Scientologie

L'arrêt de la Cour d'Appel de Lyon

rendu le 28 juillet 1997

(Source : BULLES 3ème trimestre 1997)

 

Les cris de triomphe de la Scientologie après le jugement de la Cour d'Appel de Lyon ont été largement répercutés par la presse. Entre autres titres relevés dans les quotidiens : " la Scientologie se voit en quelque sorte conférer le statut de religion " (Le Monde, 30-7-97) - " La bénédiction des juges " - " Scientologie estampillée religion " (France-Soir, 30-7-97). Il est juste de dire que quatre pages de texte introduites par ces titres accrocheurs sont, elles, fort objectives, et ne prennent pas de gants pour décrire les pratiques de l'organisation scientologue. Mais bien des gens, en passant devant les kiosques, ne voient que les gros titres.


Que dit exactement ce jugement ?

Les prévenus condamnés en première instance prétendaient, rappelle la Cour dans ses attendus " que c'est à tord que l'ordonnance de renvoi et le jugement du tribunal avaient qualifié de manoeuvres frauduleuses la doctrine de la Scientologie et la mise en oeuvre de celle-ci... " (p.21). La Cour d'appel n'est pas tombée dans le piège, un peu gros ; si elle cite cette affirmation, c'est pour la rejeter : " Il est vain de s'interroger sur le point de savoir si l'église de Scientologie constitue une secte ou une religion ". En effet, " la liberté de croyance est un des éléments fondamentaux des libertés publiques françaises " elle est " absolue " ... " la Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités, y compris ses activités missionnaires, voire de prosélytisme "...

Cependant, " il est permis de concevoir que certains individus utilisent une doctrine religieuse, en soi licite, à des fins financières ou commerciales pour tromper des tiers de bonne foi ; qu'une Église régulièrement constituée pourrait, dans certains cas, dissimuler une entreprise financière ou commerciale ; que l'exercice ou la pratique d'un culte peut donner lieu à des manoeuvres frauduleuses de la part de certains membres de cette religion ; que l'appréciation de ces manoeuvres à travers une pratique religieuse n'implique pas un jugement de valeur " sur cette religion (p. 21).

Et la Cour d'Appel a confirmé les condamnations prononcées en première instance pour "manipulation mentale" (p. 25, 4 fois), " manoeuvres frauduleuses " (p. 25, 4 fois)," escroquerie ", " captation de fonds " ; ailleurs (p.30) il est reconnu qu'un " engagement [d'un achat d'un électromètre] a été extorqué à une plaignante, les prévenus ayant usé de pressions proches du harcèlement qui caractérisent la contrainte morale ". Plus loin, sont retenus des éléments " au titre de manoeuvres frauduleuses entrant également dans le champ de la contrainte morale "

La Cour d'Appel, estimant que Jean-Jacques. Mazier a agi en toute connaissance de cause, et porte une responsabilité directe dans le suicide d'un adepte, maintient sa condamnation à 3 ans de prison (mais lui accorde le sursis pour la totalité de la peine), 500.000 francs d'amende, 5 ans d'interdiction de droits civiques, civils et de famille. Cinq autres scientologues sont condamnés, mais voient leurs peines réduites (maximum d'un an de prison avec sursis et 20.000 francs d'amende). Les dommages et intérêts accordés à certains des plaignants sont annulés.

D'autre part, neuf scientologues sont relaxés, les dommages et intérêts accordés à certaines des parties civiles sont annulés.

On comprend que M. Mazier soit soulagé à l'idée de ne pas aller en prison, et la Scientologie d'avoir moins d'argent à débourser (si tant est que les victimes parviennent jamais à récupérer leur dû ; les précédents ne sont pas très encourageants). Mais de là à se proclamer absoute,  bénie ... il y a loin. Pourtant, a déclaré Danièle Gounord, " c'est une victoire pour la Scientologie " (Le Monde, 30/7/97). Et le président américain de la Scientologie internationale, Heber Jentzsch, a exulté : cet arrêt constitue " la réalisation d'un rêve ". Un rêve, en effet, mais qui est loin d'être réalisé. Il faut voir que toute cette jubilation sert surtout à maintenir le moral des adeptes, et le standing de Mme Gounord auprès de ses supérieurs américains. Si la Scientologie proclame urbi et orbi qu'elle est désormais " reconnue en France " combien sauront que s'est non seulement faux, mais impossible ? Il faudrait changer non seulement la loi, mais la Constitution.

Réactions en France

Le Premier Ministre, M. Lionel Jospin, s'est dit " préoccupé " par ce jugement, qui n'est pas définitif. En effet, le Parquet Général s'est aussitôt pourvu en Cassation. (Le Monde, 31/7 et 1/8/97)

M. Chevènement, en sa qualité de ministre de l'Intérieur (et donc des cultes) a précisé que ce bureau des cultes était " le seul habilité à reconnaître le cas échéant une association cultuelle " (Le Monde, 31/7/97). Selon la loi de 1905, une telle association doit avoir pour objet exclusif l'exercice d'un culte.

La Ligue des Droits de l'Homme a estimé que les magistrats " ont ignoré la laïcité des institutions de la République (dont la Justice) ... L'arrêt vient en contradiction avec les décisions fiscales et commerciales qui ont qualifié l'église de Scientologie en termes mercantiles, mais certes pas spirituels ".

En fait, ces critiques (comme les cris de victoire de la Scientologie) sont déclenchés par une phrase des attendus du jugement : " l'Eglise de scientologie peut revendiquer le titre de religion ". On peut dire bien des choses, revendiquer bien des titres, à tord ou à raison. Mais les juges ont marqué aussitôt que cela ne changeait rien au caractère délictueux de " manoeuvres frauduleuses ", de " contrainte morale ", de " manipulation mentale ", etc.

Les critiques, à chaud, n'avaient pas eu le loisir de lire le texte entier du jugement, fort long. Ils ne connaissaient sans doute que ce qu'en a cité la presse, et l'interprétation des scientologues. Il reste que si le Parquet Général a jugé utile d'introduire un pourvoi, c'est que certaines phrases, citées hors contexte, peuvent laisser croire que la Cour d'Appel de Lyon aurait défini une religion, ce qu'elle n'a pas fait.

Mais que faire et que dire face à la mauvaise foi et à " l'intox " ? Rétablir la réalité des faits, citer les textes de façon exacte.

Acquittement de certains prévenus

L 'acquittement de certains fantassins de base, comme celui des chefs parisiens de la Scientologie, pose quelques problèmes de principe. Pour les premiers, la Cour d'Appel reconnaît " leur incontestable sincérité dans leur croyance, (qui) n'était pas de nature à leur permettre de porter un jugement critique sur les agissements dont ils étaient témoins ". Ils peuvent " faire également figure de victimes " et " ne constituaient que de simples rouages des associations dont ils assuraient le fonctionnement "... " Un doute persiste quant à l'élément moral des infractions d'escroquerie ... " En somme, ces " rouages " ont agi sous l'emprise de la " manipulation mentale " qui les priverait de leur jugement moral.

Mais que penser des vrais coupables, incitateurs de crimes et délits qui restent hors de portée de la Justice, s'ils n'ont pas participé matériellement aux actes incriminés ? La Cour d'Appel a confirmé la relaxe des responsables parisiens de la Scientologie, parce que " les différentes églises de scientologie situées en France... sont constituées sous forme d'associations, indépendantes les unes des autres, n'ayant pas de liens organiques ou hiérarchiques entre elles, chacune dépendant directement de l'église-mère, aux États-Unis, ou de l'organisation avancée de Copenhague " (p. 30). La Cour a reconnu la manipulation mentale dont sont victimes les instigateurs.

Est-on vraiment obligé de croire que les différentes associations scientologues en France (franchisées ou autres) agissent réellement en toute indépendance par rapport à une direction nationale ? Non ; mais la difficulté, c'est qu'il faut le prouver. Le fameux OSA (Office of Special Affairs, sorte de service secret de la scientologie) n'a-t-il pas un responsable pour la France ?

Alors, à la limite, on ne pourrait condamner personne, sauf, quelquefois, un petit chef local ? Les grands coupables, incitateurs des crimes et délits, sont bien à l'abri. Les victimes devenues complices, nous ne pouvons avoir pour elles qu'une profonde compassion - et les aider de notre mieux, s'ils reprennent un jour leurs esprits, sans pour autant retrouver tout ce qu'ils ont sacrifié : non seulement leurs biens, leurs familles, mais jusqu'à leur capacité de penser, de juger, et peut-être même d'aimer.

Voir les actes auxquels ils ont contribué condamnés par la Justice de leur pays pourrait peut-être les aider, pour une petite part, à leur ouvrir les yeux ?


 
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