Les ADFI (Associations pour la Défense des Familles et de l'Individu) sont aujourd'hui bien connues, mais peu de gens, même parmi leurs membres actuels, en connaissent les débuts de façon précise. Claire Champollion, dont le mari - le docteur Guy Champollion - fut le fondateur à Rennes de la première ADFI, a bien voulu, pour les lecteurs de Bulles, en raconter les débuts et répondre à nos questions.
En vous remerciant d'avoir accepté d'évoquer des souvenirs qui restent pour vous douloureux, nous voudrions d'abord vous demander quand et comment fut fondé la première ADFI.
Un soir d'octobre 1974, un de nos fils n'est pas rentré à la maison, à Chantepie, près de Rennes. Il avait 18 ans, avait été reçu au Bac en juillet et s'était inscrit à l'Université en 1ère année de Langues Etrangères (Russe-Anglais). C'était son propre choix.
Ni à nous, ni à ses frères, ni à ses amis, il n'avait parlé de rien (nous avons su plus tard que le week-end précédent, il avait passé trois dans une villa à Aulnay-sous-Bois ; il ne nous avait prévenus qu'une fois là-bas, disant simplement qu'il était "avec des amis"). Son vélomoteur n'était pas au garage. Ni la police, ni les hôpitaux ne savaient rien. Le trou noir.
Soulagement d'abord : il est en vie. Puis, perplexité. AUCM ? Jamais entendu ces lettres. NI ses frères et soeurs, ni ses amis.
Le soir même, mon mari partait pour Lyon. Il a discuté toute une journée avec le "leader" du centre, Pierre Ceyrac, et lui a arraché un certain nombre de renseignements. Ce personnage avait un grand ascendant sur notre fils à qui il avait fait raconter tous les détails de notre vie familiale et tous les griefs qu'il pouvait avoir contre ses parents, spécialement son père. (Objectivement, cela n'allait pas loin - mais il savait que mon mari ronflait la nuit !).
Guy exigeait de savoir de qui dépendait ce groupe, qui le finançait. "Nous vendons des cartes coloriées dans les rues ; certains de nos membres travaillent et apportent leur salaire ; nous avons des dons... ". Sceptique, Guy avait demandé des précisions, tant et si bien que Ceyrac, furieux, l'avait pris de haut, lui lançant qu'ils faisaient partie d'une organisation internationale riche et puissante, ayant des usines en Corée, aux Etats-Unis, le soutien d'hommes politiques haut placés, de savants du monde entier...
Finalement, il a autorisé Yves à rentrer à la maison "pour dire adieu à sa mère". Peut-être se rendait-il compte qu'il ne se débarrasserait pas de ce père obstiné. Je crois aussi qu'il avait sa recrue bien "accrochée", et très montée contre son père. Il a même laissé partir un autre garçon, originaire des Côtes d'Armor, parti de Rennes en même temps qu'Yves.
Dès que j'essayais de parler avec Yves, de lui demander des explications, comment il envisageait l'avenir... il sa fâchait, se butait. Nous ne savions rien (en effet !), ne pouvions pas comprendre. Les études ? "Nous avons des Universités !" - "Où ?" - "En Corée !". Ils allaient rapidement convertir le monde entier. "Mais comment ?" - "En parlant" - "En parlant ?" - "Oui, en parlant aux gens ; ils se convertissent, chacun à son tour en convainc d'autres , et dans peu de temps, nous aurons le monde entier avec nous !" (voir Comment toucher le monde en 32 semaines ? :-) ). (Par ma première visite au centre AUCM de Rennes, je connaissais le nom du fondateur, Sun Myung Moon, et trois de ses conférences aux Américains).
Or Yves était un garçon pourvu d'un solide sens critique. De caractère très indépendant, très intelligent (et en ayant conscience), mais répugnant à l'effort soutenu, indiscipliné, il se moquait volontiers de ses professeurs.
Avec son père, la discussion était encore pire. Yves a passé la nuit à la maison, et le lendemain, je me suis résignée à le ramener moi-même à l'AUCM, rue de Bertrand. Il ne se rendait même pas compte que nous l'avions cru mort. Mon mari l'avait ramené - et je n'avais pas su le garder, ne fût-ce que quelques jours.
Je suis retournée au centre de la rue Bertrand, à Rennes, en me présentant cette fois. J'ai demandé à acheter des ouvrages de base. On n'a pas osé me le refuser. C'étaient trois volumes ronéotés : les "Principes Divins", la "Pensée de l'Unification" et un "Guide d'études". Nous nous sommes plongés, mon mari et moi, dans cette littérature, aussi pénible par le style (traductions plutôt gauches) que par le contenu. C'était une succession d'affirmations gratuites sur l'histoire de l'humanité (depuis la Création), dénotant une inculture abyssale, aussi bien en ce qui concerne l'histoire que l'exégèse biblique. Les phrases étaient reliées entre elles par de nombreux "par conséquent..." enchaînant sur des affirmations non démontrées. Manifestement, l'important était la conclusion : le Messie reviendrait dans une "nation d'Orient" (Jésus-Christ n'ayant pu sa mission, par la faute de Jean-Baptiste et des Juifs en général ; cette nation, "de toute évidence", ne pouvait être que la Corée, et il devait naître aux alentours de 1920 (Ce qui tombe bien pour Moon). Une courte biographie de Moon, sur le mode hagiographique, ne laissait aucun doute sur son élection divine et sa mission messianique.
De toute façon, les jeunes gens qui s'étaient engagés à l'issue d'un week-end, ou même un peu plus, n'avaient pas eu le temps de lire et encore moins de discuter ces volumes, d'y réfléchir, avant de se décider.
Nous avions eu un article de Time Magazine relatant un grand rassemblement au Madison Square Garden, à New York, le 18 septembre 1974. Moon avait fait un grand discours destiné à convertir l'Amérique, nation désormais élus de Dieu ; les adeptes avaient, les jours précédent, tapissé tous les espaces libres des rues de New York avec le portrait du nouveau Messie, envoyé et distribué d'innombrables invitations, organisé la veille un dîner de gala au Wardorf Astoria. On apprenait aussi, au passage, que Moon avait d'empêcher le président Nixon de démissionner, en lançant ses adeptes, y compris les français, dans de grandes manifestations, jeûnes, veillées de prières, sanglots hystériques... C'est que, selon Moon, Nixon avait été choisi pas Dieu même, il fallait absolument qu'il reste Président... L'échec de cet effort ne semblait pas avoir abattu le chef ni ses troupes. On voyait donc déjà bien se dessiner le côté politique de l'organisation.
Quand le médecin l'a jugé possible, Guy et moi avons écouté le récit de cette jeune fille, chez ses parents. Avec nous, un journaliste de Ouest-France, monsieur d'âge mûr, fort sérieux, spécialisé dans le domaine scientifique : Joseph Fontaine. Elle était encore marquée par les mois d'endoctrinement dans la secte Moon, mais fort lucide. Nous en avons plus appris ce soir-là que pendant les deux mois précédents. Cela a été décrit maintes fois depuis, mais pour nous, c'était nouveau. De plus, elle avait travaillé plusieurs semaines à la XXXX, alors à XXXX, qui employait exclusivement des adeptes, non payés, non assurés, avec des horaires effroyables. (C'était en 1974. Par la suite, il a bien fallu régulariser la situation, du moins pour l'essentiel, et de façon à sauver les apparences). Elle n'avait pas tenu le coup, et avait été expédiée au centre le Lille. Mais là, le "fundraising" (collecte d'argent dans les rues) et le "witnessing" (prosélytisme) n'avaient fait qu'aggraver les choses. Elle n'était pas entrée là aussi facilement que les autres, et nous a décrit comment elle s'était finalement laissée entraîner. Eprise d'idéal, elle se demandait que faire de sa vie. Elle aurait dû entrer dans une école d'infirmières à la rentrée de 1974.
L'avocat avait raison : sitôt l'article paru, le téléphone n'a pas cessé de sonner chez nous pendant des jours, et tard le soir. (Heureusement, le groupe médical de mon mari avait un autre numéro !). La plupart des appels venaient de familles d'adeptes de Moon, plusieurs concernaient d'autres sectes : Gourou Maharadj Ji, Krishna, d'autres. Mais l'histoire était toujours la même : disparition brusque ou départ rapide, impossibilité de discuter, certitude absolue même si le contenu en était vague et en tout cas fort insolite. Les premiers jours, appels et lettres venaient de Bretagne et de l'Ouest ; puis de toute la France et même d'Italie, de Belgique, du Liban... La presse nationale parisienne avait fait écho aux articles de Joseph Fontaine.
A partir de là, je ne puis que signaler le faits les plus importants, sans entrer dans le détail. Il y a d'abord eu la première réunion publique de familles et d'anciens membres de l'AUCM le 16 février. Ce fut houleux et passionné. C'était la première fois que les gens concernés pouvaient s'exprimer et être compris ; jusque là, ils étaient restés seuls avec leur détresse. Il est venu des journalistes de la presse nationale ; certains étaient sceptiques : ne s'agirait-il pas d'une sorte de "rumeur d'Orléans" ? Mais les comptes-rendus, plus ou moins précis ont été corrects.
Un ex-adepte avait fourni ses notes de conférences : comment aborder les gens, les influencer, les attirer, ce qu'il ne faut pas dire... (des extraits en ont été publiés, avec d'autres, dans plusieurs journaux de 1975).
Comme j'étais professeur de Langue et Civilisations Allemandes, j'avais des amis et collègues en Autriche et en Allemagne ; mais aussi en Angleterre et aux Etats-Unis. Dès que le courrier a été rétabli, j'ai lancé des appels dans toutes les directions, demandant qu'on me fasse connaître tout ce qu'on pouvait apprendre sur ces groupes dits "sectes". La presse américaine s'était surtout intéressée jusqu'en 1974 aux "Enfants de Dieu", à leurs bandes dessinées déjà délirantes, à leurs actions publiques spectaculaires (ils s'étaient enchaînés aux grilles de la Maison Blanche, dénonçant "Amérique, la putain" et annonçant la destruction de New York par la comète Kotouchek). Krishna aussi avait attiré l'attention par les costumes à l'indienne, les crânes rasés sauf la queue de cheval, les chants, sautillements, défilés de carnaval. Le "Baby God", Gourou Maharadj Ji, avait beaucoup frappé lui aussi. D'Autriche et d'Allemagne arrivaient de nombreux témoignages sur Moon et Krishna. L'Allemagne Fédérale semblait avoir été le port de débarquement de toutes les sectes venant d'Amérique.
Au cours de l'hiver, j'ai pu, à l'occasion d'un déplacement professionnel, rencontrer plusieurs familles en Westphalie, et un pasteur, R. Hauth, qui étudiait ces phénomènes depuis un certain temps. Guy, lui, rencontrait des familles à Paris. Nous comparions et échangions la documentation, mais tout concordait et se complétait parfaitement.
Ainsi, fin janvier 1975, elle achetait un espace publicitaire dans Le Monde pour y publier une "Déclaration de cent professeurs coréens" en faveur de Moon. Personne n'y aurait prêté attention, ces "professeurs" étant tous parfaitement inconnus, mais l'AUCM a eu l'idée d'en envoyer un exemplaire à chacune des familles d'adeptes, en le qualifiant d'"article". Nous l'avons reçu comme les autres, et avons communiqué la lettre à Jacques Fauvet, alors directeur du Monde. Il ne pouvait pas faire grand-chose, sauf mettre l'AUCM en demeure de rectifier auprès de ceux à qui elle avait envoyé la coupure et de signaler qu'il s'agissait d'une publicité (ce qu'elle n'a pas fait). Mais l'AUCM et Moon s'étaient ainsi assuré l'antipathie d'un des plus prestigieux journaux du monde. Ouest-France, qui avait eu le courage de lancer l'affaire, a reçu des "droits de réponse" d'Henri Blanchard, alors Président de l'AUCM, déclarant : "Cela est faux... Cela est faux" etc. Il est même venu avec plusieurs de ses associés, pour se plaindre auprès du journal, qui s'en est tenu à ses informations et a continué d'informer ses lecteurs. J'ai fait la connaissance dès ce moment-là d'Alain Woodrow, qui s'occupait alors des questions religieuses au Monde (il a publié un peu plus tard un petit livre très bien fait et très utile, "Les Nouvelles Sectes", réédité à plusieurs reprises).
(1) : lors d'une émission télévisée ("En quête de vérité", TF1, 18 décembre 1991) le mooniste Laurent Ladouce a déclaré qu'il y avait 100.000 adeptes de Moon dans le monde. Que sont devenus les 2.900.000 autres ? (NDLR)
On comprend les sentiments des familles dont les enfants étaient partis pour donner au monde l'amour de Dieu et la paix. Il n'était plus question que d'"abattre Kin Il Sung", le "dictateur maudit".
Si nous avions pu recevoir et diffuser très rapidement les textes exacts, c'est que nous étions entrés en correspondance dès le début de 1975, par l'intermédiaire d'un vicaire général de Rennes, avec un prêtre breton des Missions Etrangères de Paris, en Corée depuis de nombreuses années. Il nous avait pourvus d'abord de renseignements de première main sur la Corée du Sud, sa situation, la position de Moon, sa force réelle, puis d'une étude très approfondie, irremplaçable, sur l'histoire et le présent de l'"Eglise de l'Unification" en Corée et au Japon. (Cette étude a servi de base à un numéro de "Documents-Episcopats" (avril 1975), intitulé : "L'Eglise de l'Unification").
Mon mari avait compris la dimension essentiellement politique de l'organisation Moon, s'appuyant sur un empire économique (qui s'est beaucoup développé depuis lors). Les capitaux provenaient, à tous les niveaux et depuis les débuts, dévouement total de ses disciples. Plantations et conditionnement du Ginseng, métallurgie (d'abord fusils, puis armement plus lourd), pièces détachées, titanium, vases de pierre en Corée, bijoux Christian Bernard en France, exportations et importations grandement facilitées par l'implantation internationale et la mobilité des adeptes, individuellement ou en groupes. Source de capitaux échappant à tout contrôle, la mendicité organisée bien mieux encore que dans l'"Opéra de Quatre'sous" : en cas de besoin, Moon pouvait jeter dans les rues du Japon, des Etats-Unis, d'Europe, des centaines de jeunes gens et jeunes filles souriants, quêtant ou vendant des babioles sous les prétextes les plus fantaisistes. En cas de besoin, Moon pouvait décréter un effort intensifié de plusieurs semaines (plus de quêteurs, plus longtemps : ce "fundraising" était élevé à la dignité de "méditation" ; il y avait des prix pour les équipes ayant rapporté le plus). On n'imagine pas les sommes ainsi récoltées, de l'aveu même des dirigeants.
Si le credo politique avait d'abord été la réunification de la Corée, il avait pris une dimension mondiale : l'annihilation du communisme. Au Japon, la secte était pratiquement identique (par ses membres et ses dirigeants) avec "Victoire sur le communisme", associé elle-même de très près avec le chapitre japonais de la "Ligue Anticommuniste Mondiale", dominée par des criminels de guerre comme Sasagawa et (feu) Kodama (chef d'un groupe de gangsters). La politique était parfaitement amalgamée avec la religion : le communisme, selon Moon, était la dernière incarnation de Satan. Abattre le communisme, c'était abattre Satan, délivrer l'humanité du péché, venu de Satan. Du coup, tout ce qui pouvait entraver la victoire de Moon ne pouvait venir que de Satan, donc du communisme : aussi le sommeil "satanique" qui envahissait les militants exténués, que les parents sceptiques, etc.
A cette époque pourtant, ce qui était au premier plan, c'était l'aspect psychologique, la soudaineté des conversions et des décisions dramatiques : sorte de coup de foudre, mais qui, ensuite, était savamment entretenu et maintenu. Des journalistes fort consciencieux sont allés voir sur place, ont participé à des week-ends, à des "journées porte ouverte", écouté des conférences. Nous avons pu analyser les notes prises par d'ex-membres sur les instructions et "messages", guides pour le recrutement, et même journaux intimes (contrôlés par le "leader" !). Cet aspect domine dans les articles fort sérieux publiés à cette époque et plus tard.
Une idée, tenace à la vérité, commençait à être contestée : le vivier où les sectes puisaient leurs recrues seraient des "paumés", des jeunes désorientés et mal dans leur peau. C'était "la faute à..." la famille, l'école, la société, etc. Nous qui connaissions des dizaines, puis des centaines de familles concernées, très diverses, mais la plupart du temps "intactes", nous savions que c'était rarement vrai (2). La vrai constante, c'était l'exploitation de méthodes d'approche, de séduction, d'endoctrinement au sein d'un groupe attirant ; méthodes appliquées, d'ailleurs, par des gens sincères, persuadés d'agir et de penser librement sans plan, "ficelles", système, de "proposer" simplement leur nouvelle fois à d'autres, pour leur salut et celui du monde. L'étude la plus urgente était celle de ces méthodes, et de leurs effets.
Finalement, la question importante, objectivement, était le but des chefs de ces diverses organisations (Moon n'ayant été que la première connue et étudiée). Il y avait là une volonté de pouvoir total : sur les personnes et par elles sur le monde, par l'argent, par la politique, par les holdings et multinationales ; par l'infiltration de tout la société et appareils de l'Etat.
(2) : Mon mari ne méconnaissait nullement l'importance de la vulnérabilité plus ou moins grande des individus en fonction de leur structure intellectuelle, de leurs tendances affectives, de leur situation du moment ; mais la diversité observée était telle qu'il lui paraissait plus urgent d'étudier à fond les techniques de recrutement et d'endoctrinement, ainsi que les objectifs des "sectes", auxquels on s'intéressait assez peu. Il voulait insister sur le fait que "personne n'est à l'abri", et que "ça n'arrive pas qu'aux autres".
Il avait reçu des menaces de mort, entre autres, d'une adepte de Moon, allemande ou autrichienne, manifestement dérangée mentalement. "Tu as signé ton arrêt de mort. La fille du père te salut [sic]". Cela ne nous avait pas affectés. Plus pénible : la réaction de l'AUCM après sa mort. On a expliqué à tous les disciples à travers le monde que ce père satanique avait été emporté par Satan. En 1976, les moonistes racolant dans les rues menaçaient du même sort les gens qui n'étaient pas d'accord avec eux (et même aux Etats-Unis !).
Ce n'était certes pas pour cela que j'ai refusé de succéder à mon mari à la présidence de l'ADFI. Le problème des sectes prenait une importance que nous n'avions pas soupçonnée au départ, ignorants que nous étions. Je n'ai aucun talent d'organisation, et c'eût été une catastrophe. Je savais que des gens plus capables se manifesteraient en temps opportun. Et cela a toujours été le cas. J'ai continué à les aider de mon mieux là où j'en suis capable.
Mais nous avons eu la chance de saisir immédiatement les dimensions du problème, qui n'était pas, loin s'en faut, uniquement "religieux". La ferveur religieuse était chez les disciples, sans aucun doute. Mais elle servait à faire marcher une énorme machine économico-politique. Nous avons eu accès à une masse de documents internes (mais pas vraiment secrets) de l'organisation, et non pas seulement ce qui était destiné au grand public. Ces documents nous ont été fournis par d'autres parents, qui ne les avaient pas lus : ils étaient en anglais. De plus, nous n'étions pas influencés par l'opinion publique, la presse : presque rien n'avait été publié sur le sujet, et ce peu, nous n'en avions pas connaissance. Nous étions des feuilles blanches.
Il y avait aussi le caractère de mon mari, qui ne supportait pas le mensonge et les faux-fuyants. Or, on nous en avait servi dès nos premiers contacts (la plupart de ceux qui des débitaient y croyaient eux-mêmes dur comme fer). Bref, Guy étant la locomotive, et moi rassemblant, lisant, traduisant, analysant et synthétisant l'information, nous formions un bon tandem, même si je n'arrivais pas toujours à suivre. Peut-être sentait-il qu'il n'avait pas beaucoup de temps... Ses enfants étaient tout pour lui ; or, on s'était attaqué à l'un d'eux, et d'une manière qu'il jugeait, non sans raison, deloyale.
Sur le plan du fonctionnement, les ADFI, à cette époque, n'avaient guère de structures. La cotisation, fixée à 50 F par an, couvrait à peine les frais de correspondance. Chacun des bénévoles payait son téléphone, ses déplacements... Mon mari avait acheté pour 500 F (de sa poche) une vielle Ronéo qui sert encore, actionnée par le bras d'une adhérente, à tirer les circulaires de l'ADFI de Rennes. Le secrétariat, la frappe, tout cela était assuré par des bénévoles. Une mère de famille sillonnait la Bretagne au volant de sa petite voiture, visitant les familles inquiètes ou désespérées, transmettant des informations, rompant l'isolement. Ou bien les gens arrivaient chez nous à l'improviste. On cherchait ensemble quoi faire... Nous n'étions guère plus avancés les uns que les autres, mais chacun apprenait des autres. Bien sûr, il a fallu, par la suite, une certaine organisation, mais la base reste toujours l'écoute et l'engagement désintéressé de chacun.