(Source :Extrait de : Les sectes, Alain Vivien, éditions Odile Jacob, septembre 2003)
Il
semble que le Japon souhaite distinguer trois niveaux parmi les mouvements qui
s'autoproclament religieux, afin d'éviter tout amalgame.
Le
premier cercle pourrait comprendre les Églises traditionnelles et les nouveaux
mouvements bouddhistes nés au XXe siècle. Figureraient ainsi dans
ce premier ensemble aussi bien les cultes autochtones ou étrangers connus
que des mouvements néobouddhistes relativement récents comme la
Rissho Koseikai mais aussi la Soka Gakkaï, elle-même dissidence dans
les années 1990 de l'antique Nishiren Shoshu. Ces cultes ne seraient pas
considérés comme des sectes, au sens européen du terme.
En
revanche, seraient qualifiés de sectaires des mouvements nés pour
la plupart après la Seconde Guerre mondiale et dont le comportement agressif
présente un caractère nettement liberticide et dangereux pour l'équilibre
social. La secte AUM en serait en quelque sorte le prototype.
Enfin, un troisième
ensemble regrouperait des mouvements exogènes pouvant manifester des comportements
incompatibles avec les normes du droit japonais. Parmi eux, aussi bien des sectes
nord-américaines venues dans les fourgons du " grand allié
" que des mouvements d'origine asiatique, tel l'AUCM mooniste. De fait, les
méthodes de recrutement de cette dernière ont d'ores et déjà
fait l'objet d'un jugement par un tribunal de district, qui les a réputées
illégales.
Ce point de vue officiel n'est pas entièrement
partagé par les associations japonaises de défense des victimes
du sectarisme, ni par certains avocats qui estiment insuffisante la vigilance
des pouvoirs publics. Est ainsi mise en cause la scientologie dont la fortune
récente suscite une constante inquiétude tandis que des juristes
relèvent avec regret que les affaires d'escroquerie qui pouvaient être
imputées à cette secte ont fait l'objet, à son initiative,
de procédures amiables afin d'éviter tout procès public.
Cependant d'autres sectes ont fait l'objet de poursuites, généralement
pour escroquerie, telles que les japonaises Honohana et Taido, et certains mouvements
étrangers comme Life space ou Mahikari.
Une des singularités
de la situation japonaise est l'étroite liaison qui existe entre le domaine
politique et certains mouvements néobouddhistes. La plupart de ces derniers
n'hésitent pas à apporter leur soutien, lors des consultations électorales,
à des candidats qui partagent leurs convictions philosophico-religieuses
ou qui combattent des mouvements auxquels ils sont opposés.
La
Rissoho Koseikai (3 millions d'adeptes et 239 temples) a soutenu lors des dernières
élections à la Diète des candidats du Parti libéral
démocrate (droite gouvernementale) ainsi que d'autres candidatures appartenant
à l'opposition, à l'exception toutefois de celles du Parti communiste1
et du Komei. La Reiyukai, de son côté, ne cache nullement qu'elle
a soutenu la carrière politique de nombreuses personnalités, de
Nakasone à Mori. Lors des élections sénatoriales de l'été
2000, la Reiyukai a décidé pour la première fois de ne soutenir
que des candidats PLD. Il semble que cette orientation en faveur presque exclusive
de la droite gouvernementale soit le fruit de débats internes à
ces mouvements mais aussi de consultations entre l'ensemble des mouvements néobouddhistes
fédérés entre eux (seule, la Soka Gakkaï semble tenue
à l'écart).
Cette dernière, en effet, a choisi
de créer son propre parti, le Komei, qui participe actuellement à
la coalition gouvernementale. Cette situation exceptionnelle ne semble pas faire
l'unanimité. De fait, la Soka Gakkaï qui rassemble ou influence environ
10 % de la population japonaise dispose d'un immense patrimoine constitué,
selon elle, essentiellement par des dons et le bénéfice d'activités
industrielles. Connue pour son actif prosélytisme, la Soka Gakkaï
apparaît aujourd'hui comme une force ambiguë, religieuse et laïque
par certains aspects, politique et économique par d'autres. Cette posture
originale n'est pas ignorée des autorités publiques nippones, ni
des nations étrangères où elle semble développer un
prosélytisme d'intensité variable, bien que ses leaders se défendent
souvent de viser des objectifs extérieurs au Japon.
A l'évidence,
la Soka Gakkaï manifeste en Occident une activité discrète
mais sans commune mesure avec le modeste prosélytisme des autres mouvements
néobouddhistes. Pour ne prendre qu'un exemple, la Reiykai ne regrouperait
en France qu'environ 500 adeptes, pour la plupart dans la région nantaise.
De même, la Rissoho Koseikai n'est guère connue en Europe que par
des initiatives religieuses de type cuménique telles que la Conférence
mondiale sur la religion et la paix réunie en 1994 au Vatican. Ailleurs,
la Rissoho finance un certain nombre de " projets pour la paix " et
semble ne disposer d'assises stables qu'en Suisse et aux États-Unis. La
Soka Gakkaï, en revanche, a suscité des inquiétudes dans les
années 1980. Il est vrai que certaines proclamations rendues publiques
en 1987 pouvaient laisser rêveur: "Nous sommes le soleil du Japon et
l'espoir du monde. Tous les peuples du monde doivent être amenés
à croire à la vraie religion. Nous personnifions le vrai bouddhisme.
Le christianisme est une affaire de snobs qui aiment le tweed anglais, les films
français et le whisky américain2. " En France, son comportement
a fait l'objet en décembre 1982 d'une rude intervention du président
de l'Association des bouddhistes de France adressée à son président,
Ikéda, sous le double reproche d'infiltration des réseaux économiques,
scientifiques et culturels, et de pacifisme d'inspiration prosoviétique.
De telles accusations ne pouvaient qu'attirer l'attention des services de sécurité.
De même, le patronage au Japon d'une exposition consacrée à
Napoléon ou l'achat d'une des (nombreuses) maisons habitées par
Victor Hugo en Ile-de-France donnent l'impression persistante d'une volonté
d'entrisme, par la voie culturelle cette fois, comme le subventionnement d'une
association proche de la présidence de la République a pu naguère
prêter à caution humanitaire.
Mais en dehors de la vigilance
nécessaire pour assurer la sécurité des institutions de recherche,
vigilance qui s'impose à l'égard de n'importe quel mouvement d'origine
étrangère, la Soka Gakkaï semble ne faire qu'assez peu parler
d'elle. Que son président nippon cherche les voies et moyens d'obtenir
un prix Nobel n'intéresse que médiocrement la France qui veille
cependant à ce que le prosélytisme de ce mouvement ne s'exerce pas
de manière indirecte, notamment lorsqu'une association américaine
liée à ce mouvement tenta vainement, en une occasion, de pénétrer
le milieu scolaire d'un département français des Antilles.
Sur
la suggestion de la Mission, un dispositif de contact a été proposé,
afin de prévenir, autant que faire se peut, les malentendus possibles et,
le cas échéant, étudier en toute clarté les différends
susceptibles de détériorer les relations dans le domaine d'un sectarisme
que toutes les autorités japonaises déclarent hautement condamner.
1. Seule formation politique à mener campagne contre
l'influence politico-religieuse des sectes
2. Soka Gakkaï, Troisième
civilisation, mars 1987.
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