On les qualifie d'intégristes, de fondamentalistes, de fanatiques ou de dogmatiques. Leur étiquette est religieuse, politique ou culturelle au sens le plus large. Quoi qu'il en soit, les groupements sectaires partagent tous une même et solide conviction: celle de détenir la vérité absolue. Conviction qui leur permet de condamner en bloc tous ceux qui pensent autrement.
En observant les comportements d'un groupe fondamentaliste, on est frappé par cette nécessité de délimiter la vérité. Les manifestations sectaires se caractérisent par une très forte affirmation d'une identité collective, avec une référence à un modèle, à un gourou, à un chef... ou à Dieu lui-même, et par une tendance à définir de manière très précise le vrai et le faux, le bien et le mal , remarque Thierry de Saussure.
Professeur extraordinaire à l'Université de Lausanne, chargé de cours à l'Université de Genève, Thierry de Saussure s'est longuement penché sur ce phénomène: Je ne suis pas un spécialiste des sectes, je m'intéresse plutôt à ce qui rend l'être humain sectaire ou fanatique. Il ne s'agit pas de classifier ou de psychiatriser l'intégrisme. Mais si l'on veut s'intéresser à ce qui se passe dans les dérives intégristes ou fanatiques, on se doit de comprendre ce qui se passe en chaque être humain, au-delà des facteurs historiques, sociologiques ou culturels.
Pour que l'identité de l'enfant puisse se construire sur des bases suffisamment solides, il a d'abord besoin de se savoir aimé dans le regard de ses parents. Consolidé par l'amour reçu, il est capable d'aimer autrui, quoique différent de lui, sans se sentir menacé.
Afin de s'assurer l'amour de ses proches, l'enfant se conforme de son mieux à ce qu'il croit que ses parents attendent de lui. De la même manière, pour être sûr d'être aimé de Dieu, le fidèle cherche à fixer son comportement le plus près possible de ce qu'il croit être la vérité. Le fondamentalisme, qu'est-ce d'autre que le respect à la lettre de l'Écriture et de la tradition, pour se croire le plus aimé?
Chaque enfant compose progressivement son identité, en prenant appui sur des modèles: ses parents, des personnes de son entourage, voire des personnalités connues. Cette identification lui permet de développer ses propres potentialités. Mais il arrive qu'un jeune, pour s'assurer l'estime et l'amour des siens, emprunte des caractéristiques qui ne sont pas les siennes, développant ce qu'on appelle un faux self , une personnalité d'emprunt. Plus l'identité d'un individu est fragile, moins il se sent digne d'amour, plus il sera tenté de recourir à l'imitation de personnes influentes, de solliciter leur approbation. Cela explique pourquoi un leader exerce une fascination sur ceux dont l'identité personnelle a du mal à se construire.
Pour des êtres sujets aux angoisses, les références dogmatiques sont recherchées comme une forteresse où s'abriter. En suivant un leader et en appartenant à un groupe convaincu de détenir la vérité, les personnes à l'identité chancelante trouvent un remède à leur sentiment d'infériorité: cette appartenance leur permet de condamner ceux qui sont dans l'erreur, donc de se sentir supérieures. La soumission au chef idéalisé et l'obéissance à la doctrine remplacent chez les adeptes l'amour vivant, ouvert aux autres. Dans un tel groupe, c'est le côté défensif qui prend le dessus: pour protéger son identité, il faut combattre les mauvais, ceux qui pensent autrement, croient autrement, vivent autrement. On peut ainsi en arriver à se sentir autorisé à détruire les autres, puisqu'ils sont l'incarnation du mal. Dans les cas extrêmes, cette agressivité peut se retourner contre la secte elle-même: lorsqu'on s'aperçoit qu'on ne parvient pas à convaincre et à conquérir le monde, il ne reste plus qu'à se soustraire à ce monde mauvais pour rejoindre un hypothétique paradis. Le suicide devient alors un idéal.
La personne qui adhère à une secte peut perdre tout jugement critique: elle est tellement emballée par la dynamique collective de la vérité, du chef, qu'elle régresse quant à son pouvoir critique d'adulte. Le système doctrinaire lui donne l'illusion de distinguer le bien et le mal, de se trouver du bon côté en projetant tout le mal à l'extérieur, et sur autrui. Une manière de se déresponsabiliser et de fuir ses propres conflits internes...
Nous nous trouvons, avec les caractéristiques de ces mouvements, en présence de solutions qui évacuent la plus difficile et la plus extraordinaire question qui soit posée à toute vie humaine: comment puis-je, jour après jour, réussir à la fois à m'aimer moi-même et à aimer tout autant l'autre, si différent? Car cela ne cesse de nous apparaître comme contradictoire, insécurisant.
Quelle provocation à oser vivre une identité personnelle solide, une certitude de sa valeur découverte et à trouver dès lors les moyens d'une ouverture souple et attentive à autrui, à la différence, à la nouveauté! C'est ici, précisément, que se rejoignent la maturité et l'esprit d'enfance.
Propos recueillis par MARLYSE TSCHUI
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