J'étais en ce moment en pleine dépression et victime toute désignée pour les Témoins de Jéhovah. Un samedi, en octobre 1983, une dame Témoin de Jéhovah informée de ce que je m'intéressais à la Bible, vient me rendre visite. J'ai écouté. Il faut le dire, j'étais déjà aux trois quarts convaincue. Ce sont les prophéties qui me passionnaient. Et puis, qui ne voudrait pas vivre sur une terre transformée en Paradis, et surtout, recouvrer la vue? Oui, je suis non-voyante. J'ai été séduite par leurs réponses simples.
Je pensais aussi ; il y a une résurrection et Dieu me rendra la vue et la santé. Mieux encore : si je passe Harmaguédon, le Grand Jour de la Guerre de Dieu, où il détruira tous les méchants, je ne mourrai pas et, j'entrerai directement dans le monde nouveau.
Je suis entrée rapidement et, je dois le dire, à ce moments-là, avec joie dans l'organisation des Témoins de Jéhovah, une organisation bien structurée. Au début, une fois par semaine, j'étudiais la Bible avec Mme X. Puis elle m'invite aux réunions qui ont lieu le samedi soir dans leur salle du Royaume. Quel accueil! Moi qui me sens rejetée partout à cause de mon handicap, je me trouve à l'aise : tout le monde vient me serrer la main.
Pas de participation aux fêtes : ne plus fêter Noël, les Rois, la fête des mères, celle des pères, plus de Pâques, plus d'anniversaires, "Ce sont toutes des fêtes d'origine païenne". Pour les anniversaires, je suis très surprise : Quel mal y-a-t-il? Je ne comprends pas. Alors, on me montre que dans la Bible, deux anniversaires sont cités et ils finissent dans un bain de sang. "Il n'est pas obligatoire que cela finisse toujours ainsi", disais-je. "Bien sûr, mais il ne faut adorer que Jéhovah, rendre un culte à une autre personne n'est pas bien". Je gobe cette idée. Et c'est ainsi que, vite lait, je deviens une amie de la Vérité.
Au bout de six mois, sur mon insistance, je commence à prêcher de porte en porte. Je suis pressée de faire connaître cette nouvelle aux personnes, il faut que je leur dise que je viens enfin de trouver la vraie religion : la Vérité. Très vite je m'aperçois que ces personnes, pour la plupart, ne partagent pas cette joie, nous nous faisons mettre dehors, insulter. Je suis souvent découragée en rentrant chez moi. Mon moral remonte très vite lorsqu'on me fait ce raisonnement : "Tu vois, ce n'est pas facile, mais cela te prouve que nous sommes vraiment la Vérité, puisque Jésus dit que les vrais chrétiens seront persécutés à cause de son nom". Ce qui me confirme plus que jamais, que j'ai trouvé la véritable organisation de Dieu.
Je ne m'ennuie plus : réunions, prédication, lecture de la Bible, préparation des réunions, et pour moi en plus, transcription en braille. Tout mon temps est occupé, mes convictions s'affermissent. Je crois vraiment, à cette période, que ce sont mes idées. Je ne me rends pas compte que je subis un vrai lavage de cerveau. Oui, ce sont des propos que Jacques me tient, mais je n'y fais pas attention, prévenue par les Témoins de Jéhovah que j'aurai de l'opposition dans ma famille. "Jésus n'est pas venu mettre la paix dans la famille, mais la discorde", Mathieu 10 34-36. Très vite, celle-ci s'installe dans notre couple.
Monsieur M. à qui je me confie régulièrement n'ignore pas que mes problèmes familiaux et psychologiques ne sont pas entièrement résolus. Ayant été élevée chez les religieuses, je dois me défaire de tout ce qui touche Babylone la Grande, c'est-à-dire: l'empire mondial des fausses religions. Toutes les religions viennent de Satan.
Il faut donc jeter tout ce qui s'y rapporte : mes photos de communiante, celles de mon mariage à l'église, (sacrilège d'entrer dans ce lieu), statues, médailles, livres religieux, habits offerts ou ayant appartenu à une personne faisant du spiritisme ou étant religieuse. Tous ces objets sataniques doivent être brûlés, il n'y a que par le feu que tout est purifié et que l'on éloigne Satan de sa maison et surtout de son âme.
En juillet, une religieuse vient m'apprendre à l'aire du rotin, après son départ, je jette donc tout ce qui vient d'elle, tout ce qu'elle a touché. Une somme considérable s'envole ainsi en fumée. Naturellement, et à présent je le comprends, mon mari est furieux. J'en arrive à lui mentir sur la disparition d'objets de valeur comme ma chevalière en or qui vient de ma grand-mère. L'or ne brûle pas, je la jette donc dans le Doubs. Cette perte m'affecte beaucoup mais je me console en me disant que Jéhovah est content que je lui obéisse. Jéhovah passe avant les objets même les plus coûteux.
Une fois débarrassée de Satan, je peux enfin me faire baptiser et vouer ma vie à Jéhovah, Je prends donc le baptême par immersion complète le 17 lévrier 1985. Je fais maintenant partie de la grande famille universelle de Jéhovah, Tous m'embrassent. "Oh, ma petite soeur nous sommes contents de t'accueillir dans le peuple de Dieu". Je suis très émue et surtout, sincère comme je l'avais été le jour de ma communion à 12 ans.
Le porte-à-porte est très fatigant, surtout pour moi, il me faut une plus grande attention, je dois retenir les présentations des livres et périodiques par coeur, ainsi que les choses qu'il faut dire aux gens.
Monsieur M. me dit de prier devant chaque porte. J'ai beau le faire, Jéhovah ne me donne pas son esprit. J'assiste pourtant régulièrement aux réunions le mardi soir, spécialement prévues pour nous apprendre à faire des disciples. Cette réunion, l'école théocratique, nous apprend comment répondre aux gens. Nous préparons des sujets. J'en ai fait deux ou trois, puis je ne participe plus. Il faut faire des recherches dans les livres de la Société, je n'y arrive pas seule. Il me faut l'aide d'une soeur, ça me gène beaucoup. De plus j'ai l'impression de me retrouver en classe, où je dois faire une rédaction. Tout cela manque de naturel. Faut-il faire tout cela pour parler de Dieu aux gens ?
Pourtant, à certaines périodes, mon moral s'améliore. Je prends des antidépresseurs. Personne ne comprend "mes sautes d'humeur" comme ils disent.
J'entends dire que, si je le voulais vraiment, je pourrais faire comme au début. Il parait que "J'aime bien qu'on s'occupe de moi". Pourtant, tous se rendent bien compte que, lorsque mon état s'améliore, je suis heureuse de servir Jéhovah. D'année en année mon état dépressif s'aggrave et finit par devenir permanent. J'ai l'impression d'étouffer, de ne pas être libre. Pourquoi toutes ces réunions me pèsent-elles ainsi? Je me pose des questions.
Je me confie à Monsieur M. "Tu ne fais pas assez confiance à Jéhovah, puisque tu préfères te tourner vers les psys pour résoudre tes problèmes. Je ne connais pas de meilleur psychanalyste que Dieu".
Au bout de 10 mois de souffrance morale insupportable, je suis prise de doute. Je retourne donc chez Monsieur A. Cette fois, je me rends chez lui, armée jusqu'aux dents de versets bibliques, qui pour moi sont irréfutables. A ma grande stupéfaction, Monsieur A. fait tomber mes défenses et mes raisonnements avec une logique implacable: "La Bible n'est pas à prendre à la lettre. Les gens qui ont écrit la Bible ne vivaient pas dans le même contexte". Il est vrai que, depuis quelque temps, je me pose des questions. Surtout au sujet des anniversaires que nous ne fêtons pas. Pourquoi ne pas fêter les anniversaires ? Dans la Bible, il est écrit : "Le fruit du ventre est une récompense, un don de Dieu". Donc il serait normal de se réjouir le jour d'une naissance.
"Non, me répondent les anciens, seul le jour de la mort est important aux yeux de Dieu. Durant ta vie, tu t'es fait un nom. Dieu sait si tu es juste, si tu lui es restée fidèle. Tandis que le jour de ta naissance, il ne connaît pas les oeuvres que tu vas accomplir Tu sais bien que la mort de Jésus que nous fêtons chaque année, est d'une importance capitale. Si le jour de la naissance de son fils avait eu de l'importance, Jéhovah l'aurait fait écrire dans la Bible ".
Ce raisonnement simpliste me laisse sceptique. Au fur et à mesure que j'avance dans mon traitement analytique, Monsieur A. m'ouvre les yeux.
Ma fille ne se rend donc pas à l'assemblée régionale qui a lieu fin juillet. Nous sommes très nombreux dans ces rassemblements. Valérie m'aide à me déplacer et je ne me vois pas me rendre seule à cette assemblée. Je me sens de trop et j'ai peur de rester seule sur une chaise entre les différentes sessions. Toutes ces heures se passent à écouter des discours, Même les enfants restent sagement assis sans broncher.
Ma dernière assemblée remonte à fin juillet 1990. Un après-midi, nous avons étudié un texte sur Babylone la Grande, l'empire mondial des fausses religions. Ce texte virulent sur les religions m'a choqué.
Pourquoi est-ce que je ne partage pas tout à fait cette joie générale? Je ne dois pas être suffisamment forte spirituellement, je crois. Pourtant, j'aime beaucoup me rendre aux assemblées, mais mon état ne me le permet plus.
Mon mari qui s'aperçoit de mon désarroi et surtout de mes doutes, en profite de nouveau pour semer la bonne graine. Cette fois, j'ai tendance à l'écouter, le doute grandit. J'essaie de défendre mes idées en affirmant que l'organisation de Jéhovah est parfaite, mais que ce sont les hommes qui ne la comprennent pas. Je ne suis plus convaincue de mes paroles. Je suis complètement anéantie.
Barbituriques et alcool font très vite leurs effets. Je me réveille à l'hôpital où je subis un lavage d'estomac. Pendant mon hospitalisation, plusieurs Témoins viennent me voir. Ils ont l'air, cette fois, de comprendre que je ne joue pas la comédie. Mon psychanalyste vient me voir. Mais à quoi bon? Il ne peut me sortir du dilemme où je me trouve prisonnière. Le jeudi, je suis de nouveau chez moi et je me retrouve brutalement confrontée à mes problèmes. Mon état ne me permet pas d'y faire fac. Le lundi suivant, je choisis une solution plus radicale. J'ouvre le gaz. Mais, une heure se passe. C'est ma fille qui ferme la bouteille en rentrant de l'école. Décidément, j'ai la vie dure.
En janvier, je remets aux anciens ma lettre de retrait. Mais le lendemain, je me rétracte. Bien entendu, une visite s'en suit. Pourquoi ai-je écrit cette lettre? Qui m'a mis cette idée dans la tête? "Ton mari a une mauvaise influence sur toi. L'exclusion de ta fille ne te facilite pas la vie, mais elle enfreignait les règles de Jéhovah. Sortir avec "un garçon du Monde est contraire aux principes bibliques".
Je dois souligner, qu'entre Témoins, nous nous "entraidons" pour garder la forme spirituelle. Si un frère ou une soeur s'aperçoit que l'un d'entre eux s'éloigne de la bonne conduite, aussitôt le coupable est interpellé par son Témoin oculaire. Celui-ci lui conseille d'aller confesser sa faute aux anciens. Si le coupable ne se dénonce pas, c'est le "Témoin" qui le fera à sa place, pour "son bien spirituel". Le suspect est alors repris à coups de versets bibliques. Je comprends à présent que cette façon d'agir permet une auto-surveillance permanente de chaque Témoin.
Début avril, je mentionne aux anciens que cette fois, je suis décidée à me retirer des Témoins de Jéhovah. "Je ne suis plus d'accord avec vos idées. Je suis allée écouter le requiem de Mozart, un concert de Noël. Il n'y a rien de répréhensible à tout cela".
"Tu n'as plus le bon discernement, ni l'esprit de Jéhovah. Si tu persistes dans ce raisonnement, tu es perdue". Je suis convoquée devant quatre Anciens, "leur tribunal", pour répondre de "mes fautes", ils essaient de me convaincre de revenir dans le "droit chemin". Au cours de la discussion, je leur dévoile que je prends des leçons d'accordéon avec un professeur qui vient à domicile.
La discussion s'éternise. Pour en finir et hâter mon exclusion, j'ajoute, ce qui est exact, que mon professeur s'intéresse au yoga, à l'hypnose, au spiritisme. Je suis reléguée dans une autre pièce. La délibération dure environ un quart d'heure. Le verdict tombe : mon exclusion en tant qu'apostate sera annoncée dans huit jours à la Salle du Royaume. Pendant ces huit jours je peux encore me repentir, mais je ne cède pas. A la réunion du mardi soir, une annonce spéciale est faite, la même que pour ma fille un an auparavant.
C'est alors que je pense de nouveau au suicide. Mon psy m'affirme que ces gens ne sont pas des amis : je ne suis plus "Témoin", donc je n'existe plus; je n'étais à leurs yeux qu'une étiquette avec un "titre".
Petit à petit je remonte la pente, et je ne peux me taire sur cette partie dramatique de ma vie. Il faut maintenant à tout prix prévenir les gens sur le danger des sectes. Et j'ose affirmer à présent que les Témoins de Jéhovah sont bien une secte dangereuse. Ils sont dépersonnalisés. Leur raisonnement est infantile.
J'ai pu constater que beaucoup de Témoins avaient des problèmes. En entrant dans la secte, ils se mettent à l'abri de toutes difficultés. Ils restent d'éternels adolescents.
Je me permets de donner un conseil très important : l'endoctrinement est très rapide. Parfois, cela s'effectue en moins d'une semaine. Si vous connaissez une personne qui s'intéresse à la secte, agissez très rapidement. Faites de même si un TJ commence à se poser des questions. Malheureusement, c'est rare. Comme ils n'ont pas le droit de lire d'autres ouvrages que les leurs, il est très difficile de leurs ouvrir les yeux. Cela fait maintenant neuf mois que je suis sortie de la secte, et la déprogrammation est très longue et douloureuse. Il faut que je m'occupe, que je connaisse des gens avec qui discuter. Bref, si je ne veux pas retomber, il me faut aider le plus possible de personnes et surtout les prévenir du "Danger".
Je tiens quand même à dire que je n'en veux pas aux
Témoins de Jéhovah. Ils sont tous des victimes comme je l'ai
été moi-même.