SANTE ET SECTEUR MÉDICO-SOCIAL
La santé a toujours constitué pour les sectes un terrain privilégié. La santé, ou plutôt la souffrance physique et mentale. Dans ce domaine où se concentrent les angoisses des patients et de leurs proches, la science médicale, comme toute autre démarche scientifique, avoue ses limites, au moins provisoires. Par ailleurs, il est difficile pour l'entourage quand la souffrance est aiguë et les maux incurables, de récuser courageusement les pseudothérapies de l'irrationnel.
C'est là que le sectarisme, qui détient en ce domaine comme en d'autres les vraies et seules réponses, offre ses services. Lorsque l'encadrement légal ou réglementaire des activités de soin est insuffisant, la souffrance n'est plus qu'un gisement de ressources et d'influence pour des mouvements que n'embarrassent ni la loyauté, ni le respect de la personne humaine.
Depuis sa création en 1998, la Mission a été saisie d'une multitude d'affaires qui portent l'empreinte du sectarisme. Elle tente dans les lignes qui vont suivre d'en donner quelques exemples qui valent comme un premier bilan des escroqueries à la santé et du poids oblitérant de certaines idéologies en la matière. Mais aussi comme témoignage des expériences tentées pour aider les "sortants de secte", à défaut d'avoir pu systématiser la prévention des risques qu'ils ont encourus.
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L'offre de soins comporte en effet des zones d'ombre desquelles il importe de
faire émerger les agissements d'ordre sectaire, lorsqu'il en existe. Différentes
pratiques ou disciplines suscitent des préoccupations, dès lors
qu'elles conduisent à certains refus de soins préjudiciables ou
à la préconisation de thérapies alternatives nocives. On
traitera de ces risques en fonction des informations de la Mission et en sériant
les secteurs visés par la propagande sectaire d'une manière quelque
peu artificielle mais commode.
LES PROFESSIONS DE SANTE LIBERALE
L'enseignement de certaines doctrines sectaires conduit à des pratiques de soins qu'il importe de décrire. Quand une doctrine pose pour principe que les maladies prennent source dans les vies antérieures des individus et que la souffrance a pour but de libérer le "karma" des corps, il en résulte parfois le refus de traitements, de médications contre la douleur, tandis que se développent diverses thérapies préoccupantes.
Peuvent ainsi être citées, à titre d'exemple, les pratiques d'un médecin généraliste, lequel ordonne un régime alimentaire très strict en présence de cancers (du sinus, du sein ). Ce praticien présente le jeûne comme une thérapeutique naturelle contre toutes les maladies et confie à des naturopathes la supervision de cures de jeûne. En vertu d'un postulat selon lequel il faut "laisser les cellules mauvaises se concentrer dans les tumeurs", il refuse la chirurgie et la chimiothérapie ainsi que les soins palliatifs et les traitements antidouleur. Ce médecin, poursuivi pour non assistance à personne en danger et mis en cause à la suite du décès de deux patientes cancéreuses soignées par homéopathie et jeûne, déclare publiquement que les remèdes homéopathiques ne cherchent pas à traiter le cancer mais à rétablir les fonctions du corps humain, à "soigner le terrain".
Les examens biologiques prescrits par le même médecin suscitent des interrogations relatives à la nature des analyses prescrites : tests de floculation utilisés en médecine "traditionnelle", pour déterminer le traitement de terrain adéquat (remèdes homéopathiques visant à "soutenir le rein ou le foie"), au lieu de réalisation des actes de biologie. Les prélèvements étant orientés vers des boîtes postales, la réalité des actes n'est pas vérifiable, le ou les laboratoires d'analyse exécutant les actes ne pouvant être identifiés ni leur coût (actes semble-t-il non remboursables, facturés aux patients pour plusieurs milliers de francs).
On peut inférer de cet exemple que la vigilance devrait s'exercer sur l'enchaînement des "prestataires" de soins (en l'espèce, médecin, naturopathe, laboratoire d'analyse et de biologie médicale) et non pas seulement sur les actes et interventions de chacun. Faut-il rappeler le droit des malades à l'information et à la dispensation de soins conformes aux données de l'art médical ? On peut enfin déplorer que l'instruction des plaintes déposées contre un tel praticien chemine en d'interminables méandres.
Dans le domaine des soins bucco-dentaires, la "dentisterie énergétique" peut générer des pratiques professionnelles aberrantes. Une dent dévitalisée serait une "épine infectée et empoisonnée plantée dans le corps". Ainsi, un chirurgien dentiste, dont le cabinet dentaire déclinait économiquement, a-t-il pu organiser avec son épouse des séminaires visant à délivrer les participants de tous leurs maux physiques et psychiques, grâce aux réincarnations dont se prévalaient les deux organisateurs. Les participants aux "séminaires" étaient orientés vers le cabinet dentaire, où le praticien mettait en uvre une "dentisterie énergétique" favorisant la communication du patient avec l'"astral" par son intermédiaire, les plombages au mercure étant ôtés sans anesthésie pour être remplacés par des matériaux inutiles et coûteux. L'intéressé, par ailleurs radié définitivement de l'Ordre des chirurgiens dentistes, a été condamné pour escroquerie en mars 1999.
Les soins dits énergétiques impliquent également une chaîne d'acteurs. Peut être exposé le cas d'un bio-énergéticien qui teste ses clients avec un crayon en cuivre relié à un compteur, prescrit des nutriments et la marche à suivre pour les acquérir, fait la promotion d'un site internet destiné aux amateurs de tennis mettant l'internaute en relation avec une secte et le médecin qui en est le gourou.
LES ACTIVITÉS ANNEXES AUX ACTES DE SOINS NE SONT PAS EXEMPTES DE RISQUES.
La vente et la diffusion d'idées, de méthodes ou de produits sont caractéristiques à cet égard.
Ainsi, un kinésithérapeute organiserait des réunions d'information concernant des produits de parapharmacie, "produits conçus pour soutenir les 5 Piliers du bien-être", énoncés dans l'ordre suivant: bien-être physique, moral, familial, social et financier.
Sont proposés à la vente des articles de couchage, des sièges, des appareils présentés comme "antistress et antifatigue", des semelles, des coussinets magnétiques de détente, des articles de contention élastique, des bijoux et ceintures, des articles de sport et de loisirs. Des produits cosmétiques et des compléments alimentaires complètent la gamme, qui s'étend au marché des animaux domestiques.
La documentation de l'entreprise explicite le "pilier financier du bien-être". On y accède par l'achat des produits en gros et la vente au prix du catalogue avec une marge d'environ 25%. Des remises personnelles, bonus de leadership, aides pour l'acquisition d'un nouveau véhicule ou d'une nouvelle habitation, complètent les revenus du plan de rémunération.
Deux remarques peuvent être formulées à ce propos. Outre que cette entreprise distributrice semble être liée à une secte étrangère, la technique commerciale mise en uvre s'apparente à la vente pyramidale, prohibée par le code de la consommation, dont le monde sectaire a d'ores et déjà fourni maints exemples.
LE RISQUE SECTAIRE EN MILIEU HOSPITALIER
Des signalements alarmants parviennent régulièrement à la connaissance de la MILS. Quelques exemples observés en 2001 donnent la mesure du problème :
- Un psychothérapeute développe une emprise sur le directeur d'un établissement de long séjour. Cette situation conduit à vouloir bâtir le projet d'établissement à partir d'une absence totale de méthode, c'est-à-dire en "tirant les cartes". Cette pratique semble être en vogue dans certains cabinets de psychothérapie et peut y paraître a priori plus pittoresque que dangereuse. Il n'en reste pas moins que des approches ésotériques ou mystifiantes ne sont pas admissibles pour organiser le fonctionnement et l'orientation des activités d'un établissement de soins, quelles que soient les caractéristiques de l'établissement ;
- Des tentatives -heureusement inabouties- ont cherché à instaurer des pratiques d'inspiration sectaire et à former le personnel dans un établissement de soins de suite accueillant des malades atteints d'affections cardiaques ou de diabète;
- Un masseur kinésithérapeute a essayé de propager une méthode non éprouvée34 et non reconnue dans un établissement accueillant des personnes atteintes de pathologies lourdes (cancers, affections neurologiques).
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CAS PARTICULIER DE REJET DE SOINS EN MILIEU HOSPITALIER : LA TRANSFUSION SANGUINE
ET LES TEMOINS DE JEHOVAH
Le refus de transfusion sanguine étant un précepte essentiel pour les Témoins de Jéhovah, il importe d'examiner les textes applicables, l'état de la jurisprudence, les pratiques des comités de liaison hospitaliers.
L'article L.1111-2 du Code de la santé publique36 dans sa rédaction actuelle, dispose que "La personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique". La réglementation en vigueur permet de traiter les cas où l'acte de transfusion est pratiqué dans un établissement hospitalier public et qu'il concerne un enfant, le décret du 28 janvier 1974 permettant de contourner ou contrecarrer un refus parental de transfusion.
Quelques extraits de documents internes37 du 15 juin 2000 manifestent la position pour le moins "ambivalente" des instances dirigeantes des Témoins de Jéhovah : "Les Témoins de Jéhovah estiment qu'il serait contraire à la loi de Dieu d'accepter du sang total ou l'un quelconque de [ses] composants majeurs" [globules rouges, globules blancs, plaquettes, plasma]. En matière de produits dérivés des composants majeurs, les indications aux lecteurs sont subtiles: "La Bible n'entre pas dans les détails, et il appartient donc à chacun de se déterminer en conscience devant Dieu".
Il semble donc être accepté que des points de vue différents puissent émerger à propos de certains produits (facteur VIII, gammaglobulines, interférons, interleukines ). "Pour ce qui est des fractions de l'un quelconque des composants majeurs du sang, chacun se détermine individuellement, en conscience, après avoir bien réfléchi dans la prière". La transfusion autologue (transfusion du propre sang du malade, prélevé avant une cure chirurgicale programmée) semble également être acceptée.
Or, cette position doit être rapprochée d'une déclaration du 16 juin 200038, concomitante mais non concordante. Cette déclaration destinée à "tous les Comités de liaison hospitaliers", rappelle brutalement qu'un Témoin de Jéhovah "acceptant volontairement et sans regret une transfusion sanguine indique par ses propres actes qu'il ne souhaite plus être un des Témoins de Jéhovah". Les fidèles qui acceptent des soins comportant une transfusion sanguine s'exposent donc à une exclusion du mouvement.
Certains sociologues des religions, qui réduisent les groupes sectaires à de simples "nouveaux mouvements religieux", croient pouvoir expliquer ces instructions contradictoires par "les contradictions internes au mouvement des Témoins de Jéhovah". Aussi importe-t-il à ce stade, de décrire brièvement le mode de fonctionnement et les pratiques des Comités de liaison hospitaliers, ainsi que les actions d'informations menées par l'Association médico-scientifique d'information et d'assistance au malade, instances qui émanent directement du mouvement.
Les Comités de liaison hospitaliers reposent sur quelques adeptes, qui se voient attribuer une zone d'intervention (sept zones et seize correspondants sont mentionnés sur un document non daté, mais déjà ancien) selon un découpage géographique du territoire. Il est par ailleurs connu qu'existe un annuaire des médecins Témoins de Jéhovah, qu'il peut arriver qu'un médecin se présente et demande, en tant que praticien et Témoin de Jéhovah, à "participer" à une intervention chirurgicale, alors même qu'il ne connaît aucunement le malade Témoin de Jéhovah.
En tout état de cause, les comités de liaison adressent des injonctions au malade et à son entourage, exercent leur vigilance sur les services hospitaliers, "recommandent" parfois des produits de substitution coûteux39. Ceci peut aboutir à des situations qui, indépendamment des pressions exercées sur le malade et son entourage dans une situation de détresse, érigent les comités de liaison hospitaliers en instances de contrôle illégales et illégitimes. Ces agissements peuvent compromettre le fonctionnement des établissements de soins et porter atteinte au service public hospitalier.
Face à ces interférences, les équipes médicales conçoivent parfois des parades nécessitant une organisation ad hoc, que le présent rapport n'a pas à décrire, et qui permettent malgré tout la dispensation de soins salvateurs.
L'Association médico-scientifique d'information et d'assistance au malade est composée de médecins et de juristes Témoins de Jéhovah. Elle organise notamment des colloques qui diffusent la doctrine relative au refus de transfusion sanguine et tentent de la valider aux plans scientifique et juridique.
Le refus de transfusion sanguine donne parfois lieu à des recours administratifs, les gestionnaires ou praticiens hospitaliers étant accusés d'avoir provoqué un préjudice moral en soignant leurs patients. Il a ainsi été demandé la condamnation de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris à verser 100.000 F à des malades soignés ou à leur entourage, en réparation du préjudice causé par la décision de pratiquer des transfusions sanguines contre leur gré, le refus par les patients de toute thérapeutique faisant intervenir "l'utilisation du sang sous quelque forme que ce soit" ayant été porté à la connaissance des praticiens hospitaliers. Le ou les tribunaux administratifs, puis la Cour administrative d'appel de Paris40 ont rejeté ces recours en considérant que les équipes hospitalières avaient accordé le primat à l'obligation médicale de protéger la santé, c'est-à-dire en dernier ressort la vie de l'individu.
Saisi d'un recours en annulation, le Conseil d'Etat a par décision du 26 octobre 2001 modifié les attendus de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris, au motif que l'obligation de sauver la vie ne prévaut pas sur celle de respecter la volonté du malade et a annulé l'arrêt pour ce motif. Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat a considéré que les médecins n'avaient pas commis de faute et que le service public hospitalier avait mis en uvre le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du malade.
La question du refus de transfusion sanguine se situe ainsi dans une perspective médicale et éthique complexe, dont la MILS ne peut citer que quelques aspects : responsabilité des établissements de santé et des équipes hospitalières, obligation de secours à personne en danger, droit du malade de s'opposer à une thérapeutique, opportunité et légitimité d'apprécier les perspectives de survie du malade, en fonction de l'affection qu'il présente.
Sachant l'aptitude des mouvements sectaires à pratiquer la désinformation, leur habileté à s'introduire dans les instances et publications officielles41, il n'est pas infondé de craindre que certains aspects du débat public sur les droits des malades ne se soient développés sur la base de notions tronquées.
LA COOPÉRATION SANITAIRE
ENTRE LES PRATICIENS DE VILLE ET L'HÔPITAL PEUT CONSTITUER UN POINT D'ENTRÉE
POUR LES ORGANISMES SECTAIRES
Les sectes guérisseuses s'efforcent souvent de s'infiltrer dans les établissements hospitaliers publics et privés et tentent de se positionner sur un segment d'une importance cruciale, le domaine de la coopération sanitaire entre les praticiens de ville et l'hôpital. Il est à souligner que les réseaux de soins, par la multiplicité des acteurs qu'ils impliquent, représentent un point d'entrée que certains organismes à caractère sectaire convoitent particulièrement. La naissance et la fin de vie sont des thèmes privilégiés.
Un exemple de méthodes protéiformes employées : un site internet, découvert fortuitement en consultant celui d'une chambre de commerce et d'industrie, fait apparaître l'intérêt marqué d'un groupe se désignant lui-même comme une communauté évangélique pour une association d'aide aux malades insuffisants rénaux chroniques et pour des associations regroupant des parents d'enfants décédés de mort subite.
LES SOINS PALLIATIFS
Dans le domaine des soins palliatifs, des adeptes de la méthode Hamer, de la secte Invitation à la Vie intense (IVI), secte fondée par Mme Yvonne Trubert, ont été signalés dans des services d'oncologie, de neurologie (auprès de patients cérébro lésés). Ces pénétrations sectaires ont été identifiées et mises en échec. La MILS a connaissance d'une décision de sauvegarde de justice prise dans ce contexte, pour faire obstacle à une aliénation de patrimoine.
Si le code civil42 fait obstacle à ce qu'un mourant effectue une donation au profit d'un médecin, d'un pharmacien, d'un officier de santé -c'est-à-dire d'un soignant -, d'un ministre du culte, il en va différemment pour les associations, qui peuvent tout à fait bénéficier de donations.
Au-delà des présomptions, des tentatives et des constats -rares, mais réels- de captation de patrimoine par abus de faiblesse, c'est essentiellement à l'entourage de la personne malade ou mourante que s'intéressent les organismes sectaires. Les proches affaiblis par le deuil sont considérés comme un vivier de recrutement potentiel par les sectes. Il importe donc que les textes en cours d'examen ou d'élaboration43 attachent une importance particulière aux conditions de délivrance de l'agrément aux associations exerçant leur activité dans le domaine de la santé et de la prise en charge des malades, notamment en soins palliatifs. Les associations de bénévoles nécessitent également une vigilance spécifique à cet égard.
LA PÉRINATALITÉ
La grossesse, la naissance, la petite enfance attirent des convoitises sectaires. Diverses associations parfaitement honorables entendent valoriser un accompagnement global et chaleureux de la grossesse et de la naissance, soutenir les familles (naissance, éducation et santé ) en privilégiant l'écoute et enfin assurer la formation des parents et des professionnels.
Ces bonnes intentions n'induiraient qu'une attention sympathique, si l'arrière-plan de certaines initiatives ne comportait la présence de quelques acteurs dont l'identification paraît relever de la simple loyauté et du principe de précaution : diverses associations naturopathes, promoteurs du Qi Gong et prosélytes de régimes alimentaires contestables. Selon certaines informations, la Nouvelle Economie Fraternelle, établissement financier lié à l'anthroposophie, serait disposée à parrainer ces initiatives, auxquelles s'intéresserait également une secte guérisseuse préconisant des thérapies par "harmonisation".
Ce voisinage problématique a fait l'objet de signalement de la MILS au ministère délégué à la santé en 2001. Il devrait inciter à la prudence les tutelles administratives, les gestionnaires hospitaliers et les professionnels de santé eux-mêmes. En outre, un nombre excessif d'offres de formation farfelues, sinon sectaires, est observé dans les disciplines de la périnatalité. La formation des professionnels concernés, notamment des sages-femmes, des infirmières puéricultrices, ne peut reléguer au second plan le droit des usagers du système de soins à être pris en charge par des professionnels dont la formation initiale et continue soit déterminée par des critères de qualité.
LE CLONAGE
Le clonage de l'espèce humaine constitue également un enjeu. Se proclamant "religion athée", la secte Raël, créée par un ancien journaliste français, M. Claude Vorilhon, entend développer cette pratique, à la fois comme procédé à usage thérapeutique et comme ersatz d'immortalité. A cette fin ont été créées plusieurs entreprises de biotechnologie, dont l'une serait confiée à une biochimiste française, par ailleurs évêque de la religion raëlienne. Les Bahamas, puis le Nevada, auraient hébergé cette entreprise qui se serait exilée dans un pays tenu secret, que certains observateurs identifient comme un micro Etat sans législation appropriée de la Caraïbe ou du Pacifique.
L'implantation de l'entreprise aux Etats-Unis n'avait pas manqué de susciter l'inquiétude des autorités américaines et notamment du Congrès qui a entendu M. Vorilhon. Le Congrès et le président Bush s'étant opposés à la poursuite des travaux de laboratoire, la secte a adopté un profil de prudence. Il est évident que la Mission continuera à suivre ces initiatives gravissimes avec une particulière attention, souhaitant qu'une législation soit élaborée le plus rapidement possible en cette matière sensible et que cette dernière ait une validité universelle.
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Les observations qui précèdent, pour inquiétantes qu'elles soient, ne doivent pas donner l'impression d'une infiltration généralisée dans la santé et le secteur médico-social.
Souvent, les collectivités hospitalières ou médico-sociales sont en mesure de neutraliser les agissements sectaires, avec plus de difficultés toutefois lorsque ces derniers disposent de structures organisées pour promouvoir leur idéologie dans ce domaine sensible.
En revanche, l'exercice libéral paraît plus exposé, en raison de sa dispersion et de la pression exercée parfois par un patient lui-même, l'adepte entretenant le comportement offensif du gourou. Les difficultés tiennent en outre à l'enchevêtrement fréquemment constaté de plusieurs mouvances sectaires. Un comité constitué aux fins de soutenir un praticien poursuivi peut ainsi fédérer des adeptes de Moon, des raëliens, des adeptes de l'ordre du Graal, sans que soient directement impliquées les sectes elles-mêmes. Une professionnelle de santé, adepte de la kinésiologie, qui a initialement abordé les mouvements sectaires avec la secte HUE, fréquente des conférences organisées par la Nouvelle Acropole, utilise les "Fleurs de Bach" comme élément de "diagnostic", pratique le Qi Gong, etc
Les stratégies sectaires ne détestent pas intégrer, toujours au nom de la liberté, des composantes diverses qui servent à faire nombre contre leurs adversaires, selon un mode de recrutement qu'il n'est pas illégitime de qualifier d'endogame.
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LES ACTIVITES DE PSYCHOTHERAPEUTES
Les psychothérapies constituent, avec la formation professionnelle, le terrain privilégié investi par de micro groupes sectaires, où sévissent des escrocs et des gourous susceptibles d'une grande capacité de nuisance auprès de personnes vulnérables.
La psychothérapie est fréquemment une activité plurielle. Les circuits de formation, donc de vente et d'achat de formation, en représentent une part non négligeable : un psychothérapeute exerçant en cabinet libéral est souvent également formateur, voire coach. Il peut éventuellement assurer la supervision -qui lui est rémunérée- d'autres psychothérapeutes.
Au travers des dossiers dont elle est saisie, la Mission a toutefois pu observer que des thérapeutes extrêmement nuisibles sont parfois mus par un jeu de pouvoir et de mise sous influence, davantage que par l'attrait de l'argent.
AMELIORER LES FORMATIONS, REPENSER LES CURSUS
La question cruciale est celle de la qualification, de la formation et de l'objectif de ceux qui enseignent ou pratiquent telle ou telle technique. Des observateurs avertis tiennent pour indispensable une réorganisation complète des cursus universitaires en psychologie. Par ailleurs, les formations aux métiers de la santé mentale44 ne semblent pas adaptées aux évolutions sociales et aux pratiques.
Une réorientation des disciplines concernées -psychiatrie, psychologie- en fonction, d'une part, des besoins en santé mentale et, d'autre part, des besoins en formation professionnelle permettrait de mieux contrôler, de garantir et d'améliorer les compétences dans les domaines, en fort développement, de la pratique psychothérapeutique et de la formation.
PROTEGER LE CONSOMMATEUR
Si l'activité des psychothérapeutes concerne, de manière très large la prise en charge de la santé mentale, elle constitue également une offre de prestations. A ce titre, la réglementation applicable à la protection du consommateur pourrait s'appliquer de manière volontariste aux prestations de service offertes par les personnes délivrant des prestations de psychothérapie.
Il est possible de s'inspirer des dispositions
en vigueur dans le secteur de la santé, où diverses prestations
de services donnent lieu à l'établissement d'un devis, document
de nature contractuelle. Les actes médicaux et chirurgicaux à visée
esthétique, et les autres prestations à visée esthétique,
font l'objet d'une réglementation protectrice du consommateur45. Deux professions
de santé, les médecins mais aussi les masseurs-kinésithérapeutes,
doivent informer les consommateurs par un devis sur certaines prestations de services
qu'ils offrent et sur les tarifs qu'ils pratiquent.
La mise en place de telles
dispositions46 serait de nature à protéger les personnes, et spécialement
les personnes fragiles, contre divers risques ou dérives potentiels dans
le périmètre d'activité des psychothérapeutes. L'exigence
de devis indiquant le cursus, la durée de formation, voire l'expérience
du praticien, la ou les méthodes mises en uvre, la durée et
la périodicité des séances constituerait une avancée
significative.
Les témoignages attestent de la fréquente pratique de paiement en liquidités pour les prestations en cabinet libéral, ce qui fait des psychothérapies un secteur avéré d'économie souterraine47. La possibilité de régler par tout moyen de paiement, et non pas seulement en liquidités, devrait également être explicitée.
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L'émiettement des professions concernées, l'absence d'organisations professionnelles représentatives, le défaut de consensus sur la définition même de la ou des psychothérapies, compliquent l'approche de ce sujet. La MILS constate des avancées significatives : L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) est chargé de réaliser une expertise collective sur les pratiques de psychothérapies, l'Agence nationale d'évaluation en santé (ANAES) est saisie sur l'évaluation des pratiques de psychothérapies, en vue d'élaborer des recommandations de bonne pratique. Par ailleurs, des dispositions protectrices du consommateur devraient s'élaborer à partir de la piste de réflexion proposée. Les discussions pourraient éventuellement n'associer que les services de l'Etat concernés si, à la lumière des expériences précédemment tentées48, la concertation s'avérait peu praticable. L'adoption de mesures réglementaires a minima pourrait constituer une première étape de régulation.
QUELQUES EXEMPLES DE RISQUE SECTAIRE EN PSYCHOTHERAPIE
La prise en charge des victimes
Des pratiques professionnelles s'inspirant de la Scientologie ou voisinant avec ce mouvement ont été identifiées en matière d'accompagnement psychologique post traumatique destiné notamment aux victimes d'agressions dans l'exercice de leur profession, aux victimes de catastrophes accidentelles, aux victimes de violences sexuelles. Le risque est perceptible dans des services hospitaliers, des cabinets de ville, dans l'offre de soins de structures médico- sociales.
Les convoitises de différents mouvements sectaires, l'influence ou le voisinage de groupes néofascistes dans des disciplines de soins concernant des personnes en situation de faiblesse, ne peuvent qu'inquiéter les observateurs. Sont impliqués non seulement des thérapeutes autoproclamés ou au cursus problématique, mais également des psychiatres, des psychologues. Faut-il ajouter, et peut-on l'admettre, que les promoteurs de pratiques douteuses recherchent activement les financements publics et offrent des formations à la prise en charge de toutes les catégories de victimes, y compris de l'enfance maltraitée ?
Ces manuvres en vue de mettre la main sur un type de pathologie, peuvent conduire des thérapeutes dûment formés à mésuser de leur autorité institutionnelle. Laquelle autorité leur permet d'organiser, avec le concours de personnes non averties ou insoucieuses de leurs intentions réelles, des formations, des colloques aux enjeux cryptés.
L'analyse transactionnelle
La MILS a pu examiner l'organisation d'un groupe français dispensant des formations à l'analyse transactionnelle. Cette organisation met en évidence un système de vente pyramidale. Tout nouveau "membre" a l'autorisation, qui peut constituer de fait une obligation, de prendre des patients en analyse transactionnelle alors qu'il est lui-même encore en formation au métier de psychothérapeute. La prise en charge de patients lui permet de rémunérer sa propre formation. Des taxations sont opérées au profit du maître en psychothérapie, des échelons régional, national, international de l'organisation.
La pyramide a pour base les clients en thérapie, puis les "contrats,[ ] population en formation dans les quatre champs", c'est-à-dire la guidance, l'éducation, l'organisation, la psychothérapie. Les "contrats" peuvent espérer devenir "certifiés dans les quatre champs", "enseignants en cours d'habilitation", "enseignants didacticiens".
Appliquée notamment à la vie professionnelle, l'analyse transactionnelle offre des formations comportant l'usage de "timbres psychologiques" : timbres humiliation, timbres colère, timbres anxiété, que l'adepte "colle dans son carnet de timbres psychologiques".
Au-delà de ces exemples qui relèveraient d'un bêtisier, s'ils n'émanaient d'entreprises ou de salariés contestant à juste titre de tels apprentissages dans le cadre de formations professionnelles financées sur des fonds mutualisés, des pratiques attentatoires à la dignité des personnes, émanant de psychothérapeutes ou "praticiens" de l'analyse transactionnelle ont été portées à la connaissance de la MILS.
Il a pu être constaté que jouaient une habileté et une solidarité sans faille entre organismes et groupements professionnels douteux, au détriment des victimes. Des comités d'éthique ou commissions de déontologie autoproclamés discréditent les plaintes, suscitent de faux témoignages et se prononcent en faveur des psychothérapeutes concernés.
La programmation neurolinguistique
La programmation neurolinguistique, couramment dénommée PNL, forme un ensemble disparate de méthodes de communication (apprendre à reformuler un message, à décoder des signaux non verbaux, des mouvements oculaires, etc..), basé sur un ensemble tout aussi disparate de références théoriques. Les fondements scientifiques et les validations empiriques sont faibles : les hypothèses relatives aux mouvements oculaires ont d'ailleurs été infirmées.
Le terme de "programmation neuro-linguistique", est cependant judicieux au plan des techniques commerciales et de la communication. En cela, la PNL ne se distingue pas d'autres offres de "produits" psychologiques : formation aux relations humaines, à l'animation de groupes, groupes de développement personnel, analyse transactionnelle.
Les composants
en sont facilement identifiables:
- un sujet qui fascine et répond
à des besoins -réflexion et travail sur soi, autrui et les relations
humaines- ;
- des stages pratiques et des expériences émotionnelles
fortes. Les stages se déroulent souvent sur le mode émotionnel et
affectif plutôt qu'intellectuel. Les rôles sociaux et le raisonnement
sont mis de côté au profit de l'expression directe des sentiments
;
- des idées simples, proches du sens commun, peu encombrées
de références théoriques, de doute critique ou de validation
empirique ;
- la délivrance d'un diplôme à l'issue d'un
ou de plusieurs stages qui permet de devenir soi même formateur.
L'absence de principes déontologiques orientés vers l'aide et la santé, plutôt que vers l'exploitation et le profit, l'absence de connaissances en psychopathologie et en psychiatrie permettant d'aider ou d'orienter les personnes perturbées, l'absence de formation scientifique permettant de relativiser les connaissances et de ne pas prétendre à la vérité, caractérisent les pratiques qui font question.
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LES "SORTANTS DE SECTE"
Prise en charge
par le Centre Georges Devereux de personnes sortant de sectes
- Note
d'étape -
Le centre Georges Devereux, association constituée selon la loi de 1901, est installé au sein de l'UFR de psychologie de la faculté de lettres de l'université Paris VIII. Il a été créé en 1993, avec pour vocation première, l'aide psychologique aux familles de migrants. Ses missions se sont progressivement diversifiées pour proposer une aide aux personnes touchées par le sida, l'obésité, la boulimie, l'infertilité, la transsexualité, ou encore, aux femmes violées, aux enfants des survivants juifs de l'holocauste nazi, aux victimes de tortures ou de traumatismes de guerre... Des villes, dont Saint-Denis, Aubervilliers, d'autres organismes, subventionnent ces différents domaines d'activité. La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Seine Saint-Denis accorde une subvention pour le travail mené auprès des Tsiganes.
Ce centre universitaire n'a pas de lien avec le dispositif de sectorisation psychiatrique, construit en France dans les années 1970 (La psychiatrie de service public est organisée en secteurs, par découpage géographique du territoire régional). La situation universitaire du centre Georges Devereux induit les caractéristiques suivantes: gratuité de l'aide psychologique pour l'usager, travail conduit dans un contexte de recherche. La revendication même de centre de recherche confère une dimension expérimentale au travail, que conduisent en partie des chercheurs rémunérés par le ministère de l'Education nationale et de la Recherche (linguistes, anthropologues, psychologues, notamment), des étudiants n'ayant pas encore soutenu leur thèse ou des étudiants stagiaires. En outre, l'équipe de psychologues du centre Georges Devereux n'est pas habilitée à traiter les troubles psychopathologiques ni à diriger les traitements médicamenteux éventuellement requis par l'état d'un patient. Dans cette occurrence, les personnes sont orientées vers les services de psychiatrie.
Cette expérimentation est à rapprocher des réflexions de
fond conduites dès le début des années 1980 sur le phénomène
des sectes. A cet égard, le rapport remis en 1983 au Premier ministre par
un parlementaire en mission proposait d'ores et déjà un dispositif
de médiation qui répondait à la nécessité de
contribuer globalement à la réinsertion sociale et professionnelle
des victimes du sectarisme. La création de groupes régionaux de
médiatisation et le versement d'une allocation transitoire50 étaient
suggérés.
En 1999, le Ministère de l'emploi et de la
solidarité a partiellement mis en uvre les orientations de cette
proposition et conclu une convention avec le centre Georges Devereux pour:
"mettre
en place et faire fonctionner un dispositif d'aide psychologique aux sortants
de sectes",
"aider à la professionnalisation des associations
spécifiquement concernées par la prise en compte des phénomènes
sectaires",
mener "un travail d'étude propre à dégager
des réflexions cliniques sur les relations entre adeptes et sectes".
L'action publique ou plus exactement semi-publique a été conduite par le Centre Georges Devereux en liaison avec l'Union nationale des associations de défense de la famille et de l'individu.
Postulats de l'activité
clinique
Le Centre Georges Devereux a initialement bâti les postulats
de son activité clinique pour répondre aux besoins des migrants
en souffrance. Dans le contexte de recherche qui est le sien, le centre met en
avant le principe selon lequel les dispositifs ne précèdent pas
les populations accueillies, mais sont construits en fonction des besoins exprimés.
Il y a lieu de décrire, dans un premier temps, les postulats et d'examiner
ensuite la spécificité du dispositif conçu pour les personnes
sorties de sectes.
Les postulats et modalités de prise en charge
Les séances de travail se présentent sous la forme de travail d'ethnopsychiatrie : une dizaine de personnes de différents horizons -psychologues, linguistes, ou anthropologues- se réunissent autour d'un patient ou autour d'une famille. La durée des séances est d'environ trois heures toutes les trois à quatre semaines. L'une des personnes est le référent institutionnel (assistante sociale, ou psychologue) à l'origine de la prise en charge ; elle pilote la séance. Une autre personne est proche de l'environnement culturel et linguistique des victimes consultantes. Elle connaît "les habitudes thérapeutiques ayant cours dans l'environnement habituel de la famille". Par ailleurs, "tous les membres sont sensibilisés à l'importance des traditions thérapeutiques locales".
La diversité des personnes présentes à chaque séance vise à faire émerger des interprétations diverses du mal des patients, amenés ainsi à participer activement à leur thérapie en rebondissant eux-mêmes sur l'une ou l'autre des propositions qui leur sont faites. L'objet de la thérapie est de retrouver ce qui, dans l'univers culturel du groupe d'origine du patient, fait pression sur lui. Cela conduit à s'arrêter sur la langue, les lieux, les objets, mais aussi sur les mythes, et bien sûr sur les récits qu'en donnent le patient lui même, son entourage ou les médiateurs. Bref, il s'agit avant tout de replacer la personne dans le contexte pour comprendre à la fois sa souffrance et la façon dont elle aurait été traitée dans cet environnement culturel précis. C'est dire l'importance accordée à la dimension anthropologique -dialectique entre le groupe et l'individu- du travail effectué avec le patient: celui-ci n'est pas seul face à un problème psychologique personnel. Il évolue à l'intérieur de codes à identifier et à décrypter, dans un réseau dont le sens est à déterminer, ce qui peut ensuite permettre éventuellement de déconstruire ce réseau ou de trouver de nouvelles modalités d'articulation avec lui.
Les postulats propres à la prise en charge des personnes sorties de sectes
S'agissant des personnes sorties de secte, des associations de lutte contre les sectes sont posées comme référentes, l'objet déclaré par ces associations permettant à la personne de se situer comme "victime" de la secte. Le postulat spécifique est que les personnes sorties de secte sont victimes de la manière dont les autres les ont "pensées" et mises sous influence.
Le travail effectué par le centre Georges Devereux avec les "sortants
de secte" est également basé sur l'implication d'un groupe
de soignants autour de l'usager permettant d'introduire une parole multiple voire
contradictoire, en opposition au discours univoque tenu dans la secte. Le travail
tente de remonter en amont de l'entrée du patient dans la secteet reconstitue
son trajet: il peut avoir connu un cheminement passant par des prêtres exorcistes,
des guérisseurs, la perte d'un emploi, l'isolement, la précarisation
Retracer ce chemin en amont restitue ce qui a construit le patient comme membre
de secte, en fonction des particularités intrinsèques du groupe
sectaire ou indépendamment de celles-ci. Il s'agit de décomposer,
avec les personnes, le processus qui les a conduites à devenir adeptes
d'une secte, ainsi que de déconstruire la logique du groupe sectaire. C'est
souvent la contradiction entre les intérêts du groupe et les intérêts
personnels qui conduit à la sortie de secte. Ainsi, de jeunes Témoins
de Jéhovah n'acceptant pas que le choix d'un partenaire soit limité
à l'intérieur du groupe et pouvant quitter le groupe pour ce motif.
Les entretiens montrent que si les ex-adeptes sont sortis de la secte, en revanche,
la secte "n'est pas sortie de leur tête" : souvent, bien que sorties
du groupe sectaire, les personnes demeurent en recherche et en quête du
sens qu'elles croyaient pouvoir trouver au sein de la secte. Ce sont cette quête
et cette déception qui doivent être traitées.
Le
travail porte également en aval sur les conséquences financières
et relationnelles qu'entraîne le départ du patient hors du groupe
sectaire : gestion des dettes, reprise de contact avec la famille.
Les "sortants de sectes" ne sont pas seuls à demander l'aide du centre. Les familles d'adeptes se sentent souvent démunies et peuvent utiliser le dispositif. Les préoccupations sont alors différentes. A titre d'exemple, des parents d'adeptes d'un mouvement sectaire (Moon) implanté en France dans les années 1960 sont suivis par le centre. Leurs enfants sont aujourd'hui mariés et chefs de familles fondées au sein du groupe sectaire. Ils s'interrogent sur ce qu'il adviendra si leurs enfants et petits-enfants quittent le groupe sectaire et ont à s'intégrer dans la société ordinaire, dont le mode de fonctionnement leur est totalement inconnu. Ce scénario, qui n'est pas improbable, génère une forte angoisse.
Les limites du dispositif
Deux réserves doivent être énoncées à ce stade.
-1. Les
associations de lutte contre les sectes repèrent plus ou moins aisément
la problématique du langage utilisé par le "sortant de secte",
car les particularités du langage utilisé par le groupe, son univers
symbolique leur sont plus ou moins familiers. Elles apportent les informations
données par des ex-adeptes. Elles peuvent constater les points communs
et les divergences entre les témoignages de ces ex-adeptes et celui du
patient. La documentation dont elles disposent cerne des logiques implicites du
groupe, mais n'en révèle pas toujours la structure. La reconstitution
du "réseau" d'influence qui agit au sein du groupe sectaire s'avère
donc difficile.
Il est par ailleurs à noter que l'appellation "sortant
de secte" rejette explicitement le groupe que le patient a quitté.
Or, le travail conduit auprès des populations de migrants comporte explicitement
le respect de la culture d'origine des personnes.
- 2. Peut parfois se développer une vision manichéenne du groupe sectaire, ce qui a pour conséquence de le "diaboliser" et de compliquer, de facto, la prise en charge. Cela peut être le cas lorsqu'un ancien membre de secte, entré enfant dans le groupe auquel participe encore l'essentiel de sa famille, se pose en s'opposant aux interdits du groupe qu'il a quitté. Par exemple, il consomme de l'alcool, du tabac ou vit une sexualité "libérée" au regard des normes du mouvement sectaire. Le bénévole d'association qui l'accompagne ne sera pas nécessairement conscient que ces nouvelles conduites révèlent un lien rebelle de l'ex-adepte au groupe et non pas un détachement vis-à-vis du groupe. Dans ce cas, la prise en charge nécessite un cheminement psychologique ne rejetant pas le groupe en bloc et sachant ménager des appuis nécessaires pour que la personne puisse se reconstruire.
Le Centre apparaît donc comme un dispositif, parmi d'autres initiatives, utile et débouchant à terme sur un nécessaire élargissement des réflexions en la matière. Il apporte une réponse aux demandes de familles, d'associations, de personnes directement ou indirectement touchées par le phénomène sectaire. Outre le traitement des patients, le travail de recherche sur des questions touchant aux sectes se concrétise par un séminaire mensuel au département d'ethnologie de l'Institut Charles V (Paris VIII).
Le caractère récent du dispositif (moins de trois ans d'existence), son aspect expérimental, l'absence de spécialisation sur la question des sectes ne permettent pas aujourd'hui d'en faire un référent exclusif pour la prise en charge d'ex-adeptes, ce que le centre ne revendique d'ailleurs pas.
A des fins de discrétion et de protection des personnes, le Centre Georges Devereux n'a pas encore fait de communication publique. Cette expérimentation n'a pas pu, en conséquence, être ouverte aux controverses techniques indispensables au progrès de la réflexion.
Par ailleurs, le Centre ne saurait prendre en charge toutes les personnes concernées. D'autres structures, établissements de soins psychiatriques, réseaux de santé mentale ville-hôpital, associations de réinsertion sociale accueillent ainsi des ex-adeptes de secte. Tenant compte des disponibilités existantes et de la nécessaire liberté de choix des personnes concernées, l'essentiel est de disposer de lieux d'accueil divers et de porter leur existence à la connaissance du public.
Une piste de réflexions portant à la fois sur les méthodes, le parcours des "sortants" et leur réinsertion pourrait utilement s'inspirer des orientations d'un rapport de MmeMarie-NoëlleLienemann, alors députée européenne (Pour une nouvelle politique publique d'aide aux victimes, la Documentation française, juillet 1999) dont les recommandations peuvent s'appliquer aux victimes de dérives sectaires.
PROTECTION DE L'ENFANCE
Quelques décisions
judiciaires récentes
Quelques décisions judiciaires récentes mettent en évidence les risques auxquels les mouvements sectaires exposent les enfants.
L'intérêt d'enfants peut dicter de ne pas les mettre en contact avec des membres du mouvement raëlien
Un arrêt du 22 février 2000 de la Cour de Cassation est significatif à cet égard. La Cour d'appel avait enjoint à la mère de ne pas mettre ses enfants en contact avec des membres du mouvement raëlien, à l'exception d'elle-même et de son compagnon, de ne pas sortir les enfants du territoire métropolitain sans l'accord écrit de leur père.
Le pourvoi en cassation invoquait les articles 8.1 (ingérence dans vie privée et familiale possible pour autant que la loi le prévoit et qu'un but légitime est poursuivi), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 10 (liberté d'expression) de la Convention européenne des droits de l'Homme. La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi car l'arrêt attaqué ne portait pas directement atteinte aux droits et libertés invoqués. Il soumettrait simplement leur exercice à des conditions dictées par le seul intérêt des enfants.
Méthodes d'éducation coercitive
Un arrêt de la Cour de Cassation du 13 juillet 2000 mentionne explicitement les méthodes d'éducation coercitives des Témoins de Jéhovah. La Cour de Cassation a considéré que l'intérêt de deux enfants, dont la mère était Témoin de Jéhovah, dictait de ne pas les soumettre aux règles éducatives dures et intolérantes imposées aux enfants des adeptes des Témoins de Jéhovah ; que le juge d'appel n'avait pas porté atteinte à la liberté de conscience de la mère ; que l'intérêt des enfants imposait de fixer leur résidence habituelle chez leur père.
Le
refus de soins pour les enfants dans les structures médico-psychologiques
Les informations relatives à des familles membres des Témoins de Jéhovah attestent de la difficulté que peuvent rencontrer les équipes des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) pour prendre en charge sur le plan médical, psychologique et pédagogique des enfants qui présentent des troubles du comportement, associés ou non à des troubles de l'apprentissage scolaire.
Les équipes soignantes des CMPP ne sont pas nécessairement informées de l'appartenance des parents au mouvement des Témoins de Jéhovah, cette donnée étant éventuellement connue et intégrée au fil du traitement. Deux cas peuvent être utilement développés.
Premier cas. Un enfant a deux ans de retard scolaire en classe primaire en début de traitement. La famille consulte le CMPP à la demande de l'école. Les thérapies successivement mises en uvre sont sans effet. Il apparaît que les parents consultent le CMPP parce que l'école le leur demande, mais condamnent implicitement le traitement, craignant que leur enfant, voire que la cellule familiale entière, ne soient dévoyés.
Deuxième cas. Un CMPP prend en charge depuis quelque temps un enfant qui présente notamment des troubles de l'apprentissage scolaire. En décembre, la mère de l'enfant incrimine auprès du directeur les "pratiques païennes du centre". Le pédopsychiatre s'entend expliquer que l'arbre de Noël installé dans le hall d'entrée constitue une pratique païenne. Malgré les difficultés réelles de l'enfant, la famille interrompt le traitement et reste sourde aux conseils de l'équipe médicale invitant à poursuivre les soins nécessaires.
Il est vraisemblable que certains troubles de l'apprentissage scolaire ne soient pas étrangers à une méthode de lecture spécifique, en usage au sein de familles de Témoins de Jéhovah. Cette méthode, intitulée "Appliquez-vous à la lecture et à l'écriture" diverge totalement, par son contenu et les principes éducatifs qui la sous-tendent, des manuels en usage dans les établissements scolaires. On ne relèvera que quelques phrases ou membres de phrases proposés à la lecture : "Le nom du père est Jéhovah", "Voici, la main de Jéhovah peut vous sauver", "Un proclamateur a de l'amour", "L'amour pour Jéhovah et pour les hommes le pousse à prêcher". Cette méthode peut être source de difficultés scolaires ou en constituer un facteur aggravant.
De manière plus générale, les psychologues scolaires peuvent constater des troubles chez des enfants de famille de Témoins de Jéhovah : enfants tristes, non intégrés aux activités de groupe. Les Témoins de Jéhovah restent une minorité sociale vivant selon ses propres règles distinctives, ce qui marginalise les enfants et les prive d'une éducation pluraliste.
Les juridictions administratives ont adopté des décisions de principe à ce sujet. Ainsi, un arrêt du Conseil d'Etat du 24 avril 1992 - Conseil général du Doubs c/M. et Mme F., a jugé que "l'agrément requis pour adopter des enfants peut être refusé à un couple, dès lors que les intéressés ont exprimé sans ambiguïté leur opposition à l'usage de transfusion sanguine et ne présentent pas de garanties suffisantes pour les conditions d'accueil "sur les plans familial, éducatif et psychologique".
Un jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 mars 1998 justifie le retrait d'agrément d'une assistante maternelle accueillant des enfants à son domicile par le fait que l'intéressée refuse "d'exercer auprès des enfants des pratiques pédagogiques essentielles [la fête de Noël ainsi que les anniversaires des enfants aux jours requis] alors même que ces festivités constituent des "repères familiaux et sociaux essentiels" pour les enfants concernés.
- Le Manuel de justice scientologue
- Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales
- Recommandation n°1412 du Conseil de l'Europe : décision du Comité des ministres
- Résolution du Parlement européen sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne (5 juillet 2001)
- La Tour de Garde, 15 juin 2000
- Déclaration du 16 juin 2000 aux comités de liaison hospitaliers des Témoins de Jéhovah
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