Goliath contre David

La scientologie en guerre contre la psychiatrie

(Source : BULLES n° 76, 4ème trimestre 2002)


Mis en ligne le 15 juillet 2003

Introduction
Hubbard et la psychiatrie

Comment nuire à ses ennemis ?
Glissement sémantique

Confusion
information / désinformation
Syllogisme

Projection
Conséquence : encore plus de confusions
Conclusion



Introduction

La scientologie mène une lutte acharnée contre la psychiatrie, lutte qui a commencé avec son fondateur Lafayette Ron Hubbard (LRH) dans les années 50.

Ces derniers mois, la presse française a fait état, à de nombreuses reprises, des actions de la "Commission du Citoyen pour les Droits de l'Homme" (CCDH). La CCDH n'est rien d'autre qu'une branche de la scientologie qui ne doit pas être confondue avec la "Commission Nationale Consultative des droits de l'Homme" (CNCDH) placée auprès du Premier ministre ou avec la très respectable "Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen". Depuis 1969, date de sa création aux Etats-Unis[1], cette association s'acharne à dénoncer les abus psychiatriques, dont les internements forcés, les électrochocs et l'emploi de drogues. Toute la profession "psy" est dénoncée, les psychologues y compris.

Par ailleurs, la scientologie a publié en juillet dernier dans son journal "Éthique et Liberté" un article intitulé "Derrière la terreur"[2] qui tend à démontrer la responsabilité des psychiatres dans les actes terroristes d'Al Qaida à l'encontre des Etats-Unis en septembre 2001. Au vu de cette actualité, il nous a paru intéressant d'essayer d'analyser les procédés linguistiques dont la scientologie use pour nuire à la réputation et à l'image de la psychiatrie auprès du grand public.

Hubbard et la psychiatrie

Mais qu'a fait la psychiatrie pour mériter jusqu'à nos jours de telles attaques ? Fait-elle de l'ombre au marché scientologue en lui volant ses clients ? Les psy seraient-ils susceptibles de déjouer les techniques manipulatoires de la scientologie ? LRH avait-il des raisons de craindre l'internement pour sa propre personne ? En tout cas, si Hubbard se sent persécuté par la psychiatrie, il lui rend bien la pareille :

"Détruire est identique à aider pour un psychiatre" (LRH, Ability Publication 72, avril 1958) ;
"Et ce que vendent les psys, c'est la douleur et le sexe" (LRH, HCOB 26 août 1982) ;
"On pourrait supposer que ces praticiens ont utilisé l'hypnotisme, les drogues, la douleur et d'autres méthodes (sous couvert de traitement) afin d'induire chez le criminel l'envie de commettre d'autres crimes" (HCOB 26 avril 1982) ;
"Mais de nombreux psychiatres ne se limitent pas à un comportement sexuel néfaste avec leurs patients. Certains commettent de simples meurtres ordinaires." (www.ccdh.org/art/fr/page42b.htm).
Cette dernière citation provient d'une brochure distribuée gratuitement par la CCDH et intitulée "Psychiatrie, une violation des droits de l'homme et un fiasco complet".

Comment nuire à ses ennemis ?

Pour mener à bien ses attaques contre les psychiatres, LRH prône la techni-que de la propagande noire : "S'il se présente une menace à long terme, vous devez immédiatement évaluer la situation et provoquer une propagande noire afin de détruire la réputation de la personne et la discréditer de telle sorte qu'elle soit mise au ban de la société" LRH, Lettre de règlement, 30 mai 1974.

Dans ce procédé, LRH recommande d'utiliser la redéfinition des mots. Il s'agit de modifier et de divulguer des définitions détournées de leur sens premier jusqu'à ce que ce nouveau sens soit définitivement acquis par le public. Ce procédé est diablement efficace auprès des scientologues qui voient chez tout psychiatre un "ennemi à abattre", comme le témoigne Mona Vasquez [3]. On le comprend aisément avec cette citation de LRH : "psychiatrie et psychiatre sont facilement redéfinis dans le sens un ennemi anti-social du peuple. Cela retire le psychiatre, le tueur fou, de la liste des professions les plus appréciées. C'est un bon usage de la technique car depuis un siècle, le psychiatre a battu le record en étant de tout temps le plus inhumain vis-à-vis de l'homme." (LRH, HCO 5 octobre 1971).
Analyse de la technique

Nous proposons ici de passer en revue et d'analyser quelques subterfuges linguistiques et argumentaires employés dans les textes scientologues pour convaincre son public de la nocivité des psychiatres.

Glissement sémantique


La pratique de la "redéfinition des mots" consiste à dissocier le mot (le signi-fiant) de son sens (le signifié) et à lui affecter un nouveau sens, de préférence diamétralement opposé au sens premier du mot. C'est ce qu'on appelle un glissement sémantique.

Reprenons la citation ci-dessus : "Cela retire le psychiatre, le tueur fou, de la liste des professions les plus appréciées." (LRH, HCO 5 octobre 1971). Le signifiant "psychiatre" n'est plus associé au signifié "thérapeute" mais au signifié "tueur fou". Remarquez l'inversion du sens : de "soignant les fous", le psychiatre est redéfini comme étant "fou" lui-même. Ce travail s'effectue sur le long terme : "la manière de redéfinir un mot est de faire répéter la nouvelle définition aussi souvent que possible", précise LRH (HCO, 5 octobre 1971).

Le procédé de la redéfinition des mots est assimilable au modèle biologique du parasite. Un parasite est un "organisme vivant qui utilise un autre orga-nisme vivant, appelé l'hôte, à la fois comme habitat et comme source d'énergie"[4]. Le parasite vit aux dépens d'un autre. Les sectes, tels leurs homologues biologiques, infiltrent les mots de leurs concepts et notions (c'est-à-dire leur doctrine) pour les pervertir de leur sens premier. Leur but est que ces mots deviennent porteurs de leur doctrine, que le mot devienne l'habitat du parasite. Les sectes utilisent la "notoriété" de certains mots pour leurs propres fins.

Le fait que le mot détourné soit connu et reconnu par le public constitue la source d'énergie des sectes parasites. Cela leur permet de faire l'économie de néologismes, plus difficile à faire (re)connaître au public. Ainsi, par le parasitage des mots, les sectes parviennent à parasiter la pensée de leurs adeptes et à parasiter ainsi la société. C'est pourquoi l'on dit souvent que les sectes avancent "masquées" : le parasitage permet d'infiltrer un milieu sans y être reconnu puisque le parasite emprunte l'apparence (le corps) de son hôte.

Confusion information / désinformation

Comme il est d'usage en scientologie, des informations "vraies" sont mêlées à de fausses informations ou détournées de leur sens premier. Distinguer le vrai du faux n'est donc pas évident pour le lecteur. Une lecture attentive des sources permet cependant de déjouer le tour : soit les sources sont réelles et sont détournées au profit de la scientologie, soit elles proviennent d'un de leurs adeptes ou sympathisants, soit elles ne sont tout simplement pas référencées ("selon des études internationales…" lesquelles ?) ou inexistantes (dans l'article "Derrière la terreur"[5], d'où leur vient l'information selon laquelle Al Zawahiri serait psychiatre et manipulerait Ben Laden ?)
Élargissement sémantique et métonymie

L'article "Derrière la terreur" tend à semer la confusion entre psychiatrie "politique" (des régimes totalitaires) et psychiatrie thérapeutique (du milieu médi-cal), en passant de l'un à l'autre sans les distinguer. L'auteur emploie un seul terme, la "psychiatrie", pour parler de ces deux pratiques diamétralement opposées. Aussi, par élargissement sémantique, la psychiatrie (thérapeutique) paraît être une science cruelle et inhumaine.

La scientologie attribue les caractéristiques d'un élément de la catégorie (psychiatrie de régime totalitaire) à toute la catégorie (la psychiatrie en général). Cela reviendrait à dire : puisque le tigre (élément) est un félin (catégorie) et qu'il est très dangereux (caractéristique), on peut conclure que le chat étant un félin est également très dangereux. Ce procédé proche de la métonymie, qui consiste à prendre la partie pour le tout, aboutit à des raisonnements faussement logiques.

Syllogisme

Pour prouver la véracité de ses dires, l'article "Derrière la terreur" procède par syllogisme.
Exemple : Selon le Coran, "l'alcool, le jeu et les idoles sont des démons que vous devriez éviter pour pouvoir prospérer". Le fait qu'on en trouve à l'intérieur d'Al Qaida, dans d'autres réseaux terroristes et chez les talibans, confirme la présence de dirigeants psychiatres, et non "religieux" à la tête des opérations.

Laetitia Schlesser-Gamelin en rappelle le procédé : "les deux premières pro-positions sont valides et acceptées par tout le monde. Elles permettent de conclure à la vérité d'une troisième proposition, posée comme vraie parce que les précédentes l'étaient."[6] Démonstration faussement logique donc qui amène facilement à des conclusions extravagantes.

Projection

Les scientologues, et l'article "Derrière la terreur"[7] n'y échappe pas, ont la particularité de reprocher à leurs adversaires (l'État, les psychiatres, les journalistes, les associations de défense de victimes) ce que ces derniers leur reprochent. Cet article dénonce l'usage, par les psychiatres, de techniques de manipulation mentale par exemple. Ceci en rappelant la propagande nazie et en donnant l'exemple de la redéfinition des mots. Or ces techniques, comme nous l'avons vu, sont approuvées et recommandées par LRH !

Cela ressemble étrangement à un mécanisme de défense bien connu des psy (que les scientologues nous pardonnent !) : celui de la projection, c'est-à-dire le mécanisme par lequel un sujet voit chez autrui des idées, des affects (désagréa-bles) qui lui sont propres mais qu'il refuse de voir en lui. Il est vrai que de telles pratiques ne sont pas très édifiantes pour une organisation qui intro-duit le terme "église" dans son intitulé…

Hubbard fait allusion au mécanisme de projection dans cette citation : "Les gens qui attaquent ont des secrets cachés. Et des crimes cachés. Ils ont peur. (…) Un attaquant est comme une ménagère qui raconte à la mairie à quel point ses voisins tiennent mal leur maison. Mais si vous ouvrez sa porte, les toiles d'araignée s'écroulent sur vous." (HCO 18 février 1966).

Quand on sait que l'attaque est recommandée en scientologie, on peut imaginer aisément qu'Hubbard avait quantité de "secrets" et de "crimes" à cacher !

Conséquence : encore plus de confusions

Le procédé de la propagande noire est fort efficace auprès des adeptes scientologues, qui imaginent la France comme un État aidé de ses psychiatres fous formatant tout citoyen "récalcitrant" par des procédés ignobles tels l'administration de drogues ou d'opérations chirurgicales sur le cerveau. La scientologie décrit l'État comme une instance imposant de force son concept de la santé mentale (définie par l'OMS) sans respecter les libertés individuelles.

Les scientologues, imprégnés des discours d'Hubbard, semblent dénier l'évolution des pratiques psychiatriques. Aujourd'hui pourtant, la psychiatrie ne ressemble plus à celle du film "Vol au-dessus d'un nid de coucou" parfois cité par eux, ni à la psychiatrie de certains états totalitaires. L'État français ne ressemble pas davantage à celui décrit dans "1984" de Georges Orwell.

La confusion entre la réalité et la fiction, que les scientologues affectionnent particulièrement, est totale.

Conclusion

L'endoctrinement scientologue fait que les adeptes s'identifient massivement à LRH ; ils s'identifient ainsi à ses discours et à son époque. Il suffit d'observer le manque d'actualité de leurs revendications ou même le style photographique de leurs journaux et magazines pour se rendre compte qu'en scientologie, le temps s'est arrêté. Il s'est cristallisé aux années 50 - 70.

Les scientologues sont figés à leur insu dans un autre temps, celui d'Hubbard, mort, rappelons-le, depuis plus de 15 ans.

La perversité des organisations sectaires brille de toute sa splendeur dans le fait que les adeptes sont "consentants".

L'embrigadement est le fait de manipulations mentales redoutables qui commencent souvent par le maniement des mots, comme nous avons tenté de le montrer ici. Le parasite, après s'être introduit dans l'organisme hôte, parvient à le programmer à sa guise et à en faire ce qu'il veut. Il se crée une symbiose entre le parasite et son hôte, une dépendance qui fait que l'un ne peut plus vivre sans l'autre, une dépendance qui se solde souvent par la destruction de l'hôte si le parasite veut survivre et poursuivre ses tristes desseins.

1 1974, pour la France (association loi 1901)
2 Ethique et Liberté n° 31, 2ème trimestre 2002
3 Mona Vasquez, et Satan crée la secte. Scientologie : Mémoires d'une rescapée, éd UTP Monptellier, août 2002, page 142
4 Selon Claude Combes, professeur à l'université de Perpignan. Souligné par nous
5 Ethique et Liberté n° 31, 2ème trimestre 2002
6 Le langage des sectes - déjouer les pièges, editions Salvator, Paris 1999, p.104
7 Ibidem



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