(source : BULLES, n°69 1er trimestre 2001)
par Paul ARIES
Le conflit entre la médecine officielle et les médecines parallèles
cache une tentative de hold-up des sectes dangereuses sur le secteur dit des
médecines " autres " ou alternatives. Les sectes tentent
d'exploiter systématiquement et de détourner à leur profit
la critique de l'institution médicale et de la médecine officielle.
Le combat que mènent les sectes contre la médecine officielle
n'est pas celui de certains amateurs de médecines douces.
Sanction ou apogée d'une médecine déshumanisée
-
Les sectes guérisseuses (à la limite presque toutes) sont-elles
la sanction d'une médecine inhumaine - Les " autres " médecines
dénoncent les manquements et les failles du système dominant.
Elles opposent au discours " officiel " d'autres représentations
du corps et de la santé. Les sectes guérisseuses ne campent
pas en fait sur ce même terrain, ou artificiellement. Il est à
craindre, en effet, que ce qu'elles dénoncent dans la médecine
scientifique, ce ne soit plus son caractère inhumain, mais un - caractère
trop humain ; non plus sa logique de " toute-puissance " mais, bien
au contraire, ses aveux d'impuissance, ses échecs. Ce qu'elles ne tolèrent
plus, c'est qu'on puisse encore dire que l'homme est faible et mortel.
Les sectes ne promettent pas davantage d'humanité, mais le refus des
faiblesses. Cette prétention est d'autant plus sordide que non seulement
elle est vaine, mais qu'elle débouche, en outre, sur une représentation
glaciale de l'existence et du bonheur. Le danger existe donc que l'essor des
sectes guérisseuses soit l'apogée de cette déshumanisation
; celles-ci sont le signe du refus - face au Sida, au vieillissement, à
la mort - de notre humanité. Un bon indice en serait le fait que tous
ces groupes, loin de recruter parmi des incurables auxquels ils promettraient
(vainement) une guérison miraculeuse, s'adressent aujourd'hui majoritairement
à des bien portants, qu'elles ne cessent de convaincre de leur caractère
pathologique, parce qu'ils sont encore souffrants, mortels - bref, humains.
L'humain est toujours trop humain pour n'importe quelle secte. On n'a pas
de preuve plus manifeste de cette évolution que le constat que, si
les anciennes sectes guérisseuses ne pénétraient pas
le marché de l'entreprise, les nouveaux groupes y sont bien présents,
car, ce qu'ils vendent, ce n'est pas la guérison, mais une idéologie.
La question médicale constitue en effet un terrain fécond pour
les sectes. Celles-ci vont pouvoir, mieux qu'ailleurs, y réaliser l'intrication
de deux types de régression
1- Elles développent d'abord une régression de type archaïque
en raison du contexte de détresse et du contenu fantasmagorique qu'exprime
ce culte de la " santé parfaite ". Le patient fusionne dans
un modèle de type maternel (le " grand tout "). Il n'existe
donc plus en tant que sujet, mais en tant qu'élément d'une totalité
avec laquelle il communie. Il n'est plus qu'énergie, que correspondance
entre divers règnes de la nature, que soumission.
2- Les sectes vont pouvoir aussi développer une régression moins
archaïque mais non moins dangereuse car fondée sur cette figure
du " gourou au carré ", qu'est le guérisseur. Le patient
se conçoit, certes, encore comme un sujet mais sous dépendance
et protection. Il ne tient le salut que de l'autre, à travers son initiation,
pas par son savoir.
Les sectes guérisseuses s'opposent fondamentalement à tout projet
d'humanisation. Elles renvoient l'individu à sa maladie et l'enferment
dans le symptôme par la pratique du déni. On peut reprocher à
la médecine occidentale de ne voir que les symptômes, mais on
ne doit pas oublier que le refus de les voir est aussi une autre façon
de les isoler.
Pour les sectes, il n'y a donc pas de socialisation possible à partir
des maux, mais un isolement. Il n'y a pas individualisation mais massification
absolue, puisque les maladies auraient une cause unique et nécessiteraient
un traitement unique, valable pour tous les sujets. Il n'y a pas d'autonomie
de la personne, mais soumission à base de culpabilisation (la maladie,
sanction d'une faute), de dépersonnalisation (la faute pouvant provenir
d'une existence antérieure, d'un fait collectif ou bien encore des
géniteurs). Il n'y a pas d'échange possible, puisque le thérapeute
sait ce qu'il sait, non par connaissance ou expérience, mais par révélation
personnelle, par " élection " divine. Il n y a pas d'amour,
de compassion, de respect de l'autre, dans la mesure où il ne s'agit
pas d'apprendre à vivre avec ses faiblesses, mais de se soumettre à
un jugement.
Le mythe de la perfection : peut-on guérir de tout ?
Les sectes guérisseuses jouent de la confusion avec certaines médecines
" parallèles ". Les techniques de régression sectaires
tirent leur efficacité de l'usage pervers de méthodes fort banales
de modifications mentales, comme certaines techniques de saturation/privation
sensorielle, de double contraintes contradictoires. Il existe, en effet, des
centaines de techniques notamment en psychothérapie. Cette inflation
concerne tout autant les méthodes, les publics que les champs d'application.
On les utilise désormais dans le domaine privé, familial, éducatif
ou même du management.
Les sectes développent une logique de purification fondée sur
le culte de la perfection. Elles considèrent que le problème
dans l'homme est l'homme lui-même, parce qu'il serait toujours imparfait,
parce qu'il aurait des attachements, des dépendances, etc. Il faudrait
donc chasser l'humain dans l'homme, en lui substituant des techniques. L'être
parfait serait ainsi un individu réduit à des normes techniques,
un personnage moyen. Cette logique est perverse dans la mesure où elle
considère toute faiblesse comme un dysfonctionnement à corriger,
alors qu'on peut penser que l'homme n'est grand que dans le respect de sa
faiblesse .
Les sectes " guérisseuses" ont aussi évolué
en ne reprochant plus à la médecine son caractère (parfois)
inhumain mais de ne pas être toute puissante (sida, cancer, etc.). Elles
ne proposent plus de guérir des incurables mais " médicalisent
" les " bien portants ", qu'elles tentent de convaincre du
caractère inacceptable de leurs propres faiblesses. Elles sont portées,
de ce fait, à privilégier des solutions fantaisistes voire dangereuses
et à culpabiliser les " malades ", car il leur faut bien
donner une raison à leur propre échec.
Comment se protéger des sectes guérisseuses -
Les buts et les outils de l'éducation à la santé sont
antagonistes à ceux des sectes. Faut-il rappeler pourtant que 3 000
médecins sont en relation avec des groupes sectaires - Les tentatives
de mainmise lancées par les sectes dans le domaine de l'éducation
à la santé doivent être dénoncées comme
contre nature (drogue, sida, alcoolisme, maternité, etc.).
Il convient de réfléchir à ce que pourraient être
quelques garde-fous, au moment où la casse des repères symboliques
et la destruction des grandes identités fragilisent les personnes et
risquent de multiplier fortement les conduites à risques ou déviantes.
On peut proposer cinq critères de démarcation
- Le lien thérapeutique doit résulter d'un contrat né d'un accord réel de volonté. Ce principe de prudence exclut les stages imposés aux salariés par certaines sociétés (chacun doit savoir pourquoi il suit la formation et être le seul décideur en ce domaine). Il exclut tout engagement lors d'une soirée de présentation, où la dimension émotive l'emporte trop facilement sur le caractère sérieux et éclairé de la décision. Il faut ainsi se méfier des témoignages d'anciens pratiquants ou des démonstrations.
- Le lien thérapeutique doit correspondre à un engagement précis et contraignant, en terme de buts, de méthodes, de temps, d'argent, entre thérapeute et client. II faut fuir les groupes qui refusent cette transparence sous prétexte d'initiation progressive.
- Le lien thérapeutique doit reposer sur une théorie éprouvée et mise en oeuvre par des personnes qualifiées et ne pas être validée (simplement) par des témoignages. Il faut enfin fuir les groupes qui prétendent tout guérir de la même façon et avec facilitée .
- Le lien thérapeutique doit être conçu comme menant à terme plus ou moins proche au soulagement des troubles et des souffrances et à davantage d'autonomie individuelle. On peut ainsi établir une frontière entre une thérapie et une démarche spirituelle.
- Le lien thérapeutique nouveau ne doit jamais conduire au refus des autres méthodes : la personne doit conserver la possibilité de recourir à des traitements conventionnels. Il faut aussi se méfier des groupes exigeant une rupture progressive avec l'entourage (langage obscur, contraintes temporelles, financières ou émotionnelles exorbitantes).
La sectarisation des pratiques médicales ne doit pas être combattue,
avant tout, au nom de la défense de la science, c'est-à-dire
dans la tradition du combat contre les charlatans. Ce serait leur faire un
cadeau royal que de les identifier aux médecines des sorciers. Les
médecines sectaires collent en revanche le patient à son symptôme,
au point de les " confondre ", c'est pourquoi, elles aboutissent
toujours à une logique de culpabilisation.
La dénonciation de la tentative de mainmise des sectes sur le secteur
des " autres " médecines ne doit pas être menée
uniquement au nom de la défense de la science et de la raison, mais
aussi, au nom du droit des peuples à (se) donner de vraies politiques
de santé.
1 Voir E. Kant, Critique de la raison pratique, 1786 : "Agit d'après
la maxime, que l'homme soit une fin et qu'il ne soit jamais traité
comme un moyen. "
2 C'est tout simple, un retour à la "Méthode expérimentale"
de Claude Bernard.
Paul Aries est l'auteur de nombreux ouvrages notamment - Le retour du diable,
satanisme et extrême-droite - La scientologie : laboratoire du futur
- - La scientologie : une secte contre la République (Préface
d'Alain Vivien) - Déni d'enfance : manifeste contre la banalisation
de la pédophilie
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