Sectes

Médecines douces, la nouvelle arnaque des sectes

Source : Le Parisien du 18 juin 2005

Mis en ligne le 21 juin 2005
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Paru le : 18/06/2005 - ENQUETE.

Sommaire

- Introduction
- Des " praticiens " souvent connectés entre eux
- Des poursuites difficiles
- Le respirianisme : l'air et la lumière pour seule nourriture.
- Communication facilitée : faire écrire les handicapés.
- Les Témoins de Jéhovah : le refus des transfusions.
- Invitation à la vie intense (IVI) : une gourou bien française
- Kinésiologie : un procès retentissant.
- Kryeon : les " enfants indigo ".
- Quelques autres...
- Anne-Marie, victime de la " méthode du D r Hamer "
- " Pour éviter les pièges, renseignez-vous

 

 Introduction

Le Conseil national de l'ordre des médecins et plusieurs associations s'alarment : les sectes usent de plus en plus des pouvoirs présumés de certaines pratiques pour attirer des adeptes. Souvent au prix de la santé des plus crédules.

Le 3 juin, le tribunal correctionnel de Quimper (Finistère) a condamné un couple de parents pour avoir laissé mourir leur enfant de 16 mois de malnutrition. Les époux Boucher sont des adeptes de la kinésiologie, un mouvement accusé, sous couvert d'aide au développement personnel, de régir l'alimentation des enfants et de se substituer à la médecine. " L'extension des dérives sectaires nocives dans le champ de la santé est incontestable et inquiétante ", déplore le docteur Daniel Grunwald, secrétaire général émérite du Conseil national de l'ordre des médecins


 Des " praticiens " souvent connectés entre eux

Dans ce cadre, l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) demande la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les sectes et la santé. " Les gourous s'autodésignent seigneurs de l'âme, mais aussi du corps : c'est un des moyens d'asseoir leur pouvoir sur quelqu'un, explique Catherine Picard, présidente de l'Unadfi. Il est nécessaire de faire le point sur la législation actuelle qui ne prévoit rien sur toutes ces professions qui touchent aux soins".

" Chaque année, ajoute un expert, il y a pourtant entre cinq et dix morts attribuées aux dérives sectaires et combien d'autres qui ne sont jamais dénoncées
en tant que telles ? L'Etat ne fait pas grand-chose. Il a peur d'être taxé de liberticide. "

Selon les données recueillies par différents organismes - renseignements généraux et mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) -
près de 500 000 personnes sont touchées en France. Ces mouvements, très nombreux et souvent connectés entre eux, revendiquent des traditions, prétendument ancestrales et traditionnelles comme pour certifier leur bien-fondé. Respirianisme, Kryeon, invitation à la vie intense, Témoins de Jéhovah : autant d'organisations où ont été signalés de graves excès médicaux. Toutes les médecines alternatives ne sont bien évidemment pas soupçonnées de dérives sectaires. " Même dénuées de fondement scientifique, elles peuvent être utilisées de façon honnête ", explique le docteur Grunwald. La chiropractie, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, la médecine traditionnelle chinoise, le shiatsu, la naturopathie, l'ostéopathie, la phytothérapie ne posent ainsi aucun problème lorsqu'elles sont correctement pratiquées. " Au pire, cela coûte quelques euros et ne soigne pas ", résume un médecin. Près de 65 % des Français font appel à ces méthodes.


 Des poursuites difficiles

Les sectes elles-mêmes n'ont pas de qualification juridique. Pénalement, les poursuites engagées en cas de dérive sectaire d'ordre médical sont qualifiées d'" actes de charlatanisme ", d'" escroquerie ", d'" abus de faiblesse ", de " non-assistance à personne en danger " ou d'" exercice illégal de la médecine ". " Mais cette dernière qualification n'est utile que lorsque les problèmes ont déjà eu lieu. Il est alors déjà trop tard ", poursuit Catherine Picard.

Les médecins ont un rôle essentiel à jouer. Si le Code de santé publique indique " qu'aucun acte médical ni aucun traitement ne peuvent être pratiqués sans le consentement libre et éclairé de la personne ", le Conseil d'Etat a émis des réserves à cet article en cas de " situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ".

 Le respirianisme : l'air et la lumière pour seule nourriture.

Jasmuheen, gourou australienne à la tête d'ange, revendique trois millions d'adeptes. De son vrai nom Ellen Greve, elle prétend se nourrir uniquement d'air et de lumière afin d'éviter de tomber malade. En France, Jasmuheen prétend regrouper des centaines d'adeptes. Toutes les conférences et ateliers sont évidemment payants, quelques centaines d'euros, et l'Australienne vend de nombreux ouvrages. Une mère de famille a écrit à l'Unadfi la lettre suivante : " Mon fils m'a expliqué la semaine dernière qu'il a suivi à la lettre les consignes contenues dans un livre intitulé Vivre de lumière (NDLR : écrit par Jasmuheen). Il ressemble à un rescapé des camps de la mort et ce livre constitue à mon avis une invitation au suicide. "

 Communication facilitée : faire écrire les handicapés.

Ce système permettrait de faire s'exprimer une personne handicapée, moteur, mentale ou autiste, à l'aide d'un clavier. Problème : c'est un " facilitateur " qui tient la main du patient. La responsable du mouvement en France évoque une " communication d'inconscient à inconscient " entre la personne handicapée et ce facilitateur. Autre inquiétude : des médecins dénoncent l'entrisme de ses adeptes dans les milieux médicaux. Des formations payantes sont destinées aux parents. Un séminaire de cinq modules revient à 1 600 sans l'hébergement.

 Les Témoins de Jéhovah : le refus des transfusions.

C'est le plus important des mouvements puisqu'il compte en France entre 110 000 et 120 000 adeptes. A la plus grande inquiétude des organismes de lutte contre les dérives sectaires, le règlement de l'organisation prévoit l'exclusion en cas d'acceptation d'une transfusion sanguine. En avril 2001, un jeune adepte de 21 ans est décédé après avoir refusé une transfusion. Atteint d'une leucémie aiguë, les médecins professionnels estimaient entre 65 à 75 % ses chances de survie s'il pratiquait une chimiothérapie dont une transfusion était un préalable impératif.

 Invitation à la vie intense (IVI) : une gourou bien française.

Voyante dans le XVIe arrondissement parisien, Yvonne Trubert a créé ce mouvement en 1983. Il regroupe aujourd'hui plus de 2 000 sympathisants dans 60 départements, essentiellement en région parisienne. " Mon oeuvre est une oeuvre divine, rien ne m'empêchera de l'accomplir ", répète-t-elle. Elle prétend soigner, sans médicament ni opération, le zona, l'asthme, les dialyses, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson et le cancer dont elle dit : " Il est dramatique pour les médecins mais il est simple pour vous. " La doctrine d'IVI est un amalgame de catholicisme, d'hindouisme et de médecine, condamnant la médecine officielle. Son fils Philippe Trubert, par son agence de voyages, organise des pèlerinages et des visites de sanctuaires catholiques.

 Kinésiologie : un procès retentissant.

Le 3 juin, Pascale et Ronan Boucher-Durand ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Quimper à cinq ans de prison dont huit mois ferme pour la mort de leur fils Kérywan par malnutrition et absence de soins. A 16 mois, il avait le poids d'un enfant de 4 mois. Dans ses principes, le mouvement propose de se libérer de ses maux et de ses névroses en dénouant ses muscles. La formation à la kinésiologie, très onéreuse, est ouverte à tout le monde sans aucune connaissance spécifique préalable. Aucun de ses concepts n'est validé par la médecine et les scientifiques.

 Kryeon : les " enfants indigo ".

Vingt-cinq millions de livres vendus, traduits en sept langues, le mouvement Kryeon est une énorme entreprise commerciale avec des réseaux de vente très bien organisés. S'inscrivant dans une perspective majoritairement apocalyptique, son gourou californien, Lee Caroll, prédit qu'une nouvelle race humaine va naître grâce aux " enfants indigo ". Un danger, selon les spécialistes, celui de regrouper certains enfants aux pouvoirs extraordinaires dans des écoles spécialisées et la mise en cause de concepts scientifiques. Kryeon pourrait ainsi résoudre tous les problèmes liés aux maladies et à la pollution.

 Quelques autres...

Il existe également de très nombreux mouvements, moins importants par le nombre d'adeptes mais dont certaines pratiques sont critiquées. Le fondateur de l'hygiénisme assène ainsi : " Le VIH est extrêmement difficile à transmettre sexuellement. " " Les médicaments doivent être abandonnés. " Autre technique médicale de guérison par apposition des mains, le Reiki, s'il n'est pas contesté en tant que tel, peut aussi engendrer des dérives. Hormis les prix élevés pour accéder au rang de " maître Reiki ", certaines familles de participants ont signalé des changements de personnalité, de comportement avec une tendance à l'isolement.

 Anne-Marie, victime de la " méthode du Dr Hamer "

Anne-Marie Trigon est morte le 22 juillet 1996 des suites d'un cancer du sein. En 1992, après une opération chirurgicale, son médecin lui assurait pourtant qu'elle était en phase de guérison et qu'il désirait la revoir dans un an. Passés ces douze mois, le professionnel constate une récidive de la maladie, curable selon lui. Anne-Marie est catastrophée. " Elle a perdu confiance dans la médecine classique et s'est tournée vers une association, Stop au cancer, qui proposait de soigner le cancer par un travail psychologique, confie Michel, son époux. La responsable assurait que la guérison était possible de manière douce alors que le chirurgien ne voyait pas d'autre solution qu'une ablation du sein. "

Cette association de Chambéry se revendique de l'école Hamer, du nom d'un " médecin gourou " allemand purgeant aujourd'hui à Fleury-Mérogis une peine de trois ans de prison dans le cadre de cette affaire. La responsable locale assure que la pathologie de Mme Trigon provient d'un conflit avec son fils. " Ils lui ont fait passer un scanner et ont décelé une tache au niveau cérébral qui correspondait selon eux, à son cancer du sein, poursuit Michel Trigon. A chaque rencontre, ma femme faisait un chèque. Elle a dépensé plusieurs milliers de francs. "

L'état de la mère de famille se dégrade, ses souffrances ne cessent d'augmenter. " Ses six derniers mois étaient atroces, se souvient son époux. Elle était convaincue que la médecine normale ne lui servirait à rien ; ni moi ni mes enfants n'avons pu la ramener à la réalité. Quelques jours avant le décès de ma femme, la responsable de l'association est venue lui rendre une dernière visite et m'a confié en partant : S'il arrivait quelque chose de grave à Anne-Marie, on ne se connaît plus."

Quelques mois après l'enterrement, Michel Trigon reçoit à son domicile une lettre de la gendarmerie. La brigade de recherches de Chambéry enquête sur les pratiques de l'association suite à une première plainte pour " exercice illégale de la médecine ", " non-assistance à personne en danger " et " escroquerie ". Le veuf se joint immédiatement à la procédure. Le procès se tient en janvier 2000 à Chambéry.

" C'était effrayant, raconte M. Trigon. Dans la salle d'audience, c'était un véritable spectacle. Les accusés étaient soutenus par une trentaine de supporters. Et nous, parties civiles, n'étions que quatre ou cinq, trois à la fin du procès. Nous n'avions évidemment rien à nous reprocher mais dans cette ambiance surréaliste, nous étions morts de trouille. "

Les deux responsables de Stop au cancer seront condamnées, en mars 2000. Le docteur Hamer aussi, mais l'homme avait préféré ne pas se rendre au procès. Interpellé en Espagne, il est incarcéré depuis septembre 2004 mais les associations de lutte contre les dérives sectaires s'inquiètent du nombre de ses " élèves " aujourd'hui en activité.

 " Pour éviter les pièges, renseignez-vous (Dr GRUNWALD, secrétaire général du.Conseil national de l'ordre des médecins)

- Comment faire la différence e n t r e médecine non conventionnelle et dérive médicale dans les mouvements sectaires ?
- Dr Daniel Grunwald. Dans les mouvements sectaires, certaines médecines " alternatives " sont un moyen d'emprise sur les personnes.On essaie de faire passer une idéologie par la prise en charge de la santé de l'adepte. Les médecines non conventionnelles qui n'ont pas de fondement scientifique , peuvent être utilisées de façon honnête. Mais dans un certain nombre de cas, les mouvements sectaires éloignent voire empêchent le patient d'utiliser un traitement classique.

- Le phénomène est-il en augmentation ?
- L'extension des dérives sectaires nocives dans le champ de la santé est incontestable et inquiétant. Il y a une multiplication de petits mouvements . ce n'est pas forcément l'apanage des grandes organisations comme la Scientologie. Les responsables sont souvent des prosélytes inspirés, autodésignés, dont les agissements peuvent correspondre à un exercice illégal de la médecine.

- Il y a aussi de vrais médecines, certains parlent de tentatives d'entrisme dans les mileiux de santé " classiques "
- Il y a un certain nombre de problèmes plus importants dans le milieu paramédical. Nous devons être vigilants. Les professionnels de santé doivent appliquer des données scientifiques, conserver une attitude critique . les formules proposées par ces mouvements n'y résistent pas.

- Comment expliquer un tel engouement ?
- Cela s'inscrit dans le cadre général d'un société de plus en plus friande d'ésotérisme. En outre, il y a aujourd'hui une forte mise en doute des bienfaits des progrès scientifiques . Les mouvements s'appuient sur certains drames passés, comme les scandales du sang contaminé, de l'hormone de croissance ou du vaccin de l'hépatite B… mais quand on conseille aux adeptes de ne pas suivre un traitement par principe de précaution, c'est un détournement d'une notion positive au bénéfice d'un idéologie ou de préoccupations financières.

- Quel type de " patient " est le plus exposé ?
- Ceux dont le traitement est insuffisant pour soigner leur pathologie ou ceux dont ce même traitement a des effets secondaires difficiles.

- Quels sont les excès les plus dramatiques ?
- Ces méthodes vont de l'absorption de poudre de perlimpinpin inoffensive à des conduites qui peuvent entraîner la mort.

- Quels conseils donner aux personnes approchées par ce type de mouvements ?
- Se renseigner. Il ne faut pas hésiter à poser des questions, à prendre un second avis. Le Conseil de l'ordre des médecins peut donner des informations sur les qualifications de tel ou tel professionnel de santé et les Ddass sur les références des psychothérapeutes.

- Plusieurs mouvements proposent de soigner les cancers par un travail psychologique.
- Un cancer n'a rien à voir avec la psychologie. C'est d'ailleurs une maladie qui se traite de mieux en mieux. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas soutenir les patients psychologiquement. Ce sont deux choses différentes, il ne faut pas faire d'amalgame.

- Au sein de l'ordre, recensez-vous de nombreux cas de dérives de médecins ?
- Il y a un certain nombre de plaintes condre des médecins pour des pratiques thérapeutiques dangereuses ou charlatanisme mais il n'y a pas obligatoirement la notion de dérive sectaire. Ce genre de cas, une dizaine par an, est souvent direcxtrement traité par les tribunaux compétents.

Propos recueillis par J.Du



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