Contrairement à cette image majestueuse
et idyllique, la vie à bord d'un bateau de la Sea Org était
loin d'être de tout repos pour les adeptes et les "RPFers", que l'on
punissait en les passant par dessus bord !
En novembre 1973, il vint une nouvelle idée à Ron Hubbard pour s'occuper des fauteurs de trouble, des récidivistes et de toute autre personne à bord qui lui déplaisait. Il inventa le "Projet de Réhabilitation" (RPF: Rehabilitation Project Force), une sorte de goulag scientologue. Les RPFers devaient effectuer des travaux physiquement très durs toute la journée et s'auditer mutuellement le soir, afin de découvrir leurs Overts et Withholds et connaître leurs mauvaises intentions. Les RPFers n'avaient le droit de parler à personne, sauf quand on leur adressait la parole, et devaient porter des vêtements noirs. Il ne pouvaient manger qu'après tous les autres sur le bateau, si du moins il y avait des restes; et en aucun cas ils n'avaient le droit de quitter le bateau lors d'une escale. Hubbard traitait les RPFers comme de véritables criminels psychopathes, qui lui devaient reconnaissance d'obtenir une chance de se réhabiliter.
Il est vraiment très étonnant de découvrir que certains hauts dirigeants actuels tels que Pat Broeker et Norman Starkey furent RPFers ! La majorité des cadres de la Scientologie eurent droit à leur dose de RPF à un moment de leur carrière. Dès que Hubbard eut conçu le RPF, il demanda à ses assistants de consulter les dossiers de tout le monde à bord pour y effectuer une lecture particulière de l'Électromètre: le "Rockslam". Les Rockslams, d'après Hubbard, révélaient que la personne avait commis des crimes graves contre la Scientologie, et que par conséquent cette personne était psychotique. Quiconque ayant un Rockslam enregistré dans ses archives était donc candidat au RPF. On nous demanda également d'effectuer un test de personnalité appelé OCA. Quiconque avait un mauvais score pouvait être lui aussi assigné au RPF. En plus de ceux-là, tous ceux qui étaient soupçonnés d'avoir des intentions contraires à celles du groupe étaient susceptibles d'y passer également. Je me souviens qu'une femme faisant partie du personnel de service dans les cabines de Ron Hubbard fut envoyée au RPF parce qu'il croyait qu'elle était en train d'essayer de l'empoisonner. En réalité, elle vénérait cet homme et aurait été prête à s'empoisonner à sa place s'il l'avait fallu. Les employés des cabines de Ron Hubbard se faisaient RPFer avec une grande régularité. Plus une personne travaillait à proximité de Ron Hubbard, plus elle s'exposait à la menace du RPF.
Cela nécessita environ deux mois pour dresser la liste des membres à envoyer au RPF. Pendant cette attente, tout le monde à bord était dans ses petits souliers. L'atmosphère devenait pesante, la tension montait. Tous étaient terrifiés par l'éventualité de se retrouver au RPF. Je m'inquiétai particulièrement de mon sort parce que j'étais très souvent entrée en conflit avec ma hiérarchie. Je me doutais que mon nom figurerait sur la liste et j'en tremblais, mais je gardais quand même l'espoir d'un miracle...
J'INAUGURE LE RPF
Le 10 janvier 1974, la liste des personnes ayant droit au RPF fut publiée officiellement et, bien évidemment, je faisais partie des 15 élus. On nous réveilla très tôt ce matin là, et nous fûmes présentés au Conseil d'Éthique. Je m'y attendais, mais j'étais malgré tout en état de choc, comme les autres personnes de la liste. Parmi elles, une femme avait déjà commencé à faire ses valises avec l'intention de s'enfuir, mais elle resta finalement. Norman Starkey, qui occupe actuellement un poste très important dans la Scientologie, figurait lui aussi sur la liste. Par la suite, le nombre de RPFers s'accrut considérablement. Il ne se passait pas un jour sans que quelqu'un ne se fasse "casser" (terme que nous affectionnions particulièrement). Les auditeurs et les internes étaient la cible principale.
Il est difficile de décrire la souffrance que je ressentais ce jour là. Par moments, j'étais pétrifiée de stupeur, et ensuite, je fondais inévitablement en larmes. Les autres RPFers sombraient dans le même état et, en quelques jours, nous développâmes une certaine solidarité entre nous. Nous avions créé nos propres plaisanteries et chansons sur le RPF. Cette solidarité nous permit de préserver le peu de dignité qu'il nous restait. Il y avait une telle connivence que notre soutien mutuel était considérable. Ce qui nous arrivait constituait un véritable hommage à la résistance humaine, quoique la plupart d'entre nous attribuait cette expérience "bénéfique" à Ron Hubbard, le remerciant même d'avoir inventé le RPF ! Actuellement, je réalise que c'était aussi ridicule que si un juif ayant survécu à l'holocauste avait remercié Hitler d'avoir inventé les camps de concentration. Nous vécûmes cette expérience en dépit de Ron Hubbard, et non grâce à Ron Hubbard.
D'une certaine manière, après avoir surmonté le choc initial, être au RPF représentait un soulagement pour la plupart d'entre nous, car nous n'avions plus à craindre la menace d'être assignés au RPF - nous étions déjà dedans. Nous avions touché le fond. Quand nous fûmes pour la première fois assignés au RPF, on nous informa que nous avions le droit de faire appel au "Comité de l'Évidence", une sorte de procès à la sauce scientologue. J'avais demandé à être présentée à ce comité, et mon ami le plus proche, Quentin Hubbard, fut nommé président de mon comité, ainsi que de celui de Lisa Zanda, une autre de ses amies. Mais il n'eut pas d'autre choix que de nous déclarer coupables et de maintenir la décision de nous laisser au RPF. D'ailleurs, aucun autre verdict n'était considéré comme acceptable. Quelle étrange forme de procès !
RON HUBBARD, UN PAPA SI PRÉVENANT...
Quelques jours plus tard, Quentin fut porté disparu du bateau et une opération de ratissage organisée pour le retrouver. Après de vaines recherches, le garçon finit par revenir à bord et confia à une Messagère qu'il venait d'absorber un flacon entier de pilules. La Messagère le rapporta rapidement à Ron Hubbard et, après un lavage d'estomac, Quentin fut mis en quarantaine dans une cabine pour un mois. Il n'eut l'autorisation de communiquer avec personne, excepté avec son auditeur. Après cette période d'isolement, son père l'envoya au RPF.
Quand je voyais Quentin, tous mes problèmes s'envolaient. Il avait l'air si frêle et si vulnérable. Je m'étais jurée de le protéger et le soutenir durant son épreuve. Au RPF, les gens s'auditaient en duo, et je ne sais comment j'y suis arrivée, mais je réussis à m'associer avec lui. Quentin et moi devinrent des Superviseurs des Cas du RPF.
Les RPFers n'avaient en principe pas le droit d'aller sur le pont, mais Quentin et moi disposions d'une autorisation spéciale, afin de pouvoir rejoindre sa cabine pour y étudier les archives et les auditions des autres. La cabine devint un refuge pour nous deux. Même si Quentin était sérieusement affaibli, il restait courageux. Il ne perdait jamais son sens de l'humour. Nous passions des heures ensemble dans sa cabine, à discuter, à rire et à manger du beurre de cacahuète que nous avions dérobé dans le garde-manger familial. Plus tard, Quentin parlerait de cette période comme des "journées cacahuètes du RPF".
Lui et moi dépendions beaucoup l'un de l'autre, et nous avions tissé des liens affectifs. Humour, chaleur humaine et amour étaient des denrées rares à bord, mais Quentin et moi les partagions copieusement. J'ai lu beaucoup de témoignages décrivant Quentin comme un misérable. Ce n'est pas que je veuille absolument démentir, mais je connaissais une autre facette du personnage: c'était quelqu'un qui était capable d'aimer, en dépit de l'existence pitoyable qu'il menait. Je n'oublierai jamais Quentin et notre grande amitié. Il ne m'oublia jamais non plus, même après que j'eus quitté la Scientologie. La dernière lettre que je reçus de lui datait de deux semaines avant qu'il ne tombe dans le coma.