(Source : Bulletin de liaison du CCMM,
avril 1993)
Aucun d'entre nous ne sous-estime le rôle de la sexualité
dans la vie, et c'est bien parce qu'elles en connaissent le poids déterminant
que les sectes ont chacune à leur façon, codifié le
comportement sexuel de leurs adeptes. Le Docteur Widlöcher, Professeur
à l'Université Pierre et Marie Curie, que nous remercions
ici pour sa collaboration, nous explique dans son article qu'une partie
de la "sexualité nécessairement refoulée cherchera
d'autres issues comme l'idéalisation ou la sublimation", ce qui
est normal, mais que "cette tendance naturelle pourra prendre parfois des
formes extérieures dont le fanatisme..."
Moon, Moïse David et les autres ne l'ignorent pas.
Et que dire de "l'érotisation de l'image" sans voir
défiler toute la galerie des Gourous ?
Souligner l'importance de la sexualité dans le champ de l'expérience
humaine risque de paraître d'une grande banalité. Ce le serait,
en effet, si on envisageait la sexualité sous son seul aspect biologique.
Mais ce qui lui confère un rôle si particulier tient
aux dimensions psychologiques et social que revêt cette fonction.
Notons d'abord, comme nous l'a montré la psychanalyse, que la sexualité
ne surgit pas ex-nihilo à la puberté. Très tôt,
l'enfant a ressenti des émois qui vont trouver une réactivation
avec l'éclosion pubertaire.
L'attachement de l'enfant à ses parents, et plus particulièrement
à celui du sexe opposé, popularisé sous le terme de
complexe d'0edipe, n'est pas sans interférer avec l'éveil
sexuel biologique, on peut certes discuter la nature de cette "sexualité
infantile" (biologique et culturelle), mais on ne peut nier, depuis Freud,
sa réalité et son importance. C'est probablement une des
raisons pour lesquelles la sexualité va revêtir dans l'espèce
humaine une dimension conflictuelle. Conflit entre différentes formes
d'aspirations sexuelles, ou plus généralement conflit entre
le désir sexuel et les répressions d'origine sociale. Une
partie de la sexualité se trouvera ainsi refoulée nécessairement
et cherchera d'autres issues, comme l'idéalisation ou la sublimation.
Cette tendance naturelle pourra prendre parfois des formes extrêmes
dont le fanatisme, le dogmatisme ou le retrait narcissique constituent
des expressions.
Plus généralement, il faut tenir compte aussi du
fait que la sexualité humaine s'exprime dans de nombreuses relations
et dans de nombreuses conduites qui n'ont qu'un lointain rapport avec la
fonction de reproduction. Toute une érotisation des situations sociales
s'observe, plus ou moins marquée, allant de l'érotisation
de l'image sous toutes ses formes à la simple et normale coquetterie.
Cette dimension psychologique et sociale donne à la sexualité
humaine une telle complexité qu'on comprend les difficultés
que peuvent rencontrer adolescents ou adolescentes devant l'éveil
pubertaire.
Le sexe dans les sectes
Les mots " sexe ", " sexualité ", " amour ", sont utilisés
dans leur acception la plus large. Les mots " relations " ou " rapports
sexuels " sont pris dans leur sens restreint d'accomplissement de l'acte
sexuel.
L'attirance par la séduction
Des moyens naturels ou artificiels de séduction sont mis en oeuvre
par las recruteurs dès les premiers contacts. L'attrait physique
joue fréquemment. L'exemple typique est celui de La
Famille (ex-Enfants de Dieu) ; les filles choisies pour le "flirty-fishing"
devaient dévoiler leurs charmes pour draguer les hommes :
" N'ayez pas peur de porter des robes courtes avec des décolletés
très profonds même jusqu'à la taille ou au nombril
! Pas de soutien-gorge, des chemisiers transparents ! Montrez tout ce que
vous avez. C'est ça l'appât ".
(art. 32 et 36, Manuel du Flirty-Fisheur)
Le fondateur Moïse David estime que le regard doit être,
lui aussi, charge de sensualité suggestive :
" L'oeil est plus rapide que la langue ou la main ! Donne-leur le regard
d'amour, et l'amour et la vie pour un regard ".
(art.55 , Regard d'Amour)
Ces consignes - et d'autres très précises, à respecter
avant, pendant et après les rapports sexuels - sont toujours en
vigueur dans la secte, qui perdure semi-clandestinement en France, et sévit
ouvertement ailleurs.
Elle n'a pas l'exclusivité de l'utilisation de la séduction
physique, loin s'en faut. Dans la secte Moon, il
est recommandé de "donner au visage, particulièrement au
regard, à la bouche une expression qui fasse impression" et demandé
aux jeunes filles de faire valoir leur féminité pour recruter
des garçons :
" Au début, si vous faites un beau sourire et dites 'Vous n'aimeriez
pas venir avec moi écouter une conférence ? ', beaucoup de
jeunes hommes viendront, non à cause de la conférence, mais
à cause de vous parce que vous êtes une femme et qu'il est
un homme ".
(Training de 120 jours, Barrytown, 1975)
Cette technique de racolage, appelée " love-bombing " - bombardement
d'amour - est susceptible d'éveiller l'instinct sexuel de la personne
abordée.
Le pouvoir de séduction du " maître " s'exerce en second lieu,
quand celui-ci est vivant bien entendu. Dans sa première approche,
le recruteur ne parle pas de maître n'en prononce même pas
le nom. Un portrait des plus plaisants en sera fait à la recrue
quand le conditionnement aura eu suffisamment prise sur elle. L'adepte
en arrive à se persuader que le maître est digne d'admiration
et d'amour. Subjugué, il est animé d'un intense désir
de lui plaire et de se faire remarquer par lui.
Par exemple, les adeptes féminines du guru Mahahaj Ji vont
dans les " Festivals de la Connaissance " pour voir et toucher celui qui
se prétend être " le seul amoureux que l'on ait et le seul
amoureux que l'on veuille ". Celles du guru Bhagwan Shree Rajneesh voyaient
en lui l'incarnation de l'amour et chantaient à l'unisson lorsqu'il
apparaissait : "Extase ! Quand je vois ton visage. Extase ! Quand je regarde
tes yeux, Extase !"
Les désirs manifestés par ses " groupies " ne laissent
pas indifférents certains maîtres - sexualité oblige
!
Le contrôle de la sexualité
A l'intérieur de nombreuses sectes, la sexualité de l'adepte
ne peut s'exprimer en toute liberté et donner lieu à une
vie sexuelle épanouie. La raison en est simple: chacune de ces sectes
a sa position et ses directives sur le problème sexuel. L'adepte
doit se conformer aux normes fixées par l'idéologie, sous
peine de mise à l'écart, de culpabilisation, ou même
d'exclusion.
Les options vont de l'interdiction de l'activité sexuelle
à son obligation sans restrictions.
Chez Moon, pas de relations sexuelles avant le mariage: elles empêcherait
d'atteindre la perfection individuelle ! Idem après le mariage -
décidé et célébré par Moon - jusqu'à
ce que le couple soit devenu parfait et digne de procréer ! Sitôt
mariés, sitôt séparés. Pas question d'une nuit
de noces.
" J'ai donné l'ordre à tous les couples bénis
de quitter leurs familles. Le meilleur moyen pour les femmes de vaincre
la tentation était de considérer leurs maris comme des ennemis.
En pensant ainsi, il ne leur serait pas douloureux de les quitter ".
(discours de Moon, World Mission Center New-York, 1.01.1980)
L'amour dans le couple doit être tout autant limité et relativisé,
puisque :
"L'épouse aime Père (=Moon) comme époux. Vous
devez établir la condition d'aimer Père plus que votre mari
".
(Ken Sudo, Training de 120 jours à Barrrytown, New York,
1975)
Pour les Brahma Kumaris, continence sexuelle de rigueur, pour devenir pur
:
" Observer Brahmacharya, le célibat. Shiv Baba dit : Mes doux
enfants, le pouvoir de l'abstinence purifie votre intellect (...) Essayer
d'observer la pureté en pensée, en paroles, en actions (3ème
principe de vie des joyaux de la famille Brahmine). La luxure qu'engendre
le sexe est le plus grand ennemi, qu'il faut absolument conquérir.
C'est pourquoi Baba dit : les enfants conquérez la luxure et vous
deviendrez les conquérants du monde, c'est à dire que vous
deviendrez les maîtres du Nouveau Monde".
(Sakar Murdi, 7.0l.1986).
Sexualité débridée
Dans les groupes à vocation psycho-libératoire par la transgression
des prescriptions morales et sociales ordinaires, tels que : Mouvement
raëlien, Kommune d'Otto Mühl, Ecoovie,
Mouvement Néo-Sannyas de Rajneesh.
Claude Vorilhon, alias Raël, fondateur du mouvement Raëlien,
est tout à fait explicite: " Si tu as envie d'avoir une expérience
sensuelle ou sexuelle avec un ou plusieurs individus quel que soit leur
sexe, dans la mesure où ce ou ces individus sont d'accord, tu peux
agir selon tes envies ".
(Les extra-terrestres m'ont emmené sur leur planète,
1986)
Otto Mühl exige la " libre sexualité en commun " ..." reconnue
comme étant un besoin fondamental de l'homme ". Le groupe n'étant
plus divisé en couples isolés, forme une unité qui
procure à chacun sécurité et satisfaction de ses besoins
sexuels (2ème principe de vie).
Pour Rajneesh, " l'amour de Dieu est une bonne chose, l'amour libre est
meilleur encore. Assumer sa sexualité élève la spiritualité
(...) Le sexe n'est qu'une introduction à la Vie Eternelle, mais
si vous manquez l'entrée, vous manquez également l'arrivée
".
Dans ces groupes, et d'autres similaires, peuvent être acceptés
et/ou provoqués les débordements de perversions sexuelles,
pourvu qu'ils satisfassent les désirs et fantasmes du Maître
et de ses acolytes. Raël dit que " tout est permis dans la voie de
l'épanouissement, de l'ouverture de son corps, donc de son esprit
". Otto Mühl organise la rotation des liaisons sexuelles, les femmes
devant copuler avec des partenaires successifs, jour après jour,
parfois en présence de leurs enfants.
Dans les ashrams de Rajneesh, l'une des séances " Thérapeutiques
" pratiquées consistait, pour les adeptes féminines, à
avoir des relations sexuelles variées et multiples.
La sexualité forcée trouve son expression extrême
dans deux sectes : Le Temple du Peuple, du révérend Jim Jones
- décimée en 1978, au Guyana - et la Famille d'Amour du prophète
Moïse David. Jim Jones imposait des relations sexuelles aux hommes
et aux femmes de son choix ; les refus étaient sanctionnés
par la flagellation et autres sévices, le viol s'ensuivait. Moïse-David,
qui demandait aux maris de prostituer leur femme, trouvait normal que les
filles puissent être dressées sexuellement :
" Vous pouvez aussi vous attendre à être violée
de temps en temps (...) C'est pourquoi ma suggestion serait que vous ne
résistiez pas mais vous soumettiez gentiment "
(Art. 266, manuel du Flirty Fisheur).
Détournement de la sexualité
Quelles que soient les formes de sexualité préconisées
dans les sectes, les apports physiques sont systématiquement isolés
de l'attachement affectif entre partenaires. La stratégie sectaire
ne peut laisser s'installer le moindre attachement affectif autre que celui
qui doit lier l'adepte a son maître.
Moon considère que l'acte sexuel
est un " donner-prendre " illicite (donner-prendre relation qui régit
les rapports entre hommes et femmes). Adam et Eve sont tombés dans
une relation illicite d'amour spirituel, Moon est intervenu pour la signification
licite de la relation entre hommes et femmes, régie par le rapport
dévotionnel qui lui revient de droit.
0.M. Aïvanov, fondateur de la FBU,
indique pourquoi les humains continuent à " patauger dans des marécages
" :
" Ils cherchent un freluquet (sic), ils cherchent une bonne femme (resic),
c'est tout ce qui compte pour eux, et c'est pourquoi ils n'arrivent pas
à transformer leurs instincts, leurs passions, parce qu'ils ont
coupé le lien avec ces trois puissances qui, seules pouvaient vraiment
les aider : le Seigneur, le Soleil et leur Maître"
(L'Amour et la Sexualité, tome II)
Le détournement de la sexualité et de l'amour, au nom d'un
principe primordial, sert souvent les intérêts du Maître.
Roger Melchior, fondateur de " Les Trois Saints Coeurs " se prévaut
de pseudo-messages de Dieu pour mettre dans son lit la jeune Myriam. Message
du 6 Juillet 1972:
" Je l'ai (Myriam) réellement confiée à mon Apôtre
(Roger Melchior). Mon apôtre, je te demande de veiller sur elle,
même la nuit, quand je te le demande. Myriam, je te demande de t'ouvrir
toujours à Jean ".
(NDLR. Roger Melchior s'était instauré représentant
de Dieu sur la terre, sous le nom de Pape Jean 23)
Le message du 4 Août 1972 explicite, dans un langage imagé,
que Myriam devra être engrossée. " Myriam concevra bientôt
un enfant pour ma plus grande Gloire. Jean devra lui faire bientôt
une " onction de purification ". Il refera plusieurs fois cette onction".
On n'est jamais si bien servi que par soi-même (parole de Gourou)
Certains chefs de sectes satisfont leurs besoins sexuels, à leur
façon.
Le proxénète Moïse-David
couche avec ses filles, " putains de Dieu", qu'il prostitue ; s'enorgueillit
des prouesses sexuelles de Maria, son épouse, avec beaucoup d'hommes
; pratique l'inceste avec sa fille Faith.
Le dément révérend Jim Jones se servait du
sexe comme instrument de domination. Entretenant des rapports sexuels avec
les femmes comme avec les hommes, il ordonnait qu'il en soit de même
pour ses lieutenants et gardes. Sa perversion allait jusqu'à obliger
des femmes à forniquer en sa présence et en celle d'autres
membres de sa mission ; certaines d'entre elles jugées fautives,
étaient soumises au viol pendant un mois.
Le machiavélique 0tto Mühl, sous prétexte d'auto-libération,
soumet ses adeptes à des séances exhibitionnistes où
ils mettent à nu leurs corps et leurs fantasmes devant les " communards
" voyeuristes. Les exhibitions sont couronnées d'accouplement, en
récompense.
Moïse-David a disparu (mort), Jim Jones est mort; 0tto Mühl,
en fuite, est poursuivi en Autriche pour contraintes sexuelles sur des
mineurs de 12 à 16 ans. Ces trois cas typiques font apparaître
les déviations sexuelles, d'ordre pathologique, dont sont accablés
bon nombre de gourous, personnalités psychotiques qui se défoulent
sur leurs adeptes.
Il y a parfois une marge considérable entre ce que le gourou commande
à ses adeptes et ce qu'il s'autorise à lui même. Le
révérend Moon, après plusieurs
mariages, convole en 1960 avec Han Hak Ja, âgée de 18 ans,
ce qui est contraire aux ordonnances des Principes Divins qu'il a édictées.
Qu'importe !
" La manière de comprendre selon ce que disent ordinairement
les principes divins ne marchent pas du tout (...) Ne jugez pas Père
selon les Principes Divins. Votre foi n'est pas dans les Principes Divins
mais dans le Messie ", tente d'expliquer Moon.
(conférence à Barrytown, 1975)
Les gurus-successeurs de Swami Prabhupada (Mouvement
Krishna) ordonnent la continence sexuelle pour leurs dévots
et dévotes. Mais ils s'octroient l'épouse qui leur convient,
la répudient sous prétexte d'accès à l'état
Sanhyasa qui exige le renoncement charnel, puis en prennent une autre.
Constats
Suivant leur mode de manipulations des aspirations sexuelles, des sectes
tendent à produire des personnes sexuées à outrance
(type Kommune, Famille d'Amour...) ou asexuées
(type Moon, ...)
Bien que le libre exercice de la sexualité soit accepté dans
certaines sectes, les perturbations psychiques détériorent
petit à petit le climat d'entente sexuel et amoureux du couple.
Un désaccord et une rupture relationnelles sont quasiment inévitables.
Certaines sectes fournissent un lourd contentieux judiciaire de séparations
et de divorces.
La secte considère l'individu comme objet et non comme sujet. En
conséquence, la sexualité et l'amour sont pris comme facteurs
de manipulations, et non comme des oeuvres de la culture humaine susceptibles
d'assurer aux couples la conquête d'eux mêmes.