Bundesgericht Tribunal fédéral Tribunale federale Tribunal federal {T 1/2} 5A_328/2008 / frs : Mouvement Raëlien Suisse, D.K.S. & M.D. Contre La Liberté
Composition MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Hohl et Marazzi. Greffière: Mme Rey-Mermet.
Parties Mouvement raëlien suisse, D.K.S, M.D. , recourants, tous les trois représentés par Me Elie Elkaim, avocat,
contre
Imprimerie et Librairies St-Paul SA, intimée, représentée par Me Pierre Perritaz, avocat,
Objet protection de la personnalité, recours contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 novembre 2007.
Faits:
A. Le 11 avril 2005, le quotidien "La Liberté" a publié un article intitulé «Deux "anges de Raël" tiennent les rênes d'un "café féminité" ». Le texte de l'article relatait l'organisation dans un restaurant lausannois de rencontres sur le thème de la féminité. Le journaliste mettait en évidence les liens avec le Mouvement raëlien (ci-après : le Mouvement) auquel appartiennent deux des organisatrices de ces réunions, D.K.S et M.D. . Décrivant les thèmes de prédilection du Mouvement, l'article comportait notamment les passages suivants : "L'engagement de la secte pour le clonage, avec ses relents d'eugénisme a défrayé récemment la chronique". Il présente encore "la soumission sexuelle de ses disciples femmes" comme le centre des principes prônés par Raël, l'instrument de cette soumission étant l' "Ordre des anges" auquel peuvent adhérer "de belles jeunes femmes prêtes à tout pour le plaisir de Raël". En fin d'article, les journalistes rapportent une affaire judiciaire qui avait opposé le Mouvement raëlien au quotidien "La Liberté" en ces termes :
B. Le 2 mai 2005, le Mouvement a requis la publication d'un droit de réponse; il estimait notamment que la fin de l'article du 11 avril 2005 était erronée, aucun tribunal n'ayant affirmé que le Mouvement prônait la pédophilie et l'inceste. Le rédacteur en chef de "La Liberté" a refusé de le publier dans la forme proposée mais a néanmoins consenti à un rectificatif qui a paru sous ce titre : "Rectificatif - Ce qu'ont vraiment dit les tribunaux sur les raéliens SECTE - Notre article du 11 avril dernier contenait une phrase erronée. Explications." Le journaliste y expose que la citation contenue entre guillemets à la fin dudit article est erronée et indique sous forme de citations les considérations du Tribunal cantonal fribourgeois et du Tribunal fédéral. Il précise ensuite que "La Liberté" a refusé de publier un droit de réponse requis par le Mouvement.
C. Par demande du 11 avril 2006, le Mouvement raëlien, D.K.S et M.D. ont conclu à la constatation du caractère illicite des atteintes portées à leur personnalité par l'article paru le 11 avril 2005, à ce que le quotidien publie la constatation judiciaire de cette illicéité et au paiement à chaque demandeur de 5'000 fr. à titre de tort moral. Par jugement du 23 avril 2007, le Président du Tribunal civil de l'Est vaudois a débouté les demandeurs de leurs conclusions. Statuant sur appel des demandeurs, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a, par arrêt du 12 novembre 2007, confirmé le premier jugement.
D. Le Mouvement raëlien suisse, D.K.S et M.D. , forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt en reprenant les conclusions formulées devant la première instance. Considérant en droit:
1. L'arrêt entrepris est une décision finale prise par une autorité cantonale de dernière instance (
2. Le Mouvement raëlien dénonce des violations de son droit d'être entendu sous son aspect du droit à une décision motivée (
2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu
celui d'obtenir une décision motivée. Il suffit cependant que
l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée
et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que
l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et
l'attaquer en connaissance de cause (
2.2 Le recourant expose qu'il avait critiqué devant
la cour cantonale les faits retenus en première instance, en ce sens
qu'ils reflétaient de manière incomplète sa position sur le clonage et
l'eugénisme. S'il ne nie pas prôner le clonage et l'eugénisme, comme
l'a retenu le premier jugement, il était selon lui important de
préciser que c'est uniquement dans la mesure "où ils se rapportent au
seul progrès scientifique". La cour cantonale aurait passé sous silence
cette critique des faits, ce qui constituerait une violation du droit à
une décision motivée.
En l'espèce, la question à résoudre pour les juges
précédents était de savoir si le passage de l'article "l'engagement de
la secte pour le clonage, avec ses relents d'eugénisme, a défrayé
récemment la chronique" constituait une atteinte à la personnalité. Ils
devaient en premier lieu déterminer s'il était exact que le Mouvement
raëlien s'était engagé en faveur du clonage et ensuite, examiner si par
l'expression "relents d'eugénisme", l'opinion exprimée n'excède pas le
cadre de la critique admissible ou conteste à la personne concernée
tout honneur d'être humain ou personnel (cf. consid. 3 infra;
3. Devant l'instance fédérale, le Mouvement raëlien reprend sa critique des faits retenus au sujet de sa position sur l'eugénisme et le clonage.
3.1 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (
3.2 En l'espèce, il appartenait au recourant
d'indiquer où et quand il a allégué les faits qui n'ont pas été
constatés dans l'arrêt attaqué, en particulier quant à sa position sur
le clonage et l'eugénisme. Il ne précise pas davantage laquelle des
différentes hypothèses visées par l'
4. Les recourants voient dans l'article litigieux divers passages qui porteraient atteinte à leur personnalité.
L'
5. Le Mouvement raëlien est d'avis que le passage suivant de l'article porte atteinte à sa personnalité : "au centre des principes prônés par Raël, il y a la soumission sexuelle des disciples femmes".
5.1 La cour cantonale a en premier lieu relevé que cette affirmation constituait une appréciation subjective et qu'à ce titre, il suffisait qu'elle apparaisse soutenable au regard des faits auxquels elle se référait. Elle a approuvé l'opinion du premier juge, lequel a cité des passages du texte fondateur de l' "Ordre des Anges" de Raël, notamment sur "le voeu d'exclusivité sexuelle" que peuvent faire les Anges de Raël en faveur des Elohim et de leurs Prophètes, les Elohim étant les extraterrestres avec lesquels le Mouvement doit assurer les premiers contacts et établir des relations. Elle a mentionné que, selon ce texte, les Anges doivent être d'une "grande beauté". Il s'agit d'un des critères de sélection lié à l'objectif de Raël, qui est de "servir à temps complet les Elohim en veillant sur tous les plans à leur confort". Selon l'autorité précédente, au vu de ces éléments, il n'était pas exagéré de parler de "soumission sexuelle". Dans une motivation subsidiaire, elle a considéré que cette opinion était justifiée par un intérêt public prépondérant, en l'occurrence la mission d'information de la presse à l'égard du public. Plus précisément, selon les juges cantonaux, l'opinion en cause était nécessaire à l'appréciation correcte, par le lecteur, de l'événement relaté, soit l'organisation des cafés féminité. Le but de ces rencontres était en effet de promouvoir les valeurs féminines que sont "l'écoute, la compassion, la douceur", valeurs liées aux critères de choix des Anges de Raël. L'idée de ces rencontres était née lors d'une soirée réunissant des Anges sous la direction de D.K.S, elle-même responsable pour la Suisse des Anges, dont l'un des buts est de "diffuser les Messages mais en essayant de trouver de nouveau (sic) Anges en suscitant des vocations parmi les jeunes femmes qu'elles rencontreront dans la société". Ces éléments légitimaient la publication de l'opinion incriminée.
5.2
5.2.1 Dans la mesure où le recourant reproche aux juges précédents d'avoir constaté les faits de manière incomplète sur la question de la sexualité des Anges, plus précisément sur leur possibilité de faire un voeu d'exclusivité sexuelle, il n'y a pas lieu d'examiner son argumentation. Il se contente d'opposer sa propre version des faits sans expliquer de manière suffisamment motivée (cf. consid. 3.1 supra) en quoi il se justifiait de s'écarter des constatations cantonales.
5.2.2 Selon le recourant, l'opinion litigieuse porte atteinte à sa personnalité car elle est fondée sur des faits incomplets. Il reproche à la cour cantonale de n'avoir pas mentionné que le voeu d'exclusivité sexuelle prononcé par les disciples est librement consenti et révocable. Il estime que, dans ce cas, on ne peut parler de "soumission sexuelle" ce qui ne peut être compris par le lecteur moyen que comme une entrave au libre choix sexuel. En l'occurrence, sur la base des faits retenus par l'autorité cantonale, à savoir la possibilité de faire un voeu d'exclusivité sexuelle en faveur des Elohim et de leurs Prophètes, la grande importance du critère de la beauté pour adhérer à l'ordre des Anges dont le but est de "servir à temps complet les Elohim et leurs Prophètes", il n'était pas insoutenable de conclure que Raël prônait la soumission sexuelle de ses disciples. Cette formule rentre dans le cadre des opinions admissibles au vu des faits constatés et n'est pas inutilement blessante. Dans le langage courant, la soumission se définit comme la disposition à obéir, à se conformer (cf. dictionnaire Robert, éd. 2005). Contrairement à ce que prétend le recourant, elle n'implique pas nécessairement une contrainte imposée de l'extérieur mais peut résulter d'un libre choix.
5.3 Dans la mesure où le recourant reproche à la cour cantonale une violation de son droit à une décision motivée pour ne pas avoir examiné "les griefs soulevés", sans plus ample explication, sa critique, pour autant qu'elle soit recevable, est manifestement infondée. Le raisonnement de la cour cantonale a été exposé plus haut (cf. consid. 5.1 supra); il est parfaitement compréhensible et permettait à l'intéressé de l'attaquer en connaissance de cause.
6. Le Mouvement raëlien estime que l'article porte également atteinte à sa personnalité en ce sens qu'il le relie de manière faussée à la pédophilie et à l'inceste. Bien que le quotidien ait publié dans une édition ultérieure un rectificatif, le recourant estime que cette mesure n'a pas amoindri l'atteinte.
6.1 Selon les faits retenus, l'article du 11 avril 2005 rapporte que "La Liberté" avait refusé, en 1997, de publier un droit de réponse de la secte suite à un article qui affirmait que cette dernière prône théoriquement dans ses écrits la pédophilie et l'inceste. L'article de 2005 relève que, suite au recours des raëliens, le Tribunal cantonal fribourgeois, puis le Tribunal fédéral, avaient admis que la secte "promeut bel et bien la pédophilie et l'inceste dans ses écrits". Le journal a, dans une édition ultérieure du 4 mai 2005, expliqué que la citation précédente était erronée car les tribunaux n'avaient pas utilisé ces termes. En guise de rectificatif, il cite précisément les propos suivants tenus en 1998 par le Tribunal cantonal fribourgeois : « ...l'entreprise de médias a établi d'emblée et de manière convaincante que l'affirmation du journaliste selon laquelle la secte de Raël prône "théoriquement" dans ses écrits la pédophilie et l'inceste n'était pas mensongère ni diffamatoire». Toujours dans l'article rectificatif du 4 mai 2005, "La Liberté" a cité ce passage extrait de l'arrêt du Tribunal fédéral du 24 août 1998 : « Considérant que ces écrits, relatifs aux relations entre enfants et adultes, étaient pour le moins ambigus, voire sans détours licencieux, et que le Mouvement des raéliens ne s'en était jamais clairement distancié, l'autorité cantonale en a déduit que la réponse était manifestement inexacte. Cette argumentation n'apparaît pas contraire au droit fédéral : le recourant, qui se voit accusé de prôner "théoriquement" la pédophilie et l'inceste, ne peut à l'évidence affirmer dans sa réponse qu'il condamne formellement ces pratiques, dans la mesure où, pour rédiger son article, le journaliste s'est fondé sur des écrits qui émanent de son fondateur ou de ses membres et dont la teneur équivoque contredit cette affirmation ».
6.2 En l'occurrence, l'article du 11 avril 2005
relatait en effet des faits inexacts en tant qu'il exposait que les
juridictions cantonale et fédérale avaient admis que la secte promeut
la pédophilie et l'inceste dans ses écrits. Le Mouvement a ainsi été
atteint dans sa personnalité par cette affirmation. Cependant, dans le
rectificatif paru le 4 mai 2005, le rédacteur en chef de "La Liberté" a
reconnu l'erreur et l'a corrigée en citant les passages topiques des
arrêts. Dans ces conditions, il apparaît que le trouble créé
initialement a disparu, étant précisé que le seul fait que la source de
l'atteinte puisse encore être retrouvée n'est pas suffisant, sauf si la
diffusion continue, par exemple sur Internet. En l'espèce, il
n'apparaît nullement que le recourant soit encore menacé d'une
incertitude concernant ses droits qui entraverait sa liberté d'action
et lui soit insupportable (
6.3 Le recourant invoque à nouveau une violation de son droit d'être entendu (
7. D.K.S et M.D. voient une atteinte à leur personnalité au motif que l'article litigieux révèle leur religion et évoque leur vie sexuelle.
7.1 En l'occurrence, il est exact que l'article
mentionne l'appartenance des recourantes au Mouvement raëlien suisse.
Ces faits, dont l'exactitude n'est pas contestée, relèvent de la sphère
privée (ANDREAS MEILI, Commentaire bâlois, 3ème éd., 2006, n. 26 ad
7.2 En ce qui concerne l'évocation de leur vie
sexuelle, la cour cantonale a retenu que l'article décrivait comme
principe prôné par Raël la soumission sexuelle des disciples femmes.
L'autorité précédente n'a pas violé le droit fédéral en écartant le
grief des recourants. L'article reliait en effet de manière générale la
soumission sexuelle aux disciples femmes de Raël; les recourantes
n'étaient donc atteintes qu'indirectement, de par leur appartenance au
Mouvement. Or, seul celui qui subit ou a subi directement l'atteinte
peut agir en protection de la personnalité (MEILI, op. cit., n. 32 ad
8. En conclusion, le recours doit être rejeté dans la
mesure où il est recevable. Les frais judiciaires seront supportés par
les recourants, qui succombent (
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 26 novembre 2008 Au nom de la IIe Cour de droit civil du Tribunal fédéral suisse Le Président: La Greffière: Raselli Rey-Mermet