Témoins de Jéhovah

La controverse

(Source: La voix du nord - 26 juillet 2003)

Mis en ligne le 26 juillet 2003

Ils organisent leur rassemblement régional à Douai tandis que leurs opposants sont reçus au ministère de l'Intérieur

Hasard du calendrier : tandis que plusieurs milliers de témoins de Jéhovah se retrouvent ce week-end à Gayant-expo, à Douai, pour leur assemblée d'été, des militants de la " coordination nationale des victimes de l'organisation des témoins de Jéhovah " viennent d'être reçus au ministère de l'Intérieur par deux conseillers de Nicolas Sarkozy.

La rencontre, programmée jeudi matin, a duré plus d'une heure trente. La petite délégation admise Place Beauvau, dans un ministère qui n'est pas seulement celui de la police et de la sécurité mais aussi celui des cultes, comprenait deux Nordistes : Charline Delporte, mère d'une ancienne adepte et militante de longue date contre les " témoins " au point d'avoir été assignée en justice à plusieurs reprises, et Alain Berrou, ancien " témoin " qui souhaite aujourd'hui mettre en garde contre les ravages des " dérives sectaires ".

Cette rencontre constituait une première. Elle témoigne de l'attention des pouvoirs publics face à une organisation citée dans les rapports parlementaires sur les sectes. Elle s'est déroulée dans un bon climat même si aucune décision n'est annoncée. " Nous avons reçu une écoute favorable, nous n'avons pas demandé l'interdiction des témoins de Jéhovah mais l'utilisation du cadre législatif existant pour réprimer les dérives ", explique Alain Berrou. " Nous ne réclamons pas une police de la pensée, mes bibles à moi c'est le code du travail et le code des impôts ", ajoute Charline Delporte. Du côté des témoins de Jéhovah, on fait le choix d'afficher une grande sérénité en se félicitant d'avoir obtenu la condamnation de Charline Delporte pour diffamation au terme d'un marathon judiciaire. Et l'on annonce que les 25 assemblées régionales rassembleront 150 000 personnes dont 9 500 à Douai.
D. S.

Des " résistants " appellent à la vigilance
Alain Berrou est resté huit ans chez les témoins de Jéhovah. Recruté dès l'adolescence, il a gravi rapidement les échelons de l'organisation (qu'il appelle " la multinationale ") au point d'y occuper d'importantes responsabilités, d'apprendre l'arabe et d'effectuer deux longs séjours en Cisjordanie pour tenter d'y faire des adeptes.

Aujourd'hui installé à Lille, permanent de la coordination nationale des victimes de l'organisation des témoins de Jéhovah, il se mobilise autour de deux thèmes : la résistance et la vigilance pour que l'épisode de huit années, cette " mise à l'écart du monde " qui a marqué sa jeunesse, ne se multiplie pas chez d'autres.
Victimes silencieuses

" Les victimes ne portent pas plainte, elles sont dispersées, culpabilisées, veulent tourner la page et savent qu'il est très difficile de réprimer la manipulation mentale ", explique Alain Berrou.

Sur quels plans est-on victime ? " Parce qu'on engloutit son temps, de l'argent, son énergie, ses projets, qu'on y sacrifie parfois ses études, sa famille ", ajoute l'ancien adepte.

Les documents de la coordination des victimes parlent de " culte business ", de " multinationale du marketing spirituel "
à propos d'une organisation dont le siège est à Brooklyn.

C'est sur le terrain juridique que se déplace souvent la bataille entre les témoins de Jéhovah, leur bataillon d'avocats, et leurs détracteurs. Un contentieux fiscal existe en France. Charline Delporte, présidente de la coordination des victimes, évoque une " dette fiscale " de 45 millions d'euros pour absence de règlement d'une taxe sur les dons manuels. La Lilloise a examiné en détail les documents publiés par les " témoins ". Elle en a tiré deux conclusions : le nombre des adeptes français est plutôt en diminution (il est passé de 123 000 en 1995 à 111 000 l'an dernier). Compte tenu du nombre des nouveaux baptisés (49 000 en douze ans), elle en déduit que le turn over est important et estime le nombre des personnes ayant quitté l'organisation à 53 000 depuis 1991, soit près de la moitié des effectifs.

" Si tant de victimes restent invisibles, c'est qu'elles subissent des pressions, un chantage affectif, elles sortent appauvries, les procédures sont longues... c'est épuisant d'aller devant les tribunaux ", ajoute Charline Delporte, confrontée depuis des années à ce qu'elle qualifie " d'acharnement judiciaire " des témoins de Jéhovah. " Ils veulent me faire taire, mais ils n'y parviendront pas ", avertit la Lilloise qui réclame une mesure : la formation de magistrats spécialisés dans la lutte contre la manipulation.
Dominique SERRA

Congrès à huis clos
Impossible de franchir les portes de Gayant-expo. Les médias ne sont pas les bienvenus, loin de là. " Nous avons subi trop de déconvenues pendant de nombreuses années ", se justifie un membre douaisien des témoins de Jéhovah.

Ce que consent à expliquer ce Jéhoviste se borne au minimum. " Il s'agit d'un congrès cultuel et spirituel dont l'objectif est d'apprendre à nos familles à appliquer les principes bibliques, à aider leurs voisins et amis. "

Curiosité
A Douai, le rassemblement régional suscite bien de la curiosité. Car rien n'indique ce qui se déroule dans l'immense salle de spectacles. Pourtant les parkings alentours, habituellement déserts, sont bondés.
En effet, 9 500 personnes sont réunies entre les murs mis à disposition par la régie Gayant-expo. Régie commerciale dont le président, Jean-Jacques Delille, explique qu'il n'est pas en droit de refuser de mettre sa salle à disposition.
" Nous gérons un espace commercial. Les témoins de Jéhovah sont un client irréprochable qui règle sans négocier des factures sans remise. Nous ne pouvons interdire ce qui n'est pas prohibé, ce serait une atteinte à la démocratie. Si l'Etat doit interdire ce mouvement, il doit prendre ses responsabilités. Ce n'est pas aux élus locaux de le faire. "
Magali SÉRIÉ



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