Les
questions qui se posent
Le domaine des psychothérapies se prête
très mal aux évaluations et les possibilités de dérives
de toutes sortes sont fort nombreuses, sans rapport, pour la plupart, avec l'embrigadement
sectaire. La première question portera sur la façon de bien circonscrire
les objectifs de la prévention dans le champ spécifique du sectarisme.
Une
autre question porte sur les analogies et différences entre dépendance
aux thérapeutes et emprise d'un groupe sectaire.
Par ailleurs, il est
important de savoir quelles sont les spécificités d'un contexte
thérapeutique par rapport à d'autres contextes impliquant et mobilisateurs
inducteurs de changements (contextes religieux et politiques notamment).
La
question principale est de tenter de cerner les paramètres générateurs
de risques, tant au plan des théories et doctrines qu'au plan des méthodes
et des possibilités de contrôle.
Les indices de dérive
sectaire caractérisée, transformant l'usager demandeur en adepte,
sont importants à connaître.
Enfin, la question qui se pose, de
ce qui peut prémunir au moins dans une certaine mesure contre les risques
d'embrigadement sectaire, est sans doute la plus importante et la plus difficile.
Circonscrire
les cibles de la prévention
Dans le cadre d'une prévention
des risques sectaires, rappelons qu'il ne s'agit pas :
- de dénoncer
l'incompétence, l'inefficacité, la bizarrerie de certains thérapeutes,
et caractère non sérieusement fondé de leurs références
;
- de traquer l'irrationnel à travers toutes ses manifestations (magiques,
religieuses, affectives et émotionnelles) ;
- de traquer toutes les
catégories d'exploiteurs et d'abuseurs qui parasitent le champ des psychothérapies
mais relèvent plus du droit commun et d'un contrôle déontologique
;
- de définir des critères de vérité et d'efficacité
des thérapies à la place des professionnels concernés. (1)
Plus
modestement, et c'est déjà assez difficile, la prévention
pourrait s'attacher à préciser les facteurs de risque de dérive
sectaire, c'est-à-dire de transformation d'un sujet demandeur en un adepte
inconditionnel, et le risque d'évolution d'un groupe initialement thérapeutique
en organisme exigeant tout et répondant à tout et auquel les individus
ont délégué la conduite de leur vie.
Entre
dépendance au thérapeute et emprise sectaire
Les psychothérapies
dans leur immense majorité sont l'occasion d'un très fort investissement
des patients sur la personne de leur thérapeute. Cet investissement peut
être défini comme la condition d'un véritable travail thérapeutique
et faire l'objet d'un approfondissement dans le cadre même de la thérapie
pour, ensuite, évoluer vers sa liquidation. C'est tout le travail sur le
transfert bien connu dans le cadre de la psychanalyse. Quand il s'agit d'emprise
de type sectaire, toute analyse critique de ce lien très fort est exclue
et tout est fait pour l'entretenir et le prolonger à l'infini. D'autre
part, la plupart des thérapies excluent l'utilisation intéressée
de cette dépendance à des fins d'exploitation de l'usager (exigence
de prestations, consignes d'organisation de vie intéressées, disponibilité
militante exigée).
Il
faut reconnaître que le culte de la personnalité n'épargne
pas les organisations de thérapeutes dont beaucoup sont d'anciens patients
du même maître, mais il existe d'importantes différences dans
le champ de l'autorité. Dans un cadre non sectaire, l'autorité est
intellectuelle, morale et affective mais n'envahit pas tous les registres du lien
social (intimité, liens interpersonnels, vie privée, investissements
politiques). Dans un cadre sectaire, l'autorité envahit tous ces registres.
Originalité
du médiateur psychothérapeutique dans l'embrigadement sectaire
Le
succès des groupes d'emprise repose de façon quasi constante sur
la proposition d'un changement radical, d'une alternative délibérée
à ce qui avait force de loi auparavant. Qu'il s'agisse de conquête
militaire ou religieuse, de guérison simplifiée et miraculeuse,
de développement personnel fulgurant ou d'explicitation de tous les mystères,
l'impératif est de mobiliser dans le sens d'une maîtrise accrue sur
soi-même et le monde… Dans tous les cas on s'appuiera donc sur des
aspirations insatisfaites, voire des souffrances et sur des refus et révoltes
devant l'état du monde.
Les
psychothérapies ou leurs équivalents plus ou moins fantaisistes
offrent un champ de conquête particulièrement tentant en ce qu'il
conjugue la promesse d'acquisition de pouvoirs sur soi-même et par extension
sur l'environnement, la révélation d'émotions inédites,
un type de communication fusionnelle peu commun, un corpus explicatif de ses propres
réactions et du fonctionnement social, une occasion de progression et de
transformations personnelles, enfin, quand il s'agit de fonctionnement groupal,
l'occasion d'un mimétisme identificatoire rassurant.
A
ceci peut s'ajouter, dans un certain nombre de cas, un corpus de prescriptions
comportementales et morales. Tout ceci explique que les psychothérapies,
largement autant que les organisations politiques ou religieuses, offrent l'occasion
d'une allégeance inconditionnelle dans un isolat culturel auto-référent
envahissant tous les registres du lien social.
Facteurs de risque de dérive
sectaire dans un contexte psychothérapique :
Deux
cas de figure se présentent : soit un groupe réuni à partir
d'autres bases utilise les techniques empruntées aux psychothérapies
en le disant ou sans le dire, soit le projet initial était thérapeutique
et c'est le groupe qui dérive vers une emprise totalitaire exercée
sur ses membres.
Certaines
techniques ont souvent été mises en cause en raison des possibilités
manipulatoires qu'elles offriraient grâce à des méthodes simples
d'obtention d'adhésion ou de comportements prédéfinis (différentes
formes d'hypnose, techniques comportementales, programmation neurolinguistique,
analyse transactionnelle, etc.). En fait, il semble qu'aucune de ces techniques
ne puisse être accusée en elle-même d'attenter au respect de
la liberté individuelle et de provoquer par sa seule application une dépendance
de type sectaire. Utilisées par de nombreux thérapeutes peu suspects
de chercher l'embrigadement des patients, elles sont utilisées par d'autres,
"formateurs" ou pseudo "thérapeutes" à cette
fin. Il s'agit donc d'une facilitation et d'un facteur de risques parmi d'autres.
Les
pratiques de groupe en tant que telles ne méritent pas plus la suspicion,
même s'il est beaucoup plus facile d'obtenir une adhésion orientée
grâce à une mobilisation émotionnelle et affective unanimiste
facile à construire dans un groupe impliquant.
L'utilisation
de médiateurs non verbaux, corporels ou autres, entraîne des modifications
du vécu ayant un caractère d'authenticité et de révélation
bouleversante qui entraîne facilement la répétition et des
attitudes de soumission. Ceci peut rendre les pratiquants de ces techniques plus
manipulables (mais non manipulés dans la majorité des cas).
Le
corpus théorique et doctrinal, lorsqu'il a un caractère ésotérique,
spiri-tuel, voire mystique, a souvent été mis en cause dans l'embrigadement.
On sait que les groupes sectaires ont souvent des explications pour tout (création
du monde, fonctionnement de la psyché, causes des maladies, remèdes
pour le bonheur, règles morales et comportementales). Ceci constitue une
bonne voie d'entrée dans l'embrigadement mais pas forcément et,
surtout, dans les cas où le groupe prétend détenir l'exclusivité
de la Vérité.
L'absence
de qualification universitaire en psychologie ou en psychiatrie de thérapeutes,
par ailleurs formés à une pratique psychothérapique dans
leur discipline propre, peut poser un problème et constituer un facteur
de risque. Outre la connaissance de la psychopathologie, les véritables
spécialistes diplômés reçoivent un minimum de formation
à l'éthique du métier. On sait que ce n'est pas une garantie
suffisante.
L'absence
d'une formation rigoureuse et de contrôle, l'improvisation artisanale à
une pratique supposée thérapeutique ouvre la voie à toutes
les dérives, y compris sectaires. C'est tout le problème du statut
des psychothérapeutes qui suppose la concertation entre organisations professionnelles
et l'Etat.
Une subordination des intérêts individuels à
une "Cause", quelle qu'elle soit, est un facteur de risque et constitue
un dévoiement des finalités psychothérapiques.
Un
manque d'autocritique ou de scrupules de la part d'individus en position de thérapeutes
constitue en fait le facteur de risque majeur et, sans doute, le plus difficile
à contrôler. Le minimum que l'on puisse souhaiter est que les associations
de praticiens se dotent d'instances de contrôle déontologique qui
ne soient pas que de simples chambres d'enregistrement ou de soutien corporatiste.
En
résumé, on pourrait penser que sont réunis le maximum de
risques de dérive au sein de groupes présentant à la fois
une idéologie universaliste, une absence de formation rigoureuse et de
contrôles, une instrumentalisation et exploitation des demandeurs, l'utilisation
de médiateurs à forte charge émotionnelle, un recours aux
techniques à fort potentiel manipulatoire et qui poursuivent des finalités
étrangères à l'intérêt personnel des "bénéficiaires".
Bien sûr, il convient d'apprécier cas par cas, car l'absence de ces
facteurs ne préjuge pas d'une innocuité absolue au regard de pratiques
sectaires et la présence de plusieurs facteurs peut n'être qu'un
indice de vulnérabilité.
En
conclusion
L'expérience a montré la fréquence de l'utilisation
de techniques psychothérapiques au sein des groupes sectaires. Seule une
réorganisation des pratiques par les professionnels concernés avec
le soutien de l'Etat permettra de diminuer la fréquence des dommages provoqués
chez les usagers demandeurs d'aide ou de développement personnel.
Dans le cadre des psychothérapies,