Paul Eric Blanrue est président du Cercle zététique (http://www.zetetique.ldh.org). Ce joyeux groupe de scientifiques, d'illusionnistes et d'historiens démonte les phénomènes paranormaux et ridiculise les voyants de tout poil. Pour le 11 août, alors que Paco Rabanne aura fui par peur de l'Apocalypse, le cercle trinquera devant sa boutique à la fin des charlatans. En attendant le mousseux, Paul-Eric Blanrue détaille les méthodes de Paco Rabanne et autres illuminés.

Paul-Eric Blanrue : Non ! Et ça fait deux mois que le défi a été lancé. Pourtant, on lui demande juste, s'il perd, de verser un dixième de cette somme à une association caritative de notre choix. Avec des excuses publiques en prime. Il s'est suffisamment foutu du monde.

Charlie Hebdo : Il n'y a pas que Paco Rabanne, il y a aussi Elizabeth Teissier...

Paul-Eric Blanrue : Elle affirme que la sonde Cassini va s'écraser quelque part, sans doute en France... En prétextant une manoeuvre délicate de la sonde. Manque de bol, cette manoeuvre n'a pas lieu le 11 août.

Charlie Hebdo : Si je veux jouer à Paco Rabanne ou à Elizabeth Teissier, je fais comment ? C'est quoi, le kit « La voyance facile » ?

Paul-Eric Blanrue : D'abord faire des prédictions à la tonne. 2.000 par an. Sur le tas, il y en a bien une qui va se réaliser. Deuxième truc, prédire des séismes. Il y en a tout le temps. En en prédisant une quinzaine, vous êtes à peu près certain de tomber juste, à quelques jours près. C'est statistique. Bien vu, aussi, le raz de marée. Vous ne risquez pas grand-chose à prédire un tsunami au Japon... Ou le classique : prophétiser une baisse de la Bourse pour juillet-août. Depuis quatre ans la baisse se produit en été. Demier point : faire oublier les prédictions qui ont foiré. Elizabeth Teissier a quand même annoncé que Chirac avait bien fait de dissoudre l'Assemblée.

Charlie Hebdo : Teissier lie ses prédictions à la sonde Cassini, Paco Rabanne à la station Mir. Que pensez-vous de la récupération de la science par la voyance ?

Paul-Eric Blanrue : Le voyant des villes vit avec son temps. Paco Rabanne a sorti son bouquin juste après un livre, très sérieux, lui, Crise à bord du vaisseau Mir, de Brian Burrough. La station Mir est vieille, elle date de 1986, mais ça ne veut pas dire qu'elle va se casser la gueule sur Paris. Les autorités russes font un chantage au crédit en agitant le danger. Ce n'est pas nouveau. Le 17 novembre 1998, le directeur de l'agence spatiale russe lance sur Radio Moscou : « Imaginez une station spatiale de 140 tonnes qui tombe du ciel de façon incontrôlée. » Il en profite pour glisser qu'elle a besoin de vaisseaux Soyouz et Progress pour la diriger... Tout ça pour trouver des partenaires financiers. Paco Rabanne a pris le train en marche.

Charlie Hebdo : Avec l'arrivée de l'an 2000, on est quand marie en flâne folie.

Paul-Eric Blanrue : Il y a une conjonction (comme dirait Elizabeth Teissier !). Le 11 août, c'est la dernière éclipse du millénaire. Il y a Nostradamus qui donne dans ses prédictions plusieurs dates, dont 1999. Et puis le passage à l'an 2000.

Ce que j'aimerais souligner, en tant qu'historien, c'est que les hommes du xxe siècle prennent souvent les hommes des siècles précédents pour des crétins. La fameuse peur de l'an mil, par exemple, n'a jamais existé. Il y a bien eu quelques fantasmes de moines, de lettrés, mais le peuple a continué à vivre bien tranquillement.

Quant aux peurs liées à l'éclipse, sous les Babyloniens, quand on ne sait pas expliquer le phénomène, elles sont normales. Mais avoir peur d'une éclipse aujourd'hui, c'est dramatique. Le seul cataclysme qui risque d'arriver le il août, c'est des ophtalmies pour ceux qui auront regardé le soleil sans protection, ou des accidents de voiture, si les gens se pressent sur les routes pour regarder l'éclipse pleine dans la « bande de totalité » qui va à peu près d'Étretat à Metz.

Charlie Hebdo : Cela dit, de pareilles prédictions, ça peut frapper les esprits sensibles, non ?

Paul-Eric Blanrue : Beaucoup de médecins craignent effectivement un regain de mysticisme pour le demier semestre 1999. Entre l'éclipse et l'an 2000, des personnes fragiles peuvent se monter le bourrichon. Une secte apocalyptique peut décider d'un suicide collectif, ou provoquer des troubles. Là, ça risque d'être délicat pour Paco...

Charlie Hebdo : Le point positif, c'est qu'il a promis qu'il arrêterait ses prophéties si Paris n'était pas détruit...

Paul-Eric Blanrue : Oui, et Teissier aussi. On compte bien leur rappeler leur promesse !

Charlie Hebdo : Les Témoins de Jéhovah avait prédit la fin du monde pour 1914, pourtant ça ne les a pas empêchés de continuer.

Paul-Eric Blanrue : C'est ce qu'on appelle la « dissonance cognitive ». Quand un prédicateur échoue, il garde quand même autour de lui un résidu de fidèles. Si, après le 11 août, Paco Rabanne ne s'est pas jeté de la tour Eiffel de honte, je vous fiche mon billet qu'il continuera à faire ses prédictions. En expliquant que, grâce à lui, les gens de la station Mir ont réglé leurs problèmes, ou que les moines tibétains - parce qu'il a mis des moines tibétains sur le coup ! - ont réussi par leurs prières à éviter le pire. Il passera certainement aux yeux de quelques-uns pour un être extraordinaire qui a réussi à nous éviter l'Apocalypse. Tout en s'en mettant plein les poches.

[Large extrait]

Paris. Le couturier espagnol Paco Rabane "regrette" sa prophétie sur la destruction de Paris par la station spatiale Mir le 11 août, jour de l'éclipse totale de soleil, dans une interview publiée jeudi par l'hebdomadaire Paris-Match : "Je dis, je redis, que je le regrette. Et que je le regretterai toujours", a-t-il déclaré.

Paco Rabane a affirmé depuis Annecy (Haute-Savoie), où il s'est installé pour l'hiver, avoir été "en butte à beaucoup d'insultes et de déchaînements de toutes sortes. La dérision, je l'ai méritée et je ne la discute pas. Mais rien, dans mon cas, ne justifie la haine."

Juste après l'éclipse, plusieurs manifestants parisiens avaient fêté dans la bonne humeur les erreurs de prophéties du couturier, en faisant notamment tomber du ciel, au lieu de la station spatiale annoncée, un berlingot de lessive Mir.

Paco Rabane, qui fondait ses prédictions sur les déclarations d'une voyante bretonne et les prophéties de Nostradamus, a reconnu avoir été "d'une trop grande naïveté" et "fait preuve de trop de légèreté et d'inconscience". Il a justifié ses prophéties malheureuses par le désir de "choquer, par volonté de bravade, par envie de provoquer".

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