que ce soit?» «As-tu jamais été un drogué?» «As-tu jamais pratiqué l'homosexualité?» «As-tu jamais couché avec une personne d'une race de couleur différente?» «As-tu peur de la police?»

Le 15 novembre 1987, une lettre de règlement donnait, à propos de l'une de ces listes de questions, l'introduction qui devait aller avec: «Nous pouvons te promettre sincèrement qu'aucune partie de cette liste ni qu'aucune réponse que tu donnes ici ne seront remises à la police ou à l'Etat. Jamais aucun scientologue ne portera témoignage contre toi au tribunal à cause des réponses que tu donnes dans cette confession.» En réalité, les réponses sont dûment consignées dans les «dossiers paroissiaux» des adeptes. Et pieusement conservées. Une dizaine de ces «dossiers paroissiaux» figuraient ainsi parmi les pièces détruites à Marseille. Danielle Gounord jure que la Scientologie n'utilise pas ces confessions contre ses ex-adeptes : «Tout reste secret. Ces confessions sont là pour libérer les gens du poids des actes illégaux qu'ils ont pu faire.» D'autres affirment, au contraire, que ces confessions permettent de tenir les adeptes en rupture.

 L'électromètre

Officiellement, appareil de «mesure spirituelle» fait d'électrodes, l'électromètre sert aux «auditions»-confessions. Il est fabriqué par la Scientologie et vendu par elle seule environ 30 000 F. Sans lui, point de salut, comme l'atteste une lettre du 23 décembre 1991 d'un responsable de la Scientologie à un aspirant-adepte: «Il te faut absolument un électromètre et tu auras la possibilité de commencer ce cours passionnant. Il y a énormément de gains à faire [...] Je connais quelqu'un qui s'est remis à jouer du piano après six années d'interruption [...] J'attends donc pour la fin du mois ton chèque pour l'électromètre.» Parmi les scellés détruits à Marseille figuraient plusieurs de ces électromètres.


 Dix ans pour un face-à-face très attendu

Report du procès, scellés détruits, menaces...

Par David Dufresne.

[Texte intégral]

Les scientologues sont décidés à agir. Avec le procès qui s'ouvre ce matin à Marseille contre sept de ses membres, poursuivis pour escroquerie, la secte sait qu'elle joue beaucoup: son image, son nom, et ses pratiques. Alors, hier midi, l'Eglise de scientologie a envoyé trois émissaires dans la cité phocéenne : ses deux responsables français, Jean Dupuis et Danièle Gounord, et un membre du bureau européen, venu de Copenhague (Danemark).

Quant aux adeptes locaux, ils ont été prévenus. Et se tiennent prêts, «si besoin est», dixit Danièle Gounord, à participer à ce que la secte appelle ses «croisades»: rassemblements, pancartes et banderoles devant le palais de justice de Marseille.

Côté victimes, on s'est également activé. Parmi elles, il y a Raymond Scapillato qui, malgré des menaces à peine voilées, a maintenu dix ans durant sa constitution de partie civile.

A la secte, il reproche d'avoir pris deux mois de sa vie, et quelques milliers de francs. C'est à dire peu, au regard des sommes bien plus importantes et des endoctrinements bien plus long évoqués parfois par d'autres victimes, au début de l'instruction, en 1990. Mais la plupart se sont rétractées. Sauf Jean-Jacques G., 20 ans à l'époque des faits, et qui devrait se constituer partie civile, ce matin, aux côtés de l'Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu).

Son cas est plus épineux pour la secte que celui de Scapillato. Jean-Jacques G. faisait à l'époque partie du «staff» de la Scientologie, de ceux qui font tourner la machine, vendent les livres, accrochent les nouveaux adeptes. Un homme qui connaît les rouages.

Renvoyé une première fois en 1995 pour vice de procédure, ce procès s'annonce donc bien, en filigrane, être celui de la Scientologie, même si la secte s'est empressée il y a quelques jours de se décharger contre les «dérives locales» de quelques-uns de ses anciens membres, comme pour dire que le ménage avait été fait, et que ces «écarts» n'auraient plus lieu d'être. Il faut dire que l'homme central du dossier, Xavier Delamare, ancien responsable de quatre centres de Dianétique/Scientologie à Nice et Marseille, soupçonné de vivre grâce à l'argent des adhérents, n'y allait pas de main morte. Son but: «Etre la meilleure mission d'Europe». Sous sa coupe, l'équipe locale multipliait alors les «auditions» d'adeptes à 1.200 francs de l'heure, les «cures de purification» tarifées jusqu'à 150.000 francs pour les «cas intensifs». Une équipe qui s'adonnait, aussi, au «hard sell» (ventes à la dure) comme personne. Rien que le centre de Nice pouvait ainsi s'enorgueillir en 1989 d'un chiffre d'affaires de sept millions de francs. Résultat, après neuf ans d'enquête, le parquet de Marseille écrivait dans son réquisitoire de renvoi, le 7 mai 1999: «La lecture de la procédure (...) permet de douter du but poursuivi et d'affirmer que les préoccupations de la Scientologie étaient autres que religieux».

Mais voilà. Depuis la révélation, le 8 septembre, de la destruction de pièces sous scellés au greffe du tribunal de Marseille, le procès d'aujourd'hui a pris une tout autre tournure. D'abord, il y a eu le doute. L'affaire rappelait celle, non élucidée à ce jour, de la disparition en plein Palais de justice de Paris d'un tome et demi d'une autre instruction concernant la secte. Puis le scandale. Puis la version officielle de la méprise, affichée désormais par le ministère de la Justice, et, enfin, la secte qui a aiguisé ses arguments pour ce matin. Selon l'un de ses avocats, Jean-Yves Le Borgne, l'Eglise de scientologie, experte en matière de procédure, devrait demander le renvoi. Ce qui, s'il était accepté, renverrait Scapilatto et les autres à leur longue attente. Dix ans après les premières plaintes.


Totalitaires

Editorial par Jean-Michel Helvig.

[Texte intégral]

On s'épuise à disserter sur la frontière qui sépare les Eglises des sectes. Le bon sens commun les distingue assez bien, mais, dans un pays de droit écrit, on bute sur l'écueil de ne pas transformer la protection contre les malfrats du surnaturel en police des consciences.

Au demeurant, le code pénal recèle suffisamment de ressources pour s'attaquer à ceux qui font leur beurre avec le désarroi humain. Mais, s'agissant de la Scientologie, le seul traitement judiciaire ne suffit peut-être pas. A l'évidence, la secte qui professe un culte science-fictionnesque délirant relève plus de l'entreprise totalitaire que de l'association spirituelle. Et pas seulement parce que l'Eglise de scientologie pratique le ratissage systématique des poches de tous les pauvres gens qu'elle endoctrine: c'est la caractéristique la mieux partagée du monde des sectateurs.

A la différence des autres, les scientologues ont constitué au sein de leur «Eglise» une sorte d'organisation secrète qui vise à écraser la volonté de ses détracteurs, manipuler des «idiots utiles» (comme disait Lénine), infiltrer les rouages associatifs, voire ceux de l'Etat, bref imposer une hégémonie sur le monde qui n'est pas de nature très différente de tous les systèmes de décervelage de masse qui sévissent ou ont sévi sur la planète.

Certes, ils ne sont pas si nombreux que ça les scientologues, ce n'est pas pour autant qu'ils doivent être négligés. Il y a suffisamment de preuves, d'indices, de témoignages sur les menées occultes de cette «Eglise» pour qu'on ne lui oppose pas des moyens d'investigation qu'on réserve habituellement aux milices privées et autres pseudopodes fascistes. On a fait grand cas du DPS, le service d'ordre lepéniste, jusqu'à envisager sa dissolution, on devrait appliquer à la scientologie la même vigilance. A tout prendre, les fanatiques glacés qui en assurent le prosélytisme sont plus dangereux - car moins visibles - que les gros bras qui protègent les meetings d'extrême droite.

Pourquoi pas une commission d'enquête parlementaire sur les pratiques de cette seule secte ? Cela permettrait, au moins, d'exposer au grand jour des méthodes inacceptables dans un pays démocratique et laïque. Et de rechercher les meilleurs moyens légaux d'y faire face.


La justice française utilise les moyens du bord

Les parquets ont recours à diverses procédures contre la secte.

Par Armelle Thoraval.

[Texte intégral]

La lutte anti-sectes est un casse-tête. Et la bataille contre la Scientologie, plus encore. Il n'existe pas, en droit français, de délit spécifique qui pourrait s'appliquer au recrutement d'adeptes. Le délit de manipulation mentale est à l'étude, mais sa création pose quantité de difficultés d'applications. Alors, la justice fait avec les moyens du bord.

Il a fallu attendre décembre 1998 pour que le ministère diffuse à l'attention des procureurs généraux une circulaire de sensibilisation. Celle-ci a permis de créer un réseau de correspondants dans 35 parquets généraux : ces magistrats ont eux-mêmes des relais dans les palais de justice ou au sein des autres corps de l'Etat (services fiscaux, directions départementales de la concurrence, Education nationale, etc.).

L'échange d'informations : c'est d'abord par ce biais que la vigilance peut être accrue. Lors de leur réunion au ministère de la Justice, vendredi, plusieurs «correspondants» ont constaté avec inquiétude que les sectes investissaient, un peu partout, les associations d'aide aux familles en difficulté. Un sujet qui va donc être surveillé.

Les sectes, et particulièrement la Scientologie, utilisent des moyens d'«approche» masqués, sous des noms anodins (dans l'immobilier, la communication, la formation). Les magistrats qui ont déjà «démasqué» certaines structures en font profiter leurs collègues. Lors de la réunion de vendredi, il a en outre été décidé de sensibiliser tout le réseau judiciaire européen. Ces efforts d'initiatives sont nécessaires car les victimes hésitent à déposer plainte ou en sont efficacement dissuadées (pressions, argent...) lorsqu'elles ont franchi le pas.

Malgré ces difficultés, le nombre d'affaires enregistrées dans les palais de justice a nettement progressé au premier semestre 1999, par rapport à la même période de 1998. Une petite revue des décisions récentes concernant la Scientologie permet de mesurer la variété des angles d'attaque.

  • L'escroquerie : le 30 octobre 1997, Joseph H., est condamné à deux ans de prison avec sursis et 150.000 francs d'amende par la cour d'appel de Besançon. Ce médecin persuadait ses patients connaissant des difficultés psychiques de recourir à la «dianétique», doctrine de Ron Hubbard, plutôt que d'user des moyens traditionnels de la médecine. Le commerce qui en découlait était lucratif: vente de livres, participation à des séminaires et cours de communication, moyennant finances. L'arrêt souligne que le médecin abusait ainsi de personnes en état de faiblesse.
  • La publicité mensongère: l'Ecole de l'éveil (primaire) et l'Ecole Mont-Louis (secondaire), gérés par des scientologues, ont distribué des tracts sur la voie publique ne mentionnant pas leur statut d'établissements privés. Puis l'Ecole de l'éveil a rassuré les parents, en affirmant être agréée par l'Education nationale. Le ministère a déposé plainte à l'encontre des deux dirigeants. Le tribunal de grande instance de Paris leur a infligé des peines d'amende le 12 novembre 1997.
  • La fraude fiscale: une autre structure, l'Ecole du rythme, dans le Ve arrondissement de Paris, a été pincée et condamnée pour dissimulation de recettes et frais injustifiés. Sur les comptes de l'école étaient imputés les voyages aux Etats-Unis des gérants, pour, officiellement, se former aux «techniques américaines de management». L'arrêt de la cour d'appel a été rendu le 12 avril 1999.
  • La violation de la loi «informatique et libertés» : le 4 septembre 1998, à Paris, une Sarl baptisée Action Academy, gérée par un scientologue, a été condamnée pour avoir constitué un fichier illégal comportant des informations nominatives et basé sur les tests de compétence inspirés de Ron Hubbard.
  • A Lille, l'une des dirigeantes de l'Eglise de scientologie a été coincée devant le tribunal de grande instance, le 18 décembre 1996, pour avoir distribué des questionnaires (les fameux «tests de personnalité») dans les boîtes aux lettres. Reexpédiés au «centre de dianétique», et triés, ils permettaient de constituer un fichier où apparaissaient les appartenances religieuses, syndicales, les opinions politiques. Utile pour pêcher de nouveaux adeptes.
  • Face à ces techniques de marketing, les juges sont encore assez prudents : les amendes sont faibles, alors que, pour la Scientologie, assise sur un magot, l'arme économique est la plus dissuasive. En revanche, la publication des jugements dans les journaux est assez bien utilisée. La mauvaise publicité, les sectes détestent ça.


    Le puissant lobby américain. L'Eglise à réussi à se faire reconnaître «mouvement officiel».

    [Texte intégral]

    New York de notre correspondant. En avril 1997, Bill Clinton aurait rencontré John Travolta, l'un des porte-parole les plus connus de l'Eglise de scientologie. L'acteur tournait alors l'adaptation au cinéma d'un livre qui avait fait grand bruit, Primary Colours. L'ouvrage décrivait la course à la présidence d'un gouverneur multipliant les affaires extra-conjugales, et Clinton, inquiet que l'on fasse le rapprochement avec ses déboires, aurait demandé à Travolta de ne pas dépeindre un personnage trop antipathique.

    En échange, le Président aurait promis à la vedette d'aider la secte, qui avait déjà, à l'époque, des difficultés en Allemagne

    Accusations.

    La rencontre entre le Président et l'acteur n'a, bien entendu, jamais été confirmée par la Maison Blanche. Elle permet toutefois de mesurer tout le pouvoir que l'on prête, aux Etats-Unis, au mouvement de Ron Hubbard. Paris et Berlin ont eu l'occasion de le vérifier le 9 septembre dernier, quand le rapport du département d'Etat sur les droits de l'homme dans le monde a accusé les deux capitales européennes de persécuter l'Eglise.

    Sans prendre de gants. «La relation américaine à la religion n'est pas la même qu'en Europe, explique Dale Johnson, professeur d'histoire religieuse à la Vanderbuilt University, ce pays a été fondé par des gens qui voulaient la liberté de culte. Cette liberté est garantie par la Constitution, et le gouvernement fédéral se doit de la protéger. Dès lors, le procès qui se tient en France n'est pas vraiment bien compris ici.»

    Lobby.

    Mais, bien plus que de se reposer sur la Constitution, l'Eglise de scientologie, depuis son bunker-building de Los Angeles, s'est surtout imposée comme l'un des lobbies les plus puissants de Washington. Le secte a utilisé à plein les liens entre Hollywood - en dehors de Travolta, Tom Cruise, par exemple, est un défenseur acharné de la Scientologie - et le Parti démocrate pour s'incruster sur Capitole Hill.

    Selon l'organisation Factnet, qui lutte contre la propagation des cultes sur l'Internet, une cinquantaine de représentants du Congrès et du Sénat américains soutiennent plus ou moins publiquement l'«Eglise».

    En 1997, par exemple, un représentant démocrate a introduit un projet de loi au Congrès afin de «condamner le gouvernement allemand pour ses actes de discrimination envers les scientologues». Au début de l'année, un autre démocrate, Tom Lantos, a écrit au Conseil de l'Europe afin d'empêcher la publication d'un rapport sur la secte. «Les scientologues ont énormément de moyens, assure Ed Doerr, directeur de l'association Americans for Religious Liberty, car leur Eglise est basée sur l'argent. Les membres doivent payer pour participer à chacun des services. Dès lors, quand on dispose d'une telle manne, il est plus facile d'étendre son pouvoir.»

    L'«Eglise» n'hésite pas à dépenser des millions de dollars en procès contre tous ceux qui osent l'attaquer. Accusé en 1998 de la mort par négligence de l'une de ses disciples, le mouvement est parvenu, jusqu'ici, à faire traîner les procédures judiciaires.

    Fisc.

    Mais leur plus belle victoire, les scientologues l'ont certainement remportée en 1993. Après une longue action en justice avec l'IRS, le service des impôts, la secte a accepté de payer quelque 12,5 millions de dollars d'arriérés. En échange, l'IRS lui accordait une exemption d'impôts, un statut qui lui avait été refusé jusque-là et qui la consacrait comme «mouvement religieux officiel» aux yeux du fisc américain.


    L'Allemagne mène la vie dure aux scientologues

    L. Ron Hubbard voulait faire de ce pays la tête de pont de sa propagande en Europe.

    Par Fabrice Rousselot.

    [Texte intégral]

    Berlin de notre correspondante.  «Etes-vous en relation, d'affaires ou autre, avec une organisation qui à votre connaissance utilise ou diffuse la technique de L. Ron Hubbard»; «Travaillez-vous selon les méthodes de L. Ron Hubbard ou avez-vous été formé selon ces méthodes?»...

    Depuis novembre 1996, en Bavière, les candidats à la fonction publique ne sont plus seulement testés sur leurs compétences, mais aussi soumis à cinq questions sur leur relation aux enseignements du fondateur de la Scientologie. Un oui à l'une de ces questions «peut éveiller des doutes sur la qualification» du postulant à la fonction publique, dit l'arrêté signé en 1996 par le ministre-président conservateur de Bavière, Edmund Stoiber. Les entreprises répondant à des appels d'offres publics en Bavière sont, de même, obligées de signer une déclaration assurant qu'elles n'appliquent pas les principes de Ron Hubbard.

    En trois ans, aucun cas de refus d'admission ou d'exclusion de la fonction publique n'a été relevé pour ce motif, assurent les autorités bavaroises. «Mais la mesure a une forte fonction préventive», se félicite-t-on au ministère de l'Intérieur, puisqu'elle stigmatise de façon éclatante la menace scientologue. Particulièrement spectaculaires, ces mesures ne sont que les plus radicales de toute une série d'autres prises ces dernières années en Allemagne pour lutter contre la Scientologie.

    Choisie par l'organisation de Ron Hubbard comme base principale de développement en Europe, l'Allemagne a contre-attaqué avec force et succès. En juin 1997, les ministres de l'Intérieur des 16 Länder et de l'Etat fédéral ont estimé que la Scientologie avait des «aspirations hostiles à la Constitution» et méritait à ce titre d'être placée sous la surveillance des services de renseignements intérieurs. De vastes campagnes d'information ont sensibilisé l'opinion publique aux dangers de l'organisation.

    L'une des mesures les plus douloureuses, surtout, a été, dans certains Länder, de ne plus considérer les organisations scientologues comme des communautés religieuses, bénéficiant d'importants avantages fiscaux, mais de les traiter comme des entreprises ordinaires, lourdement soumises à l'impôt. «Les scientologues ont beaucoup de mal désormais à prendre pied en Allemagne, observe Ursula Caberta, chargée de la lutte antisectes à Hambourg. Cela ne veut pas dire que le problème soit réglé et tout danger écarté. Mais la Scientologie a pris un coup. Nous constatons que moins de gens tombent dans ses bras et que de nombreux membres ont réussi à la quitter.»

    Les services de renseignements estiment aujourd'hui entre 5.000 et 6.000 le nombre d'adeptes allemands, contre 10.000 il y a quelques années encore. L'Eglise de scientologie allemande continue, elle, à revendiquer «près de 30.000» disciples, mais reconnaît aussi ses difficultés à demi-mot: «On ne peut pas dire que toutes ces campagnes ne laissent pas de traces sur nous, avoue Sabine Weber, porte-parole de la Scientologie en Allemagne. Les gens sont effrayés. Le nombre de nos membres continue à augmenter, mais cela ne va plus à la vitesse d'avant.»

    Ces succès importants ne rassurent toutefois pas encore assez les autorités allemandes pour qu'elles baissent la garde. Une nouvelle loi est en préparation au Parlement pour corseter les «séminaires psychologiques» et autres cours de dianétique: la proposition de loi prévoit d'obliger les organisateurs de tels cours à préciser leur formation, leurs méthodes, leurs objectifs et leur financement, batterie d'informations qui devrait rendre plus difficile à la Scientologie le recrutement d'adeptes par le biais de questionnaires psychologiques. «La lutte de ces dernières années a porté ses fruits, explique Renate Rennebach, députée sociale-démocrate spécialiste de la lutte antisectes. Mais il ne faut pas être moins vigilant pour autant.».



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