( Source : Le soir, 16 février 2002 par Denis Guesquière )
En décembre dernier, à Charleroi, certaines personnalités politiques, comme le ministre-président de la région wallonne Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) ou le député-bourgmestre de Dinant Richard Fournaux (PSC) ont créé l'événement en assistant à l'inauguration d'une église fraîchement acquise par le père Samuel. Le député social-chrétien a essuyé les critiques de ses collègues. Mais au parti socialiste, c'est surtout... l'absence de réaction qui étonne.
Nous avons mené l'enquête sur ce personnage qui a taillé sa renommée dans la détresse d'une population déboussolée. Vu de près, ce populisme religieux, épinglé par la Commission parlementaire sur les sectes, apparaît plus inquiétant qu'un simple phénomène folklorique. Au passage, Samuel prévient ses détracteurs qu'ils s'exposent à la colère divine!Religion Le prêtre intégriste de Charleroi n'est pas qu'un amusant personnage folklorique Le père Samuel prêche en eaux troubles
La fascination d'une foule déboussolée pour le prêtre dissident "guérisseur et prophète" interpelle. Le soutien complaisant de personnalités politiques épaissit le malaise. L'absence de débat stupéfie.Les premières notes d'une fugue de Bach sortent de la soutane du père Samuel, trouant le silence qui s'impose sous la haute nef de l'église Saint-Antoine-de-Padoue. Un miracle? Non: un GSM.
Le portable du prêcheur sonne en moyenne toutes les trente secondes. Il faudra bien se résoudre à le couper un moment. Mais l'occasion est trop belle d'offrir au visiteur sceptique une petite démonstration de popularité. Allô, bonjour madame, Dominus vobiscum. Comment? Ah! Vous ne savez plus quoi faire avec votre enfant! Vous êtes désemparée! Oui, bien sûr, vous pouvez venir. Je prie pour vous.
Les appels se succédent. Charles Boniface, alias père Samuel, se fait un devoir de répéter tout haut ces appels de détresse. Certaines âmes en peine ne demandent qu'une bénédiction par téléphone. Samuel ne se fait pas prier: In nomine patris et filii et spiritus sanctus, amen. Un contact tourne à la consultation juridique: Si le juge est une femme, elle confiera l'enfant à la maman. Si c'est un homme, ce sera plutôt au père, professe le prêtre, fort d'une connaissance assez schématique de la jurisprudence. Quoi qu'il en soit, il recommande de faire confiance à la justice et de prier.
"Chaque musulman qui naît est une bombe pour l'Occident..."
La voix, grave et chantante, dont les "r" viennent de l'Est en roulant, se fait caressante ou terrible, précieux instrument pour une personnalité qui a choisi d'être un personnage. A l'extrême opposé des prêtres en civil, Samuel s'est composé une panoplie de supercuré, avec barbe de prophète, crucifix magnum et chapeau de Don Camillo.
Ça marche du tonnerre, merci pour lui. Le sacré Samuel est devenu un phénomène de société, ce qui est toujours une affaire juteuse. Les églises se dépeuplent? Ses messes se célèbrent à guichet fermé. Jusque tard dans la nuit, il reçoit en consultation des centaines de personnes, sûres de trouver en lui le seul remède à leur mal-être. Il est entouré de disciples inconditionnels, qui boivent ses paroles comme un nectar céleste.
Né Samuël Ozdemir en 1942, au Kurdistan, il récuse son nom d'origine, imposé par l'oppresseur turc, explique-t-il. Il a choisi le patronyme chrétien Charles Boniface et préfère se dire natif de Mésopotamie. Ses parents, insiste-t-il, parlait l'araméen, la langue du Christ. Il parfume son CV d'encens hagiographique: J'ai vu le jour dans une étable, comme le Christ, au milieu d'animaux, à l'ombre de l'église du Seigneur datant du IV e siècle, au sein d'une famille de dix enfants.
Dès l'âge tendre, comme on l'aurait parié, il émerveille son entourage par sa piété. C'était couru: à six ans, il reçoit la visite de l'ange Raphaël, qui lui dit: "Prends ton bâton et sois le berger des animaux et des hommes". L'épisode, parmi d'autres plus édifiants et convenus, est tiré de sa biographie à compte d'auteur, à n'aborder qu'avec un brin d'humour et de critique historique.
On y lit qu'il a étudié au Liban. Nommé prêtre en 1967, il aurait exercé son sacerdoce dans une dizaine de villes, dont Constantinople - il ne dit pas Istanbul. Il raconte avoir subi les exactions des autorités de son pays, hostiles à la minorité chrétienne. Il se réfugie au Liban, dont la guerre le chasse en 1975.
Nanti d'une recommandation du patriarche syrien catholique d'Antioche, il est accueilli par l'évêque de Tournai. Il assiste un temps l'aumônier de l'hôpital de Jolimont (La Louvière), puis rejoint comme vicaire une paroisse de Gosselies.
Le nouveau est un peu cabot. Démonstratif. Sa conception du sacerdoce n'est pas vraiment dans la ligne de Vatican II. Samuel répond par le mépris aux critiques de ses collègues, qu'il tient pour une bande d'athées, marxistes, buveurs, partisans de l'avortement, du divorce et de la liberté sexuelle - il brandit sa chasteté comme un étendard.
Désespérant d'exercer le moindre contrôle sur l'encombrant réfugié, l'évêque de Tournai tâche de le congédier et lui suspend son traitement. C'est le début d'un procès fleuve qui encombre depuis des années le rôle des cours et tribunaux.
Samuel soigne ses comparutions, qui font chaque fois sensation dans les palais de justice. Gens de robe, huissiers, justiciables ébahis sont copieusement arrosés d'eau bénite, régalés de cantiques. La presse ne manque pas ces rendez-vous télégéniques, matière à savoureux croquis d'audience.
La médiatisation transforme en célébrité le renom que le prêtre rebelle s'est taillé en donnant une pompe baroque à son ministère et pratiquant sans modération le culte de sa personnalité. Dans un ancien dancing, ses offices en latin recueillent un succès de foule. Il est un gourou, un maître à penser, un saint homme providentiel. Des récits de guérison circulent, cautionnés par des ex-voto.
J'avais un cancer généralisé et une dépression. Il m'a imposé les mains et je ne suis plus malade, prétend une dame. Un agent communal dit avoir, grâce à lui, renoncé au suicide. Il pacifie les ménages, sermonne les époux indignes.
En décembre dernier, à Montignies-sur-Sambre, une affluence et une couverture médiatique accrues marquent l'inauguration de l'église Saint-Antoine, qu'il vient de s'offrir pour 16 millions.
L'église - une des plus belles de Charleroi - jouxte une vaste demeure. Celle-ci héberge désormais les religieux et religieuses de la Congrégation de Saint-Jérome, fondée par Samuel, qui se sent des affinités intellectuelles avec ce Docteur de l'Eglise, traducteur des Ecritures.
Le prêtre intégriste passe pour un Pic de la Mirandole. Un océan de savoir, dit sa plus fervente zélatrice, ancienne conseillère socialiste de Charleroi. Il se pique de pratiquer une dizaines de langues plus ou moins vivantes, du latin à l'araméen, en passant par l'arabe, le turc et l'hébreux.
Plusieurs salles de son monastère abritent des milliers de volumes à caractère religieux pour la plupart - une bibliothèque du peuple à la disposition de ses paroissiens, explique-t-il. Son bureau est peuplé d'ouvrages de référence, d'éditions rares, de curiosités bibliophiliques, son péché mignon. Ses interventions sont assaisonnés de références littéraires. Il confesse un faible pour les Lumières et s'avoue voltairien.
"Tous ceux qui s'attaquent à moi meurent ou tombent en dépression..."
Puits de science religieuse, le chrétien d'Orient a un problème ancestral avec l'islam, dont il se dit grand spécialiste. Il cite de mémoire les extraits les plus belliqueux du Coran, les offensives historiques du monde musulman contre la chrétienté au fil des siècles.
Très soucieux de son image, conscient de la nécessité d'apparaître "politiquement correct", Samuel hésite à s'exprimer sur cette question délicate. Mais la tentation est trop forte, la conviction trop profonde: Chaque Musulman qui naît est une bombe pour l'Occident , lâche le catholique intégriste.
Samuel se doute que de tels propos pourraient le desservir. Avec un sourire plus onctueux que jamais, il prévient ses détracteurs:Tous ceux qui s'attaquent à moi meurent ou tombent en dépression. Une menace, mon père? Ce n'est pas moi qui le veux, c'est comme cela. On ne s'en prend pas au prêtre. Un prêtre est trop grand. Voyez Me Philippe Mayence: il a défendu l'évêque contre moi. Il est mort.
Et le masque du curé folklo glisse soudain sur un sourire odieux.Van Cau, Fournaux, Van Gompel: le "crucifié" a de bons amis
Un moyenâgeux? Pas pour tout. La recette-miracle du père Samuel mélange des pratiques sacerdotales archaïques et les commodités les plus prosaïques de la modernité. Il fait de la pub payante dans les gazettes locales, sans oublier de mentionner son numéro de GSM. Ses compétences de guérisseur et de voyant sont bien entendu mentionnées. La gratuité des services est lourdement soulignée, comme dans la retape des plus redoutables pièges à gogos.
Le prêtre dissident a fait publier plusieurs livres à sa seule gloire. On l'y voit à chaque page, à son avantage ou en compagnie flatteuse. Son hagiographie est disponible en bande dessinée.
Comme Jésus au dimanche des Rameaux, on l'a vu juché sur un âne, pour une entrée acclamée dans Viesville (Pont-à-Celles). Un certain vendredi saint, il se fait crucifier, non sans avoir averti les télés. Un simple simulacre, bien entendu, commenté à l'aide d'un micro-cravate.
Il justifie la mascarade par la mission sacrée du prêtre, qui doit représenter Dieu sur terre et manifester qu'il est prêt, comme le Christ, à l'ultime sacrifice. Si l'explication n'éclipse pas le sourire incrédule de son interlocuteur, Samuel change de registre et prend la pose du provocateur: vous l'avez compris, je fais cela pour emmerder l'Eglise!
Car en habitué des médias, Charles Boniface pratique le "off the record" - le hors-micro. Vous savez: 80 % des Occidentaux sont un peu dérangés , confie-t-il avec un triste sourire entendu . Mais quand quelqu'un se plaint que le Démon a pris possession de son esprit, son psychologue le remballe. Moi, je dis: on va le chasser. Vade retro Satanas! Et voilà! Si le père Samuel a tant de travail, c'est peut-être parce que plein de gens ont démissionné et ne font plus leur boulot.
Dans de grosses fardes, l'homme conserve des centaines de déclarations manuscrites. Elles sont signées par une foule de personnes en difficulté à qui il a donné de grosses sommes, certaines en milliers d'euros.
Il faut croire qu'il reçoit lui-même des dons très importants. Toujours, il élude la question.
Il a manifestement de gros moyens. Assez, par exemple, pour acheter plusieurs milliers d'exemplaires d'un journal qui publie un article sur lui. Il aime préciser que des rédacteurs en chef et des directeurs de quotidiens sont devenus des amis.Les tribuns socialistes se sont toujours employés à affranchir la classe ouvrière de l'obscurantisme...
Les mondanités ne s'arrêtent pas là. En décembre dernier, quelques personnalités en vue de la politique font sensation par leur présence à l'inauguration de la nouvelle église du prêtre rebelle. On y voit le bourgmestre et quelques échevins de Charleroi. Se réclamant de la libre-pensée et de la tolérance, le ministre-président de la Région wallonne, Jean-Claude Van Cauwenberghe, prononce un petit discours d'hommage.
Le député-bourgmestre de Dinant, Richard Fournaux, également présent à la cérémonie, sera vertement chapitré par ses collègues au bureau du PSC.
La complaisance affichée par des figures de proue du PS semble, davantage encore, de nature à provoquer des remous internes. Que l'on sache, les tribuns socialistes se sont toujours employés à affranchir la classe ouvrière de l'obscurantisme. Les édiles carolos ne se réclament-ils plus de cet héritage? L'étonnante absence de débat permet de poser la question. Deux députés socialistes de Charleroi s'avouent troublés, mais confirment que l'affaire n'a pas vraiment été évoquée dans les instances du parti. Souvent, on fait des plaisanteries, confie l'un d'eux.
Le député PSC Jean-Jacques Viseur est, lui, très sévère. On ne peut pas faire n'importe quoi pour obtenir des voix! L'image de Charleroi n'avait vraiment pas besoin de cela...
TEXTO "Il s'engagerait à guérir des maladies génétiques"
La commission d'enquête parlementaire sur les sectes s'était penchée sur le cas du prêtre intégriste de Charleroi. Voici ce qu'en dit le rapport, daté du 28 avril 1997:"Le père Samuel est un prêtre dissident de l'Eglise catholique, vis-à-vis de laquelle il se montre très critique. Ses litiges avec l'évêché de Tournai ont fait l'objet d'un jugement. Depuis, il célèbre la messe en latin à Gosselies, dans un immense hangar. Celle du dimanche, qui dure de 9 heures à 14 heures, attire des milliers de personnes. A la fin de la célébration, les participants célèbrent personnellement le prêtre.
"Le père Samuel, repris sous le nom de Charles Boniface dans l'annuaire téléphonique, propose gratuitement les activités suivantes: messes, visites des malades, sacrements (baptêmes, mariages...), bénédictions (maisons, voitures, champs, terrains, usines, fermes...). Il semble cependant recevoir nombre de dons anonymes, qu'il prétend redistribuer entièrement.
"Aux environs de janvier 1996, il aurait ainsi distribué des enveloppes contenant 2.000 F à tous ceux qui participaient à une de ses messes. Il aurait également offert 100.000 F aux Restos du coeur de Liège.
"Au niveau des rituels, il est proposé aux fidèles de ramener du sel et de l'eau, afin qu'ils soient bénis. Le sel béni est déposé un peu partout dans la maison, tandis que l'eau bénite servirait à être bue quand on est malade.
"Le père Samuel pratique l'imposition des mains en vue d'une guérison.
"Il semblerait également qu'il s'engage à guérir des maladies génétiques pour autant que les contacts avec lui soient hebdomadaires.
"D'après un témoin, il semblerait que la fréquentation assidue des activités du père Samuel puisse avoir des répercussions sur la vie de famille des adeptes, notamment au niveau de leurs relations de couple.
"De même les enfants sont plutôt isolés de l'extérieur, certains devant même constamment porter un chapelet autour du cou."
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