Le "Celebrity Center" d'Hollywood: encore une
de ces misérables masures qu'affectionnent les scientologues. Il
est vrai que c'est pour accueillir les "célébrités"
uniquement. Car, en Scientologie, on ne mélange pas manants et VIPs.
A l'époque, j'éprouvais toujours le besoin de retourner à la Scientologie pour faire le point. Je retournai donc à Los Angeles en août 1976. Après trois semaines d'absence, l'ambiance à Los Angeles semblait s'être dégradée. Je ne m'étais jamais vraiment entendue avec Tina, mon senior. Peu après mon retour, nous nous affrontâmes, et je quittai mon poste de Directeur du Processing puisque je refusais de travailler avec elle. Je ne me rappelle pas tous nos sujets de dispute, mais il fut au moins question de la mauvaise transmission des messages urgents de ma mère.
L'Officier Commandant, Gary Epstein, ainsi que l'Officier d'Éthique, essayèrent de me persuader de réintégrer mon poste, mais je refusai, assurant que j'étais prête à prendre n'importe quelle autre fonction, mais pas en compagnie de Tina. Je me portai volontaire pour FESer les enregistrements; et ils donnèrent leur accord, du moins dans un premier temps. Je pense en fait qu'ils ne savaient pas comment procéder avec moi. Si j'avais exprimé un tel refus à Flag, ils m'auraient immédiatement jetée au RPF; mais à Los Angeles, les gens semblaient plutôt intimidés du fait que je venais de Flag.
FESER, TOUJOURS FESER !
Je me demandais ce que je faisais dans la Scientologie. Je FESais des enregistrements à longueur de journée. Je ne subissais aucune sanction, et j'avais droit à autant de jours de repos que je le souhaitais. Au cours d'un après-midi, je me promenai sur le Hollywood Boulevard. Soudain, tout bascula dans ma tête quand il s'imposa cette pensée: "Qu'est-ce que je fais ici ? Ce n'est pas du tout ce que j'attendais lorsque j'avais rejoint la Sea Org pour la première fois. Je ne me sens pas du tout heureuse ici et je ne peux pas continuer ainsi. Je dois faire quelque chose pour sortir de cette situation. Petit à petit, je pris cette décision: je me donne deux semaines pour faire le bilan de mon appartenance à la Scientologie. Si, en deux semaines, les choses ne se sont pas améliorées, de deux choses l'une:
- ou bien j'en parle à un membre dans l'Org, pour confesser toutes mes impressions et pensées, en finir avec le doute, et rester loyale avec le groupe.Le fait que je m'étais autorisée ces pensées était déjà assez significatif. Cela montrait qu'en restant ne serait-ce que quelques semaines éloignée de l'influence de la secte, et en passant beaucoup de temps toute seule, je pouvais commencer à me libérer du contrôle de la pensée - contrôle qui m'avait été inculqué depuis tant d'années. Une personne sous le contrôle de la pensée ne se permettrait jamais d'avoir des idées critiques au sujet du groupe auquel elle appartient. On m'avait fait croire que les pensées critiques étaient dues à des crimes non révélés, mais je réalisais que mes pensées étaient à la fois légitimes et innocentes.
- ou bien je quitte la secte sans en parler à personne.
Je retournai au travail le jour suivant, me gardant de révéler mes intentions à quiconque. C'était une situation que j'avais envie d'assumer toute seule, indépendamment des autres. Les deux semaines s'écoulèrent et rien de positif ne se produisit. Je continuais de FESer les enregistrements chaque jour. Je parlais très peu aux autres et personne ne me causait d'ennui, du moins jusqu'au vendredi 20 août 1976. Cet après-midi, Gary Epstein s'entretint avec moi. Il était mécontent depuis que j'avais quitté mon poste de Directeur du Processing et me demandait de cesser de m'entêter dans cette attitude singulière. Il m'accusait ironiquement du fait qu'avoir été l'amie personnelle de Quentin Hubbard à Flag m'était monté à la tête. Il m'envoya auprès de l'Officier d'Éthique, qui fut un peu plus aimable. Il tenta à son tour de me persuader de réintégrer mon poste, mais je m'obstinai à refuser. Il me dit que si je n'y retournais pas, il n'aurait pas d'autre choix que de convoquer le Comité de l'Évidence à mon intention. Je savais que je devais réagir rapidement, car je me sentais de moins en moins en sécurité dans l'Org.
L'EXEMPLE DE PANDORA COOPER
Le lendemain matin, samedi 21 août, je continuais de FESer les enregistrements. Certaines personnes autour de moi évoquaient l'histoire d'une jeune femme appelée Pandora Cooper, qui avait été auditeur et Superviseur des Cas à l'Org de Washington DC. Le bruit courait qu'elle avait voulu quitter la Scientologie, mais que l'autorisation ne lui avait pas été accordée. Elle avait donc été enfermée dans une pièce contre son gré, et forcée de recevoir de l'audition. Elle avait fait semblant d'accepter l'audition, fait croire à ses geôliers que ses problèmes étaient résolus, et qu'elle avait renoncé à l'idée de quitter la Scientologie. Aussitôt convaincus qu'elle voulait rester, ils la relâchèrent. Elle sortit immédiatement de l'Org et n'y retourna jamais. Je réalisai que je pouvais très bien faire comme Pandora. Il fallait que j'agisse vite.
J'avais mis de côté à peu près 200 dollars à l'époque où j'étais Directeur du Processing, grâce aux primes. En abandonnant cette fonction, je ne toucherais plus de primes. Je n'avais plus que la paye de misère de la Sea Org, soit environ 10 dollars par semaine. A ce rythme là, mes 200 dollars allaient très vite être dépensés. Je ne pourrais plus voyager nulle part et je devrais renoncer à mon appartement. J'en déduisais que si je voulais quitter la Sea Org, il fallait le faire le jour même, avant qu'un Comité d'Évidence ne soit convoqué. Par chance, j'avais mon après-midi libre ce jour là. C'était la meilleure occasion de m'enfuir, puisque mon absence ne serait constatée que le lendemain matin - mais je n'avais pas encore tout à fait pris ma décision.
PRÉPARATIFS DE L'ÉVASION
J'allai à la piscine, pris une douche puis enfilai un vêtement envoyé par ma mère. Ensuite j'entrai dans une cabine téléphonique pour me renseigner sur les horaires de l'aéroport de Los Angeles, mais tous les vols étaient réservés. Puis, j'allai à la station de bus m'informer du prochain départ pour Michigan. Un bus était prévu à 18 heures. Le montant du billet s'élevait à 125 dollars, ce que je pouvais encore me permettre.
Il était 14 h 30 quand je retournai à l'appartement. Un des colocataires était là, et j'essayai de paraître normale. Je profitai du moment où il sortit acheter un journal pour commencer à faire ma valise. Lorsqu'il revint, je dissimulai précipitamment ce que j'avais déjà emballé. Je lui dis que je revenais de la piscine et que l'eau était très bonne, espérant ainsi qu'il aurait envie d'aller à nager à son tour. Par chance, c'est ce qu'il fit, et je me retrouvai de nouveau toute seule. A présent, plus rien ne s'opposait à ce que je m'enfuie, exceptées les barrières que je dressais contre moi-même.
Pendant un laps de temps qui sembla durer des siècles mais qui n'excéda probablement pas cinq minutes, j'hésitai sur la décision finale. J'avais envie de partir, mais j'étais effrayée. Je savais que c'était la seule chance qui se présentait. Si je ne le faisais pas aujourd'hui-même, je n'aurais pas d'autres opportunités avant longtemps. J'oscillais encore entre la décision de partir et celle de rester. J'avais l'impression d'avoir à faire le choix le plus grave et le plus difficile de mon existence. En terminant d'empaqueter mes vêtements, je continuai de me répéter que je n'étais pas heureuse, que ma situation n'allait de toutes façons pas s'améliorer. Et pourtant, je continuais d'hésiter ! Soudain, je réalisai que prendre ce genre de décision n'était jamais facile et que si j'attendais qu'elle paraisse plus facile, je ne la prendrais jamais...
Finalement, je fis le grand plongeon. Je rassemblai une partie de mes affaires puis quittai l'appartement. J'évitai d'emmener tout ce que je possédais par crainte de croiser un scientologue sur la route de la station de bus, à qui j'aurais bien été embarrassée d'expliquer la présence de mes valises. Je pris seulement un attaché case, un sac en plastique et mon sac à main. Je préparai même une petite histoire pour justifier le transport de mes affaires pour le cas où j'aurais rencontré quelqu'un dans la rue. Fort heureusement, je ne croisai personne qui me connaissait. J'étais terrifiée à l'idée d'apercevoir un scientologue dans la foule, qui aurait pu décider de me retenir contre mon gré.
ENFIN LIBRE !
Aussitôt arrivée à la station de Bus de Hollywood, située à dix minutes à pied de mon appartement, j'achetai le billet pour Michigan. Ensuite, j'appelai ma mère pour lui annoncer que je rentrais à la maison. Elle fut ravie et approuva vivement ma décision de quitter la Scientologie. Elle ajouta: "J'ai toujours su que tu avais l'esprit indépendant". A 17 h mon bus quittait Hollywood pour Los Angeles, où j'avais une correspondance à prendre. Je souffrais d'un mal de tête lancinant, et je craignais toujours d'être repérée par quelqu'un. Je commençai à me détendre enfin lorsque mon bus quitta Los Angeles, vers 18 heures. Pendant le voyage, je ressentis un soulagement tel que je n'en avais jamais ressenti de ma vie. C'était comme si je me débarrassais d'un boulet énorme, et que j'étais de nouveau libre.