RAPPORT AU PREMIER MINISTRE

par Alain VIVIEN

Député - Vice-président de l'Assemblée Nationale

LES SECTES EN FRANCE
EXPRESSION DE LA LIBERTE MORALE OU FACTEURS DE MANIPULATIONS ?

RAPPORT AU PREMIER MINISTRE

 

Les sectes déchaînent les passions, parce qu'elles enchaînent les hommes.
Mais que sont-elles réellement?
De la volonté de puissance du gourou á l'exploitation constante de la crédulité et du travail des adeptes, les sectes marchent au mìme pas. Encore faut-il les connaître si l'on veut éviter les piéges qu'elles tendent aux plus fragiles d'entre nous.
Aucune enquìte systématique n'avait été faite en France oú l'on ignore, le plus souvent, l'expérience des pays étrangers confrontés aux mìmes difficultés.
Ce rapport au Premier ministre vient combler cette lacune.
Alain Vivien, député de Seine-et-Marne, vice-président de l'Assemblée nationale, s'est interdit d'apprécier le contenu idéologique ou religieux des sectes pour s'en tenir á l'analyse de leurs seules pratiques. Face á leur emprise, il propose de défendre le libre arbitre, conditions de l'exercice effectif de ces libertés essentielles que sont les libertés de penser et de croire, de se réunir et de s'exprimer.
L'usage extrìme des libertés par certains né doit pas détruire la liberté elle-mìme - la nôtre et celle d'autrui.
LA DOCUMENTATION FRANÇAISE 6 29-31, QUAI VOLTAIRE - 75 340 PARIS CEDEX 07 Tél.: 261.50.10
ISBN : 2-11-001374-5 DE 946

Première partie

Chapitre 1 : Les sectes et l'opinion
Chapitre II : Les chemins de la transparence
Chapitre III : Des sectes en expansion ?
Chapitre IV : Anatomie et physiologie des sectes ou la vitrine et l'arriére-boutique

Deuxième partie

Chapitre V : Les sectes devant la loi française
Chapitre VI : L'expérience étrangére
Chapitre VII : Propositions
Chapitre VIII : Quelques mots en forme de conclusion
ANNEXES

Exemple de contrat de travail
Proposition de loi de l'Etat de New York
Liste des auditions et des communications adressées á la mission
Table des matiéres

Chapitre 1 Les sectes et l'opinion

La question des sectes agite l'opinion, essentiellement par la voix de deux porte-paroles privilégiés : la famille, qui « porte plainte » lorsqu'elle est concernée, et les médias.

En effet, la multiplicité des affaires liées aux sectes depuis plusieurs années, la gravité de certains événements survenus á l'étranger, notamment l'affaire du Guyana, ont alerté l'opinion et induit á appréhender le phénoméne des sectes dans ses aspects permanents comme dans la nouveauté de ses plus récents avatars.

Il est apparu nécessaire de rechercher comment parer á certains excés et définir les voies d'un nouvel équilibre qui garantisse les droits imprescrip-tibles de la personne humaine dans sa liberté de penser, de s'exprimer, de s'associer et assure simultanément la protection des individus contre toute manipulation abusive.

1. Les familles portent plainte

Pour des raisons tenant á son évolution sociologique récente, l'opinion des familles s'est exprimée avec vigueur.
La vive sensibilité des familles á l'égard des sectes ne peut ìtre comprise que si l'on garde présent á l'esprit quelques clefs de cette évolution récente.

1. Les familles et la société

a. Le surinvestissement affectif de la famille

S'il est un plaisir partagé, aujourd'hui, par toute la société, c'est bien le goùt de la famille. Tout récemment encore, évoquant un sondage dont les termes auraient pu ìtre mieux nuancés, les médias se firent, á cet égard, l'écho des Français, unanimes : la quasi-totalité d'entre eux souhaitait voir entourée de soins attentifs la cellule familiale, dans son sens le plus intime.

Plus sérieusement, un des quatre « choix » formulés par le chef de l'Etat, á l'occasion des fìtes de la fin de l'année 1982, n'affirmait-il pas l'importance de ce fait ?

De rapprochements en ruptures, de soins attentifs en désillusions, d'intimités en indifférences, de puissants dynamismes affectifs s'inscrivent au cour de la famille actuelle.

Dans des temps plus lointains, l'enfant n'était pas, comme depuis le XIXe siécle, la propriété exclusive d'un foyer, au sens étroit du terme. Il participait au contraire á l'existence de la famille élargie et s'insérait trés tôt dans le groupe social en réduction qu'il se voyait ainsi offrir par sa naissance.

La précocité de son éducation sociale et mìme civique était alors accrue. On mesure aujourd'hui le chemin parcouru lorsque, á vingt ans ou plus, un jeune, bouillant d'agir, ignore encore quelle sorte de rôle il risque d'ìtre appelé á jouer dans la société.

Finalement, l'immensité du choix devant lequel il est placé entraîne de profondes incertitudes sur la vie, quand elle n'est pas ressentie comme une totale impasse.

Bien resserrer les liens et, simultanément, réduire la quantité des membres, ainsi pourrait-on définir le présent dynamisme. inscrit dans la famille.

S'agirait-il d'auto-défense ? On peut aussi y voir l'une des nécessités du rôle qu'elle s'est elle-mìme confié : passer de la mission sociale á la défense de l'affectif.

C'est ainsi que conjoints, enfants, parents - éventuellement âgés - dont le rôle précis n'apparaît plus clairement, en arrivent parfois, paradoxalement, á une séparation, quel que soit le sens dans lequel elle s'impose.

Investis d'une tâche importante dont ils sont plus conscients que jamais, les parents se disent prìts á d'immenses sacrifices. Et c'est vrai. Dans un univers qui stimule á l'infini la montée des désirs personnels et qui se plaît

á décrire les piéges innombrables - voir les écueils irrémédiables - de la croissance d'un enfant, comment peut-on vouloir ìtre parent ? Mais le rôle est aujourd'hui considéré comme trés noble et, partant, trés tentant : jamais on ne vit si peu de foyers sans enfants.

Une fille pour une fille, un garçon pour un garçon. Voilá pour la nécessité.

La problématique de la dénatalité paraît bien s'exercer sur ce contrat nouveau.

b. Une alternance conflictuelle de famille et société

C'est par une autre porte que s'introduit l'ampleur du champ social au sein de la famille. Le rôle prépondérant que s'arrogent au foyer l'information et les médias trouve un trés net symbole dans la place, concrétement centrale,

du poste de télévision. Le projet éducatif des parents envers les jeunes enfants passe moins par la tenue á table que par le bon usage de la télévision.

En outre, les membres du foyer, les adultes, les enfants, se trouvent projetés dans un espace « social » et tout le jour durant, chacun de son côté. Parents devant leurs patrons, enfants dans leurs écoles et petits au milieu de leurs créches. Voilá leur alternance.

Un équilibre tente alors de s'installer entre foyer-intimité et la journée en société.

Face á l'exigence des soins intellectuels et affectifs dont la nécessité leur fut, dés les années 1960, dùment décrite et détaillée, les parents, chaque jour plus tentés de confier á d'autres qu'á eux-mìmes l'essentiel du travail

matériel ayant trait á l'enfant, souhaitent, au fond, ne pas faillir á leur « vrai rôle ».

Ainsi se forgent les termes d'un conflit entre famille et social au cour de chaque parent.

L'alternance n'est pas correctement sublimée. A la fois « libérés » et « privés » des enfants, ils sont aussi « aidés » et « empìchés » dans leur tâche de parents.

c. Une demande de dialogue avec les institutions

Conscientes de confier chaque jour davantage au corps social une part des soins et de l'apprentissage qui revient á l'enfant, les familles demeurent néanmoins moralement chargées du résultat de leur conduite envers l'enfant

vers elles se tournera gloire pour une réussite et honte en cas d'échec. Comme si l'enfant était le produit de la seule conduite des parents.

On va donc constater que montent des exigences, dialogue - et mìme pouvoir - avec les divers « lieux » de vie en société influençant l'enfant. L'école en est le meilleur exemple. A un moindre degré, la télévision y ressortit également.

Particuliérement complexe, la relation á l'école adopte sans logique, tour á tour et selon les foyers, toutes les nuances possibles depuis la prise en charge maternante jusqu'á l'apprentissage d'une vie en société. Et une vraie

dialectique de famille á école et d'école á famille pourrait mieux définir - et plus tôt - le projet social de l'enfant, qui lui est, moins que jamais, tracé par la naissance.

2. Une forte sensibilité des familles aux manipulations

Ikor (1) au nom de son fils suicidé. Un large écho y fut donné par l'opinion. Pourtant, les responsabilités ne relévent pas des seuls pouvoirs publics.

Qu'une influence s'exerce sur l'individu - qui plus est sur l'enfant - elles veulent avoir leur mot á dire.

C'est sur ce point précis, d'une sensibilité extrìme, et sur fond de conflit, que vient se greffer l'existence des sectes. Peu de familles sont, en réalité, durement touchées par le contact d'une secte. Pourtant, cette question

préoccupe l'opinion et sensibilise, bien sùr, tous ceux qui pensent á leurs enfants.

a. Des mots violents souvent utilisés

Si les associations familiales ne sont que peu saisies de la question des sectes, s'est, en revanche, organisé tout un réseau « d'associations de défense de la famille et de l'individu » (ADFI) (1), spécialisées dans l'aide á cet égard.

De nombreux témoignages provenant des familles, destinés tant aux pouvoirs publics qu'aux parlementaires ou aux associations, empruntent pour leur vocabulaire les termes les plus forts : changement du caractére »,

« lavage de cerveau », « hypnotisme », « envoùtement », etc. sont supposés décrire l'effet produit au contact d'une secte.

« Ma fille envoùtée entre en communauté » (Krishna).

« Une psychose semble entretenue chez les adeptes » (Enfants de Dieu). « C'est de l'asservissement d'ìtres humains » (Krishna).

« Ces gens semblent avoir découvert le moyen de changer le caractére des individus » (Nouvelle Acropole).

« Nos enfants sont des robots á la solde du Révérend » (Moon). « C'est du viol de conscience » (Gerphir) (2).

Presque toujours, sans lien privilégié á telle secte ou telle autre, on retrouve la mìme rudesse des termes.

Comme s'il s'agissait de dénoncer, d'abord, cette manipulation abusive et ce puissant empire qu'en effet les parents au sens large constatent souvent sur des enfants, éventuellement majeurs, parfois aussi sur des ascendants : si

« les sectes ne sont pas également condamnables,elles suscitent spontanément la mìme réprobation et la mìme inquiétude dans la conscience popu-laire » (3).

(1) ADFI : 4, rue Fléchier, 75009 Paris.
(2) Extraits de lettres reçues.
(3) Rapport Ravail (décembre 1981).

b. Les familles touchées renvoient cette question á la société avec beaucoup de vigueur

Tout le courrier en témoigne. Mìme les trés rares exceptions ne font que souligner la voix solitaire qui s'éléve, toujours désemparée, pour rendre compte des souffrances ressenties. Que fait la société ? s'est écrié Roger Ikor (1)

Citons aussi deux faits récents et significatifs.

Adepte de l'idéologie mooniste et majeure, une jeune fille (2) a été, il y a peu, l'objet d'un enlévement organisé, sans succés d'ailleurs, par ses parents avec l'aide de certains membres de l'ADFI.

Plus récemment encore, des parents (3) tentérent - et réussirent - l'enlévement de leurs fils, majeur, adepte de Krishna, le firent passer en psychiatrie, aux fins de « déprogrammation », obtinrent enfin qu'il abandonne la secte, le tout dans un élan sans doute compréhensible, mais, á la réflexion, de bien sommaire justice.

L'impact du phénoméne de « récupération par initiative individuelle » s'accroît dans l'opinion. Les méthodes se durcissent. Moralement inacceptables, ces pratiques sont, aussi, insupportables pour n'importe quelle société civile. Elles apparaissent, en outre, bien périlleuse : oú commence, oú s'arrìte leur champ d'application ?

3. La famille amputée

Plus douloureuse que tout, souvent considérée comme suite aux mani-pulations déjá annoncées, une rupture grave enléve l'adepte á sa famille. Ainsi, parfois en quelques jours, une mére, un pére peuvent voir leur fille, leur fils qu'ils ne reconnaissent plus, abandonner études, logement, amis, famille, métier et s'engager totalement dans une secte.

Cet engagement est-il aussi spontané, aussi subit que l'apparence le laisse croire ? Au vrai, ferait-on boire quelqu'un qui n'a pas soif ? Les sectes, elles-mìmes, ne s'y trompent guére, qui savent, parfois d'un seul coup d'aeil, sélectionner le « client potentiel ».

D'un jour á l'autre, ou en quelques semaines, la rupture est si forte que pére et mére, aucun ne reverra l'enfant, souvent majeur, de longues périodes durant, voire de nombreuses années. Que s'est-il passé ? S'il s'agit d'une personne encore présente sur le territoire national, on peut espérer le maintien de certains contacts, ou mìme un revirement. De fait, parfois, il s'en produit.

Mais si le nouvel adepte s'exile (ou est exilé) á l'étranger ? La famille perd mìme la notion de l'espoir. Son ressentiment n'en devient que plus âpre et plus exigeant.


(1) Je porte plainte, Roger Ikor (Albin Michel, 1981).
(2) Affaire Chateau, 23 novembre 1978.
(3) Affaire Taupin, 3 mars 1982
.

a. Les jeunes enfants ou la seconde génération

Née dans les « nouvelles sectes » (1) selon le terme d'Alain Woodrow, il faut d'ores et déjá considérer aussi que la société civileja et aura, de plus en plus, affaire á ce que l'on pourrait appeler la « seconde génération » des adeptes.

Différents cas se présentent.

Un couple uni, adepte l'un comme l'autre, éléve ,ses enfants dans la secte. Ici, rien de particulier avant l'âge de l'école, -pourvu qu'ils soient nourris et point maltraités physiquement. Sauf á considérer le cas des grands-

parents, purement et illégalement écartés de leurs petits-enfants : que devient, en effet, leur droit de visite ?

Moon, Krishna, la Scientologie, la Famille d'Amour et d'autres pratiquent l'exil. Parfois, la secte elle-mìme, par précaution, écrit ou prend contact avec la famille. Ce n'est pour adresser, en guise de nouvelles, que des extraits de sa doctrine. Ainsi, mìme lorsque les familles tentent de renouer le contact, ce refus d'informations pourtant humanitaires ne peut qu'accroître vivement leur anxiété.

L'UNAF résume d'ailleurs l'attitude des familles : « Certaines techniques des sectes entraînent la rupture, souvent définitive, avec la famille. Or, le dessein profond des parents est de maintenir le dialogue, difficile, certes, lorsque les opinions sont trés divergentes, mais dialogue nécessaire á bien des égards, et en particulier pour le maintien d'une porte de sortie si le jeune désire quitter la secte » (1).

Arrive l'âge de l'école.

La communauté, Krishna par exemple, crée deux 'écoles, élémentaire et secondaire. Dépendance exclusive des enfants de la secte et de leurs parents eux-mìmes sectataires, ces écoles n'accueillent que des'« enfants Krishna »...

Une telle fermeture sociale ne peut que déboucher, par son caractére asocial nettement délibéré, que sur un grave déséquilibre ultérieur.

D'autres problémes, non moins aigus, apparaissent dans le cas des couples séparés.

Tout récemment, une affaire d'enlévement d'enfant survenue á Bel-fort (2) a donné lieu á une plainte déposée de la part de la mére, aprés qu'elle ait quitté la secte, contre le pére dit « Le Berger de la Famille d'Amour » (3). Le pére ayant disparu avec l'enfant, la justice a été saisie. L'enfant a été restitué ultérieurement á sa mére.

Rien, hélas, de spécifique aux sectes, ces cas douloureux se rencontrent ailleurs. Mais le puissant appui d'une secte á celui qui, des deux, demeure son serviteur accroit sans doute l'impuissance de l'autre qui n'a pour seul recours que la justice dont le pouvoir ne va pas jusqu'á restituer l'enfant, en raison de lourdes procédures internationales.

b. Départs á l'étranger

De fait, l'une des plus inquiétantes menaces au regard des familles, c'est l'éventualité de l'exil d'un adepte. Des jeunes en général, ou des couples avec enfants trés jeunes, quittent chaque année le territoire national. Grâce á des ramifications que les sectes entretiennent dans de nombreux Etats, des départs s'organisent pour des pays lointains. La distance morale et kilomé-trique, le mystére qui entoure l'activité d'une secte et l'ignorance du lieu de résidence, parfois mìme du pays oú sont partis les enfants laissent les parents atterrés.

(1) Les nouvelles sectes, Alain Woodrow, éd. du Seuil (1977). (2) Affaire Fabien Déchelotte, 12 octobre 1982.
(3) Nouvelle appellation des « Enfants de Dieu ».

II. La presse est motivée, mais livre des informations cahotiques

Depuis l'affaire du Guyana oú, en 1978, prés de mille personnes se donnérent la mort á l'initiative de Jim Jones, leur leader, la presse réagit fortement aux affaires dites « des sectes ».

1. Une large dénonciation des « méfaits » des sectes

Souvent avec fracas, la presse n'hésite pas á tirer la sonnette d'alarme. Pour certains journalistes, le rôle des médias serait, en la matiére, de pallier l'absence d'action préventive de la part des pouvoirs publics.

Forte d'une audience assurée, la presse n'a pas manqué de répercuter amplement les affaires les plus graves. Pendant la durée de la mission, marquée par une absence toute relative d'incidents majeurs, ont été publiées

diverses informations ayant trait á l'affaire de Belfort ou au résultat d'une plainte formulée par Krishna pour « dénonciations calomnieuses ».

Avec Le Provençal, L'esprit de ces divers articles pourrait se résumer ainsi : « Que la loi soit du côté des familles ! » (11-11-1982). France-Soir (16-12-1982) titre ainsi : « Krishna a perdu contre une mére », qui décrit le

combat exemplaire d'une famille. Le Monde, pragmatique, tente d'ouvrir des perspectives en dédramatisant la procédure : « Les déboires judiciaires de la secte Krishna » (29-12-1982).

(1) Communication écrite du 10 janvier 1983.

Dans l'affaire de Belfort, le théme souvent repris de l'enlévement d'enfant voisine avec d'autres idées génératrices d'angoisse : Françoise d'Eau-bonne évoque « La secte de la terreur », l'Est Républicain, 11-11-1982. « Un mandat d'arrìt international lancé contre le pére du ravisseur », le Républicain Lorrain, 10-11-1982 ; « L'abbé de la secte enléve son fils », Paris-Normandie, 11-11-1982.

En dehors de ces informations, trés liées á l'événement, se manifeste aussi le désir d'élargir le débat en s'éloignant délibérément de la technique du « scoop » qui prévaut trop souvent.

Ouest-France, par exemple, rapporte largement les propos tenus, lors d'une conférence, par le spécialiste autorisé par l'Eglise catholique en matiére de secte, le pére Jean Vernette, vicaire général ; il s'agit ici d'une heureuse réflexion sur les causes du phénoméne. Le journal titre sur une page : « La recrudescence des sectes provoque la remise en question de l'Eglise
catholique ».

La question du dialogue avec les familles est aussi posée. Cette mére avouant sa « culpabilité », le sentiment d'échec qui habite celle dont l'enfant entre en secte, le pére Jean Vernette rouvre un certain chemin de l'espoir en répondant : « Vous avez donné á vos enfants le sens de la liberté. C'est le principal », Ouest-France, 16-11-1982.

2. Des réactions diverses : l'exemple de l'affaire Chateau

Au mois de 1982, aprés plusieurs tentatives pour sortir leur fille d'un milieu soupçonné d'oblitérer sa liberté de jugement, les parents de Claire Chateau, mooniste, 21 ans, organisaient l'enlévement de celle-ci.

Elle est alors prise en charge par un groupe comprenant ses parents, un membre de l'ADFI et deux « déprogrammeurs ».

La police la retrouve rapidement, trop tôt pour qu'une sorte de « décompression » permette á Claire Chateau de se retrouver elle-mìme et qu'un dialogue s'instaure avec ses parents. L'embarras de la justice est évident : les inculpés sont relâchés et, sur le conseil de la secte elle-mìme, Claire Chateau retire la plainte qu'elle a déposée contre ses parents (mais non contre les membres de l'ADFI, ni contre les « déprogrammeurs »).

L'instruction se poursuit donc. Mais, le 8 juin 1982, coup de théâtre, une perquisition de la police est effectuée á la demande de la justice dans plusieurs centres Moon de Paris et de Province. Des documents sont saisis.

Epineux probléme, l'affaire provoque spontanément de nombreuses réac-tions. Verra-t-on les parents de Claire traduits aux assises ? L'enlévement avec séquestration et « déprogrammation » va-t-il se généraliser ? Les pouvoirs publics vont-ils se débarrasser du probléme par une absence de réaction qui aboutirait à une singuliére jurisprudence ?

La presse, loin d'être unanime, montre son embarras.

Plusieurs prises de position s'élévent contre la déprogrammation.

Tout à fait contraignante et, par bien des aspects, comparable aux contraintes que l'on reproche aux sectes, la déprogrammation pourrait être utilisée pour combattre toutes les opinions, politiques, religieuses ou philo-sophiques.

D'inspiration trop pragmatique et, au demeurant souvent fort coùteuse, elle n'est pas, au surplus, adaptée à la mentalité française. « Cette méthode, analogue à celle qu'ont subie les adeptes à l'arrivée dans la secte - mais de leur plein gré et sans violence - suppose une contrainte », Le Matin, 8-03-1982.

« La " méthode Ted Patrick " n'est pas infaillible. Et sur les trois uniques tentatives de déprogramming en France, deux se sont soldées par un échec », Le Point, 15-03-1982.

Sur la question de la législation spéciale à mettre en oeuvre ou non,. un éventail d'opinions se trouve émis, depuis la fermeté dans la répresson, l'Humanité, 10-03-1982, à l'embarras, Le Figaro, 17-03-1982.

Les hebdomadaires adoptent un ton vivement critique émaillé de nom-breux détails : « Comment les sectes transforment les jeunes en zombies », Match, 26-03-1982, ou bien ridiculisent la secte : « Les moonistes français tiennent enfin leur martyre. Et, de plus, ils ont la loi pour eux. Grâce aux exorcistes américains, ils avaient eu le temps de tout prévoir : lettre notariée de leurs membres les autorisant à agir en cas de pépin. Dossier de presse conséquent sur le déprogramming aux Etats-Unis. L'affaire se présente bien ». C'est une trés bonne opportunité pour notre mouvement », reconnait stupidement Claire Chateau. Il ne reste plus qu'à l'exploiter », Le Nouvel Observateur, 21-03-1982.

Des questions politiques sont aussi posées. « Le fond de l'air qui conjugue les idéologies du doute avec la violence de l'anticommunisme ne s'est guére renouvelé depuis le 10 mai (...) Si, dans ces conditions, on vous demande qui a intérêt à laisser proliférer les sectes qui menacent vos enfants, aurez-vous un instant d'hésitation sur la réponse à donner ? ». Le même article de L'Humanité-Dimanche, 12-03-1982 met en cause les marchands d'illusions, les irrationalismes en provenance des Etats-Unis. Les journaux catholiques, à travers La Croix et La Vie, laissent percer leur malaise face à un groupement dont les membres, comme Claire Chateau, font état, sans hésiter, d'une réelle conviction religieuse. Yves de Gentil-Baichis décrit cependant le doute qui plane sur la sincérité de l'organisation. « Le fait le plus troublant de l'affaire concerne l'empressement de la secte à admettre dans ses rangs une fille à laquelle on n'a donné aucun délai pour mùrir sa décision. Quelle différence avec les ordres religieux ou les séminaires quifont longuement attendre les candidats qui se présentent à t~ux. Ils veulent être sùrs que les jeunes qui souhaitent s'engager ne se trompent pas, mùri personne ne les influence et que leurs choix est profondément mûri et personnalisé.

« Là, tout se passe comme si la secte était pressée d'intégrer un néophyte avant qù'il ne change d'avis », La Croix, 24-03-1982.

Ainsi donc, vivement ressenti, le phénoméne des sectes interroge l'en-semble des Français, au travers des familles qui tissent le réseau social le plus élémentaire.

Mais les parents ne disposent d'aucune explication qui puisse les éclairer sur l'adhésion soudaine d'un enfant, au mépris de toute la vie qu'il menait jusqu'alors. L'écho des affaires de sectes dans les médias aggrave encore leur inquiétude.

C'est en raison de cette insuffisance d'informations et de réflexion que le gouvernement a choisi alors de prendre en compte l'angoisse des familles et de confier à un parlementaire une mission temporaire, dont le cadre est précisé par la lettre du 1" septembre 1982 de Pierre Mauroy : « J'ai décidé, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral, de vous placer en mission auprés de Mme le secrétaire d'Etat auprés du ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, chargée de la Famille.

« A ce titre, vous êtes chargé d'étudier les problémes posés par le développement des sectes religieuses et pseudo-religieuses. Il vous appartien-dra, plus particuliérement, d'examiner leur statut juridique et financier, tant en France qu'à l'étranger, et de proposer des mesures propres à garantir la liberté d'association au sein de ces sectes tout en préservant les libertés fondamentales de l'individu... »

Les familles sont donc, de plus en plus, en position d'attente, non seulement d'informations, mais également d'interlocuteurs.

Les statistiques d'activité des ADFI (rapport 1981) le démontrent

Il est vrai que les structures des ADFI se sont étoffées en cinq ans.

Interpellé par l'aspect spectaculaire et les redondances imprévisibles des affaires de sectes, le gouvernement ne peut se désintéresser d'un fait de société qui prend parfois mauvaise tournure.

Jusqu'en 1981, quelques enquêtes avaient été diligentées ; une mesure importante avait été décidée : l'interdiction notifiée à Sun Myung Moon de résider sur le territoire français prise en 1976, mesure reconduite depuis lors.

Par ailleurs, une commission d'étude animée par un haut fonctionnaire avait été constituée à la fin de l'année 1980 (rapport Ravail remis en 1982). Plusieurs questions parlementaires étaient cependant demeurées sans réponse avant juin 1981 (1).

Aprés l'installation du nouveau gouvernement, de nombreuses initiatives ont été prises à différents nouveaux d'autorité ; la réunion d'un comité interministériel a été décidée. Cependant, aucune réflexion d'ensemble n'avait été conduite : le phénoméne sectaire n'était pas quantifié, ni approfondi, ni sectorisé géographiquement.

(1) Notamment les questions écrites n° 26 219, 29 711, 38 291, 40 497, 44 635, 46 115'parues aux JO des 7-2-1976, 9-2-1976, 15-6-1977, 3-9-1977, 4-3-1978, 4-5-1981.

Chapitre II - Les chemins de la transparence

Le mot « secte » a pénétré, aujourd'hui, le langage courant. A ce point que certains chercheurs embarrassés abordent quelque peu naivement la question en cherchant un secours dans la définition du Littré ou celle du Robert. L'étude philologique du mot n'est pas sans intérêt, mais ne constitue qu'une approche trop abstraite, qui ne peut recevoir de réponse acceptable.

Au demeurant, le mot « secte » est coloré d'un sens tellement péjoratif, que chaque groupe considéré comme tel. s'efforce de prouver que, par définition, la secte, c'est « l'autre ».

I. Sur quelques idées reçues

D'emblée, avec le mot de « secte » surgissent des images qui en altérent le sens. Quelques-unes, provoquées par des faits récents, conférent, au moins superficiellement, une certaine étiquette au mot, trop liée à l'actualité pour

être pertinente. D'autres, forgées dans un contexte ancien, mais fort imprégné dans le tissu français, demeurent latentes, sans cesse sur le point d'envahir le présent.

1. Un kaléidoscope d'images négatives liées à l'actualité

La notion de secte est nettement dévaluée, pour ne pas dire carrément dévoyée. Une grande rumeur circule, qui brosse un « tableau-type » de la secte, aussi primaire que stéréotypé. Les « sectataires » seraient, parait-il, des

gens trés différents des autres. En général, ils rejetteraient la société, adhéreraient à des croyances bizarres, éventuellement nuisibles, en tout cas inutiles. On y ferait des choses probablement scandaleuses, peut-être abo-minables, sans quoi évidemment, on saurait ce qui s'y passe. Au-delà de ces appréciations tout à fait grossiéres, deux sortes de marginalités principalescollent à l'imagerie populaire : la grande secte multinationale, telle celle de Moon, et la secte trés typée et exotique, dont Hare Krishna est une maniére d'archétype. Quelques attributs majeurs caractérisent les adeptes de la grande secte : ils sont trés nombreux, trés riches, certains rassemblent des fonds dont la provenance est loin d'être claire, ils ont des ramifications mondiales, ils s'infiltrent partout et cherchent à convertir l'univers. Ils n'hésitent pas à s'exprimer politiquement. Ainsi, les moonistes n'ont pas peur de prêcher à travers le monde une croisade « anticommuniste » musclée, des Etats-Unis à la république de Corée. La secte exotique est, au contraire, perçue comme totalement coupée de la société, particuliérement folklorique ; ses dévôts vivent dans un vase clos - même s'il est doré - paraissent absolument illuminés, totalement inutiles, en tout cas suspects, dans la mesure oú ils pratiquent un folklore excessif, souvent d'origine pseudo-orientale. Les adeptes de ces sectes se risquent aussi à l'expression politique (avec moins de constance, toutefois, que dans le cas précédent). Ainsi a-t-on vu défiler de nombreux adhérents d'Hare Krishna avec les manifestants pacifistes d'Alle-magne de l'Ouest, en 1981 et 1982. Dans l'un et l'autre de ces grands groupes de sectes, la parenté des pratiques avec celles qu'on observe chez les drogués est la suivante : il s'agit d'une drogue mentale suscitant ou aggravant des déséquilibres redoutables.

A côté de ces associations bien typées, quelques groupes à vocation religieuse paraissent plus ambigus. Ainsi des Témoins de Jéhovah. On les considére à bon droit comme un groupe religieux. Pourtant, certains de leurs comportements, manifestement contestables, suscitent l'inquiétude : le refus de certains soins, de toute transfusion sanguine, y compris pour les enfants, est sévérement jugé par l'opinion qui, sans cela, ne retiendrait guére des Témoins de Jéhovah que leur aspect correct, pas trés gai, et leur constant prosélytisme domiciliaire.

2. Un fanatisme autodestructeur : le cas du Guyana

Une des origines probables de l'anxiété de l'opinion à l'égard des sectes se trouve dans le refus et la condamnation universelle du fanatisme. Trop de fanatismes, trop d'actes barbares ont frappé historiquement les esprits. La révolution islamique, particuliérement sanglante, qu'anime l'Ayatollah Kho-meiny, en est un exemple d'actualité, à l'échelle d'un pays tout entier.

Le cas du Guyana, dans un genre tout différent, a contribué à attacher aux « sectes » l'idée ou, du moins, le risque d'un fanatisme autodestructeur qui secoue l'opinion publique. « Il s'agit là d'une forme de comportement d'essence religieuse qui survit à la laicisation de l'histoire et qui reste une partie du fondement de notre conscience historique » (1). Manifestement opposé à la tolérance, sa persistance demeure, pour notre société française

(1) Le fanatisme. Histoire et psychanalyse, André Haynal, Miklos Molnar, Gérard de Puymige, Stock 1980.héritiére des philosophies des Lumiéres, un véritable talon d'Achille.

Un tel aveuglement pourrait-il se produire dans notre pays 7 La violence s'exprimant à travers l'acte fanatique est-elle si loin de nous ? Pour le Rabbin Sommer (1), on ne peut, aujourd'hui, en France, dissocier réellement

l'esprit sectaire de l'action, parfois de l'action violente : « Faire partie de telle ou telle secte, c'est plus qu'une opinion, c'est envisager de passer à l'action - et, je tiens à le répéter - éventuellement à l'action violente ». L'auteur du texte poursuit en analysant la violence à l'intérieur des sectes

« ... violence pour prendre dans la rue, sinon dans les maisons, des êtres faciles à influencer ; violence pour les garder, au besoin par des coups ; violence dans le refus de laisser les familles tenter de reprendre les leurs ; refus de céder aux injonctions de l'autorité civile à laquelle on répondra que la loi divine doit passer avant le reste. » Le refus de la violence est donc au coeur même de l'angoisse ressentie par chacun à propos des sectes. Violence sur soi-même, depuis l'affaire du Guyana ; emprise violente sur autrui à travers les méthodes employées par quelques groupes qui projettent une grande ombre sur l'ensemble du phénoméne sectaire, dans lequel, évidemment, bien des minorités religieuses ou philosophiques demeurent parfaitement pacifiques.

II. Distinguer le fait sectaire de l'action conjoncturelle de certaines sectes

Faute de pouvoir parvenir jamais à une définition satisfaisante du phénoméne sectaire, coexisteront toujours, à côté des dissidences des grandes religions, un grand nombre de groupes, d'associations de type philosophique,spiritualiste ou de développement mental. Les risques d'un amalgame sont évidemment perceptibles. De nombreuses voix s'élévent pour rappeler qu'il ne faut pas tout confondre et jeter dans le même sac, sectes, cercles, clubs, cénacles, chapelles, associations diverses et amalgamer tous les mouvements à l'écart des sentiers battus et rebattus dans un même anathéme méprisant. Des associations de recherches religieuses, sincéres et parfaitement sérieuses, à juste titre, se refusent à être assimilées à des groupements nuisibles. Cette confusion serait évidemment profitable aux groupes les plus suspects.

(1) Représentant le Grand Rabbinat de France auprés de la mission. Communication écrite du 23 novembre 1982.

« Que peuvent bien apporter aux jeunes de notre monde moderne les mascarades de ces associations qui n'ont retenu du bouddhisme que le renoncement au monde matériel pour dépouiller financiérement leurs adhérents, de la méditation que des séances d'endoctrinement, de la connaissance de soi qu'un conditionnement par des litanies vidées de tout contexte ? » (1).

Pour certains rationalistes absolus, il ne faudrait pas contester l'amalgame. Toute religion porterait en elle la secte, comme le capitalisme la guerre ou les nuées l'orage. « Que sont les religions, sinon des sectes qui ont réussi ?

Les Mormons ne sont chez nous qu'une dizaine de mille : ils peuvent cependant faire valoir qu'ils sont adeptes d'une Eglise parfaitement structurée et dont les membres sont au nombre de trois ou quatre millions. » (2).

1. Au nom de quoi condamner le fait sectaire ?

Que le champ soit trop large ou plutôt trop étroit, nul ne peut condamner le fait sectaire sous peine de s'y voir, un jour ou l'autre, inclure. Car chaque individu le porte, essentiellement, en lui, puisque le fait même d'exister, en tant qu'individu, comporte la nécessité, dés la naissance, d'affirmer sa différence. L'individu tente de se poser, tout au long de l'existence, face à l'ensemble de l'univers, au moins autant que de se concilier le monde extérieur et de s'y insérer.

Si cette différence ne peut être reconnue, à un moment donné, elle risque de devenir sectaire et de se transformer en refus de ce qui la conteste. Or, passer à la violence ou même au fanatisme reste toujours un acte potentiel : « Le fanatisme n'est pas nécessairement le produit d'une prédis-position pathologique, mais un état d'âme latent. Il peut se manifester absolument chez tout le monde. » (3). Exister dans un groupe « différent » est l'une des occasions possibles de la reconnaissance. Le groupe sectaire est une minorité qui pense et qui ressent autrement, qui conteste ainsi la société, laquelle, à son tour, sent qu'elle est contestée par ces minorités remuantes. Cette contestation peut être tournée vers une seule personne, la mére ou le pére, ou bien vers la cellule familiale, ou bien vers tel ou tel aspect de l'activité sociale. Ce déséquilibre traduit aussi une tentative d'établir un autre équilibre. La défectuosité de l'expression, son inadaptation, le vertige abscons de certaines sectes ne peuvent dissimuler entiérement la nature de cette espérance. « C'est à ce niveau-là, peut-être, que la psychanalyse a une contribution majeure à fournir à une civilisation équilibrée et saine : au lieu de refouler, d'écarter les phénoménes inquiétants, essayer de les comprendre, vivre avec le démon, utiliser cette compréhension pour qu'il n'y ait pas d'explosion trop dangereuse. Regarder les problémes en face précéde la possibilité de les maîtriser. » (4).

(1) Dr E. Corcos, in Humanisme, n' 134135, avril-mai 1980.
(2) Communication écrite de l'Union rationaliste du 21 décembre 1982. (3) Haynal op. cit., p. 317.
(4) Haynal, op. cit., p. 121-122.

2. Des phénoménes aberrants

A côté de recherches sur le mieux-être, le développement légitime de croyances religieuses ou philosophiques authentiquement pacifiques (même si elles paraissent parfois farfelues), existent des phénoménes aberrants et même nocifs.

Physiologiquement, des êtres semblent, en réalité, aliéner leur autonomie et le comportement de certains adeptes a quelquefois conduit les autorités médicales à supposer l'emprise d'une drogue. Elles n'ont pu, cependant

l'établir (1). L'aliénation morale est, bien sùr, aussi grave. Soumission totale à un systéme fermé, absolue dépendance au groupe, impossibilité pour l'adepte de communiquer seul avec les personnes extérieures n'aboutissent-ils pas à la destruction de la liberté pour ceux qui se soumettent ? Cet avis est largement répandu dans l'opinion sous sa forme extrême ; il est celui de la Libre Pensée (2). Des membres qui choisissent de rompre avec leur famille se soustraient aussi, parfois, à une vie normale en société. Abandon-nant leurs études, délaissant l'apprentissage d'un métier, ils peuvent, en outre, rompre avec leur dépendance nationale, car la secte devient comme une supranationalité. Les adeptes acceptent ainsi moralement un statut d'apatride. De tout cela résulte l'accroissement de leur dépendance à l'égard du groupe auquel ils ont adhéré et la difficulté, pour eux, de se réinsérer plus tard.

De fait, des meneurs semblent s'être organisés pour exploiter ce « marché » d'un nouveau genre, utilisant l'attirance que provoque l'exotisme oriental ou des idéologies inacceptables pour l'homme : stimulation des pulsions racistes ou dévoiement sexuel transmuté en volonté de puissance. De telles pratiques doivent pouvoir être clairement dénoncées. Lorsque des individus sont maintenus en état de torpeur physique et morale, la société se doit d'y voir clair. Si des meneurs entretiennent dans des groupes sectaires des régimes alimentaires carencés, ces faits doivent être dévoilés et, le cas -échéant, réprimés. Que des associations proclamant des buts entiérement religieux ou philosophiques - leurs adeptes, d'ailleurs, subsistant avec le minimum vital - Se livrent à des transferts clandestins de devises, l'Etat est en droit d'intervenir avec la plus grande rigueur. Si le travail fourni par des ressortissants français s'organise entiérement pour exporter des fonds considérables en direction d'organisations étrangéres, les pouvoirs publics ne peuvent rester sans réaction. Enfin, si les techniques les plus modernes du marketing au service d'un recrutement intensif n'annoncent pas, au départ, la couleur ; s'il est scienti-fiquement organisé, à l'échelle internationale, de convaincre toujours davantage de jeunes transformés en travailleurs dont on sait le profit que chacun d'eux représente chaque jour ; si, par-dessus tout cela, le terme d'église masque des activités qui exploitent la crédulité des personnes socialement les plus faibles, le rôle de l'Etat est de réduire ces manipulations intolérables.

Il convient tout d'abord d'y voir clair. La grande confusion qui régne en la matiére reste, aujourd'hui, le plus précieux auxiliaire d'une prolifération des groupes nocifs autant que de l'accroissement de leur influence.

(1) Affaire Krishna déjà citée.
(2) Communication écrite du 14 décembre 1982 : cette association ne dissocie pas sectes et religions dans son combat contre l'obscurantisme : elle « regarde tous les mysticismes et toutes les religions comme les pires obstacles à l'émancipation de la Pensée ... Erronées dans leurs principes, néfastes dans leur action, les religions divisent les hommes et les détournent de leurs buts terrestres ».

III. Des pouvoirs publics « ni dupes ni tyranniques » (1)

Face à l'extension du phénoméne des sectes, de nombreuses interventions parlementaires se sont succédé depuis 1976. Pendant longtemps, la plupart de ces questions écrites sont demeurées sans réponse, au mépris des impératifs réglementaires. (Paradoxalement, une voix s'est élevée, à l'Assemblée natio-nale (2) pour protester contre les critiques exprimées par certains organes de presse à l'encontre du comportement de l'Association pour l'Unification du Christianisme mondial (Moon). « Il s'agit d'une gigantesque rumeur d'Orléans, à l'échelon de la France entiére, avec le lynchage pour consé-quence.»

Parallélement à ces diverses initiatives parlementaires, des associations de défense se constituent. Mais les demandes de clarifications n'aboutissent, sauf exception, nulle part. Un tel laxisme conduit, finalement, à consacrer les priviléges de fait des sectes.

Dans l'état actuel de la législation, les sectes ne peuvent être soumises qu'aux dispositions définies par les articles 1 à 9 de la loi du premier juillet 1901 sur les associations. De ce fait, elles bénéficient d'une liberté beaucoup plus large que les grandes confessions, catholique, protestante et israélite, auxquelles s'appliquent les dispositions spécifiques de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, ou les dispositifs antérieurs qui restent en vigueur en Alsace - Moselle. Les congrégations religieuses sont soumises, en effet, aux articles 15 et suivants de la loi du 1" juillet 1901 (décret d'application du 16 aoùt 1901 de la même année). Toutes ces dispositions, acceptées, imposent un certain contrôle administratif et une transparence financiére supérieurs à ceux qu'on observe dans les associations simplement déclarées qui constituent la base juridique de la plupart des sectes (3).

(1) D'aprés une citation de F. Bloch-Lainé in rapport Ravail, p. 20.
(2) Question écrite n° 26233 du 14 février 1976 (JO du 27-03-1976).
(3) De plus, l'incapacité légale des associations de ce type à recevoir legs et donations est tournée en permanence.

Pour tenter de désembourber cette affaire qui défraie l'opinion, une commission d'enquête est réclamée, en 1978, à l'Assemblée nationale. Cette demande est refusée, sur avis de la commission des lois qui suggére, de préférence, la création en son sein d'une mission d'information. Ses travaux, présidés par M. Philippe Marchand, se trouvent interrompus en juin 1981, par la dissolution de l'Assemblée nationale, et la nouvelle législature ne reconduit pas la mission, sachant que, à partir de 1981, une volonté se manifeste clairement. Le Premier ministre souhaite initier d'autres méthodes de travail. Un rapport est tout d'abord établi, en janvier 1982, par la mission interministérielle Intérieur-Santé, dirigée par M. Jean Ravail, inspecteur général de l'Administration. Elle constitue le premier effort sérieux de clarification tenté par les pouvoirs publics. Ce rapport constate que l'ampleur réelle du phénoméne sectaire en France demeure mal cernée aux yeux de l'Administration : « L'enquête réalisée par les différentes administrations ne constituant qu'une approche de la question est loin de présenter un caractére exhaustif. » De plus, il apparaît rapidement que les moyens d'information et d'action s'avérent relativement limités en l'absence de dispositions spécialement adaptées à la nature du probléme. Par exemple, l'Administration n'a pas, à priori, vocation à connaître les mouvements d'adhérents au sein d'associations qui ne sollicitent, ni le statut de congrégations, ni celui d'associations cultuelles, ni des subventions qu'entraîne, par exemple, le statut d'utilité publique. Dés lors s'est imposée la nécessité d'un effort particulier de recherches et d'information avant d'engager une action quelconque. Cette démarche, somme toute bien acceptée, n'en a pas moins attiré l'attention vigilante de certains responsables religieux. Ainsi, le Pasteur J.-P. Montsarrat, de l'Eglise réformée de France, demande-t-il : « La puissance publique peut-elle intervenir dans ce phénoméne ? A partir de quel moment va-t-on dire : cela reléve du code pénal ou cela ne reléve pas du code pénal ? C'est de notre responsabilité à tous, en tant que parents, amis, de lutter contre ce phénoméne (des sectes) ... Cette question nous interpelle, nous, plutôt que les pouvoirs publics. » (1). Il n'en reste pas moins que les pouvoirs publics sont les garants de la paix civile. Pourraient-ils rester sans réagir lorsque les lois de la République sont transgressées et que certains Français, las d'attendre une intervention, ont un peu trop tendance à se rendre justice eux-mêmes ?

« Le fait que des procédures pour escroqueries et abus de confiance aient été couronnées de succés révéle que certaines associations s'adonnent à des trafics frauduleux et ne méritent donc pas de bénéficier des libertés

et protections qui s'attachent aux activités spirituelles et religieuses. » (2). En outre, plusieurs grandes sectes sont, en réalité, des multinationales qui défient un ensemble d'Etats. Elles pratiquent, hors de toute disposition légale, la circulation de devises, des plus-values que leurs activités industrielles ou commerciales dégagent en abondance, grâce à des montages juridiques trop sophistiqués pour être décelés ou combattus dans les limites étroites d'un seul Etat. Certaines pratiquent enfin, des transferts illicites de personnes, plus ou moins volontaires, ignorant impunément les dispositions qui régissent les relations internationales. Ainsi, certains leaders continuent-ils à inciter des communautés entiéres à s'expatrier, notamment vers l'Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Pérou) et vers l'Asie (Inde, Malaisie, Thailande, Indo-nésie).

(1) Communication du 30 novembre 1982.
(2) Rapport Ravail déjà cité.

Dans ces groupes, certains trés jeunes enfants, nés de parents adeptes, sont dépourvus d'état-civil(1). Des cas d'enlévements d'enfants par l'un des deux parents ont été signalés en France, en Allemagne, en Angleterre. Le rapatriement des membres désireux de quitter telle ou telle communauté installée à l'étranger, pose également de difficiles problémes. Il ne peut laisser indifférents les services consulaires relevant du ministére des Relations extérieures. Compte tenu de l'ampleur du sujet et de la complexité de la tâche, la priorité des recherches de la mission parlementaire a consisté à qualifier, puis à cerner géographiquement l'implantation des sectes en France, sans ignorer qu'une partie, sans doute non négligeable, des activités de ces associations reste dans l'ombre. La seconde tâche a visé à éclairer les pratiques en vigueur dans les sectes, en recourant aux témoignages personnels, aux études spécifiques et aux communications de certains chercheurs. Bien entendu, il était impossible de suivre les ressortissants français dans leurs pérégrinations étrangéres, ceux-ci n'étant pas tenus à s'inscrire dans les consulats et échappant ainsi à l'attention de nos agents diplomatiques. Cette impossibilité est, sans doute, regrettable ; car le constat est dressé aujourd'hui, selon lequel le phénoméne touche la plupart des pays.

Cependant, les attitudes des Etats étrangers à l'égard des sectes et, le cas échéant, les positions réglementaires et législatives adoptées dans les autres pays ont pu être assez largement étudiées, notamment grâce à l'obligeante collaboration du ministére des Relations extérieures.

Le rapport, enfin, conclut à la possibilité de suggérer aux pouvoirs publics plusieurs dispositions de nature a mieux ordonner et à concrétiser plus utilement la volonté de prévention à l'égard de certains phénoménes

aberrants, tout en réaffirmant les principes imprescriptibles qui garantissent les libertés de conscience, d'expression et d'association auxquelles chaque Français est légitimement attaché.

(1) Les jeunes femmes adeptes des « Enfants de Dieu » sont amenées à pratiquer un « prosélytisme de prostitution ». Les moyens contraceptifs leur étant simultanément refusés, des enfants sont nés sans que leur acte de naissance ait été enregistré officiellement. On mesure les difficultés sans nombre que rencontreront ces enfants administrativement non-existants et l'absence de toute protection juridique, en cas de probléme. Documentation ADFI.

Chapitre III - Des sectes en expansion ?

« II n'y a point de " secte " en géométrie. On ne dit point un eucli-dien ou un archimédien (...) Jamais on n'a discuté s'il fait jour à midi. » VOLTAIRE

Le fait sectaire intégre une vraie problématique, rendue plus aiguë par les flux existant entre minorités religieuses et sectes, entre sectes et margi-nalités. Les sectes sont-elles en mesure, aujourd'hui, d'être un attrait pour toute personne qui se place hors du jeu social ? Les dissociera-t-on clairement et aisément des minorités religieuses ?

I. L'emprise du doute

Qu'espére-t-on des sectes ? L'un des premiers attraits d'une secte serait-il de représenter un univers différent de ce qu'offre l'ensemble des « insti-tutions » de notre société ? Les sectes pourraient ne tenter d'abord que par

leur différence : « Il ne serait pas impossible de considérer le développement des sectes comme un indice de bonne santé sociale, par exemple une limitation du totalitarisme et une manifestation du pluralisme. » (1). Ceci constituerait le premier attrait. Qui se doublerait aussitôt d'un second, le plus puissant des deux : les sectes, toutes les sectes, et c'est leur point commun, savent ménager l'espoir. Là réside une premiére part de leur succés. Rappelons simplement le cas déjà cité de cet homme averti : « On est tellement heureux qu'on signe n'importe quoi 1 »

(1) Communication de 1. Bieder au 9` congrés de psychiatrie sociale, Paris, juillet 1982.

1. « Une crise de l'espérance »

« Le phénoméne sectaire correspond toujours à une crise de l'espérance. » C'est ainsi que M. Michel Viot (1) résume l'un des aspects de la situation.

a. Les points de repére effacés

S'il est un lieu commun, aujourd'hui, c'est de parler d'une crise des idéologies. La société française vit cette réalité non sans difficulté jusque dans la vie quotidienne. Aucune idéologie ne semble plus en mesure de s'installer dans la durée.

L'image que l'Occident a de lui-même a perdu de son autorité. Publié par Spengler entre les deux guerres, « Le déclin de l'Occident » représente en lui-même un état d'esprit de notre histoire récente. Cette idée a connu, depuis, une période d'accalmie.

L'Occident contesté à nouveau et ses valeurs remises en cause, l'esprit missionnaire qui animait la vieille Europe et les puissants Etats-Unis connaît une régression évidente. Tandis que des groupes nouveaux expriment leur non-adhésion aux dogmes occidentaux et recherchent des substituts dans des valeurs pseudo-orientales.

Les philosophes contemporains concourent, pour leur part, au dur apprentissage de la désillusion. Marx et ses successeurs montrent comment l'individu et son comportement sont le produit de mouvements extérieurs à lui-même. Freud, faisant apparaître le Moi et sa faiblesse en face de l'inconscient, contraste singuliérement avec la société d'alors, qui valorisait le sur-moi. Tous deux sont les représentants précurseurs d'une évolution qui conduit à l'éclatement, qui méne à la diversité. Chacun se met à prendre pour appui la réalité de ses propres désirs, celle de ses propres besoins. La remise en cause des valeurs universelles d'un Occident triomphaliste est particuliérement claire dans un exemple daté d'il y a quinze ans, témoignant à lui seul du refus d'un discours universel, non spécifique : la diversité des réactions, selon les pays, et en France selon les personnes, à l'Encyclique « Humanae Vitae » de 1968, est significative. Les positions du Vatican, sur les problémes vécus dans la vie quotidienne de chacun, doivent-elles être, peuvent-elles être, formulées de la même façon pour les femmes italiennes, les femmes françaises, les femmes nord-américaines, les femmes sud-améri-caines, les femmes africaines ? La désaffection des institutions globalisantes est claire en ce qui concerne l'Eglise catholique en France. Au simple niveau de la pratique dominicale, les pratiquants réguliers sont passés de 37 % des Français, en 1952, à moins de 10 % en 1980 (2)

(1) Communication écrite du 7 décembre 1982.
(2) Enquêtes IFOP et SOFRES.

. « Il s'agit de prendre conscience que ce qu'on appelle " crise de la foi " est, en réalité, une crise de la culture dans laquelle s'exprime cette foi, la culture occidentale gréco-romaine. » (1).

b. Un vide pour la jeunesse

Les points de repére fixes, stables, universels disparaissent. Ceci, joint à une conjoncture économique déprimée - deux millions et demi de chômeurs, stagnation du pouvoir d'achat - est aggravé par l'absence d'ennemi clairement

déclaré. « La génération nouvelle : par de grands enthousiasmes, beaucoup de pragmatisme et une forte capacité à s'adapter aux temps présents » (2). Le ton de journaux, comme Actuel et Libération, en 1979-1980, est celui d'une ironie lucide, désengagée.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'usage de la drogue, la concentration entre 19 et 25 ans et l'augmentation du nombre des premiers demandeurs de soins est impressionnante (3)

 

(1) Roger Garaudy, L'appel aux vivants, Seuil 1979.
(2) Patrick Benquet, « La société française en mouvement », octobre 1981.
(3) Graphique établi par Le Monde, sur la base de chiffres communiqués par le centre médical Marmottan.

Les moins de 19 ans sont-ils moins conscients des risques de la drogue pour venir moins nombreux demander de l'aide ou sont-ils objectivement intoxiqués en plus faible nombre ? Les chiffres montrent l'extrême fragilité

de cette classe d'âge. Le phénoméne régresse jusqu'à l'insignifiance aprés 30 ans. La transgression par la drogue touche d'ailleurs bien davantage les hommes que les femmes (une femme pour trois hommes). Les jeunes femmes seraient-elles moins déboussolées, moins promptes à côtoyer le danger ou bien ont-elles d'autres aspirations ?

Une étude systématique devrait prendre pour axe deux phénoménes constatés de maniére trop répétitive pour qu'ils n'aient pas de signification. Le parallélisme troublant des âges oú hommes et femmes entrent préférentiellement dans des sectes et celui des demandes, en milieu hospitalier, de soins pour intoxication par la drogue. De même existe un parallélisme inquiétant entre la carte de l'implantation des sectes et celle des échecs de l'insertion sociale, en matiére professionnelle, notamment. Le phénoméne de « décalage » des jeunes souligné par le CCA (1) ne peut qu'être amplifié par ce sentiment d'impuissance et d'inutilité que doit donner le chômage qui les frappe. En septembre 1982, 45 % des demandeurs d'emploi étaient des moins de 25 ans. Il y aurait lieu d'examiner, également, en raison des cas de suicide ou de tentatives de suicide signalés dans l'environnement immédiat des sectes, s'il n'existe pas un paralléle entre ces lieux oú s'exercent leur activité et ce phénoméne extrême d'auto-rejet social.

Les chiffres des suicides, en effet, s'élévent brutalement pour les hommes aprés 20 ans. Ces phénoménes objectifs traduisent la « mort des idéologies », du moins la mise en cause du rationnel qui n'est plus, loin de là, représentatif

et explicatif de tout le réel. Ils témoignent d'une destruction des ossatures mentales des sociétés industrialisées.

2. Le rationnel commotionné

La remise en question du rationnel qui s'observe à des degrés divers, depuis la seconde moitié des années 1960, ne constitue pas un phénoméne entiérement nouveau. Une certaine réaction a pu être observée, par exemple,

contre le positivisme de la seconde moitié du XIX` siécle de la part d'écrivains comme Bergson ou Claudel.

(1) Centre de communication avancée, 1979.

a. Non convergence des réponses scientifiques et rationnelles

Depuis dix ans, la science elle-même, en premier lieu, pose des questions sur ses finalités. Les résultats impressionnants des utilisations de la science ont été largement connus dans un public plus averti et moins passif, une opinion publique plus consciente de sa force. Ce qui aboutit à la formule de Bevan (1) : « Je crois profondément qu'en notre âge cybernétique, la science ne doit pas être conçue seulement comme un instrument bienfaisant de la société, mais surtout essentiel de l'infrastructure intellectuelle... » Science et progrés sont désormais dissociés. Et plus encore leur prétention commune à constituer la clef de tout bonheur humain. Cette réalité « conduit souvent à mettre l'accent sur l'aspect mystique, magique ou religieux de l'expérience humaine de la nature. Ainsi, paradoxalement, la science, qui était censée extirper ces aspects, par les excés mêmes de l'idéologie scientiste, a contribué à leur renouveau » (2). La meilleure preuve de l'éclatement des possibles, de la non pertinence des systémes simples est la moindre crédibilité envers le rationalisme traditionnel. Les philosophies modernes, marxistes ou freu-diennes, n'apportent pas à la plupart des gens, à supposer qu'ils s'y intéressent, des réponses simples et satisfaisantes. « La révolution rationaliste du XX` siécle est celle des statisticiens et des conjecturalistes comme celle du XIX` était celle des déterministes et des causalistes. » (3). Ainsi, le rationalisme cherche-t-il désormais à quantifier le doute.

Image d'une inquiétude personnelle ou acceptation d'un certain plaisir, l'irrationnel apporte à ceux qui en ressentent le besoin un projet simplifié d'explication du monde. Les signes de cet attrait s'observent facilement.

L'engouement pour l'astrologie se traduit non seulement par la place qu'elle tient dans les journaux, mais aussi par la profusion de livres, de cours, voire par la pseudo-technique de « l'horoscope en un quart d'heure », grâce à l'ordinateur.

Le marché des sciences occultes s'agrandit, parallélement à celui des romans à l'eau de rose. Un éditeur a saisi l'occasion en lançant deux collections, « Les énigmes de l'univers » et « Les portes de l'étrange » (4).

Le succés de Planéte, avant sa dérive politique, témoignait depuis longtemps. 'de la montée de cet engouement. Cependant, une différence radicale existe entre l'attrait caractérisé pour l'inconnu et pour l'irrationnel n'épargnant Aucun âge et qui, s'il n'est pas expliqué entiérement, n'a, pour autant, rien d'étrange, avec la foi définitive en une idéologie irrationnelle pouvant ,transformer complétement le comportement d'un adepte.

(1) Secrétaire de l'American Association for the Advancement of Science
(2) A. Jaubert, J.M. Levy Leblond, (Auto) critique de la science, Seuil 1975.
(3) G. Godert in Humanisme n°134-135 op cit, p 24
(4) Edition R. Laffont, 1976

II. Des besoins non satisfaits

L'emprise du doute est inégale. Ses effets le sont aussi sur les individus, leur milieu économique, social ou familial et leurs aspirations. Du doute de Claude Bernard au doute global et affectif, il existe une dégradation qui est

pathologique. S'il se conjugue à des besoins dont l'exigence et la capacité de satisfaction varient, une mauvaise conjugaison accroit la marginalité. L'offre d'une secte se présente alors. La drogue aussi, éventuellement.

1. Des personnalités au terrain fragile

En 1981, un groupe de travail s'est penché, au ministére de la Santé, sur les aspects pathologiques et psychiatriques des sectes. L'existence de prédispositions spécifiques à l'entrée dans une secte a fait l'objet de diverses

recherches, mais les conclusions des enquêtes, réalisées dans différents pays, furent considérées comme particuliérement divergentes. Deux groupes ont été mis en évidence : « Des sujets à tendance schizophrénique qui trouvent dans la secte un univers mental protecteur (...) ; les personnes du second groupe ne présentent pas d'affections mentales prééxistantes graves ; issues de familles croyantes, elles sont cependant en état de vulnérabilité provoquée par des' conflits familiaux ou des échecs. » (1). Mais, récemment, des nuances importantes à ce résultat furent apportées par certains travaux dont une étude canadienne (2)

. « les sectes n'attirent pas une population cliniquement plus perturbée (qu tout autre mouvement, intense, revendicatif, militant),

. les sectes attirent effectivement un ensemble d'individus qui expérimentent des sentiments particuliérement douloureux avant leur adhésion ».

L'hypothése d'un profil déterminé préexistant à l'entrée dans une sect s'est trouvé carrément mise en cause dans des études européennes récentes aux conclusions sévéres sur les méthodes précédemment utilisées.

« Un examen d'adeptes de trois (3) nouveaux groupes religieux monte que, vus dans l'ensemble, leurs profils psychologiques se situent dans un zone normale. Le nombre de cas psychologiques dans les groupes correspon

à celui existant dans un groupe comparatif d'étudiants et y est même inféne dans un cas. » (4). Même si on ne peut conclure sur l'existence ou n d'un profil de clientéle sectaire, il semble que des difficultés ou des souffranc aiguës constituent toutefois un terreau propice.

(1) Groupe de travail de la direction générale de la Santé et des Hôpitaux, 19 mai 1981. (2
) S.V. Levine, Canadian Journal of Psychiatry, vol. 26, déc. 1981.
(3) Famille d'Amour, Eglise de l'Unification, Ananda Marga.
(4) W. Kuner, professeur de socio-psychologie, université Tübingen, RFA.

2. Insatisfaction du cadre familial

Selon nombre de témoins ou experts, des aspirations à plus de bonheur familial bien compris ou à plus de plénitude affective préexistent à l'entrée dans une secte et cela malgré l'apparence de relations familiales harmonieuses

(la demande affective n'est évidemment pas uniforme selon les individus arrivés à l'âge adolescent ou adulte).

« Pourquoi tant de sectes ? Parce que les gens, je crois, sont trés seuls et ressentent fortement la finitude de l'homme. Il y a une désagrégation des cadres familiaux. Ces gens vont chercher dans la secte une sécurité. On les structure par le dehors, ils retrouvent une mére : la secte. » (1). Recherche d'amour décrite en termes maternels, recherche d'ordre, d'autorité décrite en termes paternels, le déséquilibre parental peut prendre cet aspect paroxys-tique : « Le jeune va chercher une structure plus forte parce qu'elle lui fait défaut. C'est le retour au pére. » (2).

Selon Mme Salmona (communication du 7 décembre 1982), ce serait un type de réaction qui résulte d'une attitude fuyante des parents de certains milieux : « Je pense qu'il y a démission dés parents d'autant plus grande qu'il s'agit souvent d'intellectuels. Chez cette catégorie de parents, il y a un trop grand laisser-aller. Ils ont tendance à s'imaginer que c'est une liberté de penser. »

D'autres experts rappellent les observations du professeur Lebovici sur ta genése de la maladie d'enfants autistiques. Les familles, interrogées, n'auraient été en aucune mesure à même de témoigner valablement, par anamnése sur la façon dont les troubles pathologiques sont reliés aux événements dans le vie de l'enfant. L'étiologie et la chronologie de la maladie échapperaient donc totalement aux proches. On peut en déduire que la structure des équilibres affectifs profond des enfants échappe à la famille et, au moins autant, aux parents.

3. Insatisfaction du cadre social

Pour un adolescent, soumis à ses fonctionnements propres, l'entrée dans une secte peut concrétiser la quête d'un « autre », pére ou mére. Le groupe devient une sorte de « sas » hors de la famille, une micro-société à la fois réduite et encore protectrice, un substitut de toute la société oú les pulsions adolescentes trouvent un support concret. C'était, il y a peu, le rôle social régulateur des mouvements de jeunesse. Mais ceux-ci ont régressé et rien ne "remplace le rôle moral et organisationnel qui était le leur.

(1) ProfesseurO. Clément, Eglise orthodoxe grecque, communication du 16 novembre 1982.
(2) D. Hubert, Centre de Paris de sophrologie.

« Grâce au groupe essor religieux protestataire, l'adolescent peut marquer le conflit entre sa famille et lui-même (...). D'autre part, adopter l'idéologie d'une secte constitue souvent une façon de rejeter l'idéologie religieuse familiale (..: ). En pratiquant un ascétisme, l'adolescent veut s'interdire d'exprimer ses pulsions ; en parlant, il en fait des objets de discours ; en s'isolant, il évite les relations dans lesquelles il craint son propre débordement pulsionnel. » (1). Le modéle sectaire peut aussi préfigurer l'existence d'une société idéale, d'un phalanstére oú l'on expérimente un monde fraternel et organisé, preuve momentanée que l'utopie peut se réaliser (2). C'est sur le refus d'insertion dans les structures sociales qu'insiste, particuliérement, le rapport au gouvernement de la république fédérale d'Allemagne. « Le gouvernement fédéral observe que, pour des raisons en partie trés diverses, de nombreux jeunes se soustraient à la confrontation avec la réalité et refusent de participer au processus social. Le gouvernement fédéral considére l'entrée dans une secte de jeunes comme une forme de cette fuite devant la réalité (...).

C'est pourquoi le gouvernement fédéral ne considére pas le succés de ces groupes, leurs effets sur les membres et leur environnement comme un probléme uniquement individuel. Il y a ici, entre autres choses, l'indication de difficultés qui peuvent apparaître dans une société hautement développée, quand il s'agit de répondre aux besoins émotionnels et aux préoccupations religieuses élémentaires d'êtres jeunes ».

Pour M. Pion (communication du 23 novembre 1982), l'éducation des jeunes est au centre du débat : « Nous insistons sur le vaste probléme éducatif. Il faut donner aux enfants l'habitude de se déterminer librement face aux notions de bien et de mal, mais ne pas leur apporter de solutions toutes faites ni leur proposer des versions manichéennes de l'existence. »

4. Des aspirations spirituelles non investies

Moins de 10 % des Français exercent une pratique réguliére de lai religion catholique (3). Or, la pratique religieuse correspond dans toute société à l'expression sociale des aspirations spirituelles des individus. Toc= que ville analysait,, à son époque, les instincts démocratiques de la religion

« Le premier objet et l'un des principaux avantages des religions est de' fournir sur chacune de ces questions primordiales une solution nette, précise intelligible pour la foule et trés durable. (...).

(1) Régis Dericquebourg, « Les sectes, un attrait pour l'adolescent » in l'Ecole des Parents n° 8, 1975.
(2) Le mouvement Longo Mai, contesté pour des raisons ambigués et diverses, constitue sans nul doute u résurgence récente du socialisme utopique et peut être rattaché à la tradition fouriériste.
(3) Parmi les pratiquants, les requêtes pour exorcisation n'ont pas disparu. Et certaines familles, q n'obtiennent pas satisfaction des exorcistes diocésains, finissent par solliciter des exorcistes « sauvages » dont les manipulations ne sont pas inoffensives.

Et il faut reconnaître que si elle ne sauve point les hommes dans l'autre monde, elle est du moins très utile à leur bonheur et à leur grandeur dans celui-ci. (...) Quand la religion est détruite chez un peuple, le doute s'empare des portions les plus hautes de l'intelligence et il paralyse à moitié toutes les autres (...). Comme tout remue dans le monde des intelligences, ils veulent, du moins, que tout soit ferme et stable dans l'ordre matériel et, ne pouvant plus reprendre leurs anciennes croyances, ils se donnent un maître. » (1).

Cette analyse semble particuliérement éclairante dans ce qui nous concerne. La renaissance actuelle du monachisme, qui dénote un besoin de régles, un besoin de maître et aussi un besoin d'asolu, s'est marquée par des chiffres. En 1880, en France, 107 monastéres et 2 765 religieux ; en 1970, 344 maisons et 10 936 religieux (2). Ces formes de spiritualité vivante semblent bien démontrer que notre société ne peut évacuer la dimension métaphysique de la personne, même si cette dimension n'est pas toujours partagée. Simultanément à un courant social qui porte à rechercher une vie plus intense, certains se tournent vers la recherche de l'absolu. « Devant le fait que des gens décident de se retirer du monde, il y a, en France, une réaction hostile de l'opinion. C'est la vie même pour un jeune de vivre hors de sa famille. » (3). « La secte, c'est l'exigence, la société de consommation, c'est la facilité. La secte, c'est la dureté, le. don de soi. » (4).

Selon Gérard Demuth (5), « La société française vit actuellement une hase de turbulence directement issue du haut niveau de désajustement entre les mentalités et les institutions ». L'insatisfaction des besoins précédemment recensés a vraisemblablement généré une auto-médication, non spontanée, à travers des groupes dont certains sont particuliérement contestables.

III. Les sectes et leurs réponses

La multiplicité des formes prises par le phénoméne sectaire, conforme suai tendances d'éclatement des modéles, représente cependant leur inaptitude sociale à offrir de véritables réponses. Ces associations philosophiques ou religieuses, bardées de certitudes, prétendent, en effet, au monopole de la enté. Leur seul désaccord au regard de l'intransigeance - et non de la tolérance - qui les caractérise, les discrédite d'emblée.

(1) De la démocratie en Amérique, tome 1, ch. 17, Gallimard 1968, p. 220.222.
(2) Saint-Benoît et la vie monastique, Dom C.J. Nesmy, Seuil, éd. 1980.
(3) M. de la Fourniére (Parti Socialiste), communication du 11 janvier 1983.
(4) J. Barrat (UDF), communication du ll janvier 1983.
(5) Sociologue à la COFREMCA. Cet institut réalise des observations de grande ampleur (2 500 personnes, dllque année, représentatives de la population française) depuis 1976 sur les courants socioculturels français les évolutions des mentalités.

En revanche, quels attraits offrent-elles ? L'absence de liberté consentie par l'adepte vient nécessairement en contrepartie de bénéfices massifs directement issus de la vie collective nourrie et de la sécurité offerte par une idéologie omniprésente.

« L'intérêt de ces non conformismes religieux, en définitive mal connus, ne réside pas dans leur apparente étrangeté, mais bien plutôt dans le caractére de « minorités exemplaires » et dans le grossissement - confinant parfois à la caricature - qu'ils impriment à des processus fondamentaux. » (1). Deux experts français ont recensé chacun cinq besoins servant d'appui au recrutement des sectes. Ils s'accordent en partie. Tout d'abord, besoin de sécurité, besoin de points de repéres. A. Woodrow et J. Vernette les mettent tous deux en évidence : « Les sectes apportent des réponses claires et simples à des questions directes. » (2). Un exemple : les Témoins de Jéhovah font de la Bible un livre à prendre au pied de la lettre. Dans ce groupe, l'angoisse de l'avenir est carrément stimulée pour être aussitôt rassurée : la fin du monde approche, mais l'avénement du paradis aussi. A six reprises, ils annoncérent la fin du monde sans craindre d'en prédire la date : 1874, 1914, 1918, 1925, 1930, 1975. Réguliérement démentis par les faits, ils n'en connurent pas moins un accroissement spectaculaire (3). « C'est donc que les gens sont aujourd'hui plus sensibles à la force percutante d'une affirmation assurée en ces temps de vide idéologique et à l'apparente sécurité d'un embrigadement musclé en cette période de dégringolade des institutions qu'au contenu doctrinal lui-même. » (4).

Esotérisme, dépaysement (5), marginalité (6) décrivent ensemble le besoin d'un ailleurs différent de ce qui est vécu ici, maintenant. Des offres variées proposant des techniques qui permettent d'épanouir la conscience corporelle ou des exercices psychiques et émotionnels. Nombre de personnes de tous âges découvrent qu'un « voyage » est à leur portée, sans drogue, sans avion. Recherche de mieux être sur tous les plans. Le développement des arts martiaux, du yoga, les séminaires de bioénergie, de gestalt proposés dans les entreprises, le « Cri Primal » (7), « Le corps a ses raisons » (8) ont épanoui la floraison de ces techniques et familiarisé avec l'idée que chacun doit se choisir son « voyage ». L'entrée dans une secte prend, dés lors, une forme banalisée. Les analyses des experts se séparent à ce point. Alain Woodrow met l'accent sur le besoin de « preuves expérimentales ». Le pére Vernette insiste, au contraire, sur les données affectives « communauté, relation », « déception, enthousiasme ». Le caractére scientifique apparent des doctrines transmises par plusieurs sectes n'est-il pas significatif de l'ampleur d'un besoin de certitudes tangibles ?

(1) J.L. Zanda, "Aspects cliniques du fonctionnement sectaire" projet de recherche EHESS.
(2) Les nouvelles sectes, op. cit., p. 30.
(3) D'aprés J. Vernette - Bull. du Sat. de la Conférence épiscopale, n° 15, oct. 1980.
(4) Ibid., p. 3.
(5) A. Woodrow, op. cil., p. 63.
(6) J. Vernette, op. cit., p. 5.
(7) A. Janov, Flammarion, 1975.
(8) T. Berttrerat, Seuil, 1976.

Même si on délaisse les calculs, sophistiqués des Témoins de Jéhovah pour prédire la date d'Harmaguedon l'arithmétique resurgit par le biais d'acrobaties destinées à prouver la venue»,du nouveau messie. Ainsi de Moon et de ses prédicateurs. Un autre exemple, lui aussi connu et significatif, est offert par la Scientologie, qui affirme sa mission d'église et prétend à un état d'esprit pseudo-scientifique. Tout le monde connaît la « machine » destinée au progrés mental des adeptes. L'aiguille du cadran sert de boussole psychique aux scientologues lorsqu'ils sont « audités » : celle-ci indique les changements censés survenir en eux-mêmes lors de l'exercice.

« Plus intéressant et plus sérieux est le groupe de scientifiques qui, à l'inverse des sectes scientistes, partent de la science pour aller à la religion. » (1). Il s'agit de la gnose de Princeton. Des scientifiques ont cherché à confronter les questions posées par les travaux de nombreuses disciplines et à convenir qu'un autre niveau d'explication devait être repris. Ces réponses tentent, à tout prix, d'emprunter à la science l'idée d'expéri-mentation. Celle de science « exacte » est tenue pour un mythe, plutôt que définie comme méthode.

A côté de cela, une certaine compensation à l'isolement, dù à l'existence citadine, anonyme et dépersonnalisante, est aussi canalisée par les sectes. Mais on peut supposer que le besoin trouve sa source dans un ressort beaucoup plus fondamental de la personne humaine. La réponse apportée par les sectes est décrite simplement par un expert anglais : « Les sectes représentent de beaucoup de façons une communauté d'amour - et cela quoi u'elles puissent paraître au monde extérieur. » (2). Particuliérement mis en vidence par l'Eglise catholique, le besoin de personnalités charismatiques auquel paraissent répondre certaines sectes interpelle directement le clergé

« Un sentiment de déception chez certains chrétiens, à l'endroit d'une Eglise ui semble avoir perdu la pureté quelque peu mythique attribuée à l'âge 'or du christianisme ; sentiment doublé en contraste d'une admiration parfois naive pour ces groupes oú l'on ose annoncer les couleurs de la foi en direct : « eux, au moins, ils y croient !. » (3). Serait-ce, comme le pense J. Vernette, qu'on recherche davantage, aujourd'hui, le religieux, le sacré, ou, comme le décrit A. Woodrow, un besoin d'absolu, de gratuité, de don de soi ? S'agit-il de croire ou s'agit-il d'agir dans une perspective nouvelle ?

Les valeurs offertes par les sectes répondent, de maniére variable, à trois besoins fondamentaux. Celui de se situer et situer son existence dans l'univers : c'est la réponse au « pourquoi ». Celui de détenir un référent pour la conduite : c'est la réponse au « comment ». Elles offrent, enfin, des régles qui président à l'organisation matérielle de l'existence quotidienne.

Ainsi, dans l'Association internationale pour la Conscience de Krishna, des réponses précises sont apportées à ces besoins. L'existence de l'homme est situé trés clairement dans une explication plus générale de l'univers oú çhacun - quel qu'il soit - et chaque action peut s'insérer.

(1)Les nouvelles sectes, op. cit., p. 58.
(2) Les sectes religieuses, Bryan Wilson, Hachette, p. 241-42 . '13)
(3) J.Vernette, op. cit., p. 5.

« Tout être matériel subit l'action conjuguée de trois énergies vitales qui le poussent à l'action. Ces énergies sont la sagesse, la passion, l'ignorance. La liberté consiste à choisir sa voie, ou, s1 l'on veut, le dosage des énergies » (1).

Une telle explication du fonctionnement humain permet d'inclure tous les choix d'existence. Mais seul celui de la progression spirituelle conduit, en fait, à échapper au cycle des renaissances. La mort perd, dés lors, son caractére . de néant et concentre, plus ou moins selon les existences, l'énergie du sujet qui veut se consacrer à la préparation d'une bonne mort. Les valeurs qui répondent à la question du « comment » président davantage au quotidien. Sur elles se régle le dévôt de Krishna selon son sexe, son âge, et sa classe sociale d'appartenance. « Si les valeurs cosmogoniques répondent au probléme de la mort, les valeurs psychologiques répondent au probléme du devenir. Aucun âge n'est méprisé, il n'y a pas de classe spécifiquement active, adolescence et vieillesse ont leur raison d'être dans la destinée de l'individu et ont autant de poids social. Il est inutile d'insister sur l'apport psychique d'une telle doctrine par rapport à l'idéologie de la société globale oú l'on n'existe réellement qu'à l'âge productif, et oú les autres âges sont vécus comme autant de crises : crise d'identité de l'adolescent face à une société qui ne le désire pas encore, crise d'identité du retraité, chassé du monde productif et rejeté par lui » (1).

L'organisation matérielle, enfin, favorise un contrôle quotidien du degré d'adhésion au mouvement de l'adepte. La régle stricte définit les conditions d'un test permanent pour le groupe et pour lui-même, du ressort momentané profond présent en chaque individu. C'est même un moyen de connaissance approfondi de l'homme. La secte « saisit » le futur adepte avec célérité, mais elle ne cherche jamais à l'intégrer rapidement. Le principe d'adhésion se formule par une lente intégration qu'on ne cherche nullement à favoriser lors des premiers contacts. Le dévôt « novice » reçoit beaucoup en échange de trés peu d'investissement de sa part. Mais, pour maintenir simplement le niveau de bénéfices reçus, il lui faudra fournir toujours davantage. La dynamique d'insertion dans la secte se trouve en lui, dans son besoin propre. C'est le contraire du raccolage, au sens vulgaire du terme. Il n'y a pas de drogue matérielle : l'attachement provient du besoin ressenti par l'adepte à participer davantage à cet univers protecteur et sécurisant. Aussi, la seule et plus grande menace possible pour le dévôt est-elle, en réalité, le risque d'exclusion.

(1) Travaux de Martine Levasseur : K Les valeurs sectataires ».

IV. Quel avenir pour les sectes ?

Les sectes ont accompagné l'histoire de notre société. Les rationaliste soulignent avec ironie que le premier christianisme n'était qu'une secte' judaique parmi d'autres et que le christianisme, tel qu'il est devenu ultérieurement, n'est, aprés tout, qu'une secte qui a réussi. Il n'y a pas que des affirmations erronées dans ces déclarations provocantes. La rencontre entre le christianisme et la société civile sous Constantin, et surtout sous Théodose, n'a pu s'opérer sans interaction réciproque : l'Eglise, devenue majoritaire, a composé avec les lois de l'Empire. Celui-ci a bénéficié de la structure idéologique nouvelle. Les crises successives qui ont secoué le christianisme occidental au moment de la Réforme ont été interprétées comme une résurgence sectaire pour les défenseurs de l'orthodoxie catholique. Bossuet désigne la « Religion prétendue réformée » comme une secte ayant pour vocation la scission indéfinie des adeptes dés lors que le principe de l'autorité révélée était remis en cause. Du XVI° au XIX° siécle, l'histoire morale et religieuse de la société occidentale est remplie de dénonciations mutuelles que l'on songe au siécle des Lumiéres, dont les contemporains connaissaient mieux la querelle janséniste que le contenu des nouvelles philosophies.

Plus prés de nous, l'émergence des sectes a pris un caractére nouveau dans la mesure oú ces groupements se sont constitués sans référence obligatoire aux textes sacrés du christianisme. D'oú l'aspect éclaté du phénoméne sectaire et l'extraordinaire dispersion des discours et des pratiques.

On observe aujourd'hui, dans l'évolution des sensibilités françaises, plusieurs tendances qui ne concourent pas particuliérement à une cohabitation, voire à une poussée des sectes dans le systéme social actuel (1). Même si certaines mentalités ont pu, jusque-là, favoriser le développement des sectes. Une montée des sectes comme protestation, comme poussée d'autonomie marginale par la contestation, a pu prévaloir. Mais ces tendances évoluent vite et semblent significativement moins porteuses, globalement, pour les phénoménes sectaires qu'elles ne le furent depuis dix ans en France. Cependant des aspects particuliers de l'évolution des mentalités, s'ils se développaient fortement au détriment des autres, pourraient constituer un fantastique « terreau à sectes ». Si la recherche d'émotion collective, fréquente aujour-d'hui, gagnait beaucoup dans les esprits, celle-ci favoriserait l'expansion des sectes. Mais il est, en réalité, peu probable que ce type de sensibilité prenne le pas sur toutes les autres tendances qui composent le faisceau des inspirations collectives. Par contre, le besoin d'irrationnel plafonne incontestablement. Un nouveau réalisme apparaît qui sait négocier le temps présent. Le besoin de simplication, inhérent à la conscience occidentale, se transforme en une acceptation de la complexité et de l'imprévisible. Le besoin d'autonomie est assez fort pour rendre insupportables les sectes dont l'empire serait clairement dévoilé. Par ailleurs, les sectes générent elles-mêmes, par leur fermeture, leur refus social, un état d'esprit qui leur est contraire et qui bride leur extension.

e du phénoméne

(1)Gérard Demuth, d'aprés les travaux de la COFREMCA.

Il faut clairement se convaincre que des phénoménes souterrains existent d'ores et déjà, qu'ils se sont récemment développés ; qu'un combat qui créerait des martyrs ne pourrait qu'accroître l'importanc sectaire et, surtout, en rendre le caractére et les méthodes insaisissables. Il convient donc d'accompagner les évolutions naturelles de la société par des mesures adroites et respectueuses des mentalités actuelles. A cette condition, la société civile peut espérer contenir l'expansion des sectes et en limiter les aspects les plus contestables.

Chapitre IV

Anatomie et physiologie des sectes ou la vitrine et l'arriére-boutique

I. L'anatomie des sectes

«Avant d'aller dans le trou, je voudrais savoir, scientifiquement, si la magie existe » (femme d'ouvrier maçon, 75 ans) (1)

1. Typologie

Jamais les sectes existant en France n'avaient fait l'objet d'une enquête géographique exhaustive. A la demande de la mission, cette enquête a été effectuée du 2 au 29 novembre 1982 par l'ensemble des directions régionales et départementales des renseignements généraux du ministére de l'Intérieur, qui a permis le recensement de 116 associations ou groupes (2).
Plus de 80 % font l'objet d'une déclaration auprés des services officiels compétents. Les autres demeurent des groupements de fait ou des associations pour lesquelles la détermination du lieu de déclaration appelle une recherche supplémentaire. Le classement des associations sectaires n'a pas manqué d'embarrasser, les critéres des uns n'étant plus pertinents pour les autres. La difficulté de favoriser la « transparence » se trouve, par là même, démontrée.

Cependant, par commodité, des ensembles aux contours quelque peu flous peuvent être constitués

. la mouvance orientaliste ;
. les syncrétiques et ésotériques ;
. les racistes et fascistes ;
. les divers.

(1) Mme W., témoignage devant la mission, 28 janvier 1983.
(2) De nombreuses sectes représentées par un miniscule groupe d'adhérents serrés autour d'un gourou n'ont Ins été répertoriées. Le nombre de ces associations, selon les informations des spécialistes de la Fédération évangélique de France et de l'Eglise catholique, s'éléverait en réalité à 800.

Il convient aussitôt de préciser que l'objet du présent rapport n'est pas de considérer les dissidences chrétiennes comme partie intégrante de l'étude. Ces églises sont des assemblées issues de la mouvance protestante.

Constatons seulement que le petit nombre de groupes dissidents chrétiens rassemble beaucoup d'adeptes, tandis que l'infinité de groupes d'inspiration variée en réunit, somme toute, assez peu.

Il s'agit, bien entendu, des personnes directement impliquées dans sectes à la date de l'enquête, à l'exclusion

a. de ceux qui ont adhéré, mais ont quitté le groupe.
b. de ceux qui subissent indirectement ou involontairement leur influence notamment en milieu scolaire ou universitaire ;
c. des prosélystes en cours d'endoctrinement ;
d. des familles des adeptes dont le comportement est trés varié puisqu'il va de la sympathie active au rejet le plus absolu

Selon certains spécialistes appartenant, soit à des milieux religieux, soit à des cercles philosophiques, environ 500 000 Français seraient touchés, à des degrés divers, par le phénoméne sectaire.

Chaque groupe a été répertorié dans chaque département. Cette impor-tante quantité d'information (1) appelle, dans un premier temps, des commen-taires d'aprés trois constatations.

A. L'importance du rôle de l'étranger

Bien que peu de ressortissants étrangers soient répertoriés au total dans les groupes sectaires, il est manifeste que l'inspiration des croyances, pratiques ou doctrines observées, ainsi que les relations qui se sont tissées, empruntent largement au fonds international. L'importance des groupes se rattachant à la « mouvance orientaliste » dénote, certes, l'attrait de l'Orient. Mais nombre d'entre eux proviennent, en réalité, des Etats-Unis.

(1) Il est clair qu'une exploitation scientifique de cette enquête n'a pu être réalisée dans le cadre chronologiquement trop court d'une mission parlementaire de six mois (11 volumes, 3 500 pages).

Voici des exemples de l'influence étrangère:

AICK (Krishna) : Les étrangers occupent plusieurs ppostes de responsabilité
Moon : Leader d'origine coréenne
Sokka Gakkai : Liens directs avec secte japonaise
Témoins du Graal : Responsable principal polonais
AAO : Siège principal à Friedrichshof (Autriche)
Alliance 2000 : La totalité des membres sont hollandais
Equilibre et développement humain : Préceptes à partir des travaux de l'argentin Silo
Eglise de la nouvelle compréhension (scientologie) : Fondateur américain ( Ron Hubbard )
Nouvelle Acropole : Siège à Buenos Aires (Argentine)

B. Les buts déclarés tournent autour des thémes délaissés par la culture « traditionnelle »

C'est peut-être grâce à cela que nombre de groupes s'attirent une « clientéle ». Sensible à des thémes marginalisés par la culture traditionnelle, un nombre croissant de personnes se laisse tenter par le prosélytisme des sectes, expertes à tirer parti d'une certaine passivité de notre culture à inclure ces besoins nouveaux.

La formulation des buts, déclarés, de ces associations fait état de recherches d'intégration, d'exploitation, d'applications, de réflexions autour de trois grands thémes. Les pratiques, étudiées plus loin, apportent un éclairage, bien entendu, tout différent.

a. Spiritualité, synthése des grandes religions

- Mission de la lumiére divine (Gourou Maharaji)
« Aider et encourager par tous les moyens la diffusion de la connaissance de Dieu, sans distinction de race ou de religion pour mettre fin à la souffrance spirituelle et matérielle des hommes et établir la paix sur la terre prophétisée par toutes les écritures et annoncer l'aube de l'âge d'or. »

- L'Église de la nouvelle compréhension (scientologie)
« A pour foi .la nature spirituelle de l'être par la prise de conscience de son aptitude à être, à faire, à connaître... »

- Le Centre orient-Occident
« Il a pour but de permettre la rencontre de toutes les religions et de tous les groupements tolérants et désintéressés qui ouvrent pour l'épanouissement spirituel, psychique et corporel de l'homme. »

- Religion universelle du Dieu unique
« Cette association a pour but de constituer la synthése de tous les renseignements ésotériques et de tendre à l'unification du peuple de Dieu sur la terre et dans l'univers. »

b. Promouvoir l'unité entre les hommes, l'amour, la compréhension, les contacts

- La Fraternité blanche universelle
vise à « réaliser sur la terre entiére une vie fraternelle, harmonieuse, respectant chaque race, chaque religion, chaque nationalité ».

- Association pour l'unification du christianisme mondial (Moon)
« L'unification du monde sous Dieu, au-delà de toutes les ecclésiastiques, politiques, nationales, raciales, sociales ».

- Rassemblement des amis (Fellowship of friends)
veulent « faciliter les contacts et les échanges entre personnes de cultures et d'éducations différentes par l'étude et l'approfondissement des grands courants de pensée religieux et philosophiques dans le monde ».

c. Pour l'équilibre et le développement humain

- La méditation transcendantale
veut la : « pratique de la méditation pour s'ouvrir sur des horizons inconnus, en développant le plein potentiel de chaque être de la conscience pure qui est le domaine de toutes les possibilités ».

d. Parapsychologie expérimentale ou théorique

- L'association « Je suis, I am »
a pour objet de :
1. « enseigner les vérités scientifiques, philosophiques, métaphysiques de la science psi ;
2. promouvoir l'idée maîtresse et croyance que le développement des pouvoirs normaux, supra-mentaux et extra-sensoriels de l'esprit humain, tels qu'en-seignés par l'association contribuera simultanément à l'enrichissement des individus et au bien-être de toute l'humanité ».

- Ecclesia
déclare vouloir « rassembler toute personne ayant des facultés dites paranormales ou étant à la recherche de ces facultés ».

D'autres thémes sont repris par diverses associations, « druides », « lucifériens », « templiers », etc. mais, semble-t-il, plus circonscrits à quelques sectes.

C. Le sentiment des populations ou des autorités locales vient parfois nuancer l'opinion nationale

On constate, à plusieurs reprises, certaines discordances entre les divers niveaux de l'opinion. Quelques sectes, inconnues sur le plan national, sont parfois en butte à une hostilité des populations locales qui en tolérent mal le voisinage ou le comportement quotidien. Les autorités locales agissent parfois sans que leur action ait été suscitée par la population, indifférente. Enfin, l'opinion nationale n'est pas toujours en rapport avec le sentiment des populations locales qui, dans certains cas, s'accommodent fort bien de groupes globalement contestés.

Cartographie :

Quelques départements polarisent l'installation des sectes, mais la diffusion du phénoméne est bien assurée sur l'ensemble du territoire.

A l'exclusion de Paris intra-muros, dont la concentration démographique et économique demeure convaincante aux yeux de toute activité, le Bas-Rhin, les Bouches-du-Rhône, l'Indre-et-Loire, la Haute-Savoie paraissent avoir attiré (1) particuliérement l'implantation de groupes sectaires, quelle qu'en soit, d'ailleurs, la mouvance.

Quelques sectes disposant de multiples sous-groupes font l'objet de cartes spécifiques.

(1) Mais l'enquête peut avoir été conduite de maniére plus ou moins approfondie selon les départements.

 

II. Les pratiques

« On ne s'attache pas tant à un groupe
pour ce qui s'y dit que pour ce qui s'y fait.

Jean VERNETTE

Si les buts déclarés par les sectes doivent être considérés comme leur « plaquette publicitaire », que savons-nous réellement de leurs pratiques ?

Il était impossible de procéder à une enquête exhaustive en raison du nombre et de la diversité des sectes. On a donc jugé préférables les analyses de quelques groupes sectaires révélateurs. Ceux-ci permettront de démontrer comment, dans certains cas flagrants, les moyens employés sont fort éloignés de la pureté des objectifs déclarés.

1. Association pour l'unification du christianisme mondial (Moon)

D'entrée de jeu, le transfert du libre examen à la souveraineté du leader sur le groupe est affirmé.

a. Doit-on mourir pour Moon ?

« Avec les vrais parents (1), chacun de nous peut naître à nouveau. Alors, laquelle des deux pensez-vous qui est la plus précieuse, de la vie des parents ou de votre propre vie ? (les parents). Alors, laquelle des deux pensez-vous qui devrait être sacrifiée : la vie de Pére ou votre propre vie ? (ma vie). Etes-vous prêts à cela ? (oui). (...)

Pére, je peux donner ma vie. En cas d'urgence, s'il vous plaît, prenez ma vie d'abord. Si seulement Vous et Mére et la famille de Pére peuvent être sauvés, je suis volontaire pour mourir. (...)

Si cela est vrai, si Pére pouvait avoir 300 personnes, 400 personnes comme cela - je pense que Pére peut sauver le monde. Si vous sentez vraiment que c'est une joie de mourir pour Pére, pas seulement en paroles, mais en réalité, - c'est formidable ».

« Alors, qui estimez-vous être pleinement digne, à l'heure actuelle, d'avoir la domination sur la création ? Le Pére (1), les vrais parents (1). Seuls les vrais parents ont réalisé les deux premiéres bénédictions et sont dignes d'avoir la domination sur la création. (...),

(1) Sun Myung Moon et son épouse.

C'est la premiére fois que la création a un vrai Seigneur au-dessus d'elle. Elle a dù attendre que nos vrais parents apparaissent. (...)

Qui peut dominer la création et lui donner la joie la plus élevée ? Le Pére. Toute créature se précipitera vers le Pére. Ce dernier est digne d'avoir la domination sur toutes choses. Ce n'est que lorsque les créatures sont dans sa main qu'elles sont les plus heureuses. »

b. Avec quels moyens matériels ?

« Aimez-vous rendre heureux les billets verts (dollars) ?

Lorsque ces billets se trouvent dans les mains de l'homme déchu, peuvent-ils être heureux ? Pourquoi ne les rendez-vous pas heureux ? Il y a tant de billets verts qui pleurent... Les avez-vous jamais entendu pleurer ? Pas encore ? Il faut que vous les entendiez... Ils sont tous destinés à aller vers le Pére. C'est là notre responsabilité. En fin de compte, si toute chose ne passe pas par le Pére, elle ne peut être heureuse. (...) »

c. Pour assurer quel pouvoir politique ?

« Le Messie (1) doit être le plus riche de tous les hommes. Lui seul est digne d'avoir la domination sur les choses et, à moins qu'il ne puisse avoir la domination sur elles, ni Dieu, ni le Messie ne peuvent être heureux.

Si vous recevez de l'argent et si vous l'utilisez pour vous-même, cet argent ne peut être heureux. Tout doit être offert d'abord au Pére ; alors, seulement, nous sommes dignes de l'utiliser. Voilà le point clef d'une gestion saine ou de l'utilisation rationnelle de l'argent ou des choses. (...) »

d. Le produit de la quête assure-t-il l'immortalité ?

« Nous devons en faire don ou l'offrir. Tel est le principe de l'Eglise de l'Unification. Nous pouvons perdre la vie éternelle pour cette raison ».

Témoignage d'un nouveau mooniste (2).

« Nous avons commencé mon enseignement le samedi aprés-midi. J'étais seul " éléve " entouré de deux maîtres. Toujours aussi virulent (tu me connais), j'ai quand même accepté quelques explications sur la Bible, Jésus

et Dieu, entre deux expressions de mon désaccord. Aprés deux heures de cours, nous avons fait une partie de ping-pong puis nous avons mangé, puis nous avons rejoué au ping-pong puis recommencé les études. Tout cela sans aucune séance de lavage de cerveau !...

(1) Sun Myung Moon.
(2) Lettre écrite à sa femme, datée du 26 novembre 1982, communiquée à la mission en janvier 1983. Il s'agit d'un week-end de formation chez Moon à Mauny (Seine-Maritime).

Et, tout d'un coup, alors que l'on m'expliquait la raison du Messie, j'ai eu la révélation de Dieu. Non, je ne l'ai pas vu, mais simplement, tout à coup, j'ai tout compris. Tout, c'est-à-dire le Bien, le Mal, le sens de la vie, et Dieu.

Il est 3 heures du matin et cela s'est produit vers 10 heures hier soir.

(...) Peux-tu imaginer qu'il y a quelques heures seulement, je ne croyais pas en Dieu. Et je n'y croyais pas aussi fort que j'y crois maintenant. Je suis devenu, en un instant, un passionné de Dieu. »

Que s'est-il passé effectivement ?

e. Une multinationale et ses filiales française

Le rapport Fraser (1), établi par un sous comité de la Chambre des représentants des Etats-Unis, déclare : « Entre les nombreuses organisations (moonistes) il y a une interaction continuelle et étroite, principalement sous forme de mouvements de personnel allant de l'une à l'autre, et retour, de mélange des finances, de l'usage de l'une ou l'autre des composantes comme si elles étaient identiques et, bien entendu, le personnage de Moon. »

« C'est pourquoi le sous-comité en est venu à les considérer comme une seule unité et se référe à elles dans ce rapport, comme à l'organisation Moon ».

(l) 1978 (traduction ADFI). II convient, en outre, de rappeler que certaines sectes sont déclarées sous orme d'associations loi 1901 pour l'entiére liberté financiére dont jouit ce statut. Par exemple, la même secte peut avoir simultanément obtenu l'enregistrement sous forme d'association culturelle, selon la loi de 1905, ceci lui permettant de recevoir des dons et legs. L'éventail complet des moyens d'action et des capacités juridiques se trouve ainsi couvert.

f. Une filiale singuliére : CAUSA

Cette organisation, structurée depuis peu en France, ne cache pas son aspiration mooniste. Elargissant son recrutement à des personnalités, civiles et militaires motivées par l'anti-communisme, elle suscite les plus grandes réserves de la part des Pouvoirs publics.

2. Famille d'amour (ex-Enfants de Dieu)

Cette secte a la particularité de publier souvent en bandes dessinées. Donnons-lui la parole (Extrait du Petit poisson flirteur, par Moise David) (1)

Article 31
« Accepterais-tu (2) de devenir mon appât, de sacrifier ta vie sur Mon hameçon et d'être dévorée par d'autres pour que ceux-ci puissent vivre, se faire attraper par Moi, pour servir de nourriture aux hommes ? Accepte donc d'être transpercée par de nombreuses afflictions !

Article 32
Car, sans arrêt, l'appât est replacé sur l'hameçon et mille fois il est transpercé avant d'être finalement dévoré pour pouvoir en attraper beaucoup pour Mon Royaume, afin que Mes paniers puissent être remplis et que,beaucoup de personnes puissent être nourries à leur tour. Car, vois-tu, tous, tous sont coupés en petits morceaux, lesquels, à leur tour, sont utilisés comme appât sur beaucoup d'hameçons pour attraper plus de poissons encore et agrandir mon garde-manger, afin que ma maison soit pleine.

Article 33
Tu vois l'hameçon ? Te vois-tu empalée sur l'hameçon, transpercée par les tendres afflictions de Mon amour et de Ma compassion en faveur de ceux qui sont perdus et que je cherche à attraper grâce à toi ?

(1) Moise David, ex-pasteur baptiste, dirige les Enfants de Dieu. Brochure du 3 janvier 1974 ayant trait au « flirty fishing », extrait page 3. Il s'agit de prostitution féminine. Le flirty fishing est une technique qui, à partir de 1973, a été décidée comme moyen de prosélytisme provoquant' d'ailleurs le départ d'un assez grand nombre d'adhérents qui ne souhaitaient pas concourir à cette technique de persuasion.
(2) L'appât est toujours constitué de jeunes femmes auxquelles sont par ailleurs refusées les pratiques contraceptives considérées comme diaboliques.

Article 34
Alors, pourquoi te tortiller, te débattre et résister à mon hameçon, pourquoi être terrifiée par les mâchoires entrebaillées du poisson que je pêche, qui, même s'il les referme sur toi, ne te dévorera pas vraiment, car tu ne seras pas entiérement consommée, mais petits morceaux par petits morceaux.

Article 35
Car tu es mon appât et j'ai besoin de toi, je le contraindrai à ouvrir ses mâchoires, à te vendre et à vendre mon hameçon pour te réutiliser à attraper plus de poissons jusqu'à ce que je les ai tous attrapés.

Article 36
Es-tu prête à souffrir ? Es-tu prête à être ma proie ? (Mon Dieu, Mon Dieu ! Comment peux-tu faire cela ?) Comment peux-tu résister à l'hameçon que j'ai placé dans ton âme même, afin de le faire pénétrer dans sa mâchoire ? »

De pareilles injonctions ne permettent guére d'être prophéte en son pays. D'oú des incitations insistantes à l'expatriation (1).
P. 1 : « Ce que vous devez savoir avant votre départ ». « Tout ce que vous devez savoir sur l'Amérique latine ».
P. 13 : « Pour vous aider à choisir un pays en Amérique du Sud ».
P. 16 : « N'éliminez pas d'emblée le provisionnement du billet d'avion (...). Il y a, bien sùr, l'éventualité de FFer (2), un agent de voyage. Ils ont toutes sortes d'avantages.

3. Espace Futura (Iso-Zen)

Utilise plutôt l'ésotérisme linguistique qui donne à peu de frais une impression de techniques subtiles, mais, surtout, l'impression que des femmes pourraient être utilisées à des fins particuliérement douteuses.

a. description à usage interne de membres féminins du groupe (3).

« Martine : sensibilisatrice de cadre énergétique. Sert à décoder un cadre énergétique quand celui-ci est encore trop comprimé pour être manié normalement.

(1) Extraits de « Nouvelles de la Famille » n° 28, du 7 juillet 1980, par, le « Pére David », 86 pages pratiques pour s'installer en Amérique latine.
(2) FFer : de « flirty fisher », un agent de voyage...
(3) Extraits - document non signé, non daté, parvenu à la mission en décembre 1982.

Arielle : souteneuse de plan. Trame énergétique permettant de garder le contact avec une autre dimension, même si celle-ci est éloignée pour des raisons de contention de plan difficile.
Mali : interceptrice de némération. Particule servant à défaire certains liens matériels trop lourds et à les réaccorder au circuit intérieur sous une autre forme.
Reine : métallisatrice subtile. Ses cadres énergétiques la mettent en relation avec des zones d'énergie trés subtiles que son corps physique métallise ».

b. documents servant au recrutement pour le même groupe. (Bien entendu, la premiére étape du prosélytisme n'atteint pas ces sommets. Mieux vaut recruter pour des activités plus connues et plus séduisantes).

 

Mais ensuite, l'insistance à recruter

4, Trois Saints Cœurs

Témoignage de Luc Melchior
« J'ai passé prés de 7 ans (de 1973 à 1979) dans la secte des " Trois Saints Caeurs ", souvent dite aussi " secte Melchior ", secte que dirige mon oncle, Roger Melchior, et dont font et ont fait partie d'autres membres de ma famille (...).

Au fur et à mesure des mois et des années que je passais dans la secte, j'avais l'occasion de découvrir des anomalies de plus en plus nombreuses, si bien que le schéma d'une communauté monastique à finalités soi-disant désintéressées m'apparut de plus en plus invraisemblable ; en effet

1. Il n'était pas vrai que tous vivaient dans la pauvreté. Les dirigeants (notamment Roger Melchior et Isabelle Westphal) vivaient dans un luxe qui contrastait singuliérement avec la vie de privations infligée aux adeptes ordinaires et la discipline de la secte empêchait qui que ce soit de pouvoir leur demander des comptes sur la gestion des sommes en principe mises en commun.

2. Les manoeuvres les plus couramment utilisées pour extorquer aux adeptes la décision de donner tous leurs biens étaient franchement abusives : elles faisaient intervenir des messages de Dieu ordonnant, souvent littéralement, à tel adepte nommément cité de donner tous ses biens ou de donner telle ou telle chose, ou telle somme, etc. et ces « commandements de Dieu » étaient assortis de menaces : allusions trés directes à des punitions de damnation et souffrances éternelles dans l'enfer pour ceux qui n'obéiraient pas, en tout, aux " ordres de Dieu ".

Vue de l'extérieur, ces procédés peuvent sembler risibles ; mais, pour les personnes isolées du monde et crédules, vivant à l'intérieur de notre petit groupe fermé, ces manoeuvres constituaient des moyens de pression terriblement forts.

3. Ceux qui pratiquaient ces manoeuvres avaient si pleinement conscience de se placer, ce faisant, dans l'illégalité, qu'ils mettaient en aeuvre tout une série de manoeuvres complémentaires ayant pour objet de dissimuler, aux Yeux des autorités et aux yeux de tous, toute trace des messages suspects. Ces manoeuvres complémentaires visaient notamment

- à dissimuler, en prévision des perquisitions, et avec une grand luxe de précautions, la collection originelle des messages rédigés de la main même de Roger Melchior (collection mentionnant tous les noms " en clair ") ;

- à remettre aux adeptes des messages tapés à la machine et codés, de maniére à rendre plus difficile les poursuites en escroquerie, ou encore à faire recopier des versions tronquées, différentes les unes des autres, de maniére que les messages douteux soient remis seulement aux personnes à qui il était ordonné de faire des dons, consentir des sacrifices, etc.

- en cas de procés, donner aux adeptes l'ordre de nier purement et simplement l'existence et la nature des messages.

4. Comme autre signe du fait que les dirigeants de la secte avaient eux-mêmes conscience du caractére abusif et illégal de leurs procédés de captation de biens, il y avait toutes sortes de manoeuvres complémentaires effectuées par eux, tendant à faire disparaître toute trace des versements effectués, sommes données, etc., dissimulation qui devait s'exercer tout particuliérement à l'égard des autorités. Cette dissimulation allait jusqu'à la fabrication de fausses preuves de transactions inverses : rédaction, notamment, de feuilles de salaires, pour des salaires qui n'étaient aucunement versés.

Rétrospectivement, en faisant le bilan de ces observations accumulées, je vois bien à quel point l'excuse religieuse était peu crédible, s'agissant de justifier les captations de biens effectuées par la secte. Si Roger Melchior avait été convaincu de la légalité et de la rectitude des opérations financiéres effectuées, pourquoi tant de dissimulations à l'égard de tous et à l'égard des autorités ? »

5. Eglise de la nouvelle compréhension (scientologie)

Cette secte n'avoue pas de but explicitement religieux. Elle préfére proposer des techniques d'épanouissement mental. A quel prix ?

Des pressions morales sont exercées sur l'adepte (pressions qui expliquent en partie la difficulté de quitter le groupe), comme le démontre le contrat de travail, article IV, § 2

« Dans le cas oú M., Mme, Mlle... romprait son contrat, il/elle sera tenu de rembourser l'Eglise pour toute la formation reçue dans le cadre de ce contrat ». (tarifs pouvant atteindre 52 000 F, en 1981, pour un seul cours), ainsi que l'article VI : « Le présent contrat est prévu pour une durée de cinq ans. Il ne pourra prendre fin qu'en cas de faute grave ou de force majeure » (1).

(1) Ces contrats tombent désormais sous le coup des lois Auroux votées en 1982 (voir annexe n° 1).

Les témoignages abondent (1)

« Il y en a des tas qui font du prosélytisme pour pouvoir se payer les cours. Ceux qui ne peuvent pas payer le prix, on les prend comme personnel et on leur dit qu'ils auront droit aux auditions. Mais ceux qui peuvent payer passent avant.

Si la personne s'en va, elle est tenue de rembourser la totalité de la formation reçue : c'est ainsi que l'on tient la personne.On est heureux d'y aller, donc, même si l'on est averti que le contrat n'est pas en bonne et due forme, on signe. (...)

Aprés, ils " doivent de l'argent " à la scientologie. Lorsqu'il était à Copenhague, mon fils avait gagné une reconnaissance de dette de 8 000 F. Alors qu'il avait travaillé pour eux. Il se sentait coupable de n'avoir pas payé son dù. Il n'a été dédouané que lorsque je lui al dit moi-même que l'y avais encore 5 000 F non utilisés. (...) Au " bureau du Guardian " (2), ce sont des personnes spécialisées dans la défense de la scientologie. Ils n'ont aucun contact avec les autres scientologues. Ils doivent respecter W, secret total, sous peine d'une amende de 100 millions de francs pour laquelle on doit signer un papier. »

En février 1978, le tribunal de grande instance de Paris condamne pour escroquerie L. Ron Hubbard et l'un de ses collaborateurs étrangers, condam-nation confirmée en appel. Ces affaires ont retenu l'attention de juristes' universitaires (3)

.« L'affaire de l'Eglise de scientologie est particuliére, car son objectif avoué n'est pas fondamentalement religieux, même si elle estime pouvoi bénéficier de ce qualificatif ; elle aide ses adeptes, moyennant finances, bien sûr, à devenir des êtres « heureux et en bonne forme. » (...)

Le résultat devant être la réussite matérielle, ainsi que la guérison de maladies psychiques ou psychosomatiques. (...)

Car la jurisprudence a toujours sanctionné les espérances chimériques les pouvoirs imaginaires dont on pouvait constater ultérieurement l'inexistence

Ce fut le cas de l'Eglise de scientologie qui promettait la réussite social et professionnelle, alors qu'aucune certitude ne pouvait être donnée e qu'aucun pouvoir véritable n'existait. »

(1) Mme L. et son mari ont tous deux fait partie de l'Eglise de scientologie, ainsi que leur fils : témoignage devant la mission, décembre 1982.
(2) II s'agirait d'un bureau secret sur lequel nous avons eu peu d'informations.
(3) Extrait du mémoire Sectes religieuses et infractions pénales », Patrick Boinot, mémoire déposé devant la faculté de droit de Poitiers.

Le prosélytisme de l'Eglise de scientologie n'hésite pas devant les tactiques d'infiltration

1. En milieu scolaire

Extrait du procés-verbal du conseil d'établissement d'un collége d'ensei-gnement secondaire. (1)

« GAME (Groupe pour l'amélioration des méthodes d'enseignement) : à la suite d'une demande d'information de Mme L., représentant la Fédération de parents d'éléves CORNEC, concernant le GAME, qui se réclame de

L. Ron Hubbard, M. B. précise que le professeur qui applique ses méthodes s'était engagé à interrompre son expérience en cas de protestations de parents. M. B. a fait état, auprés du professeur, de la demande de quelques parents et le professeur a arrêté l'application de la méthode. »

2. Dans les médias

Narconon (2) : un journaliste de TFl a commenté favorablement, durant plusieurs minutes, un reportage complaisant sur un centre, « Narconon », de l'Eglise de scientologie sans informer le public de l'identité réelle de l'association.

Les techniques employées par l'Eglise de scientologie ne semblent pas toujours concourir à l'équilibre de certains adeptes qui « témoignent », à leur maniére, aprés avoir quitté la secte (3)

« Messieurs,

(...) aujourd'hui, vous vous retrouvez sur les bras avec quelqu'un qui en connaît beaucoup trop long à votre goùt sur vos agissements et qui vous a expérimentés en chair et en os pendant des années, et c'est justement le Christ, le pire ennemi de Ron aprés Dieu. Bravo. (...)

Vous qui venez sauver ce monde à l'aide de la scientologie, vous dont certains membres portent à si juste titre l'appellation de " Missionnaires ", vous qui répandez la " Bonne Parole " sur chaque coin de cette terre, aprés que vos services secrets se soient assurés des possibilités d'implantation et des maniéres adéquates d'y procéder sous la forme d'Eglise ou d'institut ou tout autre visage approprié, vous qui faites signer à vos dirigeants des contrats de deux milliards d'années avec Lafayette Ron Hubbard, le Commandeur de votre organisation maritime, vous avez des objectifs qui dépassent les miens de très loin

(I) Lesigny, Seine-et-Marne, séance du 9 juin 1978, page 5.
(2) Narconon » est une filiale de l'Eglise de la nouvelle compréhension, qui a pour but la réhabilitation des drogués.
(3) Extraits d'une lettre adressée aux scientologues par un ancien scientologue aujourd'hui dissident, Paul id..., du 26 octobre 1982.

6 - AICK (Association internationale pour la conscience de Krishna)

L'emploi du temps des sectataires est bien connu (1).

La journée du dévôt est de 19 heures, sur lesquelles 11 heures sont estinées au travail.

Le temps consacré à la dévotion et à la priére est en moyenne de six heures. S'y ajoutent, dans la journée, diverses pauses, consacrées à la récitation du Japa (2). Le temps de sommeil des adultes ne dépasse pas cinq heures, il est admis que les femmes dorment plus longtemps, soit une moyenne de six heures. Quant aux enfants, leur temps de sommeil est de dix heures.

Reste donc une moyenne de deux heures pour les repas, les douches,

Il ne subsiste, en principe, pas une seule minute pour la vie individuelle ou la vie de couple (...).

Le « Sankirtan » est une austérité préconisée par le fondateur du mouvement Srila Prabhupada. Cette opération consiste à se montrer au public et à se faire connaître de lui. Les dévôts sortent donc, en des endroits trés fréquentés des jeunes et des touristes : le quartier latin ou les Champs-Elysées, et chantent, dansent, distribuent les magazines du mouvement, ainsi que du Prassada. La distribution de cette nourriture a deux buts : le premier consiste à plaire aux gens, les rassurer et constitue une bonne introduction à une invitation future au temple pour le partage d'un repas végétarien. Le second, dans l'optique du dévôt, est que le karnin (l'impur) qui a mangé de la nourriture est purifié par cet acte inconscient. Les dévôts qui vont à Sankirtan vont purifier les impurs par toutes ces démonstrations (...).

Mais il existe un autre Sankirtan plus lucratif. Les dévôts, surtout les dévotes, habillées pour l'occasion comme tout un chacun, se proménent dans les endroits publics, foires ou expositions pour aller proposer des cassettes, éditions de la Bagavadgita ou disques. Et, sans même ce matériel fort encombrant, il leur arrive de quêter sous divers motifs, notamment lors de l'année de l'enfance(1). Elles sont d'ailleurs, pour l'occasion, munies d'une carte sur laquelle est simplement mentionnée l'initiale du mouvement (AICK) et son adresse.`

Nous comprenons maintenant qu'une jeune recrue ne peut pas en arriver à de telles astuces pour servir la secte. Il faut déjà, pour cela, être fortement intégré et surtout avoir compris que les textes sont une chose, les paroles du maître et les besoins financiers du mouvement une autre. » (2)

(1) Université Paris V, juin 1981, Martine Levasseur observations réalisées au sein de la secte comme participante (avril-mai 1979).
(2) Le « Japa » est un chapelet constitué de 108 perles sur lequel on récite le mantra. En tout 1728 fois par jour, soit 16 tours de chapelet.

7. Méditation transcendantale

Se présente avec modestie et cherche avec acharnement une implantation dans les milieux des jeunes et de l'enseignement. Elle ne renonce pas pour cela à des promesses illusoires qui s'adressent aux générations plus âgées (3).

« Vers une santé parfaite ou comment renverser le processus de veillis-sement ».

(...). Il s'agit d'une technique mentale trés simple se pratiquant matin et soir pendant 15 à 20 minutes. De trés nombreuses recherches scientifiques en ont étudié les effets physiologiques et psychologiques et les applications

thérapeutiques. Citons par exemple la relaxation, l'élimination des tensions, la normalisation de l'hypertension, l'amélioration de la coordination entre le corps et l'esprit, l'amélioration générale des facteurs de longévité (état cardio-vasculaire, habitudes de vie saine, intelligence et créativité...) résultant en un renversement du processus de vieillissement ».

Ces objectifs paramédicaux s'accompagnent d'un projet politique aussi fleuri qu'universaliste.

Plusieurs ministéres sont d'ores et déjà en activité - ministére du Développement de la conscience ;

- ministére de la Loi naturelle et de l'Ordre ;
- ministére de l'Intégrité culturelle, de l'Invincibilité et de l'Harmonie mondiale ;
- ministére de l'Education et de l'Illumination ;
- ministére de Célébrations
- ministére de la Prospérité et du Progrés.
- ministére des Capitales de l'âge de l'illumination ;
- ministére de l'Information et de l'Inspiration.
- ministére de toutes les possibilités : recherche et développement.
- ministére de la Santé et de l'Immortalité

(1) Voire pour l'« école laique » (l'école de l'AICK) !
(2) Nous verrons plus loin quelles hypothéses d'explications sont avancées par l'auteur du mémoire.
(3) Fédération française de méditation - 1" trimestre 1982 - Extraits du bulletin interne de la Méditation transcendantale.

La Méditation transcendantale au lycée

« Par le moyen des PACTES (1) attribués aux 'établissements scolaires; M. L. a demandé aux responsables du foyer socio-éducatif de créer un club de méditation sous l'appellation « Club de Yoga mental »: Intéressé par cette possibilité, et le reste du conseil d'administration du foyer n'y voyant pas d'objection, nous annonçâmes alors la création de ce club dans l'établissement. M. L. présenta, un mois plus tard, aux éléves intéressés, soit deux majeures, dont moi et une partie d'une classe de 5°, M. X. et Mme Y : professeur de méditation transcendantale. Ces instructeurs nous demandérent alors d'assister à plusieurs séances d'introduction oú l'on nous expliqua ce qu'était la MT.

« On nous demanda de venir à un centre de MT, 4, square Lesage, Paris 12`, avec l'argent, un mouchoir neuf strictement blanc (...) des fleurs et des fruits. »

Il semble que le département des sciences de l'éducation de certaines universités s'intéresse aux objectifs de la MT (à Paris VIII, deux mémoires de maîtrise).

Il n'a pas été possible à la mission de savoir s'il s'agissait de travaux universitaires classiques réalisés par des chercheurs sans lien avec la MT ou, au contraire, s'il s'agit d'adeptes de cette secte poursuivant des études supérieures.

(1) Aujourd'hui appelés PAF (projet d'actions éducatives). (

8. La Nouvelle Acropole

A lui seul, le graphisme qui orne le premier bulletin du corps de sécurité, groupement interne à La Nouvelle Acropole, se passe de tout commentaire.

La vitrine de cette association présente un tout autre aspect. La revue Nouvelle Acropole (1) propose à ses lecteurs « La connaissance de la tradition pour l'homme d'aujourd'hui », « Chypre : les travaux et les jours. Les traditions de l'Amérique ancienne ».

(1) N° 65 mars-avril-mai 1982, page 3.

Quant à l'éditorial, il précise

« La démarche de la Nouvelle Acropole, centre de formation philoso-phique visant à la revalorisation de la Pensée traditionnelle, peut-elle être confondue, sous un aspect ou sous un autre, avec celle d'une secte ?

« Nous nous proposons de le réfuter évidemment et d'éclaircir la question.

Nouvelle Acropole s'inscrit dans la démarche socratique elle pose sur l'homme les questions à la fois nouvelles et éternelles. »

Le tribunal de grande instance de Paris a toutefois jugé a$sez différemment de la nature de la secte en la déboutant d'une action en diffamation qu'elle avait portée à l'encontre de M. Alain Woodrow, journaliste du Monde. Les attendus du jugement du 10 novembre 1982 méritent l'intérêt

« Attendu, cependant, que sa nature et sa finalité véritables sont révélées, non pas son activité culturelle extérieure, mais par les textes à usage interne écrits par son fondateur, Jorge Angel Livraga (Manuel du cJ~igeant composé de deux parties distinctes : « La Hache d'Or » et « Le Laby~nnthe de Lapis-Lazuli »), par son journal Nouvelle Acropole - organe de liaison réservé aux membres de « l'OINAF », ainsi que par le Bulletin du CS (corps de sécurité) n° 1, décembre 77 ». (...)

Attendu que, dans le « Labyrinthe de Lapis-Lazuli » (page 11), J.A. Livraga définit la Nouvelle Acropole comme une « structure (qui) se nourrit d'hommes et transmute les plus aptes dans son grand corps et dans sa grande âme, les transformant en des surhommes, les inaptes sont laissés derriére. Telle est la douloureuse loi. Ils seront accueillis par quelque structure hyéne oú dans quelque mesure ils se réaliseront ; mais, gardons-nous d'empoisonner par de faux sentimentalismes l'Aigle d'Or,: sinon celui-ci, inexorablement, mourra et les ineptes qu'on a prétendu sauver suivront cette destinée naturelle qui, pour eux, n'a rien de mauvais ni de désagréable ».

Attendu que, dans la logique du « systéme pyramidal » les passages suivants extraits de « la Hache d'Or » (pages 4 et 5) exigent du dirigeant un dévouement complet et une soumission totale

- « Envers le CC (commandant central), il doit être diligent plus en actes qu'en paroles et doit s'abstenir de juger, même au fond de son cour, ceux qui supportent des charges à peine concevables pour lui. »
- « A partir du moment oú il est nommé dirigeant, il doit comprendre d'une maniére claire et concise que son don à l'Idéal doit être total, qu'il doit effacer de sa vie tout ce qui la lui compliquerait, aussi dur que cela puisse sembler. »
- « Les pleurnicheries de la personnalité doivent être écrasées sans pitié... » - « Le dirigeant doit être dur et ne pas faire de concessions. »
- « Et si l'usure de plusieurs années de travail l'épuise, qu'il l'avoue seulement à son commandant immédiat, et qu'il accepte sa décision, car, à partir du moment oú il le consulte, il a perdu le droit moral de décider lui-même ».

Que l'éditorial exhorte les membres du corps de sécurité à faire preuve de discipline, d'esprit de sacrifice et d'un grand sens du devoir, afin que ce corps de sécurité, qui n'est encore qu'un « embryon de la garde de la Rome impériale et de l'armée napoléonienne », devienne « une grande armée, une grande force ... un métal de feu qui fera vibrer les différents peuples sur une même longueur d'onde ». (...)

- Condamne l'association « Nouvelle Acropole » à payer à l'ADFI et au CCMM la somme de quatre mille francs (4 000 F) à titre de dommages et intérêts et celle de trois mille francs
(3 000 F) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- la condamne à payer à M. Alain Woodrow la somme de trois mille francs (3 000 F) en vertu du texte précité ;

- la condamne aux dépens,

- dit maître Yves Baudelot, avocat de M. Woodrow, et maître Antoine Weil, avocat de l'ADFI et du CCMM, pourront recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Fait et jugé à Paris, le mercredi dix novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux. (1).

lreChambre lre Section (1)

9. Nichiren Shoshu (2)

Cette secte pseudo-bouddhique a la particularité d'être désavouée constamment par l'Association des Bouddhistes de France qui ne mâche pas ses mots.

« Le 5 juin 1981, j'ai attiré votre attention sur la mauvaise réputation de votre organisation en France : la Nichiren Shoshu Française, regrettant que parmi les sectes reconnues comme dangereuses, une seule soit d'expression bouddhique, la vôtre.

Le 25 décembre 1981, je vous ai interpellé sur la structure totalitaire de votre organisation en France et sa dynamique d'infiltration (réseaux économiques, scientifiques et culturels français) et de subversion populaire (pacifisme d'inspiration soviétique).

Aujourd'hui, le 25 décembre 1982, j'attire votre attention sur les rapports « douteux » de votre organisation en France avec l'argent. Je distingue trois points

1. la pression pour faire payer les membres ;
2. la violence à l'encontre des membres demandant un contrôle des fonds recueillis ;
3. la confusion comptable entre Institut européen de la Nichiren Shoshu et la Nichiren Shoshu Française ».

(1) Extrait de la minute du tribunal.
(2) Soka Gakkai, qui entretient des liens avec le Komeito. Extraits d'une lettre du président, Daniel-Léonard Blanc, de l'ABF au président Ikeda, président de la Soka Gakkai Internationale, 25 décembre 1982.

Face à ces réalités, il convient de souligner nettement l'indéniable efficacité de ces pratiques sectaires. Une adhésion, souvent rapidement obtenue, des changements subits de personnalité, surtout chez des jeunes, des pressions morales, avec ou non le recours au vocabulaire religieux, des tarifs peut-être exorbitants, un prosélytisme qui masque la réalité, toutes ces pratiques dénoncent amplement, s'il en était besoin, l'immense fossé qui sépare « la publicité du produit ».

De puissants moyens sont mis en oeuvre pour gagner et garder un adepte. C'est pourquoi une infime minorité s'avére, effectivement, capable de quitter la secte. Comme l'indique Luc Melchior, la prise de conscience est trés lente, à supposer qu'elle se fasse. Reste ensuite la nécessité d'une force de caractére peu commune pour permettre de passer à l'acte qui consacre la rupture.

Quel horizon se présente, en réalité, à l'adepte ? La solitude, d'abord, qui précéde immédiatement la nécessité de se prendre matériellement en charge, de trouver un métier, de se loger. Souvent sans formation, on peut considérer que c'est quasi impossible pour qui ne trouve aucun soutien familial, affectif ou financier. Or, c'est précisément le noeud du probléme, la rupture des liens avec la famille ayant souvent fait partie intégrante de la rupture sociale lors de l'entrée dans la secte. Se greffe aussi la difficulté de faire face à la culpabilisation plus souvent ressentie, voire la peur, dés lors que l'adepte consacre sa rupture avec une forte dépendance morale à l'idéologie de la secte. Des périodes de dépression seront probablement affrontées, voire des soins psychiatriques.

Face à tout cela, quelle aide recevra l'adepte ? Dans le meilleur des cas, celle de la famille qui, en sus des problémes socio-économiques et médicaux, se trouvera directement en concurrence avec les efforts déployés par la secte pour l'inciter à revenir. Ces perspectives, difficiles, comportent une nécessaire contrepartie. L'adepte doit ressentir la certitude impérative qu'il s'est véritablement fourvoyé. Certitude dont les chances d'occurrence demeurent faibles : la secte ne ménage pas volontiers la confrontation au réel ; de graves difficultés ont, le plus souvent, précédé l'entrée dans la secte et celles-ci, trés vraisemblablement, n'auront pas entiérement disparu.

Ainsi, le probléme posé par les sectes est-il d'abord celui de la rupture d'avec la société, de l'impossibilité de franchir ce fossé, de sortir de la secte quand on y est rentré.

Fin de la première partie

Deuxième partie : La suite du rapport VIVIEN 1983

 

 


 
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