Naissance d'une secte

(Source : Bulletin de liaison du CCMM d'octobre 1995)

 

Témoignage d'une mère qui, angoissée par les problèmes scolaires de ses fils, les remet entre les mains du directeur d'une école privée des environs de Paris.

 Ne vous étonnez pas de ce manque de précision quant au nom et au lieu de cet établissement ; nous avons promis l'anonymat à l'auteur de ce témoignage. Notre ami, le Docteur Monroy, se porte personnellement garant de l'exactitude de ce récit.
 

Marie GENEVE


Commentaire du Dr Monroy

Je suis en mesure de confirmer point par point l'exactitude de ce témoignage, connaissant personnellement son auteur et ayant rencontré d'autres parents concernés par cette affaire. Il est frappant d'y retrouver toutes les caractéristiques que nous connaissons sur la naissance d'un groupe à dérive sectaire.

 C'est d'abord le terreau réceptif qui se caractérise chez les parents par des refus partagés et la recherche d'une alternative. Les intéressés étaient au départ fort critiques sur les capacités du système éducatif à intégrer leurs enfants et recherchaient un cadre particulier qui répondrait à leurs attentes.

 Le leader a su présenter et vendre un projet alternatif et galvaniser les jeunes autour de celui-ci. Son charisme était indéniable, ses certitudes très fortement ancrées pouvaient rassurer des gens désorientés et en recherche.

 Il a su créer un microcosme en rupture et en critique radicale du système. Il y a eu des renforcements très forts du fait que les parents s'appuyaient sur le soutien d'autres parents qu'ils estimaient beaucoup. (Si M. Untel qui est un type bien soutient l'expérience, c'est qu'elle n'est pas critiquable). Le champ éducatif comme le champ religieux, est souvent parcouru par des recherches " d'alternatives radicales ".

L'enfermement

Ensuite le ghetto a créé sa propre culture avec une idéologie, des cérémonials, un type de rapports de dépendance et de révérence au chef et à ses adjoints, et un fort sentiment de loyauté à l'égard du groupe.

 Devant les difficultés s'est construit un sentiment partagé de "forteresse assiégée" et de lutte en commun pour la survie. Toutes les accusations ont été interprétées comme de la "persécution" contre une initiative originale et généreuse. Les adeptes ont fait de cette école leur chose intouchable.

 Le culte de la personnalité s'est développé, seul le guide pouvait garantir la survie de l'expérience. Cette valeur d'allégeance au groupe a été placée au-dessus de toutes les autres, entraînant des dérives délictueuses. Enfin le fait d'avoir beaucoup donné a incité certains à poursuivre pour ne pas l'avoir fait en vain. Dans ce contexte toute critique équivalait à une trahison. Enfin le "sevrage" pour les jeunes s'est avéré extrêmement difficile et la réinsertion dans un milieu normal très problématique.
  


Témoignage

Un an a passé depuis la tourmente du printemps dernier où j'ai dû lutter contre mes deux fils, décidés à vivre à l'étranger entraînés par leur directeur d'école devenu insidieusement "gourou" d'une secte embryonnaire.

Engrenage

A l'origine, une banale inscription dans une école alternative, à la pédagogie fondée sur l'audio-visuel, réputée pour accueillir les adolescents atypiques de notre région. Pour certains, échecs scolaires, pour d'autres, des pathologies plus lourdes telles que dépressions, anorexies ou autres passages à l'acte de l'adolescence. Pour mon fils aîné, des crises de larmes répétitives précédant un refus phobique d'aller au collège m'avaient conduite à consulter une psychologue d'un centre d'orientation qui m'a indiqué cette école. En outre plusieurs de mes amis et personnalités des environs y avaient scolarisé avec soulagement et bonheur leur progéniture en difficulté.

 La pédagogie de l'école, la réflexion menée par l'équipe enseignante et surtout cette vraie reconnaissance de chacun des jeunes dans ses capacités de créativité et de curiosité engendraient parallèlement de bons résultats aux examens. La psychologue, employée dans plusieurs institutions de la région, les nombreux jeunes issus de l'école en réussite sociale et universitaire, la structure hors contrat, mais se réclamant de l'éducation nationale, tout, absolument tout, concordait à donner confiance ; par dessus tout, le sourire et les attitudes épanouies de chacun des jeunes et du groupe de professeurs rencontrés lors de l'inscription.

 Au fur et à mesure que j'ai rencontré d'autres parents, ce qui s'est produit de plus en plus souvent après l'incarcération subite du directeur pour abus de biens sociaux, je me suis aperçue que tous étaient comme moi en recherche spirituelle, qui psychanalyste, qui bouddhiste, qui chercheur en sociologie, qui en quête d'idéal, tous en tous cas des personnes soucieuses de promouvoir l'identité de leurs enfants. Parmi eux, des visages connus du journalisme ou du monde du spectacle. Cela peut paraître fou, mais le premier moment de stupeur passé, face à la prison, nous avons décidé de protéger farouchement le directeur contre l'hostilité environnante et avons commencé à multiplier les démarches auprès du tribunal correctionnel où était instruit le dossier. Articles de presse locale et parfois nationale (et pas la moindre), émissions de radio et de télévision vantant les qualités de l'école et surtout le dynamisme de notre groupe uni de parents, professeurs et enfants ont réussi à mettre fin à ce séjour carcéral considéré comme abusif.

Escalade

Rétrospectivement, je sais maintenant que c'est à partir de ce moment-là que j'ai ainsi que d'autres parents, commencé à tolérer des agissements ou exactions qui auraient dû m'apparaître à priori comme inacceptables. Nous avons accepté que le directeur ait fait de la prison, que les professeurs aient joué leurs salaires au casino, que la police nous interroge en nous mettant en garde contre l'aspect sectaire de l'école sans réagir. Mes fils vivaient de plus en plus avec le groupe m'entraînant avec les autres parents dans des réunions de plus en plus longues afin de reconstruire l'image de l'école.

 De l'argent nous était demandé régulièrement pour renflouer les finances de l'école dans un contexte où les provocations se multipliaient vis-à-vis de l'extérieur dans un jeu de surenchère. Le directeur et ses professeurs testaient en permanence notre soutien à leur cause avec notre complicité. Nous étions de plus en plus fatigués, mais heureux de rendre justice à cet homme dont l'avocat nous affirmait qu'il était l'objet d'une erreur judiciaire. Graduellement nous avons pensé soutenir un homme ayant aidé nos enfants à se renforcer et le prix à payer importait peu.

 Un jour, mes fils et leurs copains qui s'auto-nommaient eux-mêmes "les fanatiques" ont tondu leurs cheveux en dessinant sur leur crâne, comme le font les punks, les initiales du directeur. A Noël, ils ont vidé leurs livrets de caisse d'épargne pour lui faire des cadeaux somptueux. Sur les murs de la maison, était peint le chiffre fétiche du directeur, à savoir : la date de son anniversaire. Des documents signés par les parents étaient édités par l'école mentionnant un des "préceptes" du directeur : "j'ai été appelé une fois pour toutes à être ce que je suis" . Si certains parents se sont éloignés du groupe, d'autres, encore plus nombreux ont commencé à s'investir de plus en plus, même financièrement, puisqu'un jour, le directeur ayant annoncé la faillite imminente de l'école, il nous a été demandé de rechercher de l'argent (deux millions de francs !). Certains parents ont accepté de vendre leurs biens, d'autres ont fait des emprunts bancaires. Toute remise en cause de la structure était taxée de trahison. Le piège s'est refermé sur nous. Les sourires ont commencé à disparaître.

Prise de conscience

Les mois douloureux qui ont suivi, correspondant à l'effondrement financier de l'école, ont vu la désolidarisation de la plupart des parents à des phases différentes de ce processus. Le directeur à dû fuir la France, un mandat d'amener prononcé contre lui. Il a entraîné avec lui un groupe de jeunes avec la complicité de leurs parents. Pour moi, le danger s'est trouvé là, quand il a proposé à mes enfants, sans m'en parler, de le suivre. Ma cécité des mois précédents s'est transformée après-coup en désir d'en savoir davantage pour opérer le sauvetage de mes enfants.

 J'ai appris avec certitude que sous le partage généreux de l'enseignement, de la philosophie et des arts, la vie des jeunes et des professeurs était en fait orchestrée par le directeur dans une dévotion illimitée. Le culte de la personnalité, poussé à l'extrême chez le directeur, le poussait à décider de tout dans la vie de chacun, de la relation avec les parents à la formation des couples, n'hésitant pas à associer professeurs et élèves dès la majorité des jeunes filles.

 Le charme de cet homme, devenu charisme, lui permettait une manipulation complète des êtres. Quand j'ai refusé que mes enfants partent, j'ai été accusée de faire passer mon bonheur avant celui de mes enfants. Mes fils ont tout perdu en quelques jours : leur dieu, l'école, leurs meilleurs amis partis rejoindre le gourou, la tendresse bienveillante et l'amour inconditionnel de leur mère.

 Ils ne pouvaient savoir à l'époque qu'ils gagnaient les bénéfices d'un positionnement très ferme de leur père, un veto catégorique et la prise de conscience d'une mère devenue plus structurante. Il m'a fallu les accompagner dans ce long chemin accidenté du retour dans le réel. Il m'a fallu admettre le paradoxe de cette rupture obligée, tout en respectant les côtés positifs de l'école dont ils sont "fabriqués" ayant passé dans ce cadre une grande partie de leur adolescence avant la dérive.

 Un an a passé : j'ai gagné ! Malgré des cicatrices encore vivaces, mes fils ont organisé leur vie sans le directeur. Un an a passé : le directeur, devenu gourou, a gagné ! Il vit à l'étranger avec de nombreux jeunes et continue à distance le prosélytisme par professeurs interposés auprès des jeunes de la région.



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