21. Le RPF du RPF


 
 
 
 
 
 

L'amour de son prochain selon Hubbard, à bord de l'Apollo: jeter les mauvais adeptes par dessus bord en pleine mer, soit un saut d'une vingtaine de mètres ! On les récupérait tout de même après, mais il fallait alors "réduire les Engrammes" ainsi provoques !
 
 
 
 
 

En janvier 1975, je retournai donc au RPF. Cette fois, cependant, cela n'eut rien à voir avec le RPF de 1974, que j'avais personnellement inauguré. Les RPFers n'avaient pas le droit de se rassembler, ni de se serrer les coudes, et il était beaucoup moins facile d'en sortir.

ENCORE PLUS FORT QUE LE RPF: LE RPF DU RPF !

Une nouvelle version du RPF, appelée RPF du RPF, avait été mise au point pour les récalcitrants. Un assigné au RPF du RPF devait travailler toute la journée dans des conditions très pénibles à l'intérieur de la salle des machines du bateau pour nettoyer la cale, et était censé dormir dans le local de la chaîne d'ancre. Aucune communication avec qui que ce soit n'était autorisée, excepté avec l'Officier d'Éthique du RPF. Le premier à goûter au RPF du RPF s'appela Ron Hopkins, un cadre de Londres. Je l'aperçus parfois dans la salle des machines. Il était couvert de crasse récoltée en fond de cale et paraissait misérable. Il toussait énormément à la suite d'une crise de pneumonie, et n'en était visiblement toujours pas remis. Après quelques semaines, Hopkins sortit du RPF du RPF et nous rejoignit au RPF. Nous devînmes bons amis et, du moins au début, il fut parmi ceux à me soutenir. Je le sentais très sensible, il avait rapidement repris toutes ses forces. Je me souviens qu'il aimait la guitare flamenco et jouait souvent pour nous. C'était un dirigeant inné et il devint bientôt responsable du RPF, à travers lequel son charisme lui permit de s'imposer auprès des autres RPFers.

LE TEST DU GANT BLANC

La vie au RPF était très dure, chaque journée débutant à 5 heures 30 du matin. Nous étions divisés en groupes de 5 à 7 personnes. L'équipe féminine nettoyait toutes les salles de bain du bateau, certaines coursives et les salons, comme le salon arrière. Nettoyer les salles de bain ne signifiait pas seulement faire briller les cuvettes. Il fallait également astiquer entièrement la pièce, y compris les cloisons et les plafonds. Après notre grand nettoyage, il y avait le passage au gant blanc. Si le gant présentait des traces de saleté, le coupable était condamné à faire des tours en courant de la proue vers la poupe du navire (soit environ 300 mètres).

FAITES QUATRE TOURS !

Un jour que ma "senior" n'était pas satisfaite de mon nettoyage d'une salle de bain, elle m'ordonna de "faire un tour". Je protestai parce que je trouvais sa décision injuste, mais sa réponse fut: "Ne faites pas Q&A avec moi. Faites deux tours !". J'objectais encore, et elle continua: "Faites quatre tours !". Cela continua ainsi jusqu'à 10 "tours". Une autre fois, je marchai au lieu de courir comme cela m'avait été ordonné. Le responsable du RPF - à l'époque Homer Schomer - m'ayant prise sur le fait, se mit à me cavaler après. J'essayai de lui échapper, mais il était trop rapide. Il m'attrapa violemment et j'eus finalement droit à des "tours" supplémentaires.

La leçon essentielle du RPF était d'obéir aux ordres sans discuter, peu importe ce que nous pouvions ressentir ou qui donnait l'ordre. C'était une leçon que je n'avais évidemment pas envie d'apprendre. Je ne l'avais pas apprise lors de mon premier séjour au RPF, et j'étais donc de retour. L'obéissance aveugle ne correspondait pas du tout à ma mentalité. Je pensais que la Scientologie prônait l'indépendance et l'autodétermination, pas la soumission inconditionnelle à l'autorité. En plus de ces ennuis, je ne m'entendais pas avec mon partenaire d'audition. S'auditer mutuellement dans le cadre du RPF était une condition indispensable pour en sortir, mais mon partenaire et moi-même étions de caractères incompatibles. Finalement, il devint évident que cela ne pouvait pas marcher entre nous et, à sa demande, il lui fut désigné quelqu'un autre. J'essayai avec un autre partenaire, mais cela ne réussissait pas mieux. J'étais désespérée. Je ne voyais aucun espoir de m'en sortir.

MES NERFS COMMENCENT À LÂCHER

Je me souviens d'un jour où je me suis effondrée. Je pénétrai dans la cale inférieure, où se trouvait la salle de cours du RPF, et je me mis à crier de toutes mes forces comme jamais je ne l'avais fait de ma vie. J'avais l'impression de ne pas pouvoir m'arrêter. J'avais complètement perdu mon self-control. Finalement, Ron Hopkins alla trouver le médecin pour chercher un Cal Mag (ndt: une solution de calcium magnésium), une mixture censée m'aider à m'apaiser. Cela sembla réussir durant quelques heures, mais le jour suivant, mon chagrin reprit le dessus. Je passai plusieurs jours sans pouvoir m'arrêter de pleurer. J'étais dans un état de désespoir profond. J'y perdis bien plus qu'un partenaire d'audition. Dans cet état de trouble émotionnel - mais seulement dans ces circonstances - je réalisai que la Scientologie n'était qu'une imposture. Je ne trouvais pas les mots pour décrire le vide qui s'était créé en moi. A l'époque, il n'existait pas d'association d'aide aux anciens adeptes susceptible de m'aider à comprendre ce qui se passait en moi. Une chose était certaine, jamais je n'avais été dans un état aussi désastreux de toute ma vie. David Mayo remarqua mon état et sembla très inquiet, mais même le Superviseur des Cas fut incapable de cerner ce qui n'allait pas chez moi. J'avais l'impression d'avoir tout perdu. J'étais entrée en Scientologie avec de grands rêves et de grandes projets de ce que le monde pourrait être, et j'avais travaillé très dur pour faire de ces rêves une réalité. Pendant un temps, j'avais pensé avoir réalisé mes rêves. Il y a moins d'un an, j'avais l'impression que le monde était dans mes bras, que j'avais définitivement tiré un trait sur mon passé douloureux. Toutes ces illusions s'étaient désormais envolées.

Pourquoi est-ce que tout allait si mal ? Parce que je revendiquais mon droit à choisir mes amis, et il se trouve que l'ami que j'avais choisi était le fils de Ron Hubbard. J'implorais Dieu qu'il n'ait pas été le fils de Ron Hubbard, mais il l'était. Hubbard peut anéantir qui il veut comme il le veut. Il peut redonner la force à quelqu'un, faire de tous ses rêves une réalité et puis, tout à coup, le pulvériser - juste comme ça ! J'avais perdu ma capacité à me mettre en colère. Tout ce dont j'étais capable était de pleurer. A un moment, j'évoquai mon envie de quitter la Scientologie, mais David Mayo et Jeff Walker réussirent à m'ôter cette idée de la tête. David dit quelque chose comme: "Tu es en train de briser mon coeur", et Jeff m'acheva en ajoutant: "Tout le monde t'aura oubliée dès que tu auras quitté la Sea Org". Je décidai d'abandonner définitivement cette idée et de rester quoi qu'il arrive. Aussi malheureuse que j'étais, j'étais toujours persuadée que la vie à l'extérieur de la Scientologie serait bien pire encore.

"CA SUFFIT ! TU ES ASSIGNÉE AU RPF DU RPF !"

Un jour, je tentai une dernière fois de me faire respecter. J'étais de garde en tant qu'officier de manoeuvre, et je devais comptabiliser les gens qui passaient. C'était une tâche souvent assignée aux RPFers. Ce jour-là, j'étais de garde toute la matinée et la relève était prévue juste avant le déjeuner, mais personne ne vint se présenter. Finalement, je descendis sous le pont vers le salon arrière pour avoir des nouvelles de ma relève. Ron Hopkins et d'autres RPFers se restauraient tranquillement et ne voulurent rien savoir. J'explosai littéralement. Mais ma colère était sans rapport avec ce qui la motivait, elle n'était qu'une ultime tentative pour être respectée. Je leur dis que j'allais déjeuner tout de suite, et que tout le monde pouvait aller au diable ! A ce moment, Ron Hopkins s'exclama: "Ca suffit ! Tu es assignée au RPF du RPF !". Je n'oublierai jamais ces mots. Je savais que j'étais allée trop loin et tentai de m'excuser, mais cela ne servait à rien. Hopkins fut inflexible. Il me dit que je pouvais éventuellement convoquer un Comité d'Évidence pour contester cette condamnation, mais si je le faisais, je serais probablement expulsée de la Sea Org en contrepartie.

Et c'est ainsi que le 26 mai 1975, je fus assignée au RPF du RPF. Je passai de longues journées dans la salle des machines, à enlever la boue nauséabonde des fonds de cale et à repeindre les parois. Heureusement, Ron Hopkins se montra indulgent avec moi, et je n'eus pas à dormir dans le casier à chaîne. J'étais assignée à la condition d'Ennemi et pour en sortir, je devais rédiger une dissertation sur le sujet suivant: "Découvrez qui vous êtes en réalité". Je soumis ma rédaction à Ron Hopkins, mais il n'en fut pas satisfait. Je ne comprenais pas ce qu'il attendait de moi. Pendant des jours, je m'acharnai à trouver une réponse qui puisse lui convenir. Qui étais-je ? A vrai dire, je ne le savais pas moi-même. Si je l'avais su à l'époque, je les aurais laissés m'expulser et m'envoyer aussi loin que possible du bateau et de tout ce monde à bord. Mais quitter la Scientologie était une possibilité que je refusais d'envisager. Jeff et Davis m'avaient mise en garde à ce sujet, et à cette époque j'étais toujours persuadée que quitter la Scientologie ne pouvait être que pire que tout ce que j'endurais sur ce bateau.

Je passai cinq jours au RPF du RPF, mais cela me parut bien plus long. Il m'était interdit de communiquer avec qui que ce soit excepté Ron Hopkins. Un jour, David Mayo fit une entorse à cette règle et m'adressa la parole. Il était de mon devoir de lui rappeler qu'il n'avait pas le droit de me parler. Il me dit de ne pas m'inquiéter pour ça. Je n'oublierai jamais ce qu'il fit pour moi ce jour-là, rien que pour ne pas avoir respecté cette consigne. Je ne me rappelle plus exactement ses mots, mais il m'a encouragé à tenir bon et à mieux endurer cette dure expérience. Il m'a montré de la compassion à un moment où j'en avais le plus besoin.

J'étais déterminée à conserver le peu de raison qu'il me restait. Le meilleur moyen était de taire toutes mes émotions. C'était une question de survie. J'écrivis enfin une dissertation qui apporta satisfaction à Hopkins, et je sortis du RPF du RPF. Ils avaient finalement réussi à me briser, après une longue résistance. Quand Ron Hopkins avait dit: "Ca suffit ! Tu es assignée au RPF du RPF !", quelque chose s'était brisé en moi, et je n'ai plus jamais eu envie de me défendre. Je n'étais plus en colère, je n'étais plus triste, je n'étais plus heureuse, je ne ressentais plus rien. J'étais réduite à l'état de machine à obéir. A force de mauvais traitements, j'avais finalement retenu la leçon du RPF.

Je précise à ce sujet que je n'en veux plus à Ron Hopkins, David Mayo, Jeff Walker, Cathy Cariotaki, Jill Goodman ou tout autre scientologue et membre de la Sea Org pour ce que j'ai enduré sur ce bateau. Ils étaient tous sous l'influence de Ron Hubbard et ne faisaient qu'exécuter les ordres du mieux qu'ils le pouvaient. Nous tentions tous de survivre. J'espère seulement qu'ils sont libres à présent et réalisent exactement ce qui nous est arrivé à nous tous à bord, ainsi ils peuvent tirer un trait sur ce passé et envisager une vie normale.

JE SUIS DEVENUE UNE "RONDROÏDE"

Jusqu'à ce moment de capitulation, je n'ai pas eu trop de difficultés à trouver les mots pour décrire mes expériences; mais maintenant, j'ai l'impression de n'avoir pas grand chose à dire pour évoquer la période qui a suivi ma libération du RPF du RPF. Peut-être parce qu'il ne restait presque plus rien de moi-même à la fin de cette épreuve. Mon identification à la Scientologie avait pris le dessus et j'étais devenue une "Rondroïde", une sorte de robot de Ron Hubbard. J'avais cessé de créer des problèmes et j'exécutais machinalement tout ce qui m'était demandé.


chapitre 22/28: Retour sur terre

Mes neuf vies dans la Scientologie: SOMMAIRE