(source : Le Rennais n°357, octobre 2004)
Mis en ligne le 27 octobre 2004
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L'Association de défense des familles et de l'individu, fer de lance de la lutte contre les sectes, a tenu son congrès national à Rennes, ce mois-ci. Ce n'est pas un hasard : l'ADFI est née ici, il y a tout juste 30 ans.
Ce soir-là, en octobre 1974. à leur domicile de Chantepie, Claire et Guy Champollion sont inquiets. Un de leurs enfants. Yves, 18 ans, n'est pas rentré. Son vélomoteur n'est pas dans le garage. Tournée de la police et des hôpitaux : aucune piste. Le trou noir. Au cinquième soir d'attente, coup de fil : c'est lui ! Il est en vie, il est à Lyon. mais ne veut pas dire ce qu'il y fait ni donner son adresse. Au cours de la conversation, il lâche juste quatre lettres : AUCM.
En moins d'une journée, ses parents découvrent, derrière ce sigle, l'existence d'un mouvement "religieux": l'" Association pour l'unification du christianisme mondial ". Guy Champollion prend aussitôt la route de Lyon, avec un autre de ses enfants, Hervé. " Nous partions avec la ferme intention de ramener nom frère. Nous avions prévu que j'établisse seul le contact, nom père attendant en bas de l'immeuble, dans la voiture ".
Sur place, les choses se compliquent : Yves ne veut pas rentrer chez lui. Guy Champollion doit intervenir et s'affronter au responsable du centre, un certain Pierre Ceyrac (1). Ce dernier, sentant qu'il a affaire à un père obstiné, et pour éviter le scandale, consent à laisser partir son nouvel adepte. pour qu'il puisse " dire adieu à sa mère ". Sans doute, sent-il que le jeune Rennais est bien accroché et qu'il va le récupérer très vite. Il n'a pas tort. I.e retour d'Yves dans le giron familial sera de courte durée. Après une nuit passée chez ses parents, il rejoindra la secte... qu'il n'a plus quittée depuis trente
ans:La création de l'ADFI.
Les époux Champollion perdent un fils et entament un combat auquel ils vont consacrer toute leur vie. Très vite en effet, ils apprennent que d'autres jeunes de toute la France se sont embarqués, un ou deux ans auparavant. dans cette AUCM, connue aussi sous le nom de "Pionniers du nouvel âge"
Certains d'entre eux ont même été recrutés alors qu'ils étaient mineurs. Décidés à se battre. Claire et Guy Champollion, déposent, le 18décembre 1974 à la préfecture d'Ille-et-Vilaine, les statuts dee l'Association pour la défense des valeurs familiales et de l'individu (qui deviendra ADFI). Le 21 janvier 1975, le journaliste Joseph Fontaine publie dans Ouest-France le premier article d'une série intitulée "La maladie de Moon ou les nouveaux messies" qui trouvera rapidement un écho dans la presse nationale. Les témoignages affluent. On en sait un peu plus sur le " Révérend Sun Myung Moon ", fondateur de la nouvelle "église".
Ce Nord-Coréen, né en 1920, prétend que le Christ lui est apparu à l'âge de 16ans, en lui confiant la mission d'être " le second messie ". Il fonde. en 1951 en Corée du Sud, un premier mouvement qui essaime rapidement au Japon et aux États-Unis, où Moon s'installe en 1972. Ce pays accueillant pour les " nouveaux mouvements religieux" est aussi le cadre idéal pour développer des affaires. Car l'AUCM est avant tout un empire industriel (armement, immobilier, presse. bijouterie, et même produits aphrodisiaques!) et une entreprise politique: la croisade pour l'unification des religions en cache une autre, anticommuniste celle-là. Moon lutte en effet pour la réunification des deux Corée et la disparition du communisme, le "nouveau Satan ".
Un rite bien établi.
Afin de constituer "un corps international de volontaires pour participer à la guerre et défendre la Corée, jusqu'à la mort " (déclaration du mouvement en juin 1975) et surtout faire rentrer des dollars dans les caisses, l'église mooniste a grand besoin d'adeptes. Après l'Asie et les États-Unis, l'Europe est visée, à partir des années soixante-dix. L'abaissement de l'âge de la majorité (de 21 à 18ans). en France en 1974, crée un contexte favorable au recrutement. Celui-ci se déroule selon un rite bien établi : contact dans la rue par voie de tracts et invitation à des soirées au siège de l'association (à Rennes, rue de Bertrand). L'ambiance y est chaleureuse, fraternelle. Il est question de "retrouver un sens à sa vie ", de " partager de vraies valeurs " dans ,"un monde qui va mal ". Ceux qui accrochent sont bientôt invités à des week-ends " d'approfondissement " dans la région parisienne. L'enseignement des Principes divins de la Bible de Moon) y devient plus soutenu. On chante beaucoup, on dort et on mange peu. on est constamment "entouré": le conditionnement et la dépendance s'installent. Certains jeunes en restent là ; d'autres franchissent l'étape suivante, ultime pour beaucoup: le voyage aux États-Unis, au siège du mouvement (voir témoignage ci-dessous). Les techniques d'embrigadement y sont plus poussées. Vie collective en permanence, privation de sommeil, conférences d'endoctrinement et séances d'autocritique: l'objectif est de ne plus laisser place à la réflexion personnelle et à l'esprit critique, jusqu'à ce que l'adepte soit persuadé tout seul de la justesse de son choix.
Moon toujours influent aujourd'hui.
Guy Champollion décrypte très vite ces méthodes de recrutement très élaborées et la véritable dimension politico-financière de l'AUCM, au point de devenir l'ennemi n"1 de la secte. Lorsqu'il décède brutalement. en juillet 1975, épuisé entre autres par son combat, celle-ci explique partout dans ses écrits. que " ce père satanique a été emporté par Satan ".
Claire Champollion poursuit la lutte de son mari, comme simple adhérente de l'association. Elle en sera pourtant un des piliers : grâce à sa pratique des langues étrangères (elle était enseignante d'allemand à l'université de Rennes 2) et son réseau de relations à travers le monde, elle recueille, traduit et diffuse quantité de documents et témoignages qui alimentent le travail de l'ADFI. " Quelques jours avant son décès (NDLR : en jullet 2003), confie son fils Hervé, elle était encore totalement engagée dans ce combat ".Trente ans après. la secte Moon n'a sans doute pas fait la percée qu'elle espérait en France. Le combat des familles rennaises, pionnières de l'ADFI. y est sûrement pour quelque chose. Mais elle continue de faire des ravages sur d'autres continents, en Asie et en Afrique notamment. Aux Etats-Unis, le Révérend Moon, ami de la famille Bush et propriétaire (entre autres) du journal Washington Times et de l'agence UPI reste un personnage extrêmement influent. Pour preuve: en juillet dernier, à 84 ans, il a été distingué, et même " couronné ", lors d'une cérémonie dans l'enceinte du Sénat américain et ce, en présence d'une douzaine de représentants des parti démocrate et républicain !
Gilbert Lebrun
(1) Pierre Ceyrac a été, entre autres, élu
conseiller régional en 1992, dans le Nord-Pas-de-Calais, sur une liste Front nationalTémoignage : deux ans chez Moon
Des jeunes recrutés dans ces années soixante-dix, peu ont réussi à quitter la secte. Roger est un des rares, après deux ans passés aux États-Unis et en Asie.
"En 1973, j'avais 2Oans et je travaillais déjù, de nuit, comme ouvrier. Ils m'ont abordé au Thabor, un après-midi du mois d'août ". Des jeunes bien mis. comme l'étaient les moonistes. Amusé, puis curieux. Roger accepte les invitations successives: les soirées au siège de l'AUCM. rue de Bertrand et le week-end dans un pavillon de banlieue à Aulnay-sous-Bois. Il n'accroche pas plus que ça à l'enseignement des Principes divins et trouve la présence des " gentils moniteurs" un peu pesante. Mais il s'accommode de l'ambiance plutôt fraternelle et y trouve une sorte de compensation aux difficultés relationnelles qu'il connaît alors avec sa famille. Au point d'accepter le principe d'un voyage aux Etats-Unis. La secte ne va plus le lâcher.
"À mon retour de vacances, en Thaïlande, ils étaient au bas de mon immeuble pour me relancer ". Après un nouveau week-end de préparation, on le fait partir en avion, en décembre 1973, à partir du Luxembourg (à 20 ans, il est alors mineur). Dans une grande propriété de Tarrytown, dans l'état de New-York, il retrouve des jeunes du monde entier, venus constituer les "team ", chargées de recruter et de récolter des fonds dans les nues de New-York. "J'ai commencé par distribuer des tracts en.faveur de.Nixon! ". Nous sommes alors en plein Watergate et Moon organise une campagne de soutien au président américain.
ais les jeunes recrues de l'AUCM font surtout la quête, des journées durant : " Ça marchait bien. En un ou deux jours, je récoltais l'équivalent de mon salaire mensuel en France.'"
" Un soir, Moon est venu nous visiter. Il par-lait très fort. J'étais un peu amusé par sa gestuelle de karatéka, mais aussi interpellé par la fascination qu'il exerçait sur tous ces jeunes." Roger trouve d'autres motifs d'étonnement, lorsqu'on l'affecte à l'équipe chargée d'aménager les nombreuses résidences du gourou. Un choc. " Ça baignait dans le luxe. Je me souviens notamment d'un matériel hi-fi dernier cri. Et puis, les frigos étaient pleins. Ça nous faisait drôle, nous qui dormions par terre, dans des sacs de couchage, et mangions peu. " Ces découvertes n'entament pourtant pas ses convictions. Roger est toujours grisé par l'aventure: Nous faisions le tour des états américains pour préparer les grands shows de Moon. Tout ça dans une ambiance très cosmopolite. Paradoxalement, même les conditions de vie ascétiques imposées par la secte renforcent cet optimisme : " Ce dépassement de soi continuel nous donnait de l'énergie. Nous étions .fascinés par nos possibilités. Nous nous prenions pour des petits rois"
Le jeune Rennais est envoyé huit mois au Japon et en Corée. Un jour, alors qu'il a pratiquement fait un nouvel adepte, ses supérieurs le dissuadent d'aller plus loin. Motif: le nouveau recruté, brûlé au visage, n'a visiblement pas le faciès qui convient. " Ça m'a choqué. J'ai ressenti une énorme contradiction avec les principes de fraternité universelle que nous défendions. " Un nouveau de grain de sable dans la mécanique, qui aura sans doute son importance. Nous sommes en effet en décembre 1975. Roger est parti depuis deux ans et en France, l'action de l'ADFI a fait des vagues. Pour tenter de calmer le jeu, la secte permet, exceptionnellement, à certains jeunes de renouer avec leur famille à l'occasion des fêtes de Noël... Roger rentre à Rennes,
" mais pas de bon coeur ". D'autant que sa famille a décidé qu'il ne repartirait pas. Elle lui confisque ses papiers. A la maison, c'est un défilé: amis de la famille, prêtre, pasteur, psychologue...Tout l'entourage tente un "débriefing ". Roger se blinde. s'enferme clans ses certitudes, proteste en jeûnant. Aux
questions, il répond par d'autres questions. en boucle: " Dans mon système de défense, j'avai.s méme adopté un accent américain !" Pourtant, Roger ne sera pas sourd à tous les arguments. Lentement, il tirera les fils, revisitera son parcours en faisant remonter les situations, les visions qui l'ont heurté au cours de ces deux années. Une lente reconstruction à laquelle Claire Champollion apportera une pierre essentielle. En lui parlant, en l'écoutant beaucoup et en essayant de comprendre son itinéraire, sans juger. Près de trente ans après. Roger en parle comme " d'une grande dame qui, malgré sa souffrance, n'a jamais tenté d'imposer quoi que ce soit dans notre lien. Elle m'a simplement aidé ù tisser mon histoire ".
Portrait
Claire et Guy ChampollionClaire et Guy Champollion étaient deux fortes personnalités. Elle, plus jeune agrégée d'allemand, à 21 ans, enseignante en lycée puis à l'université. Cette brillante intellectuelle s'était totalement investie dans les échanges franco-allemands. Un engagement intimement lié aux persécutions dont avait été victime une partie de sa famille, de confession juive. C'est d'ailleurs en Allemagne, en 1946, qu'elle rencontre Guy, ingénieur météo. Un beau jour, alors qu'ils ont déjà plusieurs enfants, celui-ci lui annonce qu'il reprend des études... de médecine, à 34 ans! Diplômé en 1962, il choisit de s'installer dans le
quartier des Castors, en bordure d'une Zup sud en pleine expansion, mais dépourvue de médecin. Atypique dans la profession, il militera aussi pour les cabinets de groupe (il en crée un, rue Frédéric-Mistral, avec trois collègues) et l'instauration du stage de l'étudiant en fin d'études.
Leur combat dans l'ADFI, explique leur fils Hervé, s'est toujours situé en dehors de tout jugement de type religieux ou philosophique. C'étaient avant tout deux humanistes, rationalistes, viscéralement attachés à la liberté de l'individu et détestant l'erreur et le mensonge. La Ville a décidé de leur rendre hommage en donnant leur nom à un square proche des rues Marc Sangnier et André Gide, non loin du cabinet médical où le D' Champollion est décédé subitement en 1975.
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