Allemagne

La Scientologie placée sous surveillance par les services de protection de la Constitution

(Source : BULLES, 1er trimestre 1993)
 
 
Voici une traduction résumée d'un article paru dans l'hebdomadaire allemand Der Spiegel consacré au rapport confidentiel établi par les services fédéraux allemands de protection de la Constitution sur les activités et les ambitions de la Scientologie. Celle-ci cherche à prendre pied dans les différents rouages de la politique et de l'économie allemandes mais son message n'est pas toujours bien reçu.

Les buts déstabilisateurs de cette secte pour la Constitution

Les "taupes" du service fédéral de protection de la constitution (BfV) situé à Cologne surveillent tous les groupes extrémistes, de A à Z. Récemment, elles se sont penchées sur un groupe qu'on ne peut ranger ni à droite ni à gauche et qui cependant poursuivrait des buts déstabilisateurs pour la Constitution : la multinationale "Eglise de Scientologie".

 Dans un rapport adressé au ministère de l'Intérieur (rapport classé confidentiel), le BfV parvient à la conclusion que la secte remplit les conditions requises pour être soumise à surveillance. L'expertise terminée en novembre doit être examinée sous peu par les ministres de l'Intérieur des länder. Il est probable qu'ils donneront leur accord pour une enquête. Dès le mois de mai, le ministre fédéral de la Justice et ceux des länder avaient demandé l'examen des méthodes et des buts de la secte. Ses faits et gestes ont effrayé les politiciens : c'est ainsi qu'une décision unique dans l'histoire des partis allemands a été prise au printemps à Dresde lors du congrès de la CDU, "l'appartenance à l'Eglise de Scientologie est jugée incompatible avec l'appartenance à la CDU". De même, le SPD (Social démocrate), à Hambourg, n'admet aucun scientologue dans ses sections locales.

  La secte la plus influente mais aussi la plus contestée

Que le service de la protection de la Constitution et spécialisé dans le contre-espionnage et la lutte contre les extrémistes s'engage aujourd'hui contre une secte constitue une nouveauté.

 L'Eglise de Scientologie est sûrement l'entreprise la plus contestée et la plus influente parmi les sectes qui prospèrent, même en Allemagne de l'est. Rien qu'en ex-Allemagne fédérale, ce groupe "racoleur d'âmes" comprend dix églises et trente missions. Le nombre d'adeptes allemands est estimé par les experts entre 20.000 et 200.000 et le chiffre d'affaires annuel de 15 millions à 1 milliard de marks.

 Camouflée sous des noms bien innocents d'organisations filiales, cette entreprise représentée dans plus de trente pays et dont le siège principal se trouve à Los Angeles essaie depuis quelque temps de prendre pied dans l'économie allemande (Cf. der Spiegel n° 14 - 1991).

 Selon le BfV, les scientologues gagnent dangereusement de l'influence également dans le monde politique. Les visées de la Scientologie seraient d'ailleurs dans une important mesure, et toujours selon le même rapport, d'ordre politique. L'organisation sectaire, toutefois, ne participe ni directement, ni indirectement aux élections et n'a pas de programme politique mais les membres de la secte orienteraient leur activité exclusivement dans l'esprit de la Scientologie, même dans la vie politique.

  Une idéologie aux principes résolument totalitaires

L'Eglise de Scientologie, disent les fonctionnaires du service secret, avec ses méthodes qui, selon elle, visent à la perfection de l'homme n'aboutit en fait à rien d'autre qu'à la destruction de la dignité humaine, dignité défendue par l'article 1 de la Constitution. Selon le BfV, la Scientologie ne peut pas reconnaître la souveraineté du peuple, le partage des pouvoirs, le principe de l'indépendance judiciaire ; elle ne peut pas accepter le principe d'un gouvernement responsable, ni finalement le principe de la majorité et du droit de l'opposition pas plus que l'égalité des chances des partis. Bien au contraire, elle a l'obligation de les supprimer car ses principes seraient incompatibles avec les prétentions à l'absolutisme de la Scientologie.

 La Scientologie ne connaît aucune structure interne démocratique. Les services de Cologne rejoignent pleinement dans leur interprétation le parquet de Munich qui, il y a quelques années, arrivait à la conclusion qu'avec la Scientologie, il s'agissait d'une "idéologie aux principes fondamentaux résolument totalitaires".

Un mélange confus de science-fiction et de pratiques psychanalytiques

Salut et guérison, telles sont les promesses contenues dans la doctrine du fondateur américain de la secte, mort en 1986, à partir d'un mélange confus de science-fiction et de pratiques psychanalytiques, le tout enrichi d'occultisme et d'un fatras d'alliances secrètes. Exemple : les auditing intensifs à l'aide de l'électromètre (détecteur de mensonges) en vue d'une clarification de l'adepte et de son ascension vers l'état de "Thétan Opérant" qui protège contre les radiations cosmiques et toutes sortes de maladie.

 Pour le BfV, l'utilisation du détecteur de mensonges ainsi que les pratiques de lavage de cerveau montrent que la Scientologie nie dans ses principes la dignité de l'homme. Les enquêteurs fondent leur jugement sur le témoignage d'un ex-scientologue, Norbert Potthoff qui, jusqu'en 1978, fut l'attaché de presse et l'un des dirigeants de la Scientologie de Düsseldorf. Pour Potthof, le véritable danger vient de ces esprits troublés qui lisent la littérature Hubbard et qui l'appliquent mot à mot.

  Une "Eglise" qui n'a rien à voir avec une religion

Même le nom de la Scientologie est d'une ambiguïté voulue. En effet, elle se nomme "église" mais n'a rien à voir avec une religion, souligne le BfV. Elle ne reconnaît ni un Dieu ni plusieurs dieux. Ceci a son importance car l'article 4 de la Constitution protège expressément les communautés religieuses de toute enquête de la part de l'Etat.

 Le rapport du BfV concède tout au plus à la secte les caractéristiques d'une "communauté idéologique". On peut bien sûr mettre sous surveillance de telles organisations mais selon l'article 140 de la Constitution, elles sont largement à l'abri d'une interdiction.

 L'enquête menée par le BfV sur les scientologues pourrait dégénérer en une guerre des "taupes" car la Scientologie dispose elle aussi depuis longtemps d'un service de renseignements qui, chez ses adversaires, sait déceler leur points faibles.



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