13. Le navire Apollo


 
 
 
 

Le navire Apollo dans les années 70, où furent créés les concepts de "Sea Org" et de "Flag". C'est sur ce bateau long de 110 mètres que vécut Monica durant deux ans.
 
 
 
 
 

En mai 1973, je partais pour embarquer à bord du navire Apollo - "le lieu le plus sain de la planète" m'avait-on répété à maintes reprises. Après m'être fait vacciner contre la petite vérole et le choléra, je m'envolai vers New York où l'on m'annonça ma destination finale: Lisbonne, au Portugal. Ces mystères excitaient mon goût pour l'aventure. Je reçus la consigne de ne jamais mentionner le mot Scientologie à qui que ce soit en dehors du navire. Nous ne devions révéler que la version officielle des faits, selon laquelle nous étions des cadres d'entreprise partis en stage d'entraînement, dans une société de management appelée Opération Transport Corp. ("OTC", une société panaméenne), qui délivrait des cours professionnels à bord du bateau.

J'arrivai à Porto dans l'après-midi puis montai à bord du navire, demeuré à l'ancre. Sur le pont, quelqu'un s'empara de mon passeport, et le déposa dans un "lieu sûr" auquel je n'avais pas accès. J'étais tellement enthousiasmée de me trouver à Flag que je ne m'interrogeai même pas sur cette façon de procéder, présumant qu'il y avait certainement une bonne raison.

UN DORTOIR SOMBRE ET SANS AIR POUR 50 FEMMES

Il y en avait une: nous priver de notre passeport rendait notre départ du bateau très difficile - mais je ne m'étais pas autorisée à imaginer cette explication à l'époque. Après une brève visite médicale, on me donna des serviettes et des draps et on me présenta mon lieu d'hébergement: une pièce sombre et miteuse située en dessous du pont, avec des lits superposés à trois étages. Environ 50 femmes vivaient dans ce dortoir très mal aéré. Un dortoir similaire pour les messieurs se trouvait de l'autre côté de la coursive principale. A ce moment là, j'étais debout depuis 24 heures, je subissais les effets du décalage horaire autant que ceux de la piqûre contre le choléra, et j'étais complètement étourdie. Je me souviens vaguement d'avoir demandé s'il n'existait pas un endroit plus confortable à bord, mais bien sûr, il n'y en avait pas - du moins pas pour moi. Sur Flag, je n'étais pas quelqu'un de spécial. J'étais une interne venue m'entraîner en tant qu'auditeur, et il y avait beaucoup d'autres personnes qui étaient autant entraînées, si ce n'est plus, que moi.

Les seuls à pouvoir bénéficier de cabines privées à bord étaient les couples mariés et les officiers de très haut rang. Mais même ces quartiers étaient exigus et inconfortables, avec dans la plupart d'entre elles juste assez d'espace pour caser un lit et un lavabo. Je me suis donc résignée à dormir dans ce dortoir, particulièrement bruyant avec sa cinquantaine d'occupantes. Ma couchette était entourée de panneaux en bois sur trois côtés et me donnait l'impression de m'allonger dans un cercueil. J'étais épuisée et on m'accorda l'autorisation de dormir jusqu'au lendemain midi.

Quand je me réveillai, j'étais complètement engourdie et désorientée dans l'obscurité du dortoir. Pendant quelques instants horribles, je n'arrivai pas à trouver la sortie de ma couchette- cercueil et me croyais prisonnière. Finalement, je repris mes esprits et parvins à sortir. Malgré le logement miteux, j'étais ravie d'être à bord d'un navire de Flag. On me donna plus de détails sur la version officielle destinée à être racontée aux gens de l'extérieur. Personne, même les scientologues ne faisant pas partie de Flag ne devait connaître la localisation du navire. Si quelqu'un voulait nous écrire, il devait passer par le Bureau de Liaison, situé à Los Angeles ou New York, qui se charge de la réexpédition vers la destination finale. Personne ne devait connaître nos coordonnées, même nos parents. Je suis sûre que mes parents ont dû s'affoler de ne pas savoir où je me trouvais, mais cela ne me préoccupait pas beaucoup à l'époque. Mes parents étaient bien loin de mes pensées.

Ensuite, on me fit visiter le bateau. Directement au-dessus des dortoirs, mais encore sous le pont se trouvait le salon, dit le "salon arrière" parce que situé à l'arrière du bateau. C'était peu spacieux et aux heures des repas, des tables de fortune étaient installées entre les rangées de chaises afin de transformer le salon en réfectoire. Je remarquais la présence d'adolescentes en train de repasser des vêtements. Elles ne faisaient rien d'autre que de laver et repasser à longueur de journée. Plus tard, j'appris qu'elles étaient en formation pour devenir les "Messagères" personnelles de Ron Hubbard. Dès qu'elles atteignaient la position de Messagère, ces filles devenaient arrogantes, capricieuses, et ivres du pouvoir que leur accordait Ron Hubbard. Certaines d'entre elles sont maintenant adultes et comptent parmi les plus hauts dirigeants de l'administration scientologue.

LES PUNIS SONT ENFERMÉS DANS LE CASIER À CHAINE DE L'ANCRE

Juste derrière ce salon se trouvait une pièce abritant le casier à chaîne. Le casier à chaîne est l'endroit où se trouve stockée la chaîne de l'ancre du bateau lorsque celui-ci est en mer. C'est une très petite pièce sombre. J'ai vu de nombreuses fois des personnes enfermées dans cette pièce à titre de punition. Je n'oublierai jamais la première fois que j'ai vu ça. Des Messagères avaient enfermé un jeune adolescent complètement affolé dans cet espace clos. Il avait été condamné à y passer la nuit. J'ignorais le motif de cette punition, mais cet incident me fit froid dans le dos. Je n'oublierai jamais le regard terrifié de ce garçon. Chaque fois que je pense à la direction actuelle de l'église, qui est essentiellement composée de personnes ayant grandi dans une telle atmosphère, je ne peux que ressentir de la pitié pour ces gens là, qui ne sont en fait que des enfants effrayés. Aussi durement que je pus ressentir cette scène du puits à chaîne, je la chassais de mes pensées en tentant de me persuader que Ron Hubbard ne pouvait pas être au courant.


chapitre 14/28: L'internat d'auditeur Flag

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