( Source : Bulles n°73, premier trimestre 2002 par
Christophe Psychologue clinicien )
Introduction
Définition du sorcier
Approche ethnologique
L'envoûteur
Le désenvoûteur
Conclusion
La quête de l'irrationnel
L'ADFI reçoit plusieurs fois par semaine des appels de personnes qui
se disent ensorcelées ou envoûtées, soit par un sorcier,
un médium, un thérapeute, soit par les sectes dont elles s'imaginent
"attaquées" du fait de leur trahison, ou qui pratiquent effectivement
des rituels diaboliques (voir Bulles n° 70). Pour
un psychologue clinicien, ces nombreux cas posent question.
L'adhésion à de telles croyances est tellement forte chez ces
"victimes" qu'il a paru nécessaire de décrire objectivement
les processus sorciers afin de prendre une certaine distance face à ce
sujet. La sorcellerie tire en effet son efficacité de la fascination
irrationnelle qu'elle exerce. S'informer sur ce thème représente
donc la première arme pour lutter contre cette fascination. Cela permet
de démystifier et donc de se dégager des croyances magiques qui
font tomber certaines personnes dans l'engrenage de la sorcellerie.
Le thème de la sorcellerie peut paraître étranger à celui des sectes. Pourtant, certaines doctrines de celles-ci font appel à la magie et à la sorcellerie. D'ailleurs, le discours des adeptes ou des sortants de sectes y fait souvent référence. Ces discours qui font état de phénomènes d'envoûtement ne sontils pas une métaphore pour signifier l'emprise du gourou et de sa doctrine ? Les victimes d'envoûtement s'adressent à l'ADFI dans l'espoir de trouver dans l'association un moyen (souvent magique !) pour se dégager de leur envoûtement. Cela signifie que la frontière entre phénomène sorcier et phénomène sectaire demeure floue pour ce public.
Le sorcier, envoûteur ou désenvoûteur, ne doit pas être
confondu avec d'autres personnages aux pouvoirs magiques tels
- Le sourcier et le radiesthésiste : à l'aide d'une baguette
de bois pour le premier et d'un pendule pour le second, ils sont capables de
détecter les sources d'eau, de retrouver des objets perdus ou des personnes
disparues.
1 Cet article amènera à se pencher sur la notion de victime ; le terme sera employé ici dans le sens commun comme "une personne qui souffre de l'hostilité de quelqu'un, de ses propres agissements, des événements." (Petit Larousse, 1991). Mais la question se posera de savoir si la victime est victime d'un autre, personne ou événement, un autre extérieur à elle, ou victime de son propre fonctionnement psychique.
- Le voyant et le médium : le premier est capable de lire l'avenir, le présent ou le passé tandis que le second rentre en contact avec des entités spirituelles, défunts ou esprits. On peut les qualifier de "passifs" puisque ce ne sont que des "récepteurs" de l'au-delà.
- Le guérisseur ou le magnétiseur : ils lèvent les maux généralement somatiques par des passes magnétiques et autres procédés.
Le sorcier, ou jeteur de sorts, est un personnage "actif' (contrairement
aux voyants et médiums) puisqu'il a (ou prétend avoir) le pouvoir
d'agir de manière magique sur son environnement qu'il soit humain, animal
ou végétal mais également sur les machines (détraquer
une voiture par exemple). On distingue différents types de sorciers :
certains pratiquent la magie noire (pour propager le "mal")
et d'autres la magie blanche (pour répandre le "bien"
ou annuler les maléfices créés par les jeteurs de sorts).
Une troisième catégorie de sorciers emploie les deux types de
magie, pratiquant indifféremment l'envoûtement et le désenvoûtement
selon la demande de leurs clients.
Pour finir, la confusion entre envoûtement et possession est récurrente
dans le public. Dans le sens strict, la possession désigne l'état
dans lequel une .personne physique est habitée - possédée
- par une entité spirituelle, et non "manipulée"
au moyen de procédés magiques par une autre personne physique,
comme c'est le cas dans la sorcellerie.
Cette approche ethnologique de la sorcellerie se veut objective tout en restant
purement descriptive. Dans cet esprit, aucun point de vue (forcément
subjectif) ne sera posé sur son efficacité potentielle. Elle concerne
la sorcellerie en France telle qu'elle se pratiquerait encore dans nos campagnes
ou nos villes.
Les acteurs de la sorcellerie
La sorcellerie peut être définie comme l'ensemble de processus
interrelationnels - dont le mode est magique et l'origine conflictuelle - entre
différents acteurs. Au premier rang, se trouve le client qui demande
et paie un service, opéré par le sorcier ou l'envoûteur,
le deuxième acteur. Le troisième acteur, la victime, ignore généralement
tout des procédés sorciers et risque donc de faire appel à
un quatrième acteur, sorcier également, le désenvoûteur.
S'ensuit alors un combat magique et invisible entre les deux sorciers. A cela
peut s'ajouter d'autres acteurs secondaires, l'entourage de la victime.
Acteurs, ils le sont d'autant plus que ce sont eux qui posent le "diagnostic"
de sorcellerie pour donner sens à la série de malheurs qui oppriment
la victime.
Le client et sa demande
Le client est à l'origine du recours sorcier, c'est par lui que le processus
est lancé. Les motifs de sa demande sont très divers, mais on
retrouve généralement des jalousies, des envies, de la haine,
un amour blessé, etc. En un mot, c'est une souffrance psychique qui est
à l'origine du recours sorcier. Cette souffrance masque peu ou prou un
conflit avec la victime ; ce rapport conflictuel entre les deux partis demeure
bien souvent chargé de non dits, il peut même ne pas être
extériorisé ou exprimé, du moins en mots. C'est la raison
pour laquelle repérer la personne qui est à l'origine du malheur
sorcier n'est pas chose facile pour le désenvoûteur. Le recours
sorcier est à l'image de la nature du conflit : sourd et pernicieux.
C'est parce que le conflit est de cette nature que le client emploie la sorcellerie
pour l'exprimer.
Pour mener à bien sa tâche, le jeteur de sorts emploie différents
procédés selon ce qu'on lui a enseigné et transmis : des
procédés naturels, voire chimiques (des poisons naturels introduits
dans la nourriture), mais aussi des procédés surnaturels dans
lesquels peuvent intervenir les forces maléfiques qu'il a mises à
son service. S'ensuit l'usage d'une foule d'objets, parmi ceux des plus connus,
les dagydes, ces figurines de cire ou de plâtre (représentants
de la victime) que le sorcier encloue ou noue (pour étrangler). En effet,
pour le magicien, macrocosme et microcosme, le tout et la partie, sont en rapport
étroit, une action sur l'un aura donc des effets sur l'autre par le principe
de contagion. L'action sur la représentation de la personne (photographie
ou dagyde) aura ainsi des répercussions sur la personne représentée.
Le travail de l'envoûteur s'effectue soit directement sur la personne
visée (par une poignée de main ou un regard maléfique),
soit sur le lieu où vit la victime (des clous sous son lit, un cceur
de bceuf encloué sur un arbre dans la propriété de la victime),
soit depuis le domicile du sorcier "à distance" (d'où
l'emploi des dagydes).
Le monde magique du sorcier est régi par des lois strictes, si bien
que toute son activité est amplement codifiée. Le travail sorcier
s'effectue à des heures et des dates précises, chargées
symboliquement (par exemple la nuit, ou le jour de la fête des morts)
; aucune de ses paroles n'est fortuite car chargée de sens, même
si elles demeurent incompréhensibles au profane.
La victime
Etant généralement totalement étrangère aux pratiques
sorcières mais connaissant leur existence(si elles sont inscrites dans
sa culture), la victime passe par différentes phases. La première
phase se caractérise par la constatation d'une série de malheurs
( Ce sont des malheurs en série qui soulèvent l'hypothèse
de la sorcellerie et non un malheur isolé) qui l'accablent, malheurs
inquiétants par leur fréquence et par leur nature. S'ensuit une
deuxième phase de recherche d'explication et d'identification de la source
des problèmes.
Face à cette inquiétante étrangeté (selon l'expression
de S. Freud), le hasard est rapidement mis à l'écart. La victime
consulte alors divers spécialistes, mais devant leur perplexité
ou leur inefficacité, l'hypothèse d'actes de sorcellerie surgit
dans les esprits (de la victime et de l'entourage). L'avance d'une telle hypothèse
dépend bien évidemment de la manière dont les actes sorciers
sont inscrits dans la culture du sujet (degré de croyance) et l'importance
qu'il y accorde ; c'est la raison pour laquelle on parle plus facilement de
sorcellerie en milieu rural. Mais il faut savoir que les citadins ont également
recours à ce genre d'interprétation. Une fois encore, tout dépend
de l'adhésion à ce type de croyances. Il est vrai que le phénomène
sorcier proprement dit se fait de plus en plus discret, les représentations
devenant de plus en plus rationnelles.
Une fois l'hypothèse d'attaque sorcière mise en avant, la victime fait appel au désenvoûteur. Elle se doit de suivre alors les prescriptions de celui-ci et de respecter les pratiques de désenvoûtement pour aborder la troisième phase, la défense. Pour que ce travail défensif puisse s'effectuer, le sorcier tentera avec la victime d'identifier l'origine de l'attaque, autrement dit d'identifier (nommer) l'envoûteur et le client afin de comprendre également la raison de cette attaque sorcière.
Sorcier également, il mettra tout en oeuvre pour sauver la victime,
son client. Son travail se découpe en quatre temps. Premièrement,
repérer les maléfices, ceci pour vérifier l'hypothèse
de l'envoûtement mais aussi pour échafauder une stratégie
défensive adéquate. Deuxièmement, assainir, en brûlant
ou en enterrant les objets maléfiques, ou encore en aspergeant d'eau
bénite les objets ou personnes envoûtés. Troisièmement,
mettre hors de portée les victimes par le biais d'amulettes et de talismans.
Enfin, identifier l'attaquant au regard des soupçons de la victime, tout
en s'appuyant sur des méthodes de divination. Le désenvoûteur
procède à une cinquième étape si ce premier travail
ne suffit pas (si l'envoûteur ne cède pas) en attaquant à
son tour l'envoûteur.
Le combat magique entre les deux sorciers est très dangereux selon leurs
dires. Le désenvoûteur veille donc à se protéger.
A cet effet, il respecte lui aussi des règles précises qu'on lui
a transmises : il doit porter par exemple une tenue particulière, opérer
à certaines heures, etc.
Trois cas de figure
Il est important de distinguer trois cas de figure. L'attaque sorcière
est réelle, un client fait effectivement appel à un sorcier pour
jeter un sort à une personne. Ce premier cas est très souvent
invérifiable, le client se faisant, on le comprend aisément, particulièrement
discret, d'où le recours au magique.
Deuxième cas, l'attaque sorcière n'a jamais été
demandée, c'est alors la victime qui se crée cette idée.
Ce cas de figure se trouve dans bon nombre de pathologies mentales (psychoses)
; les symptômes de certaines pathologies, par leur étrangeté
(hallucinations, automatisme mental), sont similaires aux signes d'envoûtement
ou de possession. Cependant, le diagnostic de pathologie mentale ne doit pas
être posé hâtivement.
En effet, troisième cas, autre qu'un délire pathologique, le
délire du sujet peut être un délire de croyance, c'est-à-dire
que le discours que le sujet tient sur l'origine de ses troubles, correspond
aux croyances de sa culture. Pour prendre un exemple exotique, les voyages chamaniques
(vol d'âme) ne peuvent être considérés comme délires
pathologiques dans leur contexte culturel (Amérique du Nord, Inde, etc.),
mais peuvent le paraître chez un Européen.
En France, les croyances en la sorcellerie perdurent encore, même si
elles deviennent plus scientifiques et rationnelles. On constate aussi que ces
croyances fluctuent en fonction des disparités régionales. C'est
pourquoi tout diagnostic doit être pensé au regard de la croyance
du sujet et surtout au vu de son contexte culturel et géographique. On
peut même aller plus loin et penser que la sorcellerie "marche"
seulement si la victime adhère à de telles croyances comme les
anthropologues l'affirment. Si tel est le cas, la "victime" ne serait-elle
pas victime d'elle-même, victime de ses croyances au magique ?
Au final, on constate que, derrière une apparence de magie, la sorcellerie
concerne davantage le champ des croyances et des pensées. Et cela, les
sectes l'ont bien compris. Car ne nous y trompons pas : la sorcellerie est un
marché. De nombreux "guérisseurs", "marabouts"
et sectes utilisent le thème de la sorcellerie pour induire des angoisses
chez leurs futures victimes. Ces angoisses prennent naissance dans les failles
de la personnalité de ces personnes et sont exploitées par le
gourou qui prétend ensuite détenir le remède.
Conseils aux proches de personnes qui se disent envoûtées ou possédées
Il faut savoir que la "souffrance psychique" ou la pathologie
mentale peut s'exprimer de telle manière que ses symptômes ressemblent
aux symptômes de l'envoûtement. En effet, le sujet, souffrant psychiquement
peut entendre des voix intérieures (qui le commandent, qui l'injurient,
etc.) ; il peut avoir l'impression qu'une autre personne le possède.
La souffrance psychique peut entraîner des désordres mentaux,
perturber les fonctions mentales au point que le sujet se sent étranger
à lui-même et soit persuadé d'être manipulé
de l'intérieur. C'est la raison pour laquelle ces personnes se disent
envoûtées, mais leur problème est autre.
Des explications autres que magiques donnent sens à des comportements
étranges. Dans cette optique, consulter un médecin, un psychiatre
ou un psychologue apparaît alors être une démarche plus appropriée
que d'aller voir un guérisseur ou un désenvoûteur.
Jean Vemette, secrétaire national du service "Pastorale, sectes
et nouvelles croyances" s'interroge sur l'engouement actuel pour l'irrationnel
et le para-normal, (La Croix l'Evènement, 13/09/2001)
Toute une "microculture" se développe ainsi, qui va
de la "quête du sens, de la vie et de la mort, de l'origine et
de la fin, de la santé et du salut" aux expériences de
spiritisme ou même jusque "aux-portes-de-la-mort". Le
médium ou le devin sont consultés, mais aussi les guérisseurs.
Et plus de la moitié des français s'adressent aux praticiens de
médecines parallèles.
L'auteur émet plusieurs hypothèses afin de tenter d'expliquer
cette attirance pour l'irrationnel "à l'ère du rationalisme
triomphant" : un phénomène de mode, une revendication
"de mystère et de sacré", une vision du monde
plus symbolique ? Cette montée en puissance signe même, aux yeux
de certains, un appel à une sorte de "réenchantement"
du monde.
C'est ainsi que 50.000 personnes en France consultent les voyants et que le
marché de la divination s'élève à 3,20 milliards
d'euros (21 milliards de F.) ! Les exorcistes de l'Eglise catholique sont eux
aussi débordés, et les anges, présents dans "la
nébuleuse du Nouvel Âge", se retrouvent désormais
partout. De son côté, l'astrologie continue à se développer
et des revues spécialisées dans l'ésotérisme mais
aussi la magie et le satanisme se lisent dans tous les milieux. "En
ces temps de crise et de panique, on se tourne vers le mage, le devin ou vers
le gourou". Sur ce dernier point, Jean Veinette écrit que ces
pratiques entraînent la méfiance de "l'autorité
publique [qui] les soupçonne d'être le terreau sur lequel poussent
des sectes criminogènes".
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